Revue

Les effets psychothérapeutiques de l'activité philosophique à partir du dialogue philosophique en communauté de recherche selon Matthew Lipman

Ce texte est le résumé d'un mémoire de Master en Relation d'aide et Intervention Thérapeutique présenté en décembre 2010 dans le cadre du Département de Psychologie et de Sociologie de l'Université Autonome de Lisbonne.

"J'ai vu des gens, enfin j'ai eu le bonheur... j'ai vu des gens [...] qui sont normalement incapables de quoi que ce soit, qui ont sorti des choses. Ils étaient contents de faire Monsieur Jourdain,'en fait, j'ai fait de la prose sans m'en rendre compte ! Mais ils ont été valorisés, et je trouve que ce spectacle-là est rassurant et c'est réconfortant de voir le bonheur sur quelqu'un, voilà 1".
Marc 2

Introduction

Pourquoi s'interroger aujourd'hui sur les effets psychothérapeutiques de l'activité philosophique ? Les domaines de la philosophie et de la psychothérapie paraissaient jusqu'à présent distincts et bien circonscrits. Très schématiquement, à la philosophie était dévolue la réflexion académique sur l'existence ; à la psychiatrie, la psychologie clinique et la psychothérapie, le soin des pathologies de la psyché. A partir de la fin des années 70, en particulier avec la création et le développement des consultations philosophiques 3 - qui n'ont pas encore clairement défini leur mandat 4- ces frontières ont été mises en question, entraînant la perte de points de repères et créant une certaine confusion 5. De leur côté, si des professionnels qui interviennent dans le champ de la santé mentale, se posent la question du rôle de la philosophie dans le soin de la psyché et de son articulation avec la psychothérapie, d'autres ont intégré des aspects philosophiques dans leur pratique 6. Cette situation appelle à l'élucidation d'éventuelles dimensions psychothérapeutiques de la pratique philosophique, dans le but de poser des repères destinés à une clarification des pratiques, dans l'intérêt des patients/clients.

Problématique et hypothèse de recherche

Nous avons choisi d'étudier les effets psychothérapeutiques d'une pratique philosophique pour les enfants, celle du dialogue philosophique en communauté de recherche selon Matthew Lipman, dans son application aux adultes et de formuler la problématique ainsi : la pratique du dialogue philosophique en communauté de recherche peut-elle avoir des effets psychothérapeutiques ? Si oui, quels en sont les causes et les processus ?

Notre recherche se situe dans le cadre conceptuel de la psychologie humaniste. Plus précisément, dans le cas présent, ce sont les approches de A. Maslow et de C. Rogers qui nous ont fourni les critères nécessaires à l'exploration des effets psychothérapeutiques de cette pratique philosophique, nous amenant à préciser l'hypothèse de recherche suivante : la pratique du dialogue philosophique en communauté de recherche selon Matthew Lipman peut avoir des effets psychothérapeutiques qui sont identifiables selon les critères de l'Approche Centrée sur la Personne de Carl R. Rogers et la théorie de la satisfaction des besoins d'Abraham Maslow, et il existe dans cette méthode - bien qu'elle n'ait pas de vocation psychothérapeutique - des facteurs favorisant l'apparition de ces effets qui peuvent également être identifiés selon les approches précitées.

Pour vérifier cette hypothèse, nous avons réalisé une étude théorique suivie d'une recherche. Celle-ci a été effectuée à partir d'entretiens avec des adultes souffrant de pathologies psychiques et pratiquant le dialogue philosophique en communauté de recherche selon la méthode Lipman depuis plusieurs années. Cela nous a conduit à l'identification de la mise en oeuvre, par cette méthode, de deux processus à incidence psychothérapeutique, à savoir la reliance et l'empowerment, ainsi qu'à l'ébauche d'un modèle du processus de production des effets psychothérapeutiques activé par cette méthode.

L'étude théorique

Dans cette partie consacrée à l'étude théorique, il s'agit d'une part de définir les termes en question, de préciser l'état de la recherche et d'autre part, de présenter l'Approche Centrée sur la Personne de Rogers, la théorie de la motivation et des besoins de Maslow, ainsi que le dialogue philosophique en communauté de recherche selon Lipman et ses liens avec les approches précitées.

Commençons par préciser les termes de notre sujet. Pour définir l'"activité philosophique", nous nous sommes référés à Epictète qui conçoit la philosophie comme "Une activité qui par des raisonnements nous procure la vie heureuse 7" et considère donc "le penser" et "l'agir" comme étant étroitement liés l'un à l'autre. Par "effets psychothérapeutiques" nous désignons d'une part, des effets internes, résultats d'un processus au travers duquel une personne peut cicatriser des blessures, dénouer des blocages, combler des manques ; d'autre part, des effets externes, conséquences des premiers, qui en sont les manifestations concrètes, à savoir des changements (dans le sens d'une amélioration durable) de sensations, émotions, pensées, comportements, observables par la personne elle-même, ou/et par son entourage 8.

L'état de la recherche

S'interroger sur les effets psychothérapeutiques de l'activité philosophique revient à questionner le rôle de l'activité réflexive sur les états douloureux et répétitifs affectant les sphères affective et cognitive de la personne, et donc à s'intéresser aux rapports entre la pensée et l'affectivité. Les recherches effectuées actuellement tendent à accréditer l'hypothèse selon laquelle la pensée à l'oeuvre dans la réflexion philosophique - notamment, la pensée critique (Lafortune & Robertson, 2009) - a une influence sur les états affectifs et réciproquement. Notre travail se propose d'apporter une contribution dans ce domaine de recherche.

