Revue

Canada : enseigner la philosophie en contexte pluraliste, c'est poser la question du sens

L'auteur propose une réflexion intéressante sur les tensions entre enseignement de la philosophie, éducation traditionnelle, éducation nouvelle et question du sens.

Introduction

Le mouvement moderne d'émancipation de l'individu, qu'on peut faire remonter à la Renaissance et aux Lumières, s'est déployé sur deux plans : par une réflexion sur les conditions matérielles et sociales de l'existence, ainsi que par la promotion d'un idéal d'éducation. L'éducation, "atelier de l'humanité" pour parler comme Comenius, a contribué à l'orientation globale de l'humanisme moderne; elle en est même, avec la morale et la politique, la force motrice, celle qui doit former, par les savoirs et la culture, des individus autonomes et responsables1.

L'objectif visé par cette réflexion critique est de montrer qu'il y a dans les savoirs que les élèves s'approprient en vue de leur autonomie un principe d'autorité. Certes, la dialectique de la liberté et de l'autorité n'est pas le dernier mot de l'éducation. On s'en gardera bien. Une telle prétention se heurterait à de trop grandes difficultés2. Mais elle est à mon sens un thème récurrent dans la pensée éducative en Occident, depuis les sophistes, Socrate, Platon et Aristote, jusqu'à Dewey en passant par Érasme, Rousseau, Kant, Condorcet, Hegel, Alain, Arendt, Montessori et A. S. Neil, pour ne citer que ceux-là3.

Or, la question cruciale qui se pose, mais non la seule toutefois, au pédagogue contemporain et en l'occurrence au professeur de philosophie, est de savoir comment, dans le contexte pluraliste qui est le nôtre, articuler la notion d'autorité - comprise ici comme véhicule d'un sens commun de références et qui est le propre de celui qui transmet - et celle de liberté - laquelle est la caractéristique de tout nouveau venu avec sa part d'imprévisibilité et d'indétermination. Pour le dire autrement, comment mettre à contribution le souci de valeurs spirituelles supposées jouir en tous temps d'une vocation conciliante et unificatrice - lorsqu'il s'agit par exemple du droit au respect, de l'égalité des chances, de la dignité de la personne, de la valeur de l'existence - pour une réalité pouvant se manifester au travers d'histoires éclatées et sans connexion à de communs parcours ? En d'autres termes, comment poser une exigence morale et universelle aux cotés de réalités, d'identités, de pratiques, d'expressions de soi, de manières particulières de vivre et de voir dont les déploiements, tout en étant relatifs, sont bien effectifs et doivent, à ce titre, être pris en compte dans le cadre d'une éducation humaniste (une humanitas) digne de ce nom ?

À vrai dire, cette question, une parmi tant d'autres qui taraude en permanence le métier d'enseignant, relève, mais non exclusivement, du domaine de la philosophie ou de l'histoire, ou encore des fondements de l'éducation en tant qu'espace critique permettant de mieux appréhender certaines idées reçues. Un secteur malheureusement trop souvent relégué au second plan par les experts de la pédagogie, davantage centrés sur les techniques de gestion de groupe et sur les moyens par lesquels il faut transmettre que sur le savoir lui-même, un savoir réflexif4 ; mais un secteur qui possède encore toute son importance dans le cadre d'une réflexion approfondie sur le développement de la personne et sa capacité politique de jugement au sein d'un espace public commun, réactualisé et éthiquement fondé.

Compte tenu de la question du sens qui est impliquée par un tel questionnement - et sans lequel, comme nous le suggère la vie et le destin de Socrate, tout savoir, toute connaissance, si fondamentale soit-elle, n'est que sécheresse d'âme5 -, la problématique évoquée ici suppose une solution adaptée, tant à rebours du moralisme que d'une liberté sans règles. L'oeuvre éducative nécessite patience et finesse, et en ce sens elle peut s'apparenter à une véritable oeuvre artistique, poétique. Comme le dit Mounier, "tout le secret de l'éducateur est de passer entre les deux écueils de l'autoritarisme et du relâchement"6. Une telle approche permet à mon sens de transcender par le fait même les clivages idéologiques qui divisent tant les partisans de l'école traditionnelle et les défenseurs de l'école nouvelle et de repenser à neuf la tâche de l'éducation, qui est au demeurant, faut-il le rappeler, politique au meilleur sens du terme ; voire transpolitique, dans la mesure où, via l'école, l'éducation est non seulement un "conservatoire de valeurs" et de "pratiques morales"7, mais pointe également vers des questions sur la personne humaine qui transcendent le fait d'exister et de vivre en société : Qu'est-ce que l'homme ? Pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien ? Quelle est la valeur de l'existence ?

