Revue

Belgique : place du questionnement philosophique dans le cours de religion catholique de l'enseignement secondaire en Communauté française de Belgique

Introduction

Le cursus scolaire de l'enseignement secondaire en Belgique francophone ne comporte pas de cours de philosophie obligatoire. Certaines écoles organisent au troisième degré un cours à option dans le cadre de deux heures destinées à la "préparation à l'enseignement supérieur".

Ce cours à option est principalement organisé dans des écoles élitistes de l'enseignement général et consiste, dans la plupart des cas, à donner un cours d'histoire de la philosophie.

La philosophie se retrouve donc abordée de manière transversale dans une série de cours (français, histoire, sciences...). Elle a notamment une place privilégiée dans ce qu'on appelle en Belgique francophone les "cours philosophiques", appellation générique des cours obligatoires de religion et de morale non confessionnelle.

Comme sans doute dans la plupart des pays européens, les programmes des cours dispensés en Communauté française de Belgique sont déclinés sous formes de compétences. Trois compétences disciplinaires du cours de religion catholique se rattachent directement à la pratique de la philosophie : "Pratiquer le questionnement philosophique", "discerner les registres de réalité et de langage" et "Construire une argumentation éthique"

I) Pratiquer le questionnement philosophique

Cette compétence, dit le programme, est "une attitude à développer dès le plus jeune âge : l'étonnement, le questionnement, le désir de chercher et de connaître. Pratiquer le questionnement philosophique, c'est poser et creuser les grandes questions et interrogations humaines comme, par exemple, la question du bonheur, la question de l'amour, la question du mal, la question de la mort, la question de Dieu, etc. Le cours de religion catholique inscrivant dans son programme ces grandes questions humaines, il rendra les élèves capables de pratiquer le questionnement philosophique."

Le but poursuivi est de rendre l'élève capable de prendre "une distance critique délibérée" à propos, par exemple, de questions comme : "la connaissance elle-même et ses critères : quelle est la nature de la connaissance mathématique, scientifique, historique, artistique, théologique ? A quel type de vérité ces connaissances peuvent-elles prétendre ? Quels en sont les critères de légitimité ? Quelles en sont les limites ?"

Pour ce faire, l'enseignant est encouragé à se mettre, avec ses élèves à "l'écoute des grands auteurs d'hier et d'aujourd'hui : la philosophie, en effet, offre un réservoir très riche en auteurs et textes de référence. Ceux-ci pourront apporter au thème de réflexion et au questionnement un éclairage inédit, voire contradictoire, permettant aux élèves d'élargir considérablement leur point de vue et d'en vérifier la légitimité en le confrontant à des manières rigoureuses de penser."

Concrètement travailler cette compétence vise à rendre l'élève capable de : développer une problématique philosophique ; lire et travailler des documents issus du champ de la philosophie ; décoder les "visions du monde" sous-jacentes aux systèmes et théories (économiques, scientifiques, etc.), comme rapport de l'homme à lui-même, à autrui, à Dieu ; identifier le type de questionnement des discours scientifique, philosophique, religieux ; distinguer les divers modes de connaissance et les registres de vérité correspondants ; identifier et analyser les connivences de la philosophie et de la religion ; décrypter le rôle structurant et constructif de l'ouverture à l'altérité et à la transcendance.

II) Discerner les registres de réalité et de langage

Partant du constat que, "pour parler de leur existence, les humains ont recours à différents types de langage" mais qu'également "une même réalité, un même événement peut être exprimé dans divers registres de paroles, chaque registre faisant voir la réalité ou l'événement sous un angle différent", le programme demande de développer la compétence qui rend capable de discerner les registres de réalité et de langage.

