L'ATELIER DU NON-FAIRE
Je travaille depuis six ans avec des personnes, membres de l'Atelier du Non-Faire. Ensemble, nous menons des dialogues philosophiques où s'entremêlent sans cesse souci critique et soin de l'âme. Il y a quinze jours encore, lorsque nous revenions à Socrate, à la manière dont on peut éduquer son âme et la fortifier, Claire ponctua la séance par ce mot : "sculpter son âme c'est s'armer". Avec quelques fidèles de ces ateliers philosophiques depuis six ans, nous sommes au beau milieu d'un combat.
L'Atelier du Non-Faire est un lieu créé il y a 26 ans par Christian Sabas au coeur de l'hôpital psychiatrique de Maison Blanche pour proposer un autre accompagnement, une hospitalité créative à ceux que le pouvoir médico-social a jugé fous ou malades mentaux. Le combat n'est pas forcément contre l'institution. Ce serait grossier et vain. La psychiatrie fait ce qu'elle peut. Mais précisément face à l'humain dans ses débordements ou ses effondrements, que faire si ce n'est inventer d'autres manières d'y être, d'en être. Au centre d'une présence justement. Etre dans l'attention et la tension pour refaire circuler du lien et du souffle. Quoi de plus juste alors que la parole, l'écrit et l'image pour fabriquer ce temps d'une présence ritualisée et d'un penser ensemble sans cesse donné en partage et repris à la tâche.
Avec Marianne, Jacques, François, Xavier, Vincent, d'autres aussi, se tisse au cours de ces scènes de la vie philosophique une pensée en mouvement, tonique, dialectique et vitale, où chacun sent bien que se redessinent leurs identités et leurs destins de sujets-objets de la psychiatrie.
À chaque rencontre se rejoue ce qu'ils ont subi comme une signature, un scellé de leur existence : à savoir le diagnostic qui les a décrétés schizophrènes ou psychotiques.
C'est ce Curriculum Vitae d'eux-mêmes qu'il m'a semblé intéressant de prendre comme matériau foncier, origine de ces chantiers de la parole et de la mémoire à mettre perpétuellement en question, à remettre inlassablement à l'ouvrage, en devenir, jusqu'à proposer une interprétation radicalement contraire à savoir que ce soient eux, les "dits-fous" qui deviennent experts de leur folie, porteurs d'une généalogie et d'un savoir à nous transmettre de leur expérience.
Avec ces personnes qui ont vécu parfois jusqu'à vingt années d'internement, il est sûr qu'ils ont acquis une forme d'expertise, une parole lucide sur les récits d'eux-mêmes, un savoir de leur guérison et ce par la voie créative, artistique, existentielle, au sens où Sartre pouvait dire qu'exister c'est refaire ce qu'on a fait de nous.
Xavier est musicien en même temps que poète, Marianne écrit et peint, Vincent tient à l'idée que ce sont les lectures de Sartre, Foucault, Nietzsche qui ont davantage opéré en tant que thérapie, plus que n'importe quel comprimé de Tercian. François quant à lui, écrit pour le théâtre et s'est littéralement redonné une biographie neuve en s'inventant un pseudo : San Gredor. Jacques est exilé de l'ex-Yougoslavie, il se sent toujours en guerre et porte un bleu de travail comme une sorte d'habit pare-balle, de gilet-bataille contre ses voix, celles qui depuis trente ans le font fou, celles qu'il nomme ses envahisseurs.
J'ai beaucoup écouté, dialogué, mis en oeuvre des textes philosophiques avec chacun, toujours en lien avec ce que j'avais pu saisir de leurs préoccupations, de ce qui pouvait les animer crucialement. De ces travaux sont nés aussi des textes d'eux sous formes variées (manifestes, pièces de théâtre, pamphlet). Nous les avons aussi mis en travail, performé ou partagé en lectures-réflexions publiques. Avec toujours pour ligne de front cette idée qu'entre la dite chose folle et la chose artistique, la frontière est ténue, délicate et que cela doit nous donner l'optimisme de penser qu'aucune folie n'est réductible à sa nomination dans un dossier psychiatrique ou matricule médical, pas plus qu'aucun artiste n'est indemne de cette traversée vers l'altérité radicale.