I. Doit-on parler d'une autorité des savoirs ?

Grand débat donc que celui de l'autorité des savoirs, qui renvoie à la fonction même de l'école, et qui va de l'éducation à l'enfance jusqu'aux études supérieures, sans oublier la formation à long terme ou continue (l'éducation permanente), et celle dispensée aux adultes8. Durant ce parcours, on apprend des situations de vie, une formation intellectuelle, une profession technique, un parcours professionnel, etc. Or, toutes les formations ne se valent pas, dit-on souvent, en termes de développement des intelligences. Sur ce plan, partisans de l'éducation traditionnelle et promoteurs de la pédagogie nouvelle s'entendent, bien que ce ne soit pas pour les mêmes raisons. Pour les uns, les partisans de la tradition et ceux de la culture classique9, un bon système d'éducation doit donner les moyens d'acquérir une culture apte à pouvoir penser de manière critique et ouverte sur le monde, à être autonome et à assumer des responsabilités citoyennes ; pour les autres, les partisans de l'éducation nouvelle (0, notre système éducatif accorde trop peu de place à la capacité d'intervention sur le monde au point d'affaiblir les activités constructives d'intelligence, et d'enfermer l'apprenant dans un savoir académique ayant une faible emprise sur les réalités. Au final cependant, tous admettent la nécessité d'une réflexion critique et de repères théoriques pour une méthode de travail et d'apprentissage, qui tienne compte des capacités et du potentiel de développement des uns et des autres. Car "une méthode n'est rien sans la finalité qui l'habite et oriente son pilotage"11.

Certes, dans la question initiale de l'autorité des savoirs, il y a un danger réel qui serait de limiter le débat sur la question à un examen de type quantitatif : quels sont les vrais savoirs ? Lesquels faut-il transmettre ? Pourquoi faut-il en privilégier certains plutôt que d'autres et au nom de quoi ? Non pas que cet exercice ne soit utile dans certaines circonstances. Seulement, quantifier les savoirs à transmettre peut aussi vouloir dire faire l'impasse sur la nature même des normes de transposition didactique qui, une fois que sont déterminés les savoirs à enseigner en vue d'un programme précis et d'un niveau d'étude, interviennent dans l'écart entre les savoirs savants et les savoirs enseignés. Or, existe-t-il réellement une légitimité des savoirs ? Si oui, sur quel(s) critère(s) fonde-t-on cette légitimité ? Sur l'habitude, la tradition, les valeurs particulières et les besoins identitaires d'une société ?

À vrai dire, on ne peut qu'admettre ici, comme beaucoup d'autres, que toute norme, tout savoir, si objectif soit-il, est porteur de valeurs et de préjugés, implicites ou non, qui ont à leur tour des implications éthiques et culturelles12. Si éduquer, enseigner, transmettre sont un éveil humain, une ouverture au monde et à la totalité, il n'est guère facile d'apprendre à voir et à choisir sans réduire d'une certaine manière la volonté de celui qu'on veut éveiller13.

II. Socrate ou l'autorité comme conscience de soi et ouverture sur la transcendance

La philosophie n'échappe pas à ce dilemme de légitimité des savoirs. Toutefois, il me semble qu'elle y répond d'une manière tout à fait originale, par un déplacement de la question de l'autorité à celle du sens des savoirs. Qu'est-ce à dire exactement ?

Comme j'ai pu le laisser entendre en introduction, déjà en son temps, Socrate s'est heurté sur ce point aux sophistes14, notamment au sujet d'une connaissance transcendante (une essence) des lois qui s'appellerait Sagesse, Vertu, Justice, et qu'il faut connaître autant que faire se peut afin de bien se comporter, dans sa vie privée comme dans la vie publique. À vrai dire, c'est une vraie réflexion sur ce qu'est apprendre à apprendre que nous livre ici Socrate.

Ce dernier est en partie d'accord avec les sophistes quant à l'idée qu'il existe une nature humaine douée de raison15, et par conséquent désireuse de connaître par-delà l'ordre et les lois établies. Ce sentiment est commun à tous les hommes et il est en soi une forme de vertu (courage) et d'amour pour la connaissance. Cependant, contrairement aux Sophistes, il évite de tomber dans le piège du relativisme moral et tente plutôt de montrer qu'il y a des choses venant des lois qui dépassent l'interprétation qu'on peut en faire ou la connaissance qu'on peut en avoir. Ainsi, Socrate ne valorise pas l'homme pour la raison que les dieux n'existent pas, mais plutôt parce que les limites de l'homme relativement au divin imposent que l'on s'occupe de cultiver nos facultés dans les bornes de ce qui nous est donné. Tout en valorisant l'esprit critique, Socrate invite à faire un examen de conscience de soi-même et de sa place dans la cité, en s'appuyant sur le fait que, d'après lui, les lois, qu'elles soient bonnes ou mauvaises à nos yeux, sont comme une sorte de seconde nature. Elles sont certes de pâles reflets de la Vérité, mais ce sont les seuls repères dont nous disposons pour y accéder.

Tout comme dans le Charmide, le Protagoras, l'Hippias mineur, ou encore dans le Clitophon, Socrate va distinguer la technique et la sagesse. En fait, pour lui, rêver d'une science au service de l'individualisme, une science comme celle que revendique Charmide16, capable de reconnaître à tout individu des compétences et ainsi lui assigner une place dans la société afin qu'il puisse concourir au bonheur de celle-ci, cela est complètement futile et illusoire. Pourquoi ?