L'approche psychothérapeutique : approches de Rogers et de Maslow

Tout d'abord, pour qualifier de psychothérapeutiques certains effets du dialogue philosophique en communauté de recherche, identifier les facteurs psychothérapeutiques et comprendre le processus de production de ces effets, nous devons considérer les processus en amont : développement de la personne, psychopathogénèse et processus psychothérapeutique. Pour cela, nous avons choisi de nous référer à l'Approche Centrée sur la Personne de Carl R. Rogers ainsi qu'à la théorie de la motivation et la hiérarchie des besoins d'Abraham Maslow, c'est-à-dire aux deux approches principales à la source du courant humaniste 9. À partir de sa conception humaniste de l'être humain et de ses années d'expérience clinique, Rogers a élaboré une théorie qui repose sur le postulat d'une tendance actualisante de tout organisme 10 qui se manifeste pleinement chez l'enfant, s'il se sent accepté inconditionnellement. Dans ce cas, il peut développer une image positive de lui, une confiance dans sa référence interne, car l'expérience qu'il fait, dans son organisme - moi organismique - sera en accord avec celle vécue par son moi 11. Devenu adulte, il fonctionnera de façon optimale, faisant des choix appropriés, en étant capable d'assumer, le cas échéant, les conséquences de ses éventuelles erreurs, confiant dans le fonctionnement de son organisme, qu'il pourra laisser fonctionner librement. Dans le cas où l'enfant est accepté conditionnellement, il doit se défendre d'une partie plus ou moins importante de son ressenti et le fait en le niant ou en le déformant. Il y a alors dysfonctionnement, car le moi n'a plus accès à la totalité de la réponse de son organisme aux situations. L'enfant, et plus tard l'adulte, souffre alors de distorsions dans la perception de son vécu, perception écartelée entre le vécu organismique - son moi réel - bloqué, occulté - et le vécu du moi. Affecté par cette distorsion, que ce soit de façon consciente ou inconsciente, il va se protéger de cette souffrance comme il le peut, par des troubles divers plus ou moins graves : rigidité, déni, refuge dans l'intellectualisme, déformation du réel, troubles de l'alimentation, création d'un moi idéal (ce qu'il devrait être) etc. Cela peut conduire à des manifestations pathologiques importantes. Le but de la psychothérapie est donc de faire en sorte que la personne puisse retrouver la capacité de rétablir la communication avec son moi organismique pour trouver elle-même les solutions appropriées à ses difficultés, ce qui aura pour effet la disparition des symptômes. Pour rétablir cette communication, il s'agit que le client acquière, avec l'aide de la psychothérapie, l'autonomie nécessaire pour se mettre à l'écoute de lui et fasse lui-même les liens utiles, à l'intérieur de son vécu. En effet, le psychothérapeute sait seulement une chose : c'est l'autre qui sait pour lui-même ce qu'il doit faire et par où il doit passer pour régler ses difficultés 12. Mais pour avoir accès à cette intelligence profonde, le client doit bénéficier d'un climat relationnel favorable constitué par trois éléments - "les trois conditions", ensemble nécessaires et suffisantes - que le psychothérapeute, par sa manière d'être, doit lui procurer , à savoir :

  • l'authenticité ou congruence : le thérapeute doit se trouver dans un état de cohérence interne, ce qui suppose qu'il soit conscient de ce qu'il vit, pense, ressent, pour pouvoir être authentique dans la relation à son client;
  • la considération positive inconditionnelle, faite de chaleur, de respect, d'acceptation : il s'agit que la personne puisse se sentir accueillie et estimée en tant que personne, telle qu'elle est, dans tout ce qu'elle vit, y compris de difficile, d'effrayant, pour accepter progressivement de s'accueillir elle-même, de s'estimer en tant que personne et de s'ouvrir à son vécu de plus en plus largement ;
  • l'empathie : le psychothérapeute doit s'efforcer, non pas d'interpréter le vécu de son client, mais de comprendre - le plus justement possible - son cadre de référence, comme s'il était ce client, pour percevoir ce vécu comme le client le perçoit (Rogers, 1968, pp. 48-49). Au sein d'une telle relation le client va progressivement retrouver le contact avec lui-même 13. L'effet de cette bonne communication sera la progression de la cohérence interne avec l'ouverture à l'expérience vécue et la réduction de l'attitude défensive, ce qui, pour Rogers, est l'effet psychothérapeutique majeur dont dépendent tous les autres (Rogers in Kirschenbaum & Land Henderson, 2001, pp. 276-277).

La conception de Maslow vient compléter celle de Rogers. Maslow affirme aussi l'existence d'une tendance actualisante de la personne, car pour lui, il existe une continuité dynamique entre ce qu'est l'être humain et ce qu'il aspire à devenir : nous sommes à la fois ce nous-même existant et la décision de ce que nous voulons être (Maslow, 1971, p. 16). Sa théorie de la motivation repose sur l'existence de besoins fondamentaux, ensemble de besoins "apparemment bons ou neutres" dit-il, qui sont organisés en "une hiérarchie de prépondérance" (lorsque les premiers besoins sont satisfaits de nouveaux besoins émergent) (Maslow, 2008, p. 60). Une première hiérarchie comprend : les besoins physiologiques, le besoin de sécurité - physique et psychique - le besoin d'appartenance et d'amour, le besoin d'estime et le besoin d'accomplissement de soi : "Un homme doit être ce qu'il peut être" affirme t-il (Maslow, 2008, pp. 61-66). Il relève une seconde hiérarchie, celle des besoins cognitifs fondamentaux qui est corrélée à la première et fonctionne en synergie avec elle : le désir de savoir et le désir de comprendre - au sens d'organiser, de chercher des relations entre les choses, de chercher du sens (op. cit. pp. 68-71) - puis cite, en dehors des deux hiérarchies précédentes, les besoins esthétiques - pour des personnes particulièrement sensibles à l'esthétique de leur environnement (op. cit. p. 71) -.

