"Le développement intellectuel d'un enfant nécessite l'acquisition, à parts égales de trois objets du savoir, constitutifs de la culture, dont l'école doit tenir compte : l'acquisition des savoirs officiels, le savoir identitaire permettant la construction du Moi, et un troisième "vouloir savoir" sur la Condition Humaine et les problèmes de relations entre humains auxquels chacun doit constamment faire face"
Jacques Lévine
C'est ce temps de co-réflexion, dans un espace "hors menace", que nous proposons aux enfants dans le cadre des Ateliers de Philosophie AGSAS- Lévine. Ce rapport aussi direct que possible au savoir de type universel, est un des facteurs les plus modificateurs, et grâce à un nouveau statut social d'"interlocuteurs valables" capables d'une pensée élargie sur la condition humaine, permet aux élèves les plus en difficulté scolairement, de former une nouvelle image de soi et, pour certains, un "sentiment de plus-value" ignoré jusqu'ici.
Jacques Lévine a organisé, avec plusieurs équipes d'enseignants, une réflexion-expérimentation sur la philosophie, de la maternelle au collège, ce qui l'a amené à mettre en place une méthode particulière utilisée dans de nombreux groupes en France et à l'étranger.
Qu'est-ce qui justifie cette pratique aujourd'hui ?
PHILOSOPHER EN CLASSE POUR LUTTER CONTRE LE DEFICIT D'APPORTANCE ET LE SENTIMENT DE "MOINS-VALUE" GENERALISES
Dans le livre L'Enfant philosophe, avenir de l'humanité, les auteurs font une analyse assez éclairante du contexte actuel :
"Nous pouvons décrire notre époque comme celle de l'homme insatisfait de sa vie, ayant un passé insuffisamment étayant et un avenir insuffisamment motivant, dans une société en perte de parenté symbolique, d'"accompagnants régulateurs" fiables, rôles tenus jusqu'à présent par les responsables politiques et moraux.
Ce qui provoque chez certains un "déficit d'apportance", accompagné d'un sentiment de "moins-value", et l'idée d'une place aléatoire, non gratifiante, qui peut constamment être remise en question. Au contraire, la recherche de leur raison d'être en entraîne d'autres à avoir recours à des conduites de domination verbales et physiques pour se donner l'illusion du pouvoir. L'une des questions les plus importantes est : la pensée a-t-elle définitivement perdu la bataille qu'elle doit livrer contre le corps primaire ?
Ce qui rend optimiste, c'est le spectacle d'une grande majorité d'enfants capables de lucidité, d'intelligence et de débrouillardise encourageantes. C'est ce que nous constatons dans les Ateliers de Philosophie. Grâce au travail de modification du regard sur la vie qui s'y effectue, l'enfant peut passer d'une notion de lui-même où il ne trouve pas la complétude identitaire dont il a besoin, à un statut qui l'invite à retrouver le sens du corps civilisé.
Parce que la philosophie représente un recours, un espoir de sagesse dans une période de déraison, elle permet une prise de distance. Elle donne du Moi une image qui ne se réduit pas au Moi-Moi. Elle l'inscrit dans la vie collective et dans ce qui transcende la collectivité. En même temps, elle replace le monde des idées au premier plan. Le fait d'entrer dans le monde de la spéculation sur les grands problèmes de la vie est modificateur de l'identité, de l'image de soi et de la relation au monde."
PHILOSOPHER EN CLASSE POUR ASSOUVIR UN BESOIN NATUREL
Contrairement à l'opinion reçue, l'enfant n'est pas indifférent à la place qu'il occupe dans l'univers : il recherche les secrets du fonctionnement humain, et lui proposer, au travers de la philosophie, d'établir un dialogue avec une instance transcendante qui est supposée les connaître, c'est lui faire la proposition de prendre une place dans la destinée de l'humanité.