Ce que Socrate refuse aux Sophistes dans leur réappropriation du "Connais-toi toi-même", c'est une prétention à l'individualisme et au commandement : soit la croyance qu'un savoir-faire permet d'atteindre une fin déterminée, d'acquérir un objet ou d'obtenir un résultat. Pour lui, le "Connais-toi toi-même" est d'abord une invitation à réfléchir, non pas sur la puissance de l'individu, mais sur le mystère de la condition humaine (la personne humaine). La technique est incapable de nous indiquer la fin dernière de notre condition ; seule la philosophie peut nous en rapprocher en nous invitant à réfléchir. "Une science, ou une technique, ne peuvent nous donner qu'une puissance utilisable (...) dans certains cas, mais non absolument utile"17.

Or, si l'on a, certes, dans la devise toute socratique selon laquelle "nul n'est méchant volontairement"18, le souci d'une conformité aux lois communes, si imparfaites soient-elles, cela ne signifie pas pour autant qu'il y a soumission aveugle de la part de Socrate. À cet égard, certains passages du Criton19 relativement à la prosopopée des lois sont particulièrement éclairants. Socrate a su le montrer dans la façon dont il a accepté la sentence de mort par les juges athéniens, et par le refus qu'il a opposé à ses amis qui le lui proposaient sur un plateau en or, de s'évader de prison. Le paradoxe tient peut-être à la complexité de la condition humaine représentée ici par Socrate. Il consiste en ceci : choisir, comme l'a fait Socrate, l'obéissance aux lois de la cité, et donc se conformer à l'ordre social et positif, tout en se vengeant contre les juges en leur léguant son corps, sa propre mort20. C'est ce qui permet de dire que Socrate fut à la fois en accord avec lui-même et avec la Cité. Mais on peut aussi y voir, dans le Criton, une manière de dire qu'on ne peut réformer des lois (injustes) que de l'intérieur...

Que nous enseigne au juste cette expérience historique ? Non pas que le savoir soit d'une évidence indiscutable, de la même manière que 2 + 2 = 4. Bien au contraire. C'est d'abord que la fondation de tout savoir - entendons ici, à l'instar de l'Euthydème et du Lysis, un savoir capable à la fois de produire (un art) et de bénéficier de ce qu'il produit (une science) - repose sur une conquête difficile, empruntant des sentiers parfois sinueux et escarpés. Pour Socrate, le savoir doit sa raison d'être à une conquête sur le doute, sur le flou, sur l'impossible, et même sur des contre-évidences se revendiquant du sens commun et du bon sens. Né de l'incertitude, il doit de surcroît affronter l'incompréhension de l'opinion, voire le rejet et l'illégitimité. Ainsi donc, il ne suffit pas d'affirmer par exemple qu'il existe une justice éternelle - sur ce point Socrate est d'accord avec ses détracteurs sophistes -, il faut oser aller jusqu'à sa source, sortir du pragmatisme, aller au-delà des caricatures, sachant par ailleurs que le chemin qui nous y conduit est plutôt long21. Autant s'y faire ... et accepter que la quête du savoir, posée moins en son résultat qu'en sa raison d'être, est une sagesse irréductible à toute considération pragmatique et technique, à tout psychologisme et évidence trompeuse.

III. Comment conférer un sens au savoir ?

Quel rapport demandera-t-on de nouveau avec la problématique qui me retient ? Je dis que si l'on veut affronter efficacement certaines difficultés quotidiennes - gestion de la classe, problèmes de discipline, troubles d'apprentissage, programmes à respecter, difficultés à solliciter les potentiels d'intelligence et d'invention dont chaque élève est porteur - auxquelles sont confrontées, à tous les niveaux, les institutions d'enseignement et de savoir (écoles, collèges, Cégep, Lycées, universités), ce n'est ni sous la forme d'un retour à un ordre moral - du genre : "il faut rétablir la loi de la République à l'école" -, ou par un appel nostalgique au passé - tel que : "les choses allaient beaucoup mieux avant" -, ni par un accroissement de réformes qui, l'expérience suffit à le prouver, sont parfois contraires au but avoué d'améliorer l'éducation22. À défaut d'être l'unique clé de la solution, je dirais qu'une partie de la réponse, tout au moins, aux problèmes que je viens d'évoquer dans l'éducation, trouve sa source dans l'excellence pédagogique, c'est-à-dire dans ce que le philosophe-pédagogue de Platon, Socrate, propose comme "conversion" philosophique en vue de se libérer des passions et devenir souverain, à savoir : apprendre à tourner l'oeil intérieur de l'âme, c'est-à-dire l'esprit, dans la direction convenable pour qu'il réagisse le mieux possible aux données de l'expérience23. Ainsi, savoir et culture, loin d'être l'évocation de choses mortes, deviennent alors le produit de l'émerveillement et de la découverte, que tout éducateur se doit d'entretenir24.

Vu sous cet angle, ce n'est plus alors la question, si contestée et contestable pour certains, de l'autorité des savoirs que l'on transmet qui doit être revisitée et débattue ; c'est plutôt celle du sens impliqué par l'acte d'éduquer et de transmettre le savoir.

