LE CHOIX DE LA PHILOSOPHIE POUR TOUS
Je suis content que nous soyons réunis dans cet atelier pour aborder la question des nouvelles pratiques au niveau du secondaire de l'Éducation Nationale. Car c'est ce qui fédère la conception et l'expérience (spécifique ?) française du philosopher, et ce qui appelle de ce fait à des innovations, ou des pratiques alternatives. Or pourquoi exporter les pratiques hors l'école (secondaire), très en amont, ou dans la cité ou l'entreprise ? Le collège et le lycée ne devraient-ils pas être concernés par un renouvellement du questionnement de la place de la philosophie dans les études scolaires, sur le modèle des travaux du Greph1 il y a trente ans et plus ? C'est en ce sens que j'essaierai d'être soucieux de marquer la spécificité du travail au collège et au lycée, en cherchant à inciter les collègues à investir de tels horizons, pour s'autoriser à pratiquer un enseignement philosophique alternatif. Alternatif car pratiqué autrement, pratiqué avec d'autres publics que ceux de la classe terminale des lycées généraux ou techniques, avec d'autres référents ou perspectives, d'autres habitus, que ceux de la terminale littéraire ou des classes préparatoires que bon nombre de professeurs de philosophie ont fréquentés, et qui les a durablement et heureusement marqués, puisqu'ils en ont fait leur vocation.
Qu'est-ce que le Clept ? Le Collège lycée élitaire pour tous est l'un des (trop) peu nombreux établissements alternatifs et innovants de l'Éducation Nationale, qui a pour vocation d'accueillir un public de jeunes en rupture de scolarité, qui souhaitent raccrocher. Il accueille une centaine d'élèves chaque année, tourne avec 14 équivalents temps plein (une équipe de 18 enseignants qui prennent en charge l'ensemble de la structure). Pourquoi cet établissement pour refuzniks s'intitule-t-il "élitaire pour tous", je vais essayer de l'élucider dans les propos qui suivent.
Partons d'un fait : le Clept exige de tous les élèves, en amont de la terminale (de la fin de collège à la première), une entrée dans le questionnement philosophique. Pourquoi une telle exigence, parfois jugée exorbitante par les élèves concernés ? Il y eut une volonté initiale de faire vivre le philosopher au Clept, pour tous ses élèves. Le point de départ, dans le projet initial de donner naissance à un établissement de raccrocheurs, tient à une découverte, une prise de conscience un peu forte à partir du questionnaire national sur les lycées de 1998, dans la réponse des lycéens professionnels à une question non posée du questionnaire "Meirieu" : pourquoi sommes nous privés de philosophie, n'en sommes-nous pas dignes ? C'était donc une manière d'incarner l'élitaire. Du coup les fondateurs du Clept ont essayé de comprendre quelle était leur représentation symbolique : n'étaient-ils pas en train de nous faire le coup de Portos dans le Vicomte de Bragelone, lorsqu'il se met à penser au lieu d'agir, au point que la pensée (c'est la première fois de sa vie qu'il s'y livre) paralyse l'action : penser c'est dangereux, et c'est particulièrement dangereux de penser pour les lycéens professionnels, qui se sentent les moins bien armés pour affronter cette épreuve. D'autant que comme le soulignait Patrick Rayou, certains élèves refusent le jeu de la dissertation philosophique, car c'est un jeu où l'on a trop à perdre, où l'on fait trop souvent douloureusement la même expérience que Portos, où l'on ne pouvait penser sans se mouiller, sans s'impliquer.
Mon propos est d'exposer ce qui s'est cherché pendant ces neuf ou dix années de pratique, où j'avais à assumer la dimension expérimentale, alternative, de l'enseignement de la philosophie en amont de la terminale. Ai-je frayé une manière d'entrée dans le philosopher, une approche spécifique du philosopher en classe, du collège à la terminale ? Mon travail s'est-il vraiment inscrit dans une dimension innovante, ou bien n'en a-t-il revêtu que les atours, se gargarisant du caractère alternatif de la structure au sein de laquelle j'oeuvrais, pour que surtout rien ne change ? Le Clept a-t-il porté, favorisé et encouragé cette expérimentation dans les faits, et permis que s'incarne une véritable enseignement alternatif de cette discipline qui puisse faire brèche au sein de l'éducation nationale, qui puisse montrer que c'est possible, et que les voeux du Greph en 1976 (Qui a peur de la philosophie ?) et 1979 (Les états généraux de la philosophie) pouvaient se traduire en pratique expérienciée ?
L'exigence d'une entrée dans le questionnement philosophique de tous les élèves en amont de la terminale est à distinguer d'une initiation à la philosophie. En effet, initier, c'est faire entrer également, mais sous l'égide d'un maître, dans les secrets qu'il réserve à quelques "initiés" précisément. Ici, ni ésotérisme, ni de rapport maître / disciple. Aucun savoir précieux ne serait à conserver hors de portée de la populace, c'est tout le contraire : il s'agit de mettre à portée ce qui semble le plus difficile, autrement dit de rendre accessible, sans vulgariser (abaisser le savoir au niveau de ses interlocuteurs en le dénaturant, car on le suppose inaccessible en lui-même). Cette invitation à entrer dans un questionnement réflexif, s'effectue le plus souvent sur des objets de leur expérience plutôt que par la voie des grands textes.
PROCES D'INTENTIONS
Quels objectifs et enjeux généraux peut-on dégager après coup de ce qui se joue dans cette "introduction au questionnement philosophique" ? Son objectif est d'entrer dans une posture intellectuelle où questionner, se questionner, individuellement et collectivement, devient central par rapport à la quête de réponses immédiates et à moindre coût (on veut savoir sans chercher, connaître la réponse sans apprendre à savoir répondre). Prendre le temps des questions, examiner leur portée, leur pertinence, leurs échos et leurs mises en abîme, montrer que répondre "simplement" soulève plus de questions que de certitude. Ce qu'il s'agit de décentrer, c'est un rapport dogmatique aux savoirs, qui consiste à figer la vérité des savoirs dans des énoncés restreints et simplistes, au lieu de chercher comment se construisent les réponses que nous nommons savoirs, à quelles énigmes, ou quels problèmes répondent les différentes disciplines. L'objectif est donc moins d'ouvrir au "savoir philosophique" que de réfléchir et de problématiser des questions qui nous traversent2. Problématiser, c'est s'étonner, "rendre problématique" en rejetant tout "allant de soi", ce qui nous semble évident puisque normal, recouvert de nos normes. Cette problématisation rapproche entrée dans la réflexion philosophique et entrée dans la "pensée scientifique" dans une perspective de type bachelardienne, que lui-même va jusqu'à appeler "psychanalytique". Concrètement, cela passe le plus souvent par une reformulation des propos ou réponses des élèves sous la forme de questions, qui ouvrent les possibles là où les réponses ferment, ou arrêtent la pensée. Ainsi, se cherche une culture du doute, qui privilégie la question portant sur des représentations et des concepts, plutôt que sur des faits.
Cette culture suscite des résistances, puisque ce qui est en jeu c'est une nouvelle manière de réfléchir, qui suppose de prendre le risque de penser, autrement dit de s'exposer à soi, mais aussi aux autres. Il s'agit de penser dans l'incertitude de la "bonne" réponse, et donc d'assumer la possibilité de se tromper, de n'avoir pas compris la question, de n'avoir pas su écouter les autres et entrer dans leur logique. Il s'agit également de proposer de nourrir une réflexion collective qui permette d'éprouver que les idées sont publiques, se partagent mais aussi se mécomprennent, et qu'elles suscitent des réactions qu'il faut analyser dans leurs enjeux et présupposés. Chercher à penser est autrement plus risqué et inconfortable qu'apprendre ce qu'il faut savoir.