La personne adulte dont les besoins ont été satisfaits - par l'intermédiaire de la relation avec autrui - au cours de sa croissance, va vivre sans dépendre des autres de façon infantile, dans une dynamique de développement, en étant au contact de besoins de plus en plus élevés, faisant ses choix propres et réalisant ses potentialités. Par contre, si l'enfant se trouve confronté à des frustrations inévitables mais assorties de rejet, de perte d'amour, à des conflits qui le menacent ou qui comportent une menace, mais sans échappatoire possible, à des traumatismes, des inhibitions, il y a de fortes probabilités qu'il réagisse par des manifestations pathologiques qui seront présentes, par la suite, chez l'adulte en souffrance. Il sera en effet, en manque de sécurité, d'amour, d'estime, et deviendra dépendant de ses besoins fondamentaux qu'il cherchera inlassablement à satisfaire. A partir de ces observations, la psychothérapie, pour Maslow, ne peut se produire que dans la relation interpersonnelle, qui est thérapeutique dans la mesure où elle nourrit les besoins fondamentaux de la personne, lui permettant de construire une confiance, la conduisant ainsi à développer progressivement son goût pour l'ouverture et la croissance (Maslow, 2008, p. 161). Maslow voit, dans la satisfaction des besoins, "le fondement des traitements thérapeutiques 14".

Si, dans une perspective rogérienne, nous ne considérons pas la satisfaction des besoins comme "fondement" du traitement psychothérapeutique, les modèles de Maslow et de Rogers nous apparaissent cependant comme étant remarquablement complémentaires. En effet, la clarification de la succession des facteurs et des effets psychothérapeutiques nous a amené à les articuler de la manière suivante : les trois conditions entraînent des effets internes, à savoir, la satisfaction des besoins qui conduit à "la progression de la cohérence interne", elle-même source d'effets sur la personnalité et le développement - décrits par Rogers (Rogers in Kirschenbaum & Land Henderson, 2001, pp. 276-277) - qui engendreront des effets externes : les changements observables.

Avec ces modèles, entre les besoins fondamentaux et la cohérence interne, nous disposons de critères identifiables qui vont nous permettre de déterminer leur présence éventuelle dans la méthode élaborée par Lipman. Il convient maintenant de la présenter en pointant, au fur et à mesure, ses implications psychoaffectives et psychosociales.

La méthode Lipman

À la fin des années 60, Lipman, alors professeur de logique à l'université de Columbia, s'interroge sur le profit que les étudiants tirent de son cours compte tenu des habitudes qu'ils ont prises depuis des années. Il en vient à penser que l'apprentissage de la pensée critique devrait commencer beaucoup plus tôt, pour former le jugement des enfants et leur donner les moyens de se protéger des manipulations de toutes sortes. Il constate, en outre, que dès leur plus jeune âge, les enfants s'étonnent, posent des questions, formulent des "pourquoi ?", des "et alors ?". Il y voit le pont existant entre l'enfant et la philosophie : "Les enfants et la philosophie sont des alliés naturels parce qu'ils commencent comme elle par l'étonnement" (Lipman, 1978, p. IV). S'inscrivant dans le courant pragmatique, il s'inspire des travaux de J. Dewey - qui se préoccupe de ce qu'est l'acte de penser 15- de C. S. Pierce - qui conçoit le concept de communauté de recherche - de G. H. Mead - qui pointe le rôle de l'interaction sociale dans la formation de la pensée 16, ainsi que des travaux de Piaget et de Vygotski.

C'est ainsi que Lipman va redessiner "l'enseignement de la philosophie afin qu'elle puisse devenir un instrument permettant aux enfants d'apprendre à penser par et pour eux-mêmes" (Sasseville, 2003) dans le but de développer un jugement 17 raisonnable. Il postule en effet que le jugement peut être éduqué par un travail réflexif qui va fournir des bases, poser des repères, sur lesquels le jugement va pouvoir s'appuyer. Cette éducation suppose le développement d'une pensée multidimensionnelle par l'intermédiaire d'un travail sur trois types de pensée - critique, créative et attentive -. La pensée critique concerne le raisonnement, l'évaluation et le jugement. Elle permet d'argumenter. Utilisant la logique, guidée par des critères 18 -qui ont un caractère général-, et par la sensibilité au contexte -qui présente un caractère singulier-, elle est conduite à pondérer et à nuancer cette argumentation, à identifier d'éventuelles erreurs et le cas échéant, à produire une auto-correction (Lipman, 2006, p. 231). A côté de la rigueur de la pensée critique, la pensée créative apporte le foisonnement de la vie : elle permet d'élargir la réflexion, cherche à aller au-delà de ce qu'elle a déjà atteint. Elle travaille plus avec des hypothèses qu'avec des règles et elle stimule la créativité de ceux qui l'entourent (op. cit. pp. 235-236 et 247). Quant à la pensée attentive ou "Caring Thinking" 19, c'est en quelque sorte une pensée sensible qui touche à la fois la manière d'être et la manière de faire. C'est en effet une pensée préoccupée des valeurs, non parce qu'elle a les valeurs pour objet de réflexion, mais parce qu'elle s'élabore à travers les valeurs. C'est à la fois une pensée de sollicitude - qui permet de prendre soin de l'autre, de soi -, une pensée normative - soucieuse de la qualité du travail qui se fait -, une pensée empathique : être empathique, c'est "laisser là ses sentiments personnels, son propre point de vue et son propre horizon pour s'imaginer partager ceux de quelqu'un d'autre" (op. cit. p. 257).

