Revue

La collection des Piccolophilo (Ed. Albin Michel)

Lorsque j'étais instituteur, je pratiquais dans ma classe une pédagogie influencée par la méthode Freinet, dans laquelle le questionnement philosophique avait sa place, même si on parlait plutôt à l'époque d'éveil à la pensée et à l'esprit critique. Je partais de contes ou de fables que je racontais pour amorcer un petit débat autour d'une question philosophique. Puis j'ai quitté l'enseignement pour me consacrer totalement à l'écriture.

Mais ces années de pratique ont nourri mon écriture. Elles m'ont permis d'accoucher d'un certain nombre d'ouvrages-outils permettant de faire philosopher les enfants à l'école ou à la maison : les philo-fables, mon premier livre de sagesse, les philo-fables pour vivre ensemble, le conteur philosophe, les fables mythologiques, les philo-fables pour la terre... Ces ouvrages traduits dans de nombreuses langues sont aujourd'hui largement utilisés par les familles et les enseignants.

Or c'est au cours de discussions avec ceux-ci que s'est posée à de nombreuses reprises la question des enfants plus petits. "Les philo-fables, me disait-on, sont bien adaptées pour un public de 8 à 15 ans, mais elles ne fonctionnent pas avec des enfants de CP ou de Maternelle. Pourquoi n'inventeriez-vous pas un support philosophique à leur intention ?"

La question m'était posée, mais j'ai mis trois ans à tenter de relever le défi. Il ne me semblait en effet pas possible d'utiliser pour eux le biais des fables et paraboles. Il me fallait être au plus près du quotidien des enfants. Ma chance a été d'avoir tout proche de moi deux petits garçons, Emile (7 ans) et Edmond (5 ans). Je m'en suis inspiré pour inventer le personnage de Piccolo ("petit" en italien), un petit garçon très questionneur...

S'agissant d'albums illustrés, je me suis associé à l'illustrateur Thomas Baas, dont j'aimais le trait vif et plein de tendresse, proche du Sempé du Petit Nicolas (et que je savais avoir par ailleurs un père professeur de philo). Ensemble, nous avons imaginé comment serait la maison de Piccolo, son environnement immédiat (présence du chat Bergamote), quels seraient les hobbys de ses parents, etc.

Puis j'ai bâti de petites histoires en utilisant un vocabulaire simple et comportant de nombreux dialogues pour restituer au plus près du quotidien les échanges en famille. J'ai fait en sorte que l'humour et le clin d'oeil y soient aussi constamment présents, notamment dans les bulles des dessins qui s'accordent parfois un petit grain de folie.

J'ai donné à la série le nom de Piccolophilo (philo pour les petits). L'éditrice Lucette Savier des éditions Albin Michel, chez qui j'avais déjà réalisé les philo-fables, m'a immédiatement suivi et accompagné dans cette aventure. Piccolophilo est donc une collection d'albums qui racontent, sous forme d'histoires simples, les questions et raisonnements quotidiens d'un petit enfant.

Car dès 5 ans, tout est sujet à étonnement, interrogation, discussion. Les achats au supermarché, une visite chez le dentiste, une dispute avec un copain, la rencontre d'une vieille dame ou l'observation d'un chat... sont ainsi prétextes à une aventure.

Mais afin que cette histoire soit réinvestie par la réflexion et la discussion (notamment grâce à la présence d'un adulte), il m'a paru important qu'elle soit suivie de jeux, de questions et d'éclairages à proprement parler philosophiques. Après chaque épisode d'un Piccolo, on trouve donc ce que j'ai appelé "l'atelier-philo". Il comprend :

  • un petit grain de sel philo (petite réflexion philosophique sur la thématique abordée, à l'usage des parents, enseignants et éducateurs) ;
  • de petits jeux à faire en famille ou en ateliers ;
  • une série de questions philosophiques posées directement aux enfants ;
  • et un atelier en savoir plus qui éclaire à leur intention une problématique scientifique liée au thème (par exemple les différents langages animaliers dans le Piccolophilo traitant du langage "Parle-moi, petit chat")

Le tout constitue donc un support à discussion, à échanges, à débats en famille ou en petits cercles (école, centres de vacances, veillée...).