Le parcours proposé s'arrange toujours pour offrir une perspective réflexive sur ce qui se cherche. La réflexion sur les objets devient alors réflexion sur soi, sur nous, et s'articule explicitement à une démarche de subjectivation réflexive qui vise à prendre de la distance avec soi-même pour se penser dans un contexte plus large que celui de l'image que l'on donne, aux autres élèves avec qui l'on est en compétition ou en connivence, ou aux professeurs qui peuvent nous juger. Cette approche réflexive s'inscrit dans un dispositif alternatif plus global au Clept, qui entend que chaque jeune cesse de vivre sa scolarité sur un mode passif, comme s'il en était l'objet, pour en devenir le sujet actif. Le tutorat, les groupes de base, et des éclairages épistémologiques dans certaines disciplines engagent à ce travail réflexif, mais en philosophie, il devient un levier central de la construction du savoir.
Ces cours, qui ne ressemblent pas vraiment aux autres3, tentent d'articuler la réflexion collective avec une élaboration intellectuelle individuelle. Le collectif est un pôle important pour exprimer ses pensées, pour se confronter aux pairs, mais il n'est pas toujours propice à dépasser ses opinions. Or cette découverte du philosopher ne serait pas effective si elle confortait le relativisme des opinions régnant chez les élèves, que l'on peut aisément ramasser en "j'ai bien raison de penser ce que je pense" mais aussi les autres peuvent penser autrement, sans que j'en sois atteint, ou traversé, travaillé par cette altérité altérante ; ainsi, le discours sur la "diversité" qui masque la question de "l'altérité" n'est-il souvent qu'une manière de valider un relativisme qui renonce à toute exigence de pensée, sous prétexte de respect. Aussi doit-elle les confronter à l'exigence d'un dépassement d'une pensée par préjugés, notamment en revenant sur ce qui s'était déjà formulé et exprimé, pour en faire un nouvel objet de pensée, et non le considérer comme un point d'arrivée indépassable.
Pour ce faire, la réflexion collective est continuée, infléchie de séance en séance4, relancée dans des perspectives ouvertes le plus souvent par les élèves, dans un cadre extrêmement souple que se propose le (ou les) professeur(s). Ainsi la discussion ne patine-t-elle pas, donnant l'impression que tout a été dit et que l'on se répète, coupant éventuellement les cheveux en quatre ; pas plus qu'elle n'apparaît comme l'émanation de ce qui avait été prévu et pensé par l'enseignant, sans que l'apport des élèves y soit décisif. Cette réflexion est ce qu'ils en font, ce que nous en faisons (même si nous ne sommes pas à égalité dans cette affaire d'émancipation intellectuelle5, et de ce point de vue, les dés ne sont pas pipés pour eux comme pour leur(s) enseignant(s).
Cette réflexion collective au Clept se distingue assez radicalement de l'apprentissage du débat et du respect de la pensée de l'autre - qui constitue peut-être l'un des risques de la discussion à visée philosophique - : il s'agit ici d'apprendre à entrer dans une pensée délibérative plus que de débattre. "Débattre" est d'ailleurs loin d'être au coeur de la pensée philosophique, et relève plutôt de la rhétorique. Or délibérer, s'effectue tout autant avec soi-même, qu'avec les autres, qui deviennent souvent une modalité de soi. Ils sont inscrits dans le même processus d'élaboration d'une réflexion, d'une délibération, et doivent surpasser leurs opinions pour atteindre l'exigence de la pensée réfléchissante.
Toutefois, pour dépasser le monde de l'opinion (ou des idées reçues et des préjugés), c'est le recours au travail écrit qui est choisi, car il permet l'élaboration dans la rigueur, et l'instauration d'un dialogue écrit ouvert. De ce fait l'écrit n'a pas pour fonction première d'évaluer un niveau d'acquisition d'une notion, de vérifier si ce qui doit être su l'est, mais une fonction d'invitation de chacun à faire le point sur ce qu'il a compris et appris lors des séances de cours, et surtout sur sa capacité à entrer dans une réflexion. Les questions y sont toujours ouvertes, et invitent systématiquement à ouvrir davantage le questionnement, tout en cherchant toutefois à rassurer ceux qui se sentent les plus fragiles dans cette "autorisation" à penser. Cette évaluation est formative6, puisqu'elle ne cherche pas à évaluer un savoir qui aurait été transmis par l'enseignant, mais à mettre en jeu leur expérience du philosopher, pour leur permettre de faire mieux par la suite, ou en refaisant. L'abandon de la note au profit d'appréciations qualitatives est symbolique de cette volonté de ne pas situer chacun et surtout de construire un rapport différent à l'évaluation, et à l'écrit en général. Du coup les corrigés ne sont pas des corrections administrées, mais insistent sur les diverses stratégies de construction de réponse, sur ce qui s'est construit par les uns et les autres, et propose éventuellement d'autres perspectives possibles, mais jamais comme un modèle ou un "corrigé type", quoique les enjeux de chaque question, et donc ses attendus, soient systématiquement travaillés pour permettre à tous les élèves de les décoder. C'est le principe d'un corrigé en plein, plutôt qu'en creux.
Se cherche une véritable expérience du philosopher, sans concession à la facilité, sans recours à la technicité, ni aux normes de la classe de terminale, pour que chacun puisse y entrer d'où il est, sans prérequis, mais avec une certaine exigence intellectuelle vis-à-vis de soi-même. Cette exigence constitue l'une des traductions concrètes de l'affichage élitaire de l'établissement, et l'une de ses dimensions alternatives aisément repérable, et essaimable.
QUELQUES PERSPECTIVES EXPLORÉES, À LA CROISÉE DES DISCIPLINES
Outre les cours "classiques" de terminales, qui s'efforcent de "faire" le programme - sans jamais y réussir, car là n'est sans doute pas l'essentiel - les cours de philosophie explorent des approches, des objets et des modalités variés, dont nous pourrions prendre quelques exemples. Parmi ces tentatives d'innovation, s'expérimentent au long cours des approches pluridisciplinaires, dont certaines tendent à devenir transdisciplinaires, qui explorent les marges de ce que propose la structuration disciplinaire des savoirs scolaires. Non pas que les disciplines doivent être mises au rebus, mais il importe de montrer de temps en temps, voire régulièrement, aux élèves, que si les disciplines constituent une manière de questionner (et découper) le réel, autour de problème, d'objets ou de méthodes communs, on trouve des objets qui habitent leurs jointures, voire exhibent leurs intersections possibles. Pour les élèves, c'est proposer une émancipation possible de ce cadrage de la connaissance, en indiquant que l'objet, ou la question, échappe à son traitement spécifiquement disciplinaire, et se trouve extrêmement complexifié de cette confluence disciplinaire.
Le questionnement philosophique est l'une des approches les plus ouvertes au Clept à cette rencontre, même si elle n'est pas la seule, loin de là, à le pratiquer. Je voudrais présenter en quelques mots, certains des frayages qui ont, avec le temps et la répétition, donné lieu à une véritable expérience. Bien entendu d'autres sont possibles, d'autres ont été tentés, et le seront encore.