Lorsque ces trois types de pensées fonctionnent simultanément, elles sont "en collaboration permanente" (op. cit. p. 195), elles s'interpénètrent, se stimulent, se complètent, chacune étant présente, à égalité. Cette conception d'une pensée multidimensionnelle place, au centre de cette démarche philosophique, la personne dans son entièreté, par la reconnaissance de la synergie entre l'affectivité et la pensée. Et c'est par le dialogue philosophique se déroulant en communauté de recherche, que cette pensée multidimensionnelle va pouvoir se développer, grâce à des supports matériels adaptés et au soutien d'une animation appropriée qui va mettre à disposition la méthodologie nécessaire. Cet ensemble, nous le verrons, a d'importantes implications sur les plans psychosocial et psychoaffectif.

Le matériel comprend en particulier des romans philosophiques 20. Ils sont destinés à permettre aux enfants d'entrer progressivement dans la matière et la démarche philosophiques 21, à provoquer la recherche de sens et aussi à modéliser les attitudes et les diverses dimensions et habiletés de la pensée 22, présentes chez les personnages qui dialoguent sur le plan philosophique et forment une "communauté de recherche".

Les séances se déroulent selon le protocole suivant :

- lecture partagée d'une partie de roman, qui permet l'accueil de chacun et sa prise de responsabilité dans le travail du groupe et contribue en cela à la construction d'un sentiment d'identité et d'appartenance ;

- cueillette de questions et choix d'une question : sont travaillées à cette étape motivation, estime de soi, image de soi, autonomie, confiance en soi et aussi, entrée en relation avec l'autre, avec les autres 23 et expérience d'alternatives dans la prise de décision collective ; - dialogue philosophique, lieu où chacun a la possibilité de développer ses propres idées, "sans peur d'être rejeté ou humilié" (Sharp in Sasseville, 2009, p. 54) et lieu "où s'intègrent des apprentissages qui sont de l'ordre du savoir (le sujet de discussion) du savoir-faire (les habiletés de pensée) et du savoir-être (les attitudes permettant l'émergence de l'impartialité, de l'objectivité, de l'écoute attentive..." (Sasseville, 2009 p. 5).

Tout au long de la séance, la manière dont l'animateur joue son rôle est cruciale, tant en ce qui concerne sa manière d'être que sa manière de faire. Faciliter la liberté de pensée et d'expression et stimuler le travail de recherche philosophique par l'introduction, au fur et à mesure des besoins, des outils nécessaires au développement des habiletés de pensée, forment l'essentiel de sa tâche. Et c'est en s'adossant aux qualités du climat qu'il crée, qu'il va pouvoir l'accomplir. Il est en effet la cheville ouvrière d'un climat de confiance (confiance notamment dans le processus d'auto-correction de chacun et du groupe) et de sécurité, favorisant le développement des attitudes et dispositions qui sont à l'oeuvre dans la communauté de recherche. Il lui revient de modéliser les attitudes, dont certaines présentent des caractéristiques qui s'apparentent aux trois conditions définies par Rogers. En effet, l'accueil et l'estime pour chacun, l'intérêt pour toutes les pensées quelles qu'elles soient, ont à voir avec le regard positif inconditionnel ; le désir de comprendre chacun, d'être sensible à son vécu - sans pour autant s'y attarder de manière directe, car ce n'est pas le lieu - ont à voir avec l'empathie ; par ailleurs, l'exigence de qualité, la participation de l'animateur en tant que personne, co-chercheuse, relèvent de l'authenticité.

Consacrant en outre "une partie de son regard à la reconnaissance et à la construction de liens, de relations entre les enfants" (Sasseville, 2005-1), l'animateur facilite le développement des sensations de sécurité, d'appartenance et d'estime réciproque. Dans ce climat, les liens internes et externes sont favorisés par la réduction sensible de la défensivité. L'intersubjectivité conjuguée à la liberté d'examen, d'interprétation, de résonance des pensées - y compris parfois d'émotion - vont permettre l'évolution de la pensée, la construction d'une forme d'objectivité qui permet de pondérer la subjectivité elle-même et contribuer à une réinterprétation du vécu, conduisant ainsi à une métabolisation de l'expérience. Sans cette qualité de présence issue de la pensée attentive, le dialogue, aussi pertinent soit-il en matière de pensée critique, de pensée créative, risquerait de créer de l'insécurité, d'engendrer des attitudes défensives ne permettant pas le déploiement de la pensée et de l'expression de l'enfant. Par ailleurs, outre le développement de la capacité à "fréquenter" l'incertitude, la pensée attentive conjuguée avec les pensées critique et créatrice, contribue à la construction de l'identité en aidant à la satisfaction des besoins fondamentaux (à l'exception des besoins physiologiques) et donc au développement de la cohérence interne. Les implications psychoaffectives et psychosociales pour l'ensemble de la démarche sont donc extrêmement importantes. Les éléments que nous avons identifiés chez Rogers et Maslow comme étant psychothérapeutiques, sont manifestement présents dans cette méthode. Ils y sont potentiellement psychothérapeutiques et contribuent de façon naturelle au processus d'actualisation de l'enfant. Ainsi que le souligne M.-F. Daniel, "C'est une démarche éducative fondamentale, entendue au sens de processus de vie", précisant qu'elle "touche à l'essence même de l'existence humaine, à savoir la découverte du sens et le libre arbitre" (Daniel, 1997, p. 307). Ainsi, la communauté de recherche, résultante des interactions, au travers du dialogue philosophique, d'une question philosophique, d'un groupe, d'une méthodologie et d'un animateur, constitue un lieu privilégié de croissance de la personne, où se cultive un art de vivre avec soi-même et avec les autres.

Si Lipman a conçu cette méthode pour les enfants, notre recherche nous a permis d'en constater l'utilité pour les adultes, comme nous allons le voir.

Recherche

L'objectif était de déterminer si des personnes adultes, présentant des troubles psychiques, ayant pratiqué le dialogue philosophique en communauté de recherche, avaient, consécutivement, bénéficié d'effets que nous pourrions qualifier de psychothérapeutiques.