Philosopher est un besoin naturel : "L'enfant étant génétiquement philosophe, il est urgent de considérer l'assouvissement de ce besoin comme un vecteur de croissance" (Jacques Lévine). En effet, l'homme, dès son plus jeune âge, est porteur d'"appareils à penser" : appareils à penser, à sa manière, la complexité de la vie ; appareils à penser sa place dans la société et la place de la société dans son Moi ; appareils à penser faisant de l'enfant un être actif, capable de s'affronter, en pensée et en réalité, aux aléas de l'existence, et donc de combattre la déraison par la raison. Force nous est de constater que nous ne savons pas encore utiliser ces appareils à penser le monde, d'où la proposition d'Ateliers de Recherches sur la Condition Humaine (ARCH).
Mais, à la différence des autres courants qui privilégient le débat et la Discussion à Visée Philosophique, notre ambition est que, par les Ateliers de Philosophie, les enfants vivent le plaisir du travail intérieur qui correspond à la formation de préconcepts, comme Deleuze nous y invite. Il s'agit pour l'enfant, du plaisir de pénétrer dans le monde de la fabrication du concept et non de l'aboutissement du concept achevé.
Ce qui distingue les Ateliers de Philosophie AGSAS-Lévine, c'est un dispositif qui permet à l'enfant d'être centré, en voie directe, sur la Condition Humaine, de l'explorer de façon naturelle, et de réfléchir sur la valeur de la vie que suscite cette exploration.
L'atelier de Philosophie peut être comparé à un voyage au pays des idées, un voyage d'enquêtes sur la nature humaine et sur le fonctionnement des relations qui y préside. Ce voyage commence par un travail d'exploration et de découvertes, qui ajoute, aux constats qui s'accumulent, une interrogation sur la valeur de ce qui se joue dans l'humanité. Ce voyage conduit l'enfant à se montrer audacieux et à s'autoriser à regarder le monde, à la fois de sa place d'enfant et d'une place où la connaissance devient le lieu de toutes les possibilités. Le rapport Moi-Monde, Instance-Monde s'établit lorsque l'enfant utilise le "on" pour faire part de son opinion, c'est-à-dire en se présentant comme membre et porte-parole d'une communauté qui est au-delà de lui-même, voire bien au-delà de son âge, il s'instaure représentant de l'éventail des idées de la collectivité. Toutefois, l'Atelier de Philosophie oblige le sujet à se confronter à des systèmes d'idées qui sont de l'ordre de l'"autrement que prévu" : "La philosophie est une posture faite de lucidité et de combativité : lucidité en tant que reconnaissance de la dualité de nos opinions et de la nécessité d'élaborer des réponses à cette dualité. Combativité, parce qu'être philosophe, c'est courir et assumer le risque permanent de la bonne ou mauvaise rencontre. Mais, avec la volonté de regarder en face la problématique de la dualité, et la conviction que nous disposons d'un espace de libre arbitre qui peut faire pencher la balance du moins mauvais côté" (Jacques Lévine).
LE DISPOSITIF SPECIFIQUE DES ATELIERS AGSAS - LEVINE
Ces Ateliers sont proposés aux élèves des classes de la moyenne section de maternelle à la classe de seconde de lycée, à raison d'un atelier par semaine, mais aussi dans des groupes de rééducation, des groupes inter-âges dans certains établissements ou des centres de loisirs, ainsi que dans des cafés associatifs.
Quel que soit le public, enfants, ados, adultes, le dispositif reste le même.
En 2008, à l'Unesco, l'atelier a permis à douze personnes volontaires de monter sur l'estrade pour expérimenter en direct l'atelier de philosophie AGSAS-Lévine. Devant une quarantaine de personnes de tous horizons (seule variante par rapport à ce que vivent les enfants dans les écoles), elles ont été invitées à réfléchir au mot-inducteur "la rencontre".
Quelques interventions :
- la rencontre, c'est plein d'appréhensions, beaucoup d'excitations, de désir de connaître, mais en même temps de crainte de l'inconnu.