1- La philohistoire
La philohistoire est d'abord le résultat d'une rencontre entre deux enseignants, deux disciplines proches, mais si aisément opposables. Elle est également le résultat d'une frustration de ne pouvoir donner toute sa dimension à notre historicité anthropologique et culturelle, à la pensée de l'histoire et à l'histoire de la pensée dont nous sommes les héritiers et dépositaires, qu'il nous faut donc tâcher de transmettre, moins comme objet de savoir encyclopédique que comme interrogation intellectuelle essentielle. Elle est donc née d'une envie croisée de "traiter le programme" tout en y échappant : la notion "histoire" au programme de philosophie en terminale ; des notions comme la religion, la nation, la citoyenneté, en classe de première en histoire, d'une envie d'expérimenter un cours croisé échappant aux points de vue et aux moyens réduits que nous offre le programme à cet égard, pour tenter de lui redonner, aux yeux des élèves, son épaisseur historique et sa dignité d'objet de pensée complexe.
Cette rencontre suppose une intersection possible sur les objets, les approches, et les problèmes qui se posent. Mais cette intersection n'implique pas nécessairement de convergence, et peut permettre aux élèves d'être témoins de divergences, voire de débats d'idées entre enseignants, devant fonctionner comme une invitation à penser par soi-même en sortant des idées reçues.
Ses enjeux centraux sont au nombre de trois : proposer une approche transdisciplinaire qui ouvre aux humanités, à l'ambition d'une culture humaniste, et à son essentielle historicité ; exiger de penser intellectuellement, ce qui passe par renoncer à la vulgarisation pour chercher à dégager les problèmes et les enjeux des questions soulevées, en bref d'incarner l'élitaire que le Clept porte dans son titre ; enfin un enjeu politique, un questionnement qui cherche à articuler les questions intellectuelles du passé avec le présent, et la manière dont de jeunes citoyens peuvent investir leur citoyenneté à partir des savoirs qu'ils se sont réellement appropriés.
Intellectuellement, l'un des objectifs de cet enseignement co-animé est de retrouver sous l'enseignement qui distille des savoirs savants digérés en savoirs scolaires, les questions qui animent les chercheurs historiens et philosophes, les problèmes qui se posent intellectuellement à la société ou à notre culture. Ainsi, si les humanités travaillent sur des traces culturelles - à l'inverse des sciences de la nature qui interrogent les processus naturels -, ces traces n'ont pas le même statut, la même fonction, et ne sont pas travaillés de la même manière dans ces deux disciplines : trace de faits, de réalités humaines au coeur de l'une ; traces essentiellement de pensée pour l'autre. Néanmoins, ce clivage entre faits "réels" et concepts "fumeux" s'évanouit devant le tissu théorique de l'explication et de ses principes, de la nécessité de la problématisation dans la recherche, de la quête de sens de l'expérience humaine partagée, et du dégagement des présupposés explicatifs des différentes manières de poser les problèmes.
Pour l'enseignant de philosophie, c'est une manière de sortir du caractère atemporel des questions et des concepts, pour réinscrire l'historicité des problèmes, non seulement dans une histoire intellectuelle (histoire de la philosophie) mais dans une "réalité" historique, en leur donnant la "chair" des faits, l'épaisseur historique, et en ancrant les questionnements qui semblent universels dans des problématiques historiques.
Pour l'enseignant d'histoire, l'enjeu est bien de soulever des questions de fond, qui sont souvent celle du professeur d'histoire, mais qui sont rarement partagées par les élèves L'intérêt de se confronter à la philosophie est de soulever des interrogations épistémologiques, qui renvoient les élèves non pas à l'histoire déjà faite, mais au travail même de l'histoire se faisant. Cette approche permet ainsi de regarder les dessous de l'histoire, ce qui est trop souvent remisé dans les cours compte tenu des ambitions encyclopédiques du programme. De même, cela permet de lutter contre certaines évidences, ou routines du métier, qui serait que puisqu'on travaille sur des documents en histoire, on fait de l'histoire. Le questionnement est premier ici, et donc le point de vue de celui qui questionne, le contemporain que nous sommes. Cette co-animation cherche donc à interroger le rapport au savoir historique tel qu'il se construit à l'école pour les élèves, afin d'en décaper le vernis, pour mettre à vif ce qui anime l'historien dans sa passion du passé : ses enjeux de mémoire, d'identité, d'oubli.
D'un point de vue plus institutionnel, c'est une manière de reprendre à nouveaux frais la question du chantier raté de l'ECJS, puisque certains objectifs sont les mêmes, mais abordés différemment, en affirmant leur dimension interdisciplinaire, voire transdisciplinaire, pour dégager une culture commune aux "sciences humaines", ou aux humanités.
2 - Cinéphilo
Depuis la naissance du Clept, je travaille avec la conviction qu'ouvrir des jeunes au philosopher, c'est notamment leur montrer que leur univers quotidien, leur vie offre matière à penser. Le problème auquel on se confronte rapidement, c'est que les univers de référence et d'expériences n'ont parfois rien de commun entre ces jeunes, ou entre les jeunes et leur professeur. Or penser collectivement un objet, c'est d'abord penser, questionner un objet que nous avons en commun. Le film est un objet culturel commun, que nous pratiquons tous, qui est donc inscrit dans leur culture, comme un élément de leur culture privée et non simplement scolaire. Il offre de plus l'avantage d'être relativement court (tandis que la lecture peut s'avérer très longue et pénible pour certains) et d'octroyer un monde clos auquel tous et chacun peuvent se référer, que l'on peut aisément convoquer à nouveau (donc qui offre la fiabilité de l'"objectivité" par rapport aux autres dimensions des mondes culturels et sociaux) pour trancher les débats, mais également qui ne suppose pas de culture préalable, de savoirs installés.
Montrer qu'au-delà du divertissement, le film de cinéma invite au questionnement et peut s'avérer extrêmement riche, c'est dans un double mouvement, élever le cinéma au rang d'objet intellectuel à penser - pour des jeunes qui très majoritairement ne l'appréhendent qu'en termes affectifs, sans en maîtriser les ressorts - et faire la démonstration que l'on peut philosopher de tout, que tout élément de l'expérience mérite d'être pensé, et que leurs pratiques culturelles peuvent y prendre un regain d'intérêt, de valeur et de plaisir, bref, c'est montrer que l'on se cultive à l'école pour soi, et que l'on se construit dans ce que l'on apprend, que l'on s'y élève.
Cette nouvelle expérience relative au cinéma passe notamment par un travail du regard, qui doit au fil des séances s'exercer et s'aiguiser, en cherchant à comprendre l'oeuvre à laquelle le spectateur élève est confronté. La conversion du regard qui est recherchée vise à dépasser la posture banale de la consommation d'un plaisir immédiat sans exigence, pour faire l'expérience d'un plaisir qualitativement modifié, reposant sur la richesse culturelle et intellectuelle de l'oeuvre, que l'analyse met à jour. Du coup, à la question "En quoi l'oeuvre désuète passablement ennuyeuse retenue par le professeur vaut-elle la peine d'être travaillée ?" doit répondre une tentative d'analyse de l'ensemble de l'oeuvre, mais aussi de certains de ses détails significatifs, pour en comprendre la composition, la pensée (voire la démonstration), l'esthétique. Cette éducation du regard affronte la question du cinéma comme art à part entière, et donc à l'exigence esthétique et intellectuelle dont il est porteur. Se pose souvent la question des genres, de leurs codes, de leurs frontières, de leurs ressorts narratifs et affectifs, et de la manière dont l'auteur de ce film s'y inscrit, y fait oeuvre ou bien le transgresse, lui ouvrant de nouvelles dimensions et perspectives.