Concrètement, travailler cette compétence visera à rendre l'élève capable de : distinguer le registre factuel (des faits) qui relève du constat, de la description ; le registre éthique et juridique qui relève de la norme et le registre symbolique qui relève de la métaphore (ex : la colombe = symbole de paix) ou de la reconnaissance mutuelle (ex : l'écharpe des supporters d'un club sportif ; la croix pour les chrétiens) ; distinguer différents types de langage et leurs messages : le langage factuel (ex: scientifique) exprimant des situations correspondant de manière univoque au discours, le langage éthique ou juridique se vérifiant par l'adéquation entre ce que dit une personne et les valeurs et les lois reconnues comme bonnes, le langage symbolique exigeant un décodage, une interprétation et/ou disant une relation ; distinguer les ordres de vérité relatifs aux différents registres et langages : vérité-exactitude (visée par le langage de type scientifique), vérité-sincérité (visée par le langage éthique), vérité-authenticité (visée par le langage symbolique), et en vérifier la congruence ; distinguer le virtuel du réel (ex : jeux vidéo) ; travailler le langage religieux en mettant en lumière sa dimension symbolique (dans les deux sens du mot "symbole").

III) Construire une argumentation éthique

Le programme de religion catholique accorde une place importante à cette compétence.

La réflexion éthique, dit le programme, "s'impose d'autant plus aujourd'hui que nous assistons à une fluctuation des repères moraux ainsi qu'à l'apparition de problèmes nouveaux et complexes qui se posent dans notre société. Le questionnement éthique se joue dans les situations concrètes et dans les domaines aussi divers que la vie et la mort, l'amour et la sexualité, la souffrance et la santé, le développement technologique et la recherche scientifique, la politique et l'économie, etc. La réflexion éthique touche aux questions fondamentales, premières : qu'est-ce que la personne ? Que signifie respecter sa dignité, sa liberté ? Quel monde, quelle humanité voulons-nous construire ?".

Rendre capable de construire une argumentation éthique demande "de fournir aux élèves des outils appropriés pour travailler les questions éthiques dans leur complexité, en discernant dans les diverses situations les valeurs en jeu, en apprenant à réfléchir et à agir avec une conscience éclairée. Il s'agira d'aider les élèves à construire avec les autres une autonomie en tant que capacité de rendre compte ou de répondre (responsable) personnellement des choix effectués."

Concrètement, travailler cette compétence visera à rendre l'élève capable de : cerner les différents éléments d'une situation ainsi que les composantes de son contexte ; dégager les valeurs en jeu dans une situation donnée, les distinguer et les classer selon des critères préalablement établis ; s'ouvrir au questionnement éthique : que faire pour bien faire ? Quelles attitudes, quels comportements, quelles normes promouvoir ? Comment rendre compte que c'est le mieux? Au nom de quelles valeurs justifier tel comportement, tel choix ? Pour les croyant(s) en Dieu : quelles significations, quelles ouvertures la foi chrétienne propose-t-elle ? Quelle lecture de foi apporte-t-elle aux recherches d'humanisation ?

Mais aussi : repérer les références, les systèmes de légitimation qui sous-tendent les choix (visions de l'homme et du monde) ; distinguer pour une problématique donnée (ex : l'avortement, l'euthanasie) le champ éthique, le champ juridique, le champ psychologique ; éviter les écueils du dogmatisme moral (aucun doute n'est admis) et du relativisme moral (on ne peut trancher entre le bien et le mal au nom de la tolérance) en recherchant par la discussion et l'échange les meilleurs chemins à prendre dans une situation donnée ; former la conscience personnelle, l'éclairer en puisant à diverses sources : la Parole de Dieu, la Tradition, les lois, la culture, l'échange avec autrui.

IV) Articulation par degré de ces trois compétences

A/ 1er degré

Pratiquer le questionnement philosophique : s'étonner, s'interroger.

Discerner les registres de réalité et de langage : Distinguer le langage factuel et le langage symbolique. Distinguer le virtuel du réel.

Construire une argumentation éthique : dire le juste et l'injuste, le bien et le mal, et justifier son point de vue.

B/ Humanités générales et technologiques : 2e degré

Pratiquer le questionnement philosophique : distinguer les divers modes de connaissance (statut de la connaissance scientifique, mathématique, historique, philosophique, artistique, théologique, etc.) et les registres possibles de vérité.