Mais se pose alors aussitôt une autre question cruciale : Comment, pour l'enseignant, conférer un sens au savoir ? Ou plutôt : Comment créer, entretenir et apprendre à partager le sens résultant d'un savoir ? Chose certaine, comme le stipulent Hans Jonas et Hannah Arendt dans la foulée de Kant25, nous Modernes, sommes toujours en présence d'une métaphysique du sens, mais néanmoins dépourvus d'arguments (théologiques, rationnels, scientifiques) capables d'en justifier le contenu, car il s'agit d'une chose tout simplement impossible à démontrer.

Si l'on considère que la philosophie n'est pas uniquement une spécialité, c'est-à-dire une matière concentrée sur les auteurs qui forment ce qu'on nomme dans le monde académique l'histoire de la philosophie; qu'elle est "inséparable de toute pédagogie qui ne se borne pas aux moyens"26, brassée qu'elle est par des questions essentielles auxquelles elle tente de répondre par un travail toujours à renouveler, d'aucuns admettront que, tout autant que le philosophe enseignant lui-même qui en a la responsabilité, cette question métaphysique du sens n'interpelle pas moins au premier chef les apprenants eux-mêmes, pour lesquels la formation philosophique, ai-je déjà dit en introduction, est fondamentale pour leur culture générale et leur esprit critique ; ceci dans la construction, par eux, de problématiques conceptuelles qu'ils ont à mettre en oeuvre et à formuler.

Comment ignorer en effet, depuis Socrate, les sophistes et Platon, ce que le savoir et la culture de manière générale doivent aux défis d'ignorance et de fatalité ? Comment oublier que c'est parce que la quête des savoirs a su relever ces défis pour une bonne part, que l'acte d'éduquer peut encore avoir une fonction émancipatrice, pour parler comme John Dewey et Montessori27, en plaçant l'apprenant dans une situation où c'est lui qui impulse, questionne, agit, construit, de concert avec les autres ; bref développe ses propres capacités à traduire le savoir, et à le traduire de telle manière qu'il ne se pose plus négativement, comme un obstacle, une ordonnance ou encore comme un fardeau toujours plus lourd à assumer, mais comme un questionnement permanent sur ce qui fonde son existence, son humanité, ses valeurs ? À cette condition seulement, il peut y avoir une transposition didactique d'un savoir qui ne soit pas falsification, mise en boîte de la pensée de celui qu'on éduque au point de rendre ce dernier passif, dans une dépendance qui n'a d'égale, aux yeux d'un homme éclairé comme Kant29, que l'ignorance et l'esclavage.

Conférer sens au savoir, c'est donc à la fois lui restituer sa dimension éthique et culturelle, et voir en cette dimension non pas une simple valeur ajoutée, mais une donnée constitutive des conditions d'émergence de tout savoir - et sans doute aussi d'une autorité comprise comme exemple, ou à la manière d'un principe ou d'une maxime librement choisie et acceptée29.

Toujours est-il qu'en tant que discipline destinée à favoriser "une pensée critique lucide, rigoureuse et exigeante" - à partir et au sujet de l'homme et du monde -, la philosophie, amour de la sagesse pour les Grecs, tente de répondre tant bien que mal à cette dette du sens. Comme j'ai pu le dire auparavant en citant la figure légendaire de Socrate, tout le travail du philosophe consiste, par un questionnement incessant et toujours à renouveler, à produire du sens - les questions étant sont souvent plus riches que les réponses comme dirait Karl Jaspers30. Parce que porteur d'une signification nouvelle, dans et en rupture avec le contexte de sa genèse, toute question philosophique est susceptible de ramener à ce qui, pour l'élève, dans son apprentissage, est en voie de faire sens, à la fois avec et en rupture avec son propre univers mental.

En quelque sorte, à travers la question du sens dont est porteuse la philosophie, sont mises en synergie et font écho entre elles, dans un maillage où sont impliqués à la fois le travail de la raison et celui de l'imagination, et quoique dans des formes et des situations aussi différentes les unes que les autres, les forces créatrices, historiques et spirituelles de l'humanité qui ont produit tel ou tel savoir et celles des apprenants eux-mêmes en voie de développement et d'émancipation. Mais s'y ajoute naturellement, dans cette recherche fondamentale du sens, cette autre dimension importante, celle que j'évoquais auparavant en citant Kant sur le respect et la dignité de la personne et qu'on trouve aussi exprimée chez Descartes dans son Discours de la méthode31, à savoir que penser ne se peut sous le joug de quiconque (tradition, préjugés, opinions, secte, gourou détenteur du savoir)... Car la vérité n'est pas une évidence incontestable, irréfutable.

Ce penser par soi-même, et non pas pour soi-même - manière d'être et de faire qui a pour effet de nourrir une confusion dommageable et d'acculer au pied du mur toute la pensée occidentale moderne32 -, reste donc toujours possible, dans la mesure où cette activité repose sur des faits de pensée et d'action. Comme le dit pour sa part H. Arendt, toute pensée authentique est "liée à l'événement comme le cercle demeure lié à son centre"33. Tel que le suggère l'exemple de Socrate, pour mener à bien une pensée philosophique riche et autonome, il faut l'affrontement avec les doutes et les contradictions de soi-même et des autres. Non pas pour supplanter quiconque, seulement pour apprendre collectivement davantage, dans la résolution non violente des conflits et des points de vue opposés - idéal de respect et de fraternité si cher à Dewey, Montessori et Janusz Korczak34 -, comment écouter, argumenter, décider, ne pas lâcher prise au savoir, qui se construit au même moment que viennent s'y heurter de multiples résistances.