L'analyse peut également s'éloigner des approches traditionnelles de l'analyse filmique pour déceler des questions vives au sein du film qui deviennent le point de départ d'une réflexion. Mon souci est toutefois de veiller à ce que le film ne devienne pas prétexte - comme trop souvent dans les approches actuelles du cinéma en philosophie7 - et demeure un objet à réfléchir, puisque c'est lui qui nous offre notre monde commun. Cela n'interdit pas, bien entendu d'ouvrir sur la question de la référence à propos des oeuvres fictionnelles : en quoi le "faux" (même s'il est vraisemblable) interroge-t-il le réel, l'histoire, son temps ? Quels sont les rapports du film avec son temps, et comment l'interroge-t-il ? Ainsi, le film se fait écho de problèmes contemporains, en propose une problématisation narrativisée, mais aussi, le plus souvent, une perspective, un point de vue qui prend parti et cherche de ce fait une résolution de ce problème, voire en souligne le caractère tragique, ou aporétique.
3 - L'histoire des sciences
Partant du constat que nos élèves ont un rapport très étonnant aux sciences, puisqu'elles semblent incarner un nouveau visage du religieux, en étant à la fois un discours vrai et mystérieux, un savoir "dogmatique", dont on ne comprend pas les enjeux, nous avons souhaité interroger un certain nombre d'idées reçues, et le rapport au savoir scientifique de la plupart d'entre eux. L'enseignement scientifique ne propose qu'une entrée notionnelle des sciences, et ne situe pas les notions, et les disciplines, dans une perspective historique permettant de comprendre quels enjeux ont eu à affronter les scientifiques, lorsqu'ils ont forgé telle ou telle notion, telle ou telle méthode d'investigation, d'interrogation du réel. L'idée en est presque banale, mais elle va à l'encontre de toute la "culture scientifique" de nos élèves : aborder la science se faisant plutôt que faite, la science en action, questionnant, curieuse, problématisant, inventive. Pour le dire comme Popper, il s'agit de leur faire partager la logique du contexte de découverte, et non seulement celle du contexte de validation, et même de transmission des savoirs savants en savoirs scolaires.
Ce faisant, il s'agit également d'ouvrir au questionnement épistémologique, en mettant à jour les questions philosophiques auxquelles les scientifiques ne manquent pas de chercher une réponse, et qu'ils ne cessent de formuler. Pour les élèves, cela éclaire les rapports du scientifique et du philosophique sous un nouveau jour, puisque la science n'est plus une interrogation objective, là où la philosophie renvoie à l'incurable "psychologisation" d'une perspective "subjective" ; la science prend des options philosophiques sur ce qu'est une cause, ou ce qu'est la matière, le mouvement, etc. L'enjeu est donc de retrouver en partie les questions philosophiques que les sciences ne discutent plus car elles ont tranché depuis longtemps, et en ce sens effectuer un voyage historique qui nous renvoie à notre manière moderne de penser. Du coup, cela permet de montrer aux élèves que la science ne fonctionne plus de manière continue, progressive, mais par ruptures, voire par révolutions, qu'elle s'interroge sur ce qui fonde sa légitimité et son régime de vérité, sur le statut de la preuve, et ce en confrontant les deux cultures du scientifique, avec ses dispositifs techniques, ses concepts engagés dans des théories, et du philosophe qui renvoie à des problèmes plus transversaux, à une histoire plus généralisante, et des concepts qui cherchent à traverser le temps.
Pour illustrer cette perspective, on peut choisir de chercher à retrouver ce qui fonde notre conception moderne de la science, dans la révolution moderne de la physique, au début du XIXe siècle, pour travailler les point de rupture dans différents champs de la réflexion scientifique, qui ont modelé la "scientificité" jusqu'à aujourd'hui. En prenant cet exemple, on peut montrer à la fois que l'histoire de la science n'est pas continue, et comment une révolution rend possible, féconde, tout un ensemble de perspectives heuristiques : de la mathématisation du réel à la question de l'expérience cruciale, pour des sciences qui deviennent expérimentales ; de l'inscription des sciences dans une histoire beaucoup plus large à l'explicitation de pourquoi, et comment, on a pu être un physicien aristotélicien, ou un astronome ptoléméen, sans être stupide ou insensé. Il s'agit ainsi de traverser le miroir des évidences pour questionner nos systèmes de référence et de valeurs de la connaissance.
4 - Retour au mythe
Les jeunes que nous recevons et que nous essayons d'accompagner pour qu'ils redeviennent élèves, connaissent les "mythes" : les mythes, c'est ce que le "mytho" raconte. Le mythe a ainsi essentiellement à voir avec le mensonge, la capacité, voire la compulsion, à inventer des histoires qui cherchent à se faire passer pour vraisemblables. Autant dire qu'ils ont le plus souvent peu l'occasion de se confronter à la mythologie classique, et encore moins à la fonction du mythe, qu'elle soit classique ou littéraire.
Par ailleurs, en tant qu'enseignant de philosophie soucieux de chercher des perspectives variées pour rendre possible des entrées dans le questionnement philosophique, le mythe, de par son statut mixte, entre le discours narratif, et l'interprétation ou l'analyse qu'il appelle, permet de pointer une spécificité de la réflexion philosophique dans son articulation avec la littérature. C'est pourquoi, depuis une dizaine d'année, il est fait une place en cours d'année pour l'étude d'un ou plusieurs mythes, en général platoniciens. Ces travaux peuvent s'inscrire dans le long terme, sur deux ou trois mois, dans un travail de lecture et d'élucidation patient, où le collectif progresse à son rythme, le plus souvent en souhaitant défricher le problème lorsqu'il affleure dans le récit, sans chercher à construire une lecture globale. A d'autres moment, ces travaux sont engagés dans une collaboration pluridisciplinaire, avec une collègue de lettres, lors d'une semaine extraordinaire, où tous les emplois du temps sont chamboulés, et où les disciplines engagent une dimension plus élitaire de leur travail, en s'écartant du programme pour revenir à des fondamentaux souvent ignorés, pour explorer des rapports à de nouveaux savoirs situés dans des angles morts des savoirs scolaires.
L'enjeu d'un tel retour au mythe est toujours double, général et particulier : général car c'est la fonction et le sens du mythe qui sont interrogés et travaillés ; particulier, car c'est à chaque fois un mythe qui est travaillé, avec ses enjeux dans son oeuvre (quels effets ce discours vise-t-il à produire sur son interlocuteur), ses enjeux en soi (quels problèmes soulèvent son interprétation ? En quoi sont-ils universels, parlent-ils de l'homme pour en dire quelque chose d'essentiel ?) ; mais également de manière réflexive, il cherche à inviter les élèves à s'interroger sur eux-mêmes à partir de ce que le mythe met en scène. Ainsi peuvent être explorés les enjeux des désirs amoureux dans le Banquet, la question du rapport à l'écriture dans le Phèdre, la question de l'éducation dans l'Allégorie de la caverne de la République, ou la nature technico-politique de l'homme dans le mythe de Prométhée du Protagoras, ou encore dipe, etc.