Méthodologie

Nous avons réalisé des entretiens compréhensifs auprès de quatre hommes 24, dont les âges étaient compris entre 54 et 66 ans - 3 sur 4 étaient retraités, le dernier exerçant une activité à temps partiel - venant de milieux intellectuels et socio-économiques variés, tous usagers passés et/ou actuels de la psychiatrie. Ils participaient et participent encore, à un même atelier de pratique du dialogue philosophique en communauté de recherche, de façon régulière, au rythme d'une séance hebdomadaire de 2 heures, sur une durée allant de 3 à 5 ans. Nous avons également eu un entretien avec leur animatrice 25, psychologue, qui anime l'atelier depuis sa création en 2002. Le protocole de déroulement de séance est quasiment identique à celui décrit auparavant 26, tous les participants disposant d'une liste de questions "Méthodologie de l'animation de discussions philosophiques 27" destinées à aider à la philosophicité du dialogue.

Résultats

Sur un plan d'ensemble, les effets psychothérapeutiques externes survenus pour les participants, depuis leur arrivée dans le groupe, leur nature et leur ampleur, ont été mentionnés essentiellement par l'animatrice. Elle a d'abord relevé que les troubles psychiques avaient entraîné pour ces personnes une perte des capacités relationnelles, une passivité et un "handicap sur la pensée" - que ce soit dans le déroulement des pensées ou dans la communication avec l'autre - mentionnant que les changements opérés avaient été très importants au point que les participants "ne se rappellent même pas d'où ils sont partis". Elle en a précisé certains, au nombre desquels le développement de leur possibilité à se décentrer d'eux-mêmes pour s'ouvrir à l'autre, y faire attention et en prendre soin, le passage de l'état d'assisté à l'état d'acteur, capable de faire des choix 28. Ouverture à l'autre, développement de la capacité de choix et d'action, attribués par l'animatrice à la fréquentation de l'atelier de philosophie, sont autant de changements que nous pouvons qualifier d'effets psychothérapeutiques externes.

L'analyse différenciée des entretiens a montré que les changements avaient été particulièrement marqués pour deux participants, Marc et Basile. Ceux qui sont survenus pour un troisième, Paul sont plus difficiles à imputer de manière claire, compte tenu du fait qu'il a suivi, en parallèle, une psychothérapie cognitivo-comportementale, et s'est impliqué dans des activités théâtrales. Pour le quatrième, Jo, les changements sont moins perceptibles. Cependant, même si c'est à des degrés divers, tous ont trouvé dans cet atelier des moyens de contribuer à satisfaire leurs besoins fondamentaux (effets psychothérapeutiques internes). Ils se sont sentis progressivement en sécurité à l'intérieur du groupe, vécu comme protecteur 29. Sur le plan de la pensée, la familiarisation avec la méthode a permis, en particulier à Marc et Basile, de développer une sensation de "sécurité mentale" par la structuration et l'articulation de leur pensée et par le développement d'un questionnement sain à l'aide de la méthodologie 30. Les besoins d'appartenance et d'estime ont également été nourris pour chacun. En effet à travers l'exercice de la pensée attentive, ils ont développé une sensation d'appartenance au groupe. Par ailleurs, le travail sur leurs capacités réflexives a engendré une estime d'eux-mêmes et les dialogues, en permettant une connaissance réciproque, ont entraîné l'estime des uns envers les autres. On a pu observer que le besoin de savoir et de comprendre a pu être nourri particulièrement pour Marc, par la production de sens et par le questionnement philosophique, et pour Basile, par la compréhension de ses mécanismes de pensée. Consécutivement à la satisfaction de ces différents besoins, on peut dire que pour deux d'entre eux, Marc et Basile, il y a eu progression marquée de leur cohérence interne, avec une ouverture et une réduction de l'attitude défensive, et que cela est en lien avec leur participation à l'atelier.

On peut constater les manifestations externes de cette progression. Leurs changements, sur les plans cognitif et relationnel, entraînant le développement de leur aptitude à structurer et à exprimer leur pensée de manière compréhensible par leurs interlocuteurs 31, ont eu un impact concret important dans leur vie. En effet, à leur arrivée dans le groupe, il était notable que leurs difficultés d'organisation de leur pensée entraînaient une insécurité qui, en générant de sérieux problèmes de communication et de relation, avaient des conséquences importantes au quotidien. Citons par exemple, pour Marc - qui souffrait, entre autres choses, d'un doute pathologique, éprouvant d'énormes difficultés à prendre des décisions - la prise de confiance dans la validité de ses réflexions a entraîné le développement de son aptitude à décider et à s'affirmer au point qu'il a été capable de quitter le domicile de sa mère. Basile - enfermé dans une logorrhée permanente - a pu progressivement laisser de la place à l'autre, le concevoir comme un Autre, au point de pouvoir entrer dans un véritable dialogue avec lui. Cela a eu pour effet concret de lui permettre, en tant que SDF, de rester dans les structures où il était (et est) admis, jusqu'à la fin du temps imparti, alors qu'auparavant il s'en faisait exclure très vite.

Processus de production des effets psychothérapeutiques

Pour tenter de préciser ce qui a permis d'arriver à ces résultats et de répondre à la question plus générale du fonctionnement de la méthode Lipman sous l'angle psychothérapeutique, nous nous sommes basés sur les analyses des entretiens effectués ainsi que sur les implications psychoaffectives et psychosociales relevées lors de la description de la méthode Lipman. Nous avons ainsi été conduits à identifier la présence, au long des séances, de deux processus à incidence psychothérapeutique - reliance et empowerment - et à élaborer un modèle de production des effets psychothérapeutiques du dialogue philosophique en communauté de recherche selon les critères de Rogers et de Maslow 32.