Les enfants de l'âge de Piccolo élaborent, au cours de leur développement émotionnel et cognitif, un esprit et une pensée critiques, grâce à un étonnement et un questionnement incessants. Respecter ce cheminement, lui donner forme, pouvoir y apporter réponses ou réactions parentales est le but de cette collection "Piccolophilo".

Un Piccolophilo, c'est donc une histoire qui reflète les mêmes questions, erreurs et "incohérences" que celles du jeune lecteur, et qui lui permet de comprendre combien ce chemin chaotique est nécessaire et légitime.

Lire un Piccolophilo, c'est pour les parents avoir un support à discussion ; c'est prendre le temps de regarder et de commenter, en différé et sans conflit, hors de l'urgence du quotidien, des saynètes, sans doute déjà vécues en famille ; c'est se poser et s'offrir une pause ludique pour réagir aux hypothèses suggérées par le livre.

Me rendant très souvent dans les écoles (notamment maternelles), les retours que j'ai sur cette collection me confortent dans l'idée que l'utilisation d'un "personnage miroir" est une bonne façon de faire réfléchir les enfants sur leurs propres comportements. Il m'arrive même parfois de lire à haute voix les dialogues et d'entendre les enfants terminer les phrases à ma place. Quant aux jeux et activités qui suivent l'histoire, les enseignants me disent les juger indispensables, afin que le récit ne demeure pas anecdotique et soit réinvesti dans ses implications philosophiques et psychologiques.

Les premiers titres parus de la collection :

C'est pas juste !
Piccolo rouspète car il trouve qu'il y a beaucoup de choses injustes dans les rapports entre enfants et parents... (thématique : justice et injustice).

Achète-moi la moto rouge !
Au supermarché, Piccolo s'obstine à vouloir faire acheter par maman, qui ne cèdera pas, une moto jouet... (consommation).

C'est quoi, la mort ! (sans doute le Piccolophilo le plus apprécié !)
Rentrant de l'école, Piccolo trouve son chat patraque et le croit mort. Il s'affole et questionne ses parents sur la fin de vie... (la mort).

Parle-moi, petit chat !
Piccolo voudrait à tout prix apprendre à parler à son petit chat. Son père lui explique la spécificité du langage humain... (langage).

Pourquoi j'ai mal ?
Piccolo a mal aux dents mais ne veut pas aller chez le dentiste car il dit que le dentiste va lui faire mal... (douleur et souffrance).

C'est à moi !
Invité chez un copain, ce dernier ne veut pas lui prêter ses jouets. Ensemble, ils vont se rendre compte qu'on s'amuse mieux en partageant... (partage).

Mais je suis déjà grand !
Parfois Piccolo se dit grand car il voudrait qu'on l'autorise à certaines choses et parfois il se prétend trop petit quand ça l'arrange... (petit et grand).

Non, c'est pas moi !
En jouant à la balle avec son chat, Piccolo a cassé une vitre mais il ne veut pas l'admettre, prétendant que c'est le chat, puis la balle etc. (mensonge).

D'autres thèmes philosophiques seront abordés dans les prochains Piccolo

La collection ayant désormais deux années d'existence, c'est souvent les parents et les enseignants qui viennent sur les salons me suggérer des thématiques pour les titres à venir. La question "Pourquoi n'écririez-vous pas un Piccolo sur... ?" revient souvent, et je m'en réjouis, car cela prouve que cette petite série a pris sa place et remplit sa fonction d'embrayeur de réflexion. J'ai donc listé un certain nombre de sujets philosophiques qui donneront, je l'espère, lieu à un Piccolophilo en 2012 et 2013 :

Le rêve et la réalité
La peur
La jalousie
L'amour et l'amitié
Être beau/être laid
La conscience de soi, l'identité
Le temps qu'on ne voit pas et qui passe quand même
L'ennui
La compétition
La vieillesse...

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