Les élèves ont ainsi l'occasion de découvrir que loin de se définir par sa fausseté, le mythe est une manière de dire le vrai, mais de quel vrai, ou de quelle vérité s'agit-il ? Celle qui est énoncé, ou une autre, à interpréter ? La confrontation entre le discours philosophique et la fiction narrée devient alors possible à penser, dans ce qu'elle a de problématique, mais également d'extrêmement puissant, en s'adressant à l'imagination.
Certains objets deviennent récurrents, car porteurs d'interrogations importantes pour nos jeunes : l'identité, par exemple, ou encore l'autorité, la norme (dans une approche plurielle, et pluridisciplinaire), la politique.
UN REGARD RÉTROSPECTIF ET PROSPECTIF : PEUT-ON TIRER QUELQUE ENSEIGNEMENT DE L'EXPERIENCE DU CLEPT ?
Après une dizaine d'années de pratiques, que nous a appris cet engagement dans le questionnement philosophique en amont de la terminale, et que nous incite-t-il à réfléchir ?
Quelle progressivité ? Quel programme ? Faut-il standardiser l'enseignement ?
Ma position de départ, en 2000, était de réserver le programme de terminale à la classe de terminale, et d'ouvrir aux élèves tous les possibles de la réflexion philosophique. Peu habitué, comme mes collègues enseignants de philosophie, à fréquenter d'autres élèves que ceux de terminale, et à "définir" d'autre progressivité que celle qui se joue sur une année tendue entre la découverte et l'exigence de performance, je cherchais comme à suspendre ma pensée de la progression, de la progressivité, dans l'entrée dans la philosophie, afin de produire une expérience qui me permettrait peut-être de juger, dans l'après coup. Cet exercice de la prudence était tout d'abord, surtout, destiné à me méfier de mes propres préjugés en la matière ("jugeant que j'étais sujet à faillir autant qu'aucun autre"), et à chercher à produire des effets pratiques plutôt que des discours a priori. Cette prudence était également une manière de me déprendre des différentes attentes, des collègues de philosophie ou du Clept, de l'institution, etc. Cette prudence pratique n'interdit toutefois pas les questions légitimes qui se posent en matière d'introduction de la philosophie en amont de la terminale.
Quelle peut-être en effet la progressivité d'une entrée dans le questionnement philosophique ? Faut-il entrer progressivement dans la philosophie, ou tout d'un coup ? Y a-t-il des degrés dans le philosopher, ou des degrés dans la complexité de la réflexion ? De plus, philosophe-t-on de la même manière avec des collégiens, des lycéens "professionnels" (un certain nombre de mes élèves avaient décroché de LP), avec des premières ou avec des élèves de terminale ? En bref, faut-il s'adapter à son public, pour l'amener à philosopher ?
Par ailleurs, s'interdire d'anticiper le cours de philosophie de terminale en première (ou encore avant), comme certains groupes le prônent, était-ce s'interdire de traiter un quelconque objet du cours de terminale ? Ne pouvait-on, à l'occasion, en faire l'objet d'une réflexion qui ne soit pas instrumentalisée par la performance de l'épreuve qui couronne la fin de la terminale, avec la standardisation qu'elle implique ?
L'étirement des cours de philosophie sur plusieurs années a-t-il un effet sur les élèves, et sur leur rapport à la philosophie, voire sur leur rapport au savoir en général ? La philosophie, en se banalisant, devient-elle une discipline comme les autres, ou bien dissémine-t-elle son étrangeté, son altérité, sur le rapport aux autres savoirs, aux autres disciplines ? L'enseignement philosophique est-il de l'ordre d'un savoir (apprend-on quelque chose en "cours de philo" ?), ou bien d'un savoir-faire, d'une posture réflexive ou problématisante ?
Pour répondre à toutes ces questions, mon intuition, ou mon positionnement, aura été de chercher à assumer le caractère expérimental de l'enseignement qui m'était confié, de chercher donc à défricher des marges de l'enseignement traditionnel, plutôt que d'en étirer les frontières ou d'en accroître l'extension. Quitte à expérimenter, autant tenter de frayer un chemin autre que celui que tous mes prédécesseurs parcourent, avec plus ou moins de bonheur, depuis longtemps déjà, autant faire expérience en se démarquant de notre habitus professionnel. Il me semble que c'est cette altérité, cette innovation, qu'il faudra évaluer si l'on veut que cette expérience de dix années puisse servir à une réflexion collective.
Bien entendu, je laisse ce soin à d'autres, et ne peux que témoigner que pour ma part, mon enseignement n'a plus grand chose à voir avec celui qu'il était il y a dix ans. Truisme, ou heureuse évidence pensera-t-on peut-être que de voir une professionnalité se transformer en dix années, d'autant plus qu'elle a lieu au sein d'un dispositif réflexif qui exige une approche globalisante. Toutefois, ce rapport à ma professionnalité ne se sera pas transformé uniquement sur le mode du (rite de) passage du jeune professeur curieux à l'enseignant expérimenté, mais par une recherche de transformation de mon habitus, en explorant des voies que mon expérience antérieure ne m'avait pas permis de rencontrer En ce sens, j'ai, me semble-t-il, su être à la fois relativement innovant, au sein de l'équipe du Clept, et su frayer ma propre voie en terme d'enseignement philosophique, qui me permette de faire ce à quoi je crois, sans souci des normes scolaires usuelles, ni du format de la classe terminale, tout en restant fondamentalement dans le philosopher - car j'ai pu expérimenter, ou expériencier, que je ne savais pas faire autre chose, ou ne le pouvais, ou ne le voulais pas, ce qui revient au même. Ainsi, réponds-je, au moins pour ma part, à l'objection courante que je rencontrais les premières années : "mais avec ces élèves là, ou avant la terminale, est-ce vraiment de la philosophie que l'on fait ?" ; de la philosophie, je ne sais pas vraiment, cela engagerait sans doute une définition de la "philosophie des professeurs de philosophie"8 à laquelle je ne voudrais pas me risquer ici, mais philosopher, certainement, du moins au sens où je puis le comprendre et l'assumer.
Mais partir sans programme pré-établi, sans souci d'un niveau déjà atteint ou à atteindre, ne signifie pas qu'on homogénéise tout son enseignement. Force est de constater que les années m'ont amené à distinguer ce que j'expérimentais avec chaque niveau de classe, avec chaque groupe. En un sens, puisqu'il s'agit de "philosophie nue", avec des jeunes qui pour la moitié en début d'année se réconcilient avec l'école (l'institution comme le lieu d'apprentissage), avec les profs, avec eux-mêmes tout autant qu'avec le monde des adultes, mon accueil dans le philosopher s'est toujours effectué sans référence explicite à l'écrasante culture académique qui n'aurait pour effet que de leur rappeler qu'ils ne savent pas, qu'ils ont surtout "acquis" des lacunes. Le point d'attaque est le plus souvent de biais, afin de ne pas leur imposer mon discours sur "qu'est-ce que la philosophie ?", ni me laisser attirer par leur question piège "à quoi ça sert ?", en les laissant entrer dans cette expérience un peu déroutante, un peu excitante, d'une pratique sans référent, dans laquelle les anciens accueillent parfois les nouveaux en leur disant : "il faut accepter de te laisser embarquer sans résister, c'est après-coup que tu en comprendras l'intérêt - l'enjeu", lorsque ces nouveaux s'inquiètent du risque de rester dans un questionnement ouvert, à l'infini, sans rien qui nous rassure sur ce qu'on doit apprendre. L'accueil s'effectue souvent via une proposition de cinéphilo, que l'on pourrait craindre démagogique, mais qui au contraire doit faire la démonstration de sa légitimité, car les films proposés ne sont plus de "leur génération", et déjouent leur pratique, passive ou "critique" des films, pour les engager vers les chemins de la pensée de cet objet, qu'ils n'avaient jamais envisagé ainsi. Mais comme l'accueil se répète, en cours d'année, il prendra nécessairement d'autres formes, d'autres objets, pour offrir une variété d'entrées possibles, car il s'agit davantage de rendre possible une accroche que de participer au grand tri de l'institution.