Au préalable, mentionnons deux conditions sine qua non de l'efficacité psychothérapeutique de la démarche, à savoir d'une part la durée de la pratique - les résultats relatés sont les fruits de plusieurs années de pratique régulière - d'autre part le fait que tout participant est considéré comme "une personne normale". De même que la préoccupation de Rogers, en tant que psychothérapeute, est la personne et non ses symptômes, de même, dans cette pratique de la philosophie, c'est la personne en tant qu'"être au monde" qui est au coeur de la démarche et pas l'enfant, le malade mental, le SDF. Se sentir faire partie de cette "normalité" aide déjà, en soi, à se sentir relié, et engendre de l'empowerment.

Reliance et empowerment

Au cours de ce travail, ces deux mouvements nous sont apparus, en effet, comme émergeant clairement tant sur le plan affectif que sur le plan cognitif, au fur et à mesure du déroulement du processus 33, depuis la manière d'être et de faire de l'animateur, jusqu'aux stades de la cohérence interne et de l'accomplissement de soi. Les deux concepts désignent à la fois un processus et un état et sont au coeur du processus psychothérapeutique.

Bolle de Bal qui a développé le concept de "reliance", le définit comme la "création de liens entre une personne et soit un système dont elle fait partie, soit l'un de ses sous-systèmes" (Bolle de Bal, 1996, p. 68). Il distingue la reliance psychologique, sociale ainsi que culturelle, écologique ou cosmique 34 (op. cit. p. 31). Sur le plan psychologique, le processus de reliance fait intrinsèquement partie du processus psychothérapeutique tel qu'il est conçu dans l'Approche Centrée sur la Personne, à la fois comme facteur psychothérapeutique - oeuvrant au sein des trois conditions - et comme effet psychothérapeutique.

Nous avons vu en effet que, pour Rogers, la source de la pathologie réside dans une "discrépance" entre le vécu organismique et le moi perçu, le moi n'ayant plus accès à la totalité de la réponse de son organisme aux situations. On peut dire que le vécu organismique et le moi perçu sont alors en situation de "déliance" et que la reliance entre les deux, chemin de la cohérence interne, est psychothérapeutique. Sur le plan de la relation à l'autre, la reliance, qui suppose d'abord la reconnaissance de l'altérité, et ensuite l'aptitude à se relier à l'autre, est à l'origine des relations affectives, lesquelles contribuent, entre autres choses, à l'apport de sens dans la vie d'une personne (Lecomte, 2007, p. 14). On retrouve cette production de sens sur le plan de la reliance au monde et de la reliance cognitive qui, en portant sur "les pensées, croyances et valeurs" (op. cit. p. 14), permettent la mise en lien d'éléments au travers de laquelle la personne peut élaborer une manière d'être au monde, signifiante pour elle.

Concept polysémique, "l'empowerment" quant à lui peut être défini, sous son aspect psychologique, comme "La capacité d'un individu à prendre des décisions et à exercer un contrôle sur sa vie personnelle" (Aujoulat & Doumont, 2002, p. 5). Ninacs constate qu'on ne peut pas créer volontairement l'empowerment, on ne peut que le "favoriser" (Ninacs, 2002, p. 62). Il rejoint ainsi le point de vue de Rogers selon lequel les individus ont la faculté de se comprendre, de modifier leur perception d'eux-mêmes, leurs attitudes, pour autant qu'ils trouvent autour d'eux des conditions facilitantes (Rogers, 1995, p. 115). Lorsqu'une personne passe d'une situation où elle se vit comme étant impuissante par rapport à des attitudes, des comportements dont elle souffre, à une situation où elle se vit comme étant "capable de", on peut dire qu'il y a eu empowerment et qu'en ce sens le processus d'empowerment individuel ou psychologique qui aboutit à l'état d'empowerment, est un effet psychothérapeutique.

Les processus de reliance et d'empowerment que nous venons de décrire apparaissent clairement dans le processus global de production des effets psychothérapeutiques illustré par le schéma ci-dessous.

Document (format PDF) : Processus de production des effets psychothérapeutiques du dialogue philosophique en communauté de recherche

Nous considérerons d'abord les composantes de base de ce modèle pour relever ensuite, leurs effets.

Les composantes de base du processus :

  • Les besoins fondamentaux de tout être vivant et sa tendance à l'auto-actualisation qui lui permet de les satisfaire et d'assurer sa croissance, sur lesquels repose le processus.
  • L'animation : par la garantie du respect du protocole de déroulement des séances, l'exercice de la pensée attentive et l'initiation de la recherche, elle assure les bases de l'estime et de la sécurité - sur le plan affectif et structurel (cadre et outils de pensée) - nécessaires à l'introduction d'un climat de confiance rendant inutile la défensivité, permettant ainsi la possibilité de parole et donc d'expression de la pensée (reliance).
  • La communauté de recherche : lieu d'apprentissage de la décentration, de communication profonde et intime 35 (reliance), elle permet la construction progressive de la confiance entre les membres de la communauté - ce qui rend l'auto-correction possible - et d'une certaine forme d'objectivité (empowerment), grâce à l'intersubjectivité.
  • La question philosophique : qui, en validant le non savoir comme base indispensable de progression, permet à tous de se situer à égalité et qui, par son caractère philosophique, invite chacun à se situer d'emblée dans son statut d'être humain et donc au-delà de la pathologie et de la santé, favorisant ainsi le passage de l'exclusion à l'inclusion (reliance).
  • La pensée attentive : cheville ouvrière de la création du climat de confiance de chacun en lui-même et dans le groupe, de la sensation de sécurité et de l'estime (reliance et empowerment).
  • La méthodologie philosophique : utilisée pour penser, elle permet de générer des possibilités d'action par le développement d'une position réflexive ainsi que par l'acquisition d'outils (empowerment).
  • Le dialogue philosophique : qui permet le développement à la fois d'une communication interne affectivité-pensée et d'une communication externe avec une conscience de l'altérité. Celle-ci est vécue comme non menaçante, et même enrichissante, moyen d'aider à la structuration de la pensée et au développement des habiletés de pensée (reliance et empowerment).