Dès lors ce qui se joue, c'est une rencontre entre des êtres qui peuvent ou pas partager, exposer, faire vivre ce qui les tient. Faire des dialogues philosophiques avec eux est un faire-à-l'oeuvre tout autant artistique que thérapeutique. C'est un acte de veille, de résistance. C'est ainsi que tous nous le concevons.
Revisiter le principe de leur autobiographie et le mettre en perspective dans une généalogie philosophique , faire se répondre et dialoguer les identités comme si chacun redonnait à travers son Curriculum Fictae une autre épaisseur d'archives à sa propre existence, telle est la marche de nos Dialogues Philosophiques.
Nos ateliers confrontent la singularité de l'histoire de ces personnes - ayant toutes rencontré le pouvoir psychiatrique sous la forme d'un diagnostic - à la pertinence propre de la philosophie face à ces questions-limites que sont les problématiques de la norme et de la folie.
Si l'on s'inscrit dans une définition où la philosophie pense le réel et l'homme dans une subversion de son sens commun, elle ne cesse dans ce travail de retournement radical de mettre en crise ce que nous nommons habituellement les "territoires de la norme", et ce qui est censé s'en éloigner.
Or l'anormal pour le philosophe de la grande santé nietzschéenne est celui qui se borne à faire le chameau ou l'âne, donc à porter sans regard critique le poids du monde et à y acquiescer sans vertu.
La vertu de toute pensée philosophique qui se met au labeur de ses traces et au travail de son propre courage est une vertu de dissidence. Elle consiste par conséquent à ébranler et inquiéter sans répit les vieilles dichotomies orthodoxes telles que celles du normal et du pathologique.
Dans toute l'histoire de l'antiquité où la philosophie se vivait en tant que manière et modalité de l'existence, art, style et position de l'âme, la figure du philosophe n'est-elle pas ce personnage é/norme, comme l'écrivait Sarah Kofman de Socrate, portant l'hérésie à fleur de verbe. Un hérétique donc qui rompt l'ordre et la rumeur des normes quand elles ne sont que la pure effigie d'une idéologie aliénante.
De là, au GEM des amis de l'Atelier du Non-Faire, nous tentons la force de subversion et de conversion des dialogues philosophiques pratiqués avec ceux-là même que la société a coutume de laisser à la marge, ceux que le pouvoir psychiatrique a identifié hors champ de la raison, et qui vont précisément mettre la leur à l'épreuve dans l'acte du dialogue.
Depuis six ans nous revenons à l'ouvrage, déclinant les propres insistances des patients dans la perspective des textes et concepts de l'histoire de la philosophie.
Nous avons par exemple refait le chemin du stoïcisme avec ce que cette pensée peut apporter de clarté et de fortification de l'âme. Si l'on suit Epictète, nous sommes tous malades de nos passions et cependant doués des semences de la raison.
L'éducation stoïque, nous nous la sommes proposée, comme une vraie thérapeutique. Savoir faire le distinguo entre ce qui dépend de nous : la raison, et tout le reste. Savoir toniquement ne dépendre que de ce qui dépend de nous. Vouloir savoir notre raison et pouvoir n'être que cela, athlète rationnel, fragment uni au Grand Tout lui-même totalement régi par la Raison Universelle. Cette pédagogie vertueuse décline les possibilités d'une prophylaxie optimiste et praticable immédiatement, pour ceux qui dès lors commencent à sentir que la folie ou la maladie ne sont pas un destin, ni non plus l'unique valeur de leur identité.
Les tremblés de l'identité, ses métamorphoses et ses plasticités, ses rythmes et ses trajectoires sont au coeur de notre chantier.
Les dit "usagers en psychiatrie" redeviennent par l'exercice du dialogue philosophique des citoyens d'"un penser ensemble", celui que nous tissons, citoyens d'un Nous, mais davantage encore, acteurs, "conscience qui s'exalte quand la vie appuie vers l'activité libre" écrit Bergson, sujets énergiques et non plus atones de leurs propres archives.