C'est seulement ainsi, par et à travers le dialogue et l'échange, que peut émerger un sens35, qui soit à la fois véhicule de valeurs pour sa propre existence et ouverture sur la transcendance. Car "il n'y a pas d'humanité au rabais, simplifiée et débarrassée de ses difficultés propres"36. Comme dit Jaspers, "pour l'entendre et ne pas se tromper, pour éviter de l'accaparer pour soi (...), on a besoin de la communication d'homme à homme"37.

IV. Transcender les clivages idéologiques

Il me semble que c'est encore la même quête socratique du sens qui est présente dans "l'auto-socio-construction du savoir"38, tant défendue par l'éducation nouvelle et les sciences de l'éducation de manière générale, et qui donne à cette démarche une dimension de sens formatrice à la culture et à la démocratie dans un contexte pluraliste.

Ainsi, à tous ceux qui estiment que le corpus d'enseignement traditionnel et classique est moribond ; que sa prétention d'exprimer une dimension universelle de l'homme ne saurait recouvrir totalement d'un point de vue moral et humain ce qui fonde et constitue notre condition humaine; et qu'il doit pour cette raison céder sa place à un humanisme qui convienne à notre temps, il faut répondre que c'est une chose sur laquelle tous, à commencer par les partisans de l'école classique eux-mêmes, peuvent s'accorder. À vrai dire, cette critique ne résiste pas un seul instant à l'examen. C'est un procès d'intention, ou plutôt une contrevérité qui cache un nouveau dogmatisme.

S'agissant de la question du sens, pas moins que l'enseignement classique, la pédagogie nouvelle tout comme les sciences de l'éducation39, ne peuvent revendiquer pour elles seules le monopole d'une question de cette ampleur qui touche le fondement même de notre humanité et de notre vie commune. Tout simplement parce qu'il n'existe aucune certitude relativement à une telle question dont la pédagogie et la pensée éducative contemporaines seraient détentrices ou dépositaires.

C'est qu'en fait, renoncer à la prétention de régler l'enseignement sur un idéal type, ne signifie nullement faire abstraction de toute norme, de toute valeur. Bien que notre modernité politique et éducative repose sur un pluralisme, alimenté à son tour par un relativisme culturel, fasse abstraction de toute forme d'autorité et de transcendance imposées du dehors, elle nous enseigne dans le même temps qu'il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de concevoir un autre modèle de culture quelconque sans succomber à la tentation de rétablir une certaine hiérarchie des valeurs et de goût40.

Conclusion

Cette communication prend appui sur mon expérience canadienne de professeur de philosophie et de formateur des maîtres d'école au Campus Saint-Jean de l'Université de l'Alberta. Sans prétendre que tout projet éducatif doive être essentiellement philosophique, les résultats obtenus avec mes étudiants tendent à confirmer que la pensée et un regard critique (c'est-à-dire la quête du sens) se doivent en tout temps d'accompagner le métier d'enseignant, dont la vocation ne saurait par ailleurs se limiter à la sphère étroite de la spécialité.

Conscient cependant que le philosophe n'est pas à l'abri de l'erreur et de l'illusion41, et que l'éducation est aujourd'hui indissociable de l'interpellation de la sphère socio-économique, du droit, de l'histoire, de la politique, de la psychologie, de l'anthropologie, seule une approche multidisciplinaire est susceptible d'orienter et de nourrir davantage la réflexion sur l'éducation et de permettre, tant bien que mal, d'acquérir au final quelque assurance dans la confrontation de questions spécifiques propre au métier d'enseignant.


(1) Cela dit, je n'ignore pas cependant qu'une différence existe entre la conception de l'éducation à la Renaissance, qu'on trouve par exemple développée chez Érasme, Rabelais et Montaigne, et celle qui se met progressivement en place à l'époque des Lumières, avec des penseurs comme Rousseau, Kant et Condorcet, dont les idéaux seront d'ailleurs repris plus tard par Pestalozzi et Hegel. La Renaissance, par la référence aux Anciens, s'attache de manière générale à définir un homme cultivé, un penseur, un esprit critique, un homme de Lettres ; tandis que le projet éducatif des Lumières vise la formation du citoyen. Je préfère pour ma part le moyen terme, sans doute trop réducteur pour certains, "homme responsable" afin de montrer la concordance entre les deux époques sur le plan de l'éducation.

(2) On s'épuiserait à vouloir essayer de dresser la liste de livres, revues, colloques et dossiers consacrés à un sujet d'essence culturelle aussi vaste que celui de l'éducation. En outre, les pratiques éducatives et les connaissances transmises par l'école sont devenues beaucoup trop hétérogènes pour rêver d'une science ou d'un savoir absolu.