Distinguer les ordres de réalité et de langage : distinguer les différents types de langage. Repérer la dimension symbolique du langage religieux.

Construire une argumentation éthique : dégager les valeurs en jeu dans une situation donnée, les distinguer et les classer selon des critères préalablement établis.

C/ Humanité générales et technologiques : 3e degré

Pratiquer le questionnement philosophique : identifier le type de questionnement des discours scientifique, philosophique et religieux. Lire et travailler un document issu du champ de la philosophie.

Distinguer les ordres de langage : distinguer les ordres de vérité relatifs aux différents registres et langages.

Construire une argumentation éthique : justifier un choix éthique par des arguments et le travail d'une conscience éclairée.

D/ Humanités professionnelles et techniques : 2e degré

Pratiquer le questionnement philosophique : reconnaître et exprimer qu'une même réalité peut être approchée de manière différente (technique, esthétique, historique, affective, etc.).

Discerner les registres de réalité et de langage : repérer la dimension symbolique du langage religieux.

Construire une argumentation éthique : dégager et classer les valeurs en jeu dans une situation donnée.

E/ Humanités professionnelles et techniques : 3e degré (7es comprises)

Pratiquer le questionnement philosophique : s'interroger sur le sens des pratiques et des choix (professionnels ou autres).

Discerner les registres de réalité et de langage : distinguer trois ordres de vérité : vérité-exactitude (langage scientifique), vérité-sincérité (langage éthique), vérité-authenticité (langage symbolique).

Construire une argumentation éthique :

  • cerner la dimension collective d'un acte ou d'un comportement personnels ;
  • justifier un choix éthique par des arguments et le travail d'une conscience éclairée.

Conclusion

Le cours de religion catholique n'est pas un cours de philosophie, et certainement pas un cours d'histoire de la philosophie. Il ne s'est jamais présenté comme tel. Par contre, j'aimerais, pour conclure, défendre son appellation de "cours philosophique" en me référant à un colloque récent.

À l'occasion de la Journée mondiale de la philosophie, qui s'est tenue en novembre 2010 à l'Unesco, un colloque sur le thème : "Philosophie de l'enseignement - Enseignement de la Philosophie. De la transmission des savoirs à la formation des compétences", j'ai assisté à une journée intéressante, mais à un dialogue de sourds entre deux conceptions de la philosophie et de l'enseignement. On y a vu d'une part de véritables mandarins du cours de philosophie traditionnel, utilisant un jargon incompréhensible pour le commun des mortels, défendre la traditionnelle transmission de savoirs. A leur décharge, il est apparu dans leurs interventions qu'ils avaient été réellement blessés par des "intégristes" des compétences.

En face se trouvaient des défenseurs d'une approche de la philosophie par la formation de compétences (en sachant bien - il est toujours bon de le rappeler - qu'il ne peut y avoir de compétences sans savoirs !).

Les premiers n'accorderaient certainement pas l'adjectif "philosophique" au programme du cours de religion catholique belge.

Pour ma part, j'estime que si l'on se place dans un cadre où les programmes de toutes les disciplines du cursus scolaire doivent être conçues non plus comme une liste de savoirs à transmettre mais bien comme des compétences (qui sont souvent transversales) à développer chez l'élève, et si l'on tient compte de la place accordée aux compétences relevant de la démarche philosophique dans son programme, le cours de religion catholique mérite l'appellation de "cours philosophique". Mais il est clair que, renonçant à un enseignement magistral d'histoire de la philosophie, on se situe beaucoup plus dans l'option des "Nouvelles Pratiques Philosophiques" chères aux Rencontres internationales organisées chaque année à l'Unesco : "Et si l'on philosophait autrement ?". Le but étant, comme l'a si bien formulé Matthew Lipman, de "penser par et pour soi-même grâce aux autres", et d'en arriver par là dans le cadre d'un cours de religion à "croire par et pour soi-même grâce aux autres", la réflexion philosophique, le "penser", venant toujours avant la réflexion théologique, avant le "croire".

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