C'est de tout ce mouvement instruisant à la fois un processus dialectique, une sculpture de son autobiographie et un soin des archives de soi dont les Dialogues Philosophiques se font les témoins.
Les Dialogues de la Terrasse du vague à l'âme constituent le déploiement écrit de ces Ateliers avec l'un des membres du GEM, Vincent Poulin.
Exercices d'un corps de lettre, herméneutique ou phénoménologie du quotidien, ils se sont accouchés d'un l'être à l'être mutuel entre Vincent Poulin et moi-même, mettant au jour les points de sagacité en même temps que les ancrages authentiques qu'un tel cheminement a produit.
Vincent Poulin le répète souvent dans ses mails : la philosophie le soutient et nos écritures font alliage et tissage dans ce qui permet la trajectoire d'une vie philosophique : c'est-à-dire une certaine persévérance dans un corps-trace, une certaine allure dans le maintien d'une invention et décision de soi.
Foucault disait que la folie c'est l'absence d'oeuvre. En même temps, toute vie vraie implique un bouleversement des coordonnées de ses soucis et choix. Toute vie vraie exige une vie autre, une dérivation, un appel à un autre monde. Ces dialogues sont des propositions biographiques d'un faire-trace pour désoeuvrer la folie.
La parole de ces Dialogues chemine vers un dire-vrai; quelque chose s'y entend de la parrésia de Socrate, un certain courage de la vérité comme l'analysera Foucault dans ses cours de 1984 au Collège de France. Le courage d'un franc-parler depuis sa haute altérité, la patience de la vie même, une vie pour la vérité.
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES DE LA TERRASSE DU VAGUE À L'AME
Vincent Poulin a écrit, le 27/05/07
Bonjour Violette
Il pleut, je suis à Nanterre. Cette boutique internet est un pôle quotidien d'activité de ce coin de banlieue. Je suis assez seul aujourd'hui et j'ai acheté le journal comme souvent pour savoir plus loin que le comptoir du café PMU. Bien sûr je me sens seul dans cette ville où je n'avais jamais habité. Bien sûr j'aurais bien fait il y a 20 ans d'aller faire quelque chose à la fac. Bien sûr, mille regrets, comme tant en ont.
Je m'ennuie comme tant d'autres. J'ai entendu dire qu'il y a eu mai 68 parce que la France s'ennuyait. Ce n'est pas tout.
Je pense avec inquiétude au cas Jean Genet auquel je me suis plusieurs fois intéressé notamment après mon voyage en Grèce et une approche du monde homosexuel et j'ai trouvé tant de récits, d'interprétations et de commentaires sur le sens de sa vie et ses engagements politiques après sa rencontre de Sartre, il se pose le problème de savoir si l'on veut juger quelqu'un sans être un omniscient (alias Dieu en personne), et du discours, des discours fournis et diffusés par les médias, modelant des opinions publiques, donnant du sens particulièrement à certains événements, en tant qu'actualité d'une histoire qui défile et qui se joue encore dans les plus grands dangers pour tout le monde, pour ce qui concerne la continuation de la vie sur terre.
Je n'aurais pas le temps d'y penser autant si j'avais souvent une fille dans les bras et je m'en suis souvent plaint à l'hôpital. J'entends depuis la cabine téléphonique derrière moi une musulmane qui téléphone probablement à sa famille, je suis dans un quartier calme et je lisais tout à l'heure le monde du dimanche qui ne m'incline pas à rester dans un quiétisme béat. C'est ainsi, la vie continue encore, c'est presque une surprise, le ton monte dans la cabine derrière moi. En faisant la manche ce matin dans la rue Maurice Thorez je cherchais si c'était le Bouville de Sartre, si la réalité c'est ce que nous y projetons, sauf que si je meurs d'un accident imprévu, il y aura toujours une réalité sauf moi.