(3) La Convention internationale relative aux droits de l'enfant, n'échappe pas non plus à ce dilemme. Formulée pour la première fois en septembre 1924, puis redéfinie en novembre 1959, pour finalement être adoptée trente ans plus tard, le 20 novembre 1989 par l'Assemblée générale des Nations Unies, ce traité, constituée de 54 articles, est le fruit d'une longue histoire que l'on peut certes inscrire dans la filiation d'Érasme, de Montaigne et de Rousseau. Mais il remonte en réalité au début des années 1920, à l'initiative d'un certain Janusz Korczak qui réclama pour la première fois à la Société des Nations une Charte pour la protection des enfants. Aux yeux de ses critiques, la Convention jouerait sur deux plans qui sont en réalité diamétralement opposés : d'une part elle stipule la nécessité de protéger l'enfant (Préambule), d'autre part elle insiste sur son "droit à la liberté d'expression" (Articles 13-1 et 14-1).

(4) Je fais mienne l'analyse critique et difficilement contestable sur ce point de Hannah Arendt dans son article consacré à "La crise de l'éducation", dans La crise de la culture : huit exercices de pensée politique, traduit sous la direction de P. Lévy, Paris, Gallimard, collection : Folio Essais, No 113, 1972 (1954), p. 223-252. À partir d'un cas, les États-Unis de l'après-guerre, H. Arendt, au même titre qu'un penseur de la pédagogie nouvelle comme John Dewey, que pourtant elle n'hésite pas à critiquer, montre à quel point la finalité et la dimension morale, humaine et universelle, à l'intérieur de laquelle s'inscrivent la pédagogie et l'hétérogénéité des savoirs, peuvent être noyées par une gestion bureaucratique de l'école. Ce qui fait, selon elle, de l'enseignant un "responsable du monde", c'est qu'il est détenteur d'une culture et de savoirs fondamentaux sans lesquels la promesse de nouveauté contenue dans l'enfant et la stabilité du monde seraient fragilisées. Le lecteur qui le souhaite pourra aussi consulter mon article sur le sujet : "Comment concilier autorité et liberté ? Au sujet de la crise de l'éducation vue par Hannah Arendt", dans Laval théologique et philosophique, Volume 61, No1, février 2005, p. 21-62.

(5) Allusion ici à Martin Heidegger au sujet de cette "science qui ne pense pas" ou ne se soucie guère de ses assises et de ses prémisses. Voir son Qu'appelle-t-on penser ?, traduit de l'allemand par A. Becker et G. Granel, 2e édition, Paris, PUF, collection : Quadrige, No 145, 1999 (1959), p. 26.

(6) Emmanuel Mounier, "Traité du caractère", in Oeuvres, Tome II, Paris, Seuil, 1974, Chapitre II, p.102.

(7) Voir Jean-Marie Domenach, Ce qu'il faut enseigner. Pour un nouvel enseignement général dans le secondaire, Paris, Seuil, 1989, p. 151, 155, 156.

(8) Faut-il rappeler que si, dans tous ces cas de figures, y compris dans l'éducation aux adultes, la question de l'autorité mérite d'être posée, c'est parce que l'autorité doit être comprise comme porteuse de significations, d'un horizon de sens à dimension éthique, culturelle et universelle, et non pas simplement comme une abstraction, un sophisme déguisé sous la forme d'autoritarisme ou encore un prétendu savoir apodictique agissant sous couvert d'un paternalisme ?

(9) Dont Érasme peut être considéré à plusieurs points de vue comme le guide spirituel moderne, en ce qu'il opère une synthèse entre la philosophie grecque et les saintes écritures. Cf. son ouvrage De l'éducation des enfants, Paris, Klincksieck, 1990. Du reste, on devrait sans doute parler d'"éducation traditionnelle" lorsqu'il s'agit de renvoyer à la pensée, à la culture et la religion venues des Grecs, des Romains et du christianisme. Tandis que l'expression "éducation classique", elle, devrait plutôt être utilisée pour faire allusion à la révolution pédagogique opérée à la Renaissance et aux Lumières, mais qui n'appelle pas moins un retour à l'antiquité et à la tradition.

(10) Avec Rousseau et son Émile, Dewey est sans doute le principal représentant. Cf. par exemple Démocratie et éducation. Introduction à la philosophie de l'éducation, Paris, Armand Colin, 1975.

(11) J'emprunte à Michel Huber, Inventer des pratiques de formation. Dynamiser un développement personnel et professionnel, Paris, Chronique Sociale, 2009 (page de couverture) ; ainsi qu'à Jean-Marie Domenach, op.cit., 1989, p. 152.

(12) On peut lire à ce sujet une grande héritière de l'éducation nouvelle, en France tout au moins, Odette Bassis, Se construire dans le savoir, à l'école, en formation d'adultes, Paris, ESF, 1998, et en particulier la Partie I, Chapitre 1 : "Quel savoir ?", p. 19-41, et la "Conclusion : Construction du savoir, éthique, citoyenneté", p. 279-281.

(13) Nombreux sont ceux qui ont mis en lumière cette difficulté : voir, entre autres, Catherine Millot, Freud anti-pédagogue, Paris, Flammarion, 1997 (1979) ; Mireille Cifali, Freud pédagogue ? Psychanalyse et éducation, Paris, Inter éditions, 1982 ; M. Cifali et Francis Imbert, Freud et la pédagogie, Paris, PUF, 1998 ; F. Imbert, L'impossible métier de pédagogue, Paris, ESF, 2000 ; Olivier Reboul, La philosophie de l'éducation, Paris, PUF, 2004 (1989).