Les regards et les rapports se modifient souvent lorsque ces jeunes continuent au Clept, non plus en Module de raccrochage, mais dans une classe, où le questionnement philosophique n'est plus une découverte, mais une trajectoire proposée, tantôt en coanimation, tantôt solitaire. Il s'agit alors d'y cheminer pour entrer dans un rapport réflexif et problématique à soi et aux savoirs, qui reste véritablement marginal vis-à-vis des autres enseignements fréquentés, et des apprentissages qui s'y réalisent. Pas de savoir transmis, le plus souvent, pas de construction des savoirs par situation-problème, mais une pratique de l'écoute, de la critique, du risque de penser en soulevant des questions inédites et improbables, à la fois totalement intellectuelles et provenant véritablement de leur appréhension du monde. A cet égard, la question de l'hétérogénéité de la classe, si souvent perçue pratiquement comme un obstacle par les enseignants, devient un véritable levier pour s'enrichir, et mener une réflexion. Cette réflexion ne signifie pas "trouver les réponses que le maître attend" (problématique de la réponse attendue) mais chercher ensemble, en sortant de l'idée qu'il s'agit d'imposer son point de vue aux autres, parce qu'il est le mien ou le plus convaincant, mais d'apprendre à se nourrir de la pensée (incomplète) de l'autre, pour en faire un outil (la boite à outils de Deleuze ou Foucault), ou un matériau à continuer d'élaborer. Ainsi, réfléchir devient un exercice de focalisation, où le "je" (pense que, qui est souvent un "je crois que" ) importe moins que le "nous" pensons, exercice où se travaille la question de la distance - à soi, à ses pensées, ses croyances, à sa propre image ; aux pensées des autres, à la relation qu'on a avec eux, à sa place dans le groupe -, la question de la netteté et de la précision - quand est-on suffisamment d'accord sur le sens d'un terme, d'un concept ? Ne faut-il pas continuer à définir, à "faire le point" - ce qui pourtant suppose de choisir ce qui devient net, et ce qui reste flou, en marge, dans l'ombre ou hors champ ?
Peu importe alors la complétude, l'exhaustivité sur un sujet traité, ce qui compte c'est de frayer, de faire route ensemble vers un au-delà de ses opinions respectives. De ce point de vue, les séances de philosophie relèvent d'une hybridation de cours et de happening, il doit toujours s'y jouer quelque chose, s'y révéler un enjeu qui va le plus souvent être aperçu par l'enseignant, et dont nous suivrons la piste, pour le traquer. Ce cours performance, où l'enseignant doit métisser la conduite d'un collectif, l'écoute flottante, l'exigence de problématisation et de conceptualisation, demande sans doute plus d'énergie et moins de préparation qu'un cours magistral, ou "dialogué" ; moins de préparation, car dès que l'on prépare, on tient à "faire ce qu'on a préparé", alors que l'essentiel est bien évidemment ailleurs, dans le fait que "ça philosophe" enfin. L'une des dimensions frustrantes du cours de terminale, qui fait ressentir aux élèves qu'il y a quelque chose à dire de très normé et normalisant, sous le discours émancipateur de la plupart des professeurs de philosophie, disparaît alors, désamorcée par cette ouverture du cours sur ceux qui le vivent, ceux qui le font. L'écueil, d'expérience aisément évité me semble-t-il, serait alors d'en rester à un échange d'opinions ; ce qui marque les cours de philosophie, c'est l'exigence intellectuelle qui les habite, et dont très vite, l'enseignant n'est pas le seul porteur.
En ce sens, fort de cette expérience, je militerais pour une extension de cette expérience, pour que des collègues s'emparent des espaces d'innovation qu'institue l'école9, pour s'autoriser à sortir de leur routine et réaliser les possibles de l'enseignement dont ils sont porteurs, pour que les élèves se confrontent dans l'école avec un espace où ils puissent chercher à dompter l'exigence de la pensée, sans programme, sans examen le validant - mais pas sans exigence. Ce que je propose, c'est davantage que les enseignants cherchent à produire les conditions de leur propre émancipation des modalités extrêmement classiques de l'enseignement qu'ils ont souvent peu fait évoluer depuis les cours qu'ils ont reçus, donc qu'ils soient porteurs d'expérimentations, ou d'"innovation" (d'abord vis-à-vis d'eux-mêmes), plutôt qu'une réforme qui aurait serait réfléchie "du haut" par les hiérarques, et descendrait vers les exécutants. Ce sont ces exécutants qui ont le pouvoir de jouer l'émancipation de leurs élèves, pas les doctes "penseurs" des cabinets ministériels ou de commission des programmes.
L'innovation de l'enseignement philosophique doit devenir alternative à ce qui se fait, chercher à produire des pratiques, des tactiques, des processus émancipateurs, et non pas à généraliser telle ou telle "expérimentation" qui serait évaluée comme concluante. Ce qui peut être concluant, c'est le processus d'expérimentation lui-même, pas ses soi-disant résultats. C'est pourquoi ni le schéma descendant de l'application de la théorie à la pratique - modèle dominant dans l'institution -, ni celui inductif de la généralisation de ce qui s'est exploré de manière particulière ne sont satisfaisants ; l'expérimentation doit constituer un processus ouvert, une manière de vivre sa professionnalité de manière réflexive, loin de toute procédure, de toute recette qui figerait ce qu'il y a à savoir, ce qu'il y a à travailler, permettant d'éviter le nécessaire "faire expérience" d'un philosopher pour les élèves, en revenant à une pensée vive, en acte, sortie de son formalisme et des ses formalités académiques. Cela n'a rien de rassurant pour les élèves ; cela ne prépare pas aux épreuves du baccalauréat ; mais il me semble que philosopher ne doit chercher à produire ni l'un ni l'autre : c'est une activité critique, dérangeante, déstabilisante - mais peut-être jouissive également -, et peut-être faut-il, pour qu'elle devienne réellement une activité des élèves, que les professeurs de philosophie y acceptent de prendre le risque de penser sans filet, comme ce que nous leur demandons.
Toujours est-il, qu'en matière de programmation de la philosophie, en amont de la terminale, je prônerais - conformément à ce que cherche à produire le Clept dans ses formations - un éloge de la liberté : philosopher sans programme, car cela oblige à assumer ses choix, et notamment à prendre le temps de réellement construire ce qu'il importe de construire. Plus de course après le programme, plus de parcours du combattant pour mal faire ce qu'il y a à faire. Je n'ai jamais fini le programme en terminale, car le "finir" serait renoncer à quelque chose de bien plus essentiel : prendre le temps de philosopher. Alors en amont de la terminale, il me semble aujourd'hui essentiel de ne pas programmer ! Les enseignants de philosophie sont suffisamment cultivés pour élaborer leur propre programme (ne sont-ils pas cadre A de la fonction publique ?). L'illusion du programme, c'est de maintenir l'illusion de la toute puissance : chacun peut "tout" apprendre, avoir tout vu, car le programme est généraliste ; renoncer à une de ses parties, c'est amputer la culture de nos élèves ! Mais sans doute est-il plus réaliste et effectif de considérer ses cours moins comme un programme à réaliser que comme une invitation à poursuivre, comme une mise en appétit pour l'existence à venir, comme une boite à outils pour penser dans le monde. Or cela ne relève pas du programme, mais d'une expérience qui nous transforme, d'une formation.