Tout cela ne me gêne pas plus que de savoir qui je suis et aussi s'il y a un ce que je suis (ce être soi- même aliéné et pourquoi pas révolté). Aliéné par nous-même, les autres soi, les autres chacun pour soi, autrui nous même ou quoi, de quel droit on m'empêche.
Je n'ai plus assez d'argent pour continuer sur cet ordinateur, au revoir et à bientôt.
Nanterre 2007 (versus regret 87)
Violette Villard a écrit, le 31/05/ 07
Ciao Vincent,
N'imagine même pas de regretter aujourd'hui de n'avoir fait il y a 20 ans ce que tu ne pouvais faire puisque tu n'en avais pas alors l'imminence, on ne peut regretter ce qui n'a pas même encore forme d' intention, et remonter aux origines de l'intention c'est crucial mais c'est au présent de la quête que l'on devient intentionné et l'inspiration monte de cet effort vers l'insu, tu sais je crois très fort qu'on prend pour du regret ce qui est juste une nouvelle advenue de nous-même, une maturité du maintenant, une des infinies souplesses de notre être à prendre la métamorphose comme vraie peau de soi, donc pas de regret sur Nanterre 87, puisque tu fais aujourd'hui ton Nanterre 2007 et ce faire là nul doute réécrit avec panache et nostalgie celui où tu n'étais pas encore le témoin, seulement le passant.
Walter Benjamin écrit que le Maintenant est l'image intime de l'Autrefois, somme toute y a-t-il vraiment du jadis, de l'autre-fois où n'est-ce pas toujours le re/but du récit, un temps romanesque propre à fabriquer l'essence de la mémoire : le regret matrice à mes moires et il lui en faut à la mémoire d'essence, donc de regret pour brûler vive.
Alors brûlons de cet ennui dont tu parles qui ne peut être que l'autre versant de cette occupation où nous nous débattons à far/fouiller les trottoirs pour faire miroiter l'âme du caniveau ou de la lune, comme Beneix pouvait la filmer en ces temps où une nécessité lui pendait à l'amour, l'ennui donc bon déclencheur de labeur pour oublier sa torpeur et sa dérive, j'aime beaucoup que tu dises l'essentiel : je n'aurais pas pensé à la douleur du monde si je n'avais souvent une fille dans les bras, nous ne penserions à rien moins qu'au monde si nous avions l'amour à bout de bras, alors pas pire anti-monde que l'amour et pas meilleur anti-oxydant à sa vieillesse, va-t-on juger quelqu'un qui essaye l'amour plutôt que le désespoir, peut-on juger quelqu'un sans être omniscient, va-t-on savoir s'y prendre, non bien sûr et c'est toute la Question Humaine que tu poses, celle d'une éthique tronquée mais non point abdiquée, où il s'agit peut-être comme le disait Spinoza davantage de comprendre plutôt que de juger, mais en même temps juger c'est prendre parti, se placer dans le parti de l'être quel que soit sa friabilité, quel que soit son défaillir et ses trous de savoir, nous sommes au trou du savoir mais nous tenons le coup dans cette énigme et cette inspiration du regret, le revoilà à l'assaut de nous à nous tapoter l'épaule d'un : "Je sais bien ; et ce que je ne sais pas, je n'en veux rien savoir pour ce qui est de son contenu ; mais quand même je pressens - à jamais- que je ne sais pas bien", c'est le paraphe que Laplanche indique, la voie non pas du non-savoir, ni du non-regret, mais du maintenir en tension de l'un et de l'autre dans un mouvement fou de respiration, d'aspiration des Saint Genet et martyres de Sartre et baroques de toi Vincent, qui avance dans ce souffle, et fais monter le vent de Nanterre 007
Par tous les cieux courageux,
VV
Vincent Poulin a écrit, le 31/05/07
Je continue Violette. Ne prends pas cela pour du harcèlement. Pour ce qui est du divan, il y a une psy qui m'écoute régulièrement. Tout à l'heure j'ai aperçu Noah Porte de Saint Cloud, sans personne pour l'isoler du public, ça m'a donné une bouffée d'optimisme sur ce qui se trame. Je m'accroche à cette correspondance d'avec toi pour ne pas sombrer. Sombrer le regard sombre et les idées noires, moi qui n'aimais tant que la couleur, c'est à dire les couleurs. J'imagine un moment festif où je serais amerri, où je tomberais (toc) comme j'aimais risquer lorsque je faisais de l'escalade.