- On est différent avant, pendant et après la rencontre. Même quand la personne a disparu, on peut encore être dans la rencontre avec elle.
- Je pense qu'on est soi-même lieu de rencontre.
- Qu'est-ce qu'une vraie rencontre ? On peut physiquement rencontrer quelqu'un et ne pas y faire attention. Lorsque je fais une vraie rencontre, je ne suis plus le même après qu'avant.
- Les rencontres ? C'est singulier.
- ça réveille en moi le "r" plus "encontre", qui permet de surmonter ce qui nous sépare et la possibilité de se rencontrer.
- En quoi ça consiste de rencontrer l'autre ? C'est fait de quoi ? C'est se toucher ? dialoguer ?... J'aime bien cette question.
- C'est ambigu... C'est avoir peur d'être en confrontation, mais aussi l'aspiration à connaître...
- C'est une question vivante... cet espace de rencontre à l'intérieur de soi, c'est quelque chose d'intime. Il y a un courant qui passe... Il y a le "contre", comme un contact.
- Le coup de foudre c'est une rencontre aussi. Que se passe-t-il ? Dans toute rencontre, on retrouve quelque chose de nous-même et l'autre nous fait advenir à nous-même... C'est une éclosion.
- Y a-t-il symétrie dans la rencontre ?
- ça peut être une rencontre en littérature, avec une oeuvre d'art, ou autre chose.
- C'est une sorte de délivrance d'un soi-même et en même temps l'avènement d'un "nous" qui ne serait ni l'un, ni l'autre.
Ainsi, les participants ont pu découvrir les effets des quatre paris qui sous-tendent la méthode :
1) Le pari d'un autre statut de l'élève :
Comme les élèves, les participants ont été invités à réfléchir de la place d'habitants du monde.
En invitant l'élève à passer du statut d'apprenant installé par l'institution dans une relation de verticalité, au statut de "personne du monde", habitant de la terre qui pense à la façon dont les hommes se conduisent dans la vie, donc dans une relation d'horizontalité par rapport à l'ensemble des êtres humains en tant que "pensants", on lui propose un nouveau statut identitaire, statut en rupture avec celui auquel il est habitué dans le cadre scolaire. Il se positionne alors dans une affirmation d'égalité, et assouvit ainsi ce que Jacques Lévine appelle " son désir d'équivalence". Il se sent investi du "statut d'apportant", ce qui laisse présumer que ce qu'il va apporter sera considéré comme important et en provenance d'un "interlocuteur valable".
2) Le pari du silence symbolique de l'enseignant.
Ce silence, annoncé par l'enseignant, silence sans lequel l'enfant ne pourrait pas prendre la place qu'on lui propose de "personne du monde" capable de penser les grands problèmes de l'humanité, est un silence objectif. L'adulte, tout en n'intervenant pas, est cependant présent au travers de ce qu'on suppose être son désir, objectivé par le thème, le bâton de parole, la gestion du temps... Sa présence silencieuse et confiante est nécessaire.
Ajoutons qu'il goûte le plaisir du travail de la pensée en lui, en même temps que chez ses élèves, dans un moment privilégié.
3) Le pari de l'énoncé du thème de réflexion sous forme d'un mot inducteur
Comme en classe, l'animatrice de l'atelier a annoncé "Le thème d'aujourd'hui est : "la rencontre", sans autres commentaires.
"Le mot inducteur est comme un rideau de théâtre qui s'ouvre sur la scène du monde". À son énoncé, l'enfant se trouve confronté à un espace de pensées beaucoup plus vaste que l'expérience de son propre monde. Il a l'intuition que les mots ont une intériorité secrète, une "ultra-réalité", et que la recherche de ce qu'ils recèlent peut procurer un plaisir dont le souvenir laisse des traces. Pour l'enfant, philosopher, c'est s'interroger sur ce que pensent les mots et sur ce que les mots pensent du monde.