Mais renoncer au programme, est-ce nécessairement renoncer à la progressivité ? Non. Je m'aperçois a posteriori que j'ai mis en place progressivement des approches nuancées de mes exigences dans les différents niveaux. Ces nuances n'ont rien d'absolu, puisque l'hétérogénéité est de règle, et les parcours tellement variés que les rapports à la pratique intellectuelle ne dépendent pas du niveau de la classe où ces jeunes sont accueillis. Néanmoins, en fin de collège ou en début de lycée, les exigences écrites ne seront pas les mêmes que celle de la classe de première : on cherchera à y indiquer le passage du descriptif ou du narratif à l'analyse, à la réflexion qui interroge le bien fondé de ses thèses, et fait prospérer le doute. La circulation de la parole, l'écoute y seront d'autant plus essentielles qu'elles y constituent des conditions de possibilité pour se déprendre de ce que l'on croit savoir.
Et la question de la confrontation aux grands textes. Comment est-elle traitée au Clept ?
Ce qui s'introduit progressivement, au gré des demandes des élèves, ou lorsque je les sens suffisamment prêts pour cela, ou que je souhaite les provoquer de ce côté, c'est l'introduction de textes à analyser, à expliquer dans leur rigueur, afin qu'ils découvrent la confrontation avec la pensée de l'autre, cette pensée que l'on doit accepter d'épouser, à laquelle on doit toujours se soumettre, même si s'est pour s'en déprendre et pour la critiquer ensuite. Affronter une référence, un grand texte, littéraire, scientifique ou philosophique, est une épreuve éminemment formatrice, que je réserve à ceux qui ont déjà emprunté le cheminement, qui ont noué un rapport à ce (non)savoir qu'est le philosopher : cela exige une certaine confiance, pour que la résistance à la soumission au texte puisse être levée, et que puisse se nouer un rapport émancipateur à ces références. Ces références sont très rarement envisagées dans un rapport métonymique à l'oeuvre de l'auteur, comme exemplaire ou manifestant une philosophie, mais toujours comme une voie exigeante pour prolonger ou réorienter ce que nous avions entrepris de réfléchir. L'objectif est que les jeunes s'y confrontent : la question de départ est donc propre à les inciter à réfléchir, à se risquer dans le texte, et non une question explicative destinée à démontrer "l'inégalité d'intelligence" entre le maître et les étudiants, dont parle Jacques Rancière dans Le maître ignorant. A quelle question répond ce texte ? Quel est son problème ? Que nous invite-t-il à réfléchir, que nous oblige-t-il à penser ? Et ce sont eux qui répondent, aiguillonnés par l'exigence de déplier le texte pour en comprendre à la fois la logique et le détail, la nécessité.
Comme suggéré ci-dessus, la voie royale choisie a souvent été un mythe platonicien ; mais je n'ai pas dédaigné les Lumières, dans nos approches transdisciplinaires (lettres, histoire, philosophie), ou encore Pierre Clastres, pour comprendre sur le dernier chapitre de La société contre l'Etat, ce que c'est que problématiser une théorie (et non seulement une question dissertative), ou le trio Canguilhem / Fagot-Largeau / Foucault, sur la question des normes en biologie, en médecine, et concernant la folie.
Revenons toutefois un instant sur les cours de philosophie en terminale. Comment ce qui s'expérimente en amont de la terminale a-t-il contaminé ce qui se joue dans et pendant la classe d'examen, avec des élèves qui préparent les trois baccalauréats généraux ? Les deux approchent restent-elles cloisonnées, ou bien l'élitaire a-t-il conquis du terrain sur le bachotage, sur la préparation à l'examen, autrement dit sur la préoccupation de réussite des élèves ? De plus, le fait pour bon nombre des élèves de terminale, d'avoir expérimenté le questionnement philosophique en amont, les aide-t-il à mieux préparer l'examen, à en mesurer les enjeux et les exigences, bref cela permet-il de vivre une terminale plus occupée à chercher à philosopher, et moins centrée sur la recherche (et le plus souvent l'angoisse) de la réussite ?
Après avoir naïvement cru que la pratique anticipée de la philosophie dénouerait l'enjeu inextricable de la découverte et de la performance dans le temps de la gestation humaine, j'ai dû me rendre à l'évidence : le réel résiste aux fausses bonnes idées, ou aux idées reçues. Ainsi, un élève qui en fin de première, passionné de biologie, me demandait s'il était possible d'envisager un double cursus universitaire biologie-philosophie, tant les deux années qu'il venait de pratiquer l'avaient passionné, ne réussit jamais à entrer dans la démarche exigée en classe de terminale. Le passage en terminale sonne quasiment toujours l'arrêt du gai savoir que peut être le philosopher auparavant, comme l'obstacle sur lequel vient buter le savoir émancipateur, celui que l'on construit pour soi, et non pour donner des gages à l'institution. L'expérience de subjectivation qui avait été vécu se transforme souvent en expérience d'assujettissement, ou de normalisation. L'examen y a certainement sa part, qui assigne l'activité intellectuelle à une performance ; mais l'approche, ou le style problématisant pratiqué en amont de la terminale me semble également une hypothèse explicative à envisager, car elle tranche avec la démarche notionnelle (notion / repères / auteurs) qui prend souvent le risque d'instrumentaliser la problématisation au regard d'un objet premier. Cette volte face qui semble simple, voire évidente, aux enseignants de philosophie, qui ont construit la souplesse d'entrer de façon multiple dans le philosopher, est souvent vécu comme violent par les élèves, qui peuvent décrocher.
Cette nouvelle manière de pratiquer la philosophie rencontre des résistances. De la part des collègues, son caractère incongru, déroutant, a laissé place au fil des années à une reconnaissance qui fait désormais de l'enseignement du questionnement philosophique un cours "au même titre" qu'un autre - si ce n'est que c'est l'un des très rares à pouvoir avoir affaire avec quasiment toutes les autres disciplines, et l'un des rares cours à ne pas avoir d'objet spécifique prédéterminé : tout peut devenir objet de philosophie, et surtout la philosophie n'est pas porteuse de savoirs à "apprendre", on ne peut y répondre à la question "que faut-il savoir (pour "l'interro") ?". Du coup, c'est à partir de cette focale que souvent s'interroge et s'éclaire la différence structurante entre "matière" et "discipline", puisque la matière est ce qu'il y a à savoir, le contenu, tandis que la discipline implique et engage à un travail sur soi, l'activité intellectuelle en jeu, et ce qu'elle a de structurante et d'émancipatrice En passant du discours à la conviction, les collègues enseignants ont sans s'en apercevoir, permis aux élèves de trouver cet enseignement "normal", sinon normalisé, ils leur ont sans doute interdit, implicitement, de critiquer cet enseignement au point de le remettre en cause, comme c'était le cas les premières années du Clept. Il est aujourd'hui jugé essentiel, et le fait d'avoir essayé d'en faire un objet de travail d'équipe, d'en réfléchir le caractère expérimental en équipe, de même que la manière de l'habiter, de le faire rayonner dans d'autres dimensions en dehors de l'enseignement (les groupes de base, le tutorat, la vie de classe, etc.) ont certainement contribué à en faire une des dimensions si spécifique du Clept, un marqueur d'identité.