(14) Voir Platon, respectivement La République, Livre 1, 336b sq, pour le débat avec Thrasymaque, et le Gorgias, 481b sq, pour le débat avec Calliclès. J'utilise les OEuvres complètes de Platon, traduction et notes par L. Robin et J.-M. Moreau, collection de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1950, Volume 1.

(15) Il s'agit en fait du nous (l'Intellect) qu'on retrouve aussi bien chez Platon que chez Aristote : pour l'un comme pour l'autre, il s'agit de cultiver cette faculté de l'âme qui est la plus élevée chez l'homme et qui le distingue de l'animal, ceci afin de se rendre, autant que faire se peut, semblable aux dieux. Pour Platon, voir La République, Livre 6, 500b-d, 613a-b, ainsi que le Théétète, 176b sq); pour Aristote, voir Éthique à Nicomaque, préface et commentaire de Roger Arnaldez, traduit par Jean Defradas, Paris, Presses Pocket, collection : Agora, No 98, 1992, Livre 10, 1177b 34 - 1178a 7.

(16) Passages 162 à 174.

(17) Voir Jean Moreau, cité par Jean Brun, Platon et l'Académie, Paris, PUF, collection : Que sais-je ?, 10e édition, 1991 (1960), p. 32-33, ainsi que p. 37.

(18) Protagoras, 345d sq.

(19) Passages 50 à 54.

(20) Vladimir Jankélévitch, cité par J. Brun, op.cit., 1991 (1960), p. 37.

(21) Platon, La République, Livre 10, 621d.

(22) Déjà en son temps, Hegel disait qu'à force de vouloir innover, transformer et réformer sans cesse, le solipsisme technocratique conduit à une désorganisation qui annule toute possibilité d'amélioration ou de solution des problèmes initiaux. ""Le mieux anéantit le bien"". Voir son "Discours du 2 septembre 1813", dans Textes pédagogiques, traduction et présentation par B. Bourgeois, Paris, Vrin, collection : BTP, 1990, p. 117.

(23) Platon, op.cit., Livre 7, 518c-d.

(24) Lire sur le sujet Gaston Berger, L'homme moderne et son éducation, Paris, PUF, 1962.

(25) Pour l'enseignement de Kant à ce sujet, voir sa Critique de la raison pratique, Première Partie, Livre 2, Chapitre 2, Sections 5 et 6, ainsi que la Deuxième partie : conclusion. Le philosophe traite de la nécessité de combiner au respect de l'homme une loi morale universelle en tant que principe du devoir et de la vertu capable de le faire accéder au plein exercice de sa liberté. Pour Kant, en effet, la loi morale, bien que s'établissant dans la perspective de l'idée d'autonomie de la volonté du sujet pratique obéissant à son propre entendement, fait toujours du bonheur une espérance d'ordre religieuse. Laissé à ses propres critères de jugement, l'homme doit admettre qu'il est guidé inconsciemment par un absolu, mais qui n'est pas de l'ordre de la démonstration. J'utilise les OEuvres philosophiques de Kant, publiées sous la direction de F. Alquié, Paris Gallimard, collection de la Pléiade, Volume 2, 1985.

(26) Jean-Marie Domenach, op.cit., 1989, p. 168.

(27) De cette dernière, voir Les étapes de l'éducation, Paris, Desclée de Brouwer, 2007 (1932).

(28) Voir les toutes premières lignes de sa réponse à la question : Qu'est-ce que les Lumières ?, p. 209 : "Les lumières se définissent comme la sortie de l'homme hors de l'état de minorité, où il se maintient par sa propre faute".

(29) Je recommande à ce sujet un beau texte de Karl Jaspers, intitulé : "Liberté et autorité" (1952), dans Diogène. Une anthologie de la vie intellectuelle au XXe siècle, Paris, PUF, 2005.

(30) Voir un autre texte de Jaspers, Introduction à la philosophie, traduit de l'allemand par J. Hersch, Paris, Plon, 1957, p. 11, 24 et 25. Partant de l'existence et voulant échapper au matérialisme, Jaspers interroge par ailleurs les conditions du salut de l'homme, c'est-à-dire ce qui fonde sa dignité. Récusant la primauté de la science sur la métaphysique, Jaspers explique comment, depuis Platon, déduire et construire un humanisme philosophique de la liberté via la transcendance. Pour Jaspers, la philosophie doit mettre l'accent moins sur la certitude que sur la compréhension ; davantage sur le jugement critique plutôt que sur la vérité ou sur le raisonnement ; sur la pensée bien plus que sur un savoir objectif ou une connaissance exacte; bref, sur la communication au lieu d'un maniement technique du discours.

(31) Voir la "Première Partie" et "Deuxième partie" du Discours de la méthode, ainsi que Les principes de la philosophie, Première partie. J'utilise les OEuvres et lettres de Descartes, présentées par A. Bridoux, Paris, Gallimard, collection de la Pléiade, 1953, p. 128 sq, 571.