Le travail que l'enfant opère dans les Ateliers de Philosophie est un travail cognitif au niveau des représentations du monde, qui est à la fois le sien et celui de la collectivité. Il s'agit donc de la rencontre de la culture personnelle avec la culture collective.
4) Le pari du débat implicite :
"On se situe ici dans un espace autre que celui du débat externe." (Annick Perrin, professeur de philosophie, présente à cet atelier). La combinaison parole personnelle - parole collective crée les conditions d'un débat implicite qui, au-delà du débat explicite, contribue à la dynamisation de la réflexion. En effet,"le flux des paroles émises dans le groupe, constitue un point d'appui à la pensée de chacun. L'Atelier AGSAS est donc aussi une expérience du penser ensemble de type démocratique. Les élèves se relaient et s'épaulent dans des réflexions qui se croisent, se fécondent parfois les unes les autres, mais font rarement l'objet d'une confrontation" (Annick Perrin). Ainsi, l'Atelier de Philosophie AGSAS est-il le lieu d'une " méditation partagée" où l'un des aspects du débat tient à la rencontre entre le "je" aussi bien non verbalisé que verbalisé de l'enfant, et le "nous" collectif qui circule dans l'espace environnant. La différence d'opinions, surtout lorsqu'elle est sous-entendue, donne une toute autre tonalité au travail collectif. A la méditation interne s'ajoute une méditation collective où se glissent, cependant, les différences d'opinions qui alimentent la réflexion philosophique.
Au total, la proposition "Ateliers de Philosophie AGSAS" fonctionne sur le mode de l'enrichissement et de l'espoir comme un message d'encouragement adressé aux enfants à pénétrer, avec leurs propres idées sur la vie, dans ce qui forme le monde des grandes idées sur la vie des adultes. Elle est aussi une invitation à faire vivre en eux un Moi social qui ne se réduise pas à celui auquel l'école donne la priorité, et une façon d'expérimenter l'accès à la conceptualisation.
Quelques réactions du public :
- Je suis professeur de philo. Pour moi, c'est une rencontre nouvelle cet atelier. C'est peut-être une façon d'éviter ce que j'appelle "l'enrôlement des élèves".
- Je remarque qu'il y a différentes sortes de réponses, les unes spontanées, peut-être personnelles, d'autres plus intellectuelles, certaines vraiment philosophiques.
- C'est extrêmement fort cette invitation à se positionner comme citoyen du monde, c'est un levier libérateur.
- En Atelier de philo Lévine, les enfants disent des choses qu'on n'entend pas ailleurs. "C'est une expression du coeur et de la tête ; on fait marcher la machine à penser et bouger le coeur" m'a dit un enfant.
- On a l'impression de jouir du cogito.
- Je me suis sentie comme un poisson dans l'eau. Pas de pression. Un bien-être qui fait sortir l'imaginaire et en même temps une pression qui fait naître une étincelle.
- Bien qu'il n'y ait pas eu de débat explicite, ma pensée était remise en question par la pensée exprimée par les autres ; et je sais que certaines questions posées par les participants vont me poursuivre.
- Dans une classe qui pratiquait à la fois les ateliers AGSAS-Lévine et les DVP (discussions à visée philosophique), les élèves ont affirmé : "Dans les Ateliers Lévine, on réfléchit plus ; dans les DVP, on va plus loin ..."
L'Atelier correspond également à une pédagogie spécifique et efficace de la rencontre avec le monde des concepts.