Les effets de la mise en oeuvre de ces composantes36

La mise en oeuvre de ces composantes va elle-même avoir des effets psychothérapeutiques en conduisant, par l'intermédiaire du développement de la pensée multidimensionnelle, au "penser par et pour soi-même" qui engendre estime de soi, satisfaction du désir de savoir et de comprendre, avec pour conséquence le développement de la sensation d'appartenance, de lien, qui conduisent à un état de reliance à soi-même, aux autres et au monde. A travers les sensations d'appartenance et d'estime de soi, il y a une probabilité de production de sens sur le plan affectif, ce qui vient nourrir la motivation. Par ailleurs, l'estime de soi, associée à une sensation de savoir et de compréhension ainsi qu'à la capacité réflexive, peut aussi engendrer du sens et permettre la production de jugements raisonnables, cet ensemble contribuant au rétablissement ou au développement de la cohérence interne (reliance et empowerment) orientée vers l'accomplissement de soi (reliance et empowerment).

Conclusion

Se poser la question des effets psychothérapeutiques de l'activité philosophique, c'est s'interroger sur les articulations entre les deux disciplines que sont la psychologie - dans son aspect clinique - et la philosophie - dans sa dimension de praxis - en se demandant si l'une et l'autre peuvent travailler de façon complémentaire au bénéfice de personnes en état de souffrance psychique, et si oui, comment. Le dialogue philosophique en communauté de recherche selon l'approche de Matthew Lipman, s'est avéré être un objet d'étude particulièrement approprié. Dans le cadre précis de cette recherche, en réponse à la question posée initialement, nous pouvons affirmer que, l'activité philosophique a eu des effets psychothérapeutiques et raisonnablement poser l'hypothèse que, selon nos critères de référence, les causes et processus de ces effets sont liés à l'articulation de trois éléments : la pensée attentive - en ce qu'elle contient les trois conditions définies par Rogers, contribuant à satisfaire les besoins fondamentaux, répertoriés par Maslow ; le processus de reliance et le processus d'empowerment étant des processus issus tous deux, à la fois de la pensée attentive, de la méthodologie et du dialogue philosophiques.

Cette affirmation ne peut bien sûr donner lieu à une généralisation, cette recherche comportant des limites évidentes : nombre restreint de personnes interrogées, choix de population et nature compréhensive des entretiens. Cela étant posé, notre analyse et notre modèle pourraient constituer une base de départ pour des investigations futures, susceptibles de la questionner, de la tester à une échelle suffisamment grande et aussi de l'élargir. Il pourrait en effet être utile d'observer plus avant par exemple, les effets psychothérapeutiques de l'activité philosophique sur la structuration de la pensée, l'intérêt de la recherche dans ce domaine résidant en particulier dans les possibilités de contribution tant au soin des personnes souffrant psychiquement, qu'à la prévention de ce type de souffrance (Ribalet, 2008).


(1) Entretien du 4 juin 2009.

(2) Pratiquant depuis plusieurs années le dialogue philosophique en communauté de recherche selon la méthode Lipman, dans le cadre d'un atelier destiné à des personnes souffrant de difficultés psychiques. Prénom fictif ainsi que le seront tous les autres prénoms cités dans ce texte..

(3) "Forme d'entretien entre quelqu'un en demande (le consulté), qui s'est adressé à quelqu'un supposé philosophiquement compétent, et susceptible de prendre en compte cette demande (le consultant), pour que ce dernier l'aide à clarifier une question personnelle qui lui tient à coeur, ce qui nécessite un tiers quand on n'y parvient pas tout seul" (Tozzi, 2009, p. 3).

(4) En 2005, Cavallé,, conseillère philosophique, relevait la nécessité d'une "Définition claire qui déterminera que ce que font les conseillers philosophiques est bien du CP [Conseil Philosophique], et pas autre chose, et qu'elle nous délimitera sans ambiguïté face à d'autres formes de conseil comme celui des psychothérapeutes" (Cavallé, 2005, p. 1).

(5) Le thème de l'un des ateliers qui s'est déroulé dans le cadre des 9emes rencontres des Nouvelles Pratiques Philosophiques, en 2009, à Paris, à l'Unesco - "Entre psychologie et philosophie, quelle médecine de l'âme ?" - en est l'illustration.

(6) La Psychothérapie Existentielle par exemple, intègre dans sa pratique, la réflexion philosophique sur les grandes questions de l'existence : la vie, la mort, la liberté, la responsabilité etc. (Yalom, 2008).

(7) Rapportée par Sextus Empiricus Contre les moralistes (Contre les dogmatiques, V) 169.

(8) Notons que des évènements de la vie quotidienne peuvent bien sûr avoir des effets psychothérapeutiques, mais qu'ici sont concernés des vécus douloureux, récurrents, dont la personne n'arrive pas à se défaire, sans une aide professionnelle.

(9) C'est la perception subjective de la personne qui est au coeur de cette approche : la "Réalité" est la réalité telle qu'elle la perçoit. Son comportement ne donc peut être compréhensible que si l'on se place dans son cadre de référence interne.

(10) "Tout organisme est animé d'une tendance inhérente à développer toutes ses potentialités et à les développer de manière à favoriser sa conservation et son enrichissement" (Rogers & Kinget, 1971, p. 172).