(32) J'ai en tête ici l'interprétation heideggerienne de la modernité, qui vient d'une confusion dommageable entre autonomie et individualiste. En effet, si, à l'instar de Heidegger, l'on fait de l'individualisme la valeur absolue de notre modernité, pour autant on ne saurait consentir à un tel jugement qu'au prix d'une confusion sur le plan éthique : la confusion de la subjectivité et de l'individualité. Concevoir la modernité sous le seul angle de l'individualisme fait courir le risque, comme dans les analyses heideggeriennes et néo-tocquevilliennes, de réduire tout le trajet des Modernes au culte de l'indépendance, de la liberté sans règles et de l'égoïsme - avec les pires risques que cela comporte - et, ce faisant, d'invoquer, au nom de prétendus sentiments humanistes, un retour au collectivisme et au droit naturel, sacré et inviolable ; à ce que Louis Dumont appelle l'idéologie holiste des sociétés traditionnelles. Non seulement une telle analyse de la modernité remet-elle en cause les droits de l'individu, si chèrement conquis au travers de luttes et de conflits, mais elle oblitère une autre question, encore plus cruciale celle-là : celle de l'autonomie et de la dépendance à la loi qui fondent l'idéal humaniste à partir de la Renaissance et des Lumières et par rapport à laquelle l'individualisme s'est progressivement inscrit en concurrence à partir d'un penseur comme Leibniz, notamment. Telles sont, à vrai dire, les deux figures de la modernité qui s'affrontent : l'une - l'individualisme - qui refuse toute règle ou soumission à un ordre au nom du principe d'indépendance, l'autre - l'autonomie - qui, intégrant en elle l'idée de loi, admet le principe d'une limitation du Moi dans la mesure où l'humain reste le fondement ou la source ultime de cette loi ; deux figures qui, ne sauraient être amalgamées sans conduire à une lecture unilatérale et globalement péjorative de notre modernité.

(33) Hannah Arendt, "Préface", dans La crise de la culture : Huit exercices de pensée politique, 1972 (1954), p. 15.

(34) De Montessori, voir L'éducation et la paix, Paris, Desclée de Brouwer, 1996 (1949) ; de Korczak, voir Comment aimer un enfant (suivi de Le droit de l'enfant au respect), Paris, Robert, Laffont, 2006.

(35) Que Kant nomme pour sa part "sensus communis", soit "un sens commun à tous, c'est-à-dire l'idée d'une faculté de juger qui dans sa réflexion tient compte, lorsqu'elle pense (a priori), du mode de représentation de tous les autres êtres humains afin d'étayer son jugement pour ainsi dire de la raison humaine dans son entier, et ainsi échapper à l'illusion qui, produite par des conditions subjectives de l'ordre particulier, exercerait sur le jugement une influence néfaste" (Critique de la faculté du juger, 40).

(36) Jeanne Hersch, "Tolérance. Entre liberté et vérité", dans Diogène, 2005, p.320.

(37) Karl Jaspers, "Liberté et autorité" (1952), dans Diogène, 2005, p.23.

(38) J'invite à consulter à ce sujet le Groupe romand d'éducation nouvelle à l'adresse Internet que voici : http://www.gren-ch.org/Pratiquesautosocio-const_EVellas.html; voir également O. Bassis, op.cit., 1998, Chapitre 2, p. 66-78.

(39) Bien qu'on mettre souvent sur un même plan pédagogie nouvelle et sciences de l'éducation, il ne faudrait pas ignorer cependant les différences entre les deux, voire leurs oppositions sur bien des points. J'en veux pour preuve le Lien international d'éducation nouvelle, organisation inspirée de la défunte Ligue internationale pour l'éducation nouvelle, qui regroupe des fédérations d'éducateurs de la France, de la Belgique, du Luxembourg, de la Suisse, etc., et qui, comme en témoignent ses dernières assises tenues à Ciney, en Belgique, en juillet 2009, n'hésite pas à stigmatiser l'institutionnalisation de l'éducation au profit de la libre création et de l'invention au quotidien de démarches pédagogiques nouvelles (voir également le site Internet du LIEN et notamment la page d'introduction, intitulée : "De la LIGUE au LIEN", dans http://lelien.org/. En témoignent également des slogans tels que "Abolition de la note scolaire", "Pan à la note ! Stop aux examens", ou encore "Vive l'école solidaire" (voir cette fois le site Internet du Groupe belge d'éducation nouvelle que voici : http://www.gben.be).

(40) Cf. sur ce point Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée, Paris, Gallimard, 1987. Tel n'était-il pas déjà le cas des Lumières : après la déconstruction, vint le temps de la reconstruction, laquelle, à vrai dire, pris la forme d'une inspiration critique et créatrice d'un héritage laissé par les époques antérieures. Sur le projet des Lumières par exemple, lire Paul Hasard, La crise de la conscience européenne : 1680-1715, Paris, Fayard, 1961. Lire également, J.-M. Domenach, op.cit., 1989, p. 41-42.

(41) Sur l'erreur et l'illusion, voir Edgard Morin, Les sept savoirs nécessaires à l'éducation future, Paris, Seuil/UNESCO, 2000 (1999), en particulier les Chapitres 1: "Les cécités de la connaissance : l'erreur et l'illusion" et 3 : "Enseigner la condition humaine".

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