Ce que les Ateliers de philosophie nous apportent et nous apprennent, c'est l'idée d'une autre école et d'une autre transmission. Elle est fondée sur l'axiome suivant, déjà énoncé dans l'introduction : il y a trois objets du savoir et non pas un :
"La culture est, en effet, constituée par trois types de discours sur la vie relationnelle et non un seul comme on voudrait nous le faire croire, au risque d'empêcher l'école de répondre aux aspirations légitimes de développement intellectuel d'une grande partie de sa population. C'est pourquoi nous distinguons trois " Vouloir Savoir" constitutifs de la culture :
- Le "Vouloir Savoir" qui est prédominant, officiel, dans notre culture. C'est celui de type scolaire ou professionnel, tel qu'il est déposé dans les livres et dans les différents modes de transmission des patrimoines culturels.
- Le "Vouloir Savoir" identitaire. C'est l'interrogation du savoir pour en faire un constituant de son identité. Lorsque nous étudions un texte, nous nous interrogeons sur ce qu'il apporte à notre Moi. On peut considérer trois sortes d'apports : le sujet se vit comme "producteur" de sa contribution. Il peut dès lors se constituer comme "porte-parole" de cette contribution. Il l'intègre dans son Moi et en devient "propriétaire".
- Le troisième "Vouloir Savoir" est celui que l'on voit à l'oeuvre dans les Ateliers de philosophie. Il s'agit de mettre l'enfant en prise aussi directe que possible avec les problèmes majeurs de relations à l'environnement, auxquels il doit constamment faire face" (Jacques Lévine).
La visée des Ateliers de philosophie n'est pas uniquement la réussite des apprentissages. L'objectif de l'école, ne l'oublions pas, c'est d'inventer et d'assurer les conditions optimales de la croissance de chacun dans un cadre qui, autant que possible, se doit de rester collectif. Double contrainte, certes difficile à assurer, mais que nous pouvons résoudre, à la condition expresse de ne pas confondre le court terme avec les exigences patientes d'une réforme à long terme. L'école doit compter avec deux sortes d'unités de temps : celle où on est engagé et celle qui est à construire.
LES OBJECTIFS PRINCIPAUX DES ATELIERS DE PHILOSOPHIE AGSAS
1 - Faire participer les enfants aux débats sur les questions essentielles à la vie et à la civilisation
2- Permettre aux enfants de faire la découverte de leur propre capacité à produire de la pensée sur des questions importantes pour l'humanité.
3 - Apprendre non seulement à extérioriser, mais aussi à intérioriser la pensée.
Les ateliers de philosophie permettent, non seulement aux élèves, mais aussi aux enseignants, d'explorer les rapports entre la pensée et le langage. Ce qui se passe dans le silence, fréquent dans les ateliers Lévine, est aussi essentiel que ce qui se formule. Ceux qui ne parlent pas sont actifs par ce travail souterrain de la pensée qui se fait en écho à ce qui se dit. D'où l'étonnement des adultes lorsqu'ils observent la qualité du sérieux des enfants dans ce cadre et parlent même d'un climat d'écoute "quasi magique".
Les ateliers de philosophie ouvrent la voie à l'entrée dans l'école d'une nouvelle conception des apprentissages et de son socle : " De même que la pipe de Magritte est bien autre chose qu'une pipe, l'école a pour vocation de définir autrement l'accès à un cognitif et à une fonction identitaire digne des nécessités vitales de notre époque." (Jacques Lévine)
4 - La pulsion d'équivalence
Lorsqu'un enseignant installe un Atelier de philosophie dans sa classe, nous observons que cela produit un changement fort, une véritable dynamique pulsionnelle. L'enfant est encouragé implicitement à former une nouvelle "image de soi". Il est invité à se considérer comme un habitant de la terre à qui on donne le droit de penser à la façon dont les hommes s'y conduisent : il relève ici le défi de se comparer à tous ceux qui s'autorisent à y réfléchir. Conscient de l'enjeu d'une telle tâche, et fier de ce statut "d'équivalent", se sentant sous le regard du tiers qui l'incite au dépassement et à la responsabilité, l'enfant montre sa capacité à fournir des réponses sur les grands problèmes de la vie. Cela crée chez lui un sentiment de "plus-value" ce qui, pour certains, s'oppose avec ce qu'ils éprouvent dans le milieu familial ou scolaire, où ils se sentent souvent menacés de "moins-value".