(11) Le moi est défini comme une "configuration" en constante adaptation, "disponible à la conscience", faite de perceptions de soi, et de perceptions de soi en relation au monde extérieur, configuration (Rogers & Kinget, 1971, p.179).

(12) La pierre angulaire de la conception de la psychothérapie pour Rogers est "la capacité de l'individu [...] de se comprendre lui-même et de résoudre ses problèmes" mais précise t-il : "l'exercice de cette capacité requiert un contexte de relations humaines positives, favorables à la conservation et au rehaussement du 'moi'" (Kinget in Rogers & Kinget, 1971 p. 28).

(13) On comprend que Rogers précise ainsi le mandat de la psychothérapie : "La tâche de la psychothérapie est d'aider la personne à obtenir, grâce à une relation spéciale avec un thérapeute, une bonne communication à l'intérieur d'elle-même. Une fois qu'elle y est parvenue, elle peut communiquer plus librement et plus effectivement avec autrui" (Rogers, 1968, p. 230).

(14) Notons que pour Maslow, cette satisfaction des besoins présuppose la possibilité d'user de libertés, dont la liberté de parole et la possibilité d'utiliser librement ses capacités cognitives (perception, réflexion, apprentissage) (Maslow, 2008, p. 67).

(15) Dewey distingue en particulier "l'acte de penser au hasard" - succession d'idées qui passent dans l'esprit - de "la pensée réfléchie" qui nécessite "un effort conscient et volontaire" (Dewey, 2004, pp. 10 et 15).

(16) En particulier à travers le langage.

(17) Dans le langage courant, le terme jugement est utilisé, la plupart du temps, en lien avec l'éthique. Lipman le définit ainsi : "Juger, c'est évaluer des relations, soit que ces rapports sautent aux yeux, soit qu'il faille les construire" (Lipman, 2006, p. 34). En ce sens, nous jugeons constamment, de multiples manières, car nous établissons des relations en permanence.

(18) Un critère est une raison généralisable qui, ayant été soumise à l'examen, aux questions, à la critique, a été considérée comme une bonne raison : par exemple, le critère du beau pour une oeuvre d'art.

(19) L'expression est difficile à bien traduire. Dans ce texte, nous utiliserons, pour la désigner, le terme de "pensée attentive".

(20) Ils sont écrits pour des enfants de 5 à 18 ans. La pensée des philosophes y est constamment présente mais en filigrane. Par ailleurs, s'ajoutent aux romans, les exercices qui permettent le travail sur les habiletés de pensée et les plans de discussion qui invitent à explorer une multiplicité de points de vue.

(21) À savoir : s'étonner, problématiser, chercher avec d'autres (essais/erreurs), découvrir, puis appliquer concrètement ce qui implique la cognition, l'affectivité et la créativité.

(22) Les habiletés de pensée sont multiples et regroupées en trois catégories : raisonner, rechercher et organiser l'information (Sasseville, & Gagnon, 2007, p. 219 à 221).

(23) Poser une question, c'est en effet, d'une certaine manière, se mettre en jeu car c'est montrer le fruit d'un vécu émotionnel - lié à l'intérêt suscité par la question, même si celle-ci peut paraître purement intellectuelle - et d'une pensée. Invité à s'exprimer, à exister dans sa singularité et l'assumer aux yeux des autres, l'enfant doit faire preuve d'un certain courage.

(24) Marc, Paul, Jo et Basile (prénoms fictifs).

(25) Sabine (prénom fictif).

(26) Le texte qui sert de support au dialogue n'est en effet pas choisi dans un roman philosophique.

(27) Il s'agit d'un ensemble de questions adaptées de la "Méthodologie philosophique", qui permettent de préciser le sujet de discussion, définir les termes, reformuler, donner des exemples et des contre-exemples, prendre en compte le contexte, donner des raisons, les évaluer, rechercher les présupposés, rechercher ce qui est impliqué, les conséquences, la cohérence, les sophismes et donner des alternatives (Sasseville, 2003, pp. 118 à 120).

(28) Cela concerne en particulier les conséquences du développement de leur capacité d'analyse du fonctionnement de la structure autogérée dans le cadre de laquelle se déroule l'atelier : "Ils [les participants à l'atelier] font un choix qui est un vrai choix et qui n'est plus un lieu [la structure autogérée] où ils viennent en passifs, en assistance, en attente d'assistanat. [...] Ils deviennent des acteurs, des gens qui ont un vrai choix" relève Sabine.

(29) "On est dans un cocon, dans notre... parce que, si vous regardez la réunion d'hier [...] moi je trouve, qu'en dehors de tout le reste, il y a quelque chose de rassurant" dit Marc.

(30) "Quand cela devient houleux [...] quand on a un doute, je pense qu'il faut revenir à l'idée, non pas de la nôtre, mais il y a une méthodologie qui fait que parler, ce n'est pas exprimer des opinions, enfin n'importe quoi" dit Marc.

(31) Sabine évoque le travail de Basile en ces termes : "Son grand truc, c'est d'arriver à détricoter sa pensée pour se croire lui-même, d'être capable de se faire confiance dans son analyse, son interprétation, que ce n'est pas délirant".

(32) Cf schéma.

(33) Cf schéma.

(34) Edgar Morin enrichit le concept en apportant un autre niveau, celui de la "reliance cognitive", permettant de traduire le rapprochement entre les idées, les concepts et les relations humaines (op. cit. p. 321).

(35) Cette communication, si elle porte sur les idées et non pas directement sur le vécu émotionnel des personnes (comme en psychothérapie centrée sur la personne), n'en est pas moins une communication profonde et intime : partager ses idées sur des questions philosophiques - hors de tout rapport de force - est une manière de découvrir en soi-même et face aux autres, ses manières d'être au monde, révélatrices de sa singularité.

(36) Cf schéma.

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