Pour les élèves, y résister fait partie du jeu à jouer, et donne systématiquement lieu à des échanges suivis par tous, qui se demandent comment au Clept, on fait avec la remise en cause : elle est de mise, et même déployée dans ses enjeux, quand les élèves ne vont pas au bout de leur logique, ou n'osent pas trop remettre en cause le "maître".
FAUT-IL CONCLURE ?
J'ai bien conscience que cet article manque d'exemples, de prise sur la pratique concrète de ce que font les élèves avec leur, ou leurs, enseignant(s). Il aurait fallu entrer dans le déroulement d'un cours, donner à voir, habiller d'un peu de chair ce squelette d'"intentions" et de "conclusions", afin de rendre quasi vivante l'analyse proposée. Mais cela engagerait ce texte vers d'autres dimensions, car on ne peut montrer et analyser en l'espace de quelques pages ; il y faudrait un livre. On le voit, je n'ai pas choisi de rendre compte de ma pratique en la décrivant, en la racontant, mais davantage en cherchant à y réfléchir.
En fin de compte cet enseignement est-il alternatif et élitaire ? Une chose est de l'annoncer comme intention initiale, de chercher à l'exiger de soi et des élèves, autre chose est de l'évaluer à partir de ce qui est donné à "voir" dans ce bref compte rendu réflexif. Alternatif, oui, non pas simplement parce que ce qui s'y fait est "autre" ou autrement, mais parce que s'y joue, sans souci des programmes, des notions, un fondamental, qui est l'aventure, l'expérience de la problématisation par les jeunes. S'y inverse ainsi ce qui est souple et ce qui est ferme : la rigidité programmatique et dissertative de l'examen - qui donne lieu à des séances de bachotage dont nous sommes, ou devrions être, peu fiers - laisse place à la fermeté de l'exigence que j'ose espérer constructive. Cette exigence n'embarque pas tout le monde, loin de là. Mais elle participe à marquer, dans le parcours d'un jeune au lycée, la normalité - est-elle légitimation ? - d'une réflexion problématisante pour devenir soi-même un jeune adulte responsable en chemin, pour une subjectivation réussie en ce sens qu'elle nous élève, nous tire vers un dépassement de soi. Alternative, cela passe donc souvent par rendre souple l'objectif du cours, voire y renoncer, au sens d'y surseoir jusqu'à ce que ses conditions soient réunies, pour qu'advienne une pensée vive des élèves, pensée qui résiste, ou au contraire qui suit sa sente, et qu'il nous faut traquer pour qu'elle se partage et fasse expérience. Paradoxalement sans doute, cela rend la préparation des cours (les miens, et parfois même ceux que je partage) quasi secondaire vis-à-vis de l'aval de ces cours, de l'après où doit se réfléchir ce qui s'est joué, questionné, appris, pensé. C'est ce "faire retour" qui me nourrit, que je partage souvent comme un trésor avec certains collègues, et autorise mes improvisations / performances.
Elitaire, c'est la question vieille au moins comme Platon, de savoir si la philosophie est vulgaire ou initiatique, si elle se réserve à quelques élus triés sur le volet. Il est certainement difficile pour moi de répondre à la question sans être trop à la fois juge et partie ; il est certainement très malaisé de répondre en soi à cette question, de la valeur "élitaire" de cette pratique alternative du philosopher. Le recul et les analyses manquent. Sans doute peut-on prêter l'oreille à ce qui s'en dit, des collègues notamment, qui semblent avoir été amenés à en faire progressivement un lieu de rencontre important de l'activité des élèves et d'eux-mêmes : "aujourd'hui en groupe de base, on s'est arrêté, et on s'est dit, mais on fait de la philo là", pour dire qu'on avait atteint une "véritable" question, et qu'on touchait à la complexité du réel sans tricher avec les exigences intellectuelles et l'enjeu du questionnement. En ce sens, la philosophie devient parfois un étendard de l'élitaire. Pour les élèves également, il y a, au-delà du plaisir de la découverte et de la stimulation intellectuelle, un vrai plaisir à entrer dans le questionnement qui déprend, désassure, nous emmène ailleurs que là où l'on est, ailleurs que ce nous sommes, qu'on y risque le changement sans risquer de s'y perdre. Les élèves s'aventurent de plus en plus, en dehors du cours proprement dit, à évaluer ce que "la philo" leur apporte pour eux-mêmes. Enfin, et c'est une perspective qui s'ouvre à peine10, il pourrait être intéressant de travailler ce qu'en pensent, après avoir poursuivi leur vie, les jeunes qui ont quitté le Clept. Comment les anciens envisagent-ils, dégagés de tout enjeu institutionnel, relationnel, affectif, leur fréquentation de cette drôle de contrainte qu'on leur a imposé alors que "déjà raccrocher n'était pas facile" ?
(1) GREPH : Groupe de Recherche sur l'Enseignement Philosophique, créé à l'époque par Jacques Derrida.
(2) Fidèle en cela à la formule kantienne : "On n'apprend pas la philosophie, on n'apprend qu'à philosopher".
(3) Sans doute faudrait-il étayer cette idée en prenant le temps de la développer. Me revient immédiatement en mémoire ce propos d'un collégien de l'an dernier qui répondait à "comment définiriez-vous la philosophie ? "(après trois mois de cours), pour leur faire mesurer le chemin parcouru et combien leurs représentations avaient changé : "c'est un cours de liberté", propos qu'il ne tenait pour aucun autre cours.
(4) Sur des périodes allant de 6 à 10 semaines de cours, pouvant éventuellement être reconduit sur une deuxième période.
(5) Il y aurait certainement à réfléchir cette entrée dans la réflexion philosophique à l'aune du prisme de l'émancipation intellectuelle telle que l'a posée Jacques Rancière dans Le maître ignorant, avec en son centre la question de l'égalité des intelligences, et la manière dont elle a été reprise récemment par Charlotte Nordmann dans La fabrique de l'impuissance 2. L'école, entre domination et émancipation.
(6) Toujours formatif, l'écrit n'est pas toujours évaluatif.
(7) On connaît depuis quelques années l'éclosion d'une abondante littérature sur le sujet, mais qui me semble souvent se réduire à l'illustration ou au support d'idées, de concepts ou de problèmes que veulent illustrer les philosophes. L'oeuvre devient prétexte à discours, mais n'en est plus l'objet d'étude.
(8) Les professeurs de philosophie sont-ils des philosophes ? En quels sens ? Créent-ils des concepts ? Ont-ils une vie philosophique ? Ont-ils seulement choisi pour profession de transmettre une certaine culture qu'ils croient essentielle ?
(9) Par exemple l'article 34 de la loi cadre de lÉducation Nationale, mais d'autres marges sont investissables.
(10) Des travaux universitaires (masters, doctorats) commencent à s'engager sur cette question relativement cruciale pour un dispositif précaire comme le Clept : "que sont-ils devenus ? ". La question de la place singulière de la philosophie peut y apparaître, à certaines occasions, parmi les autres aspects alternatifs, innovants et expérimentaux du Clept.