5 - L'atelier de philosophie, par son cadre, crée chez l'enfant le désir d'en savoir plus sur la Condition Humaine.
Il suffit de voir l'énergie avec laquelle l'enfant investit les thèmes que nous proposons. Cette énergie à découvrir une partie encore très cachée du savoir relationnel fait que "la séance fonctionne comme un tapis roulant associatif" où chaque élément suscite l'apparition d'un autre qui le complète. Cette dynamique vient du sentiment, chez l'enfant, que la découverte de la vie relationnelle, de ses aspects et des problèmes qu'elle pose, n'est pas close, par ce qu'il énonce, mais que ceci oblige à des rebondissements comme si la porte à ouvrir était toujours aussi fascinante. L'enfant témoigne ici d'une curiosité presque insatiable concernant les mystères de la vie relationnelle, et il est étonnant de voir à quel point la structure de la séance répond à ce besoin. Cette curiosité s'exprime sous deux formes : le plaisir de se confronter aux thèmes proposés, qui laisse entendre qu'il est capable, tout autant que l'adulte, de penser à sa place dans la société, et le plaisir que procure le voyage vers les réalités relationnelles, celui, chemin faisant, de faire des découvertes sur la vie.
Lorsqu'on analyse une séance, on s'aperçoit que l'enfant s'instaure explorateur actif, intégré dans une démarche collective, enquêteur à la recherche d'une définition du thème.
Il se présente, à la fois comme représentant de sa propre pensée, comme représentant de la pensée de tel ou tel groupe auquel il appartient, mais aussi, comme représentant d'une pensée universelle qui transcende les deux autres.
En raison du dialogue qui s'instaure entre pensée collective et pensée personnelle, nous sommes portés à croire que le débat est permanent, dans chaque séance. C'est un débat entre le sujet et lui-même. Il y a cohabitation de la pensée des enfants et d'une pensée qui procède d'un autre système d'appartenance, celui, collectif, des générations antérieures.
C'est la découverte de cette capacité à entrer dans le "Patrimoine culturel" et à s'approprier les "secrets" de la Condition Humaine, qui motive les enfants à en savoir toujours plus.
CONCLUSION
Nous découvrons que, dans les Ateliers de Philosophie, l'enfant procède à l'entrée dans le monde des "fondamentaux" qui régissent la vie relationnelle, c'est-à-dire, ce qui est au coeur de la civilisation, et qui, pourtant, reste encore un aspect trop négligé de la pédagogie.
Ce qui est primordial dans les Ateliers de Philosophie AGSAS, c'est la proposition faite aux enfants, de se réapproprier les savoirs sur la vie, en introduisant à l'école le "3e Vouloir Savoir" sur les grands problèmes de l'existence, tels que l'humanité les rassemble dans son corpus culturel. Car les Ateliers de Philosophie amènent les enfants à s'interroger, non seulement sur les structures sociales à l'intérieur desquelles nous fonctionnons (la famille, le travail, les périodes de la vie...), mais aussi sur les sentiments qui en résultent (le bonheur, le chagrin, la peur, la honte, l'amour...), et enfin sur les messages de valeur qui nous guident dans la vie comme sur les contre-valeurs qui y font obstacle (le devoir, la beauté, la justice, l'égalité...). Les "fondamentaux", c'est ce qu'il est nécessaire de connaître et de maîtriser pour pouvoir s'insérer dans la société de façon digne et civilisée. En d'autres termes, nous orienter dans la vie, c'est gérer notre façon d'être à l'égard de ces "fondamentaux".
Or, dans le trajet vers cette appropriation des "fondamentaux", vient le moment où l'enfant se met à douter de la pertinence de son opinion. Il introduit dans sa pensée le "oui