Il s'agit d'amener les suites des temps passés, des temps perdus retrouvant un sens dans une postérité qu'ils ignoraient et non faute d'espoir et de désespoir. Il s'agit de ressaisir des destins brisés pour le futur. Comme en escalade, tenir sans lâcher prise encore. Il doit y avoir un je ne sais quoi, aller même jusqu'au complot ou quelque chose de transgressif.
Je vais relire Duras, la douleur notamment. Je dois retrouver là où j'ai trop biaisé, là ou je n'aurais pas dû trembler, là où j'aurais dû trembler, quand j'ai perdu le fil de ma chance, de mes chances nombreuses, quand j'ai tout fui et tout fichu n'importe comment. Je crois savoir comment renouer, me relier à une vraie vie à nouveau. (Mes rêves d'éternel sont amusants parfois, ils sentent l'encens d'église)
J'aimerais savoir dire adieu avant de me tirer une balle, comme dans les westerns, avec panache et sans lendemain, et me réveiller après 12 mois de coma dans une clinique neurologique en Californie, puis tirer sur les photographes de la presse People et en tuer plusieurs, puis passer trente ans dans le couloir de la mort, puis avaler une dose de cyanure 5 minutes avant que mon avocat ne m'amène le décret de grâce de la Cour Suprême.
Bref j'ai beaucoup souhaité avoir une vie extraordinaire. Pourquoi? Mystère complet.
Il y aura un lendemain sans rien, et avant jamais tout.
Vincent Poulin a écrit, le 1/06/07
Bien reçu au vague à l'âme. Evidemment W Benjamin est une référence pour ce qui est de l'histoire en tant que drame au milieu de tous. Evidemment je me sens un peu arnaqué parmi tant d'autres. Bien sûr je tiens encore à cette vie bien que vacillant aujourd'hui. C'est l'estomac qui défaille. Non pas de famine mais d'avaler tant de couleuvres. Et Marianne de me dire de penser plutôt à moi, comme on me disait maintes et maintes fois ici où là, en quelque sorte d'être égoïste. Combien de fous que j'ai rencontrés se prenant pour Jésus, combien sommes nous dans une quête du bien, de tous ces rêves d'enfants allant à l'église le dimanche, rêves de paradis voués à se transformer en un confortable intérieur familial le jour où le quart d'heure d'idéal est celui du jour d'aller voter. Alors il est temps parfois de lâcher prise, de reprendre son souffle, de retrouver un peu d'assurance. Peut être songer à mon compte en banque, ou quelque chose d'ordinaire comme le pain quotidien. Tout cela est normal, quasi biologique, la vie quotidienne. Je suis déçu aujourd'hui, un peu amer : tout est un peu médiocre pour moi. Un ennui insidieux, je n'arrive pas à trouver le mot, un peu un genre d'arnaque. Ca doit être la lecture du journal, une grisaille lettrée qui me tient au ventre, chez les miens le problème il est viscéral, un genre de noyau dur dans le cou, un mal tenace comme une maladie incubée, un genre de maladie mentale. Alors ?
Savoir tout, savoir tout lire, rêveries absurdes d'autodidacte! Je voulais être le plus fort, le plus grand, le plus intelligent. La vie s'est chargée de me faire vérifier. Ce devenir adulte-réaliste qu'on me voulait, moi qui tantôt oui tantôt non-vouloir, toujours dans schéma de thème astral, poursuivi par des souvenirs compromettants, parfois tranquille, parfois harcelé, toujours dans des atermoiements entre révolte et soumission, là où je ne voulais pas être et aussi dans les mensonges des autres là où je voulais vivre. Ce soir je ne suis presque rien, et si je n'étais plus rien ce serait plein, la pleine coupe d'un calice au moins amer en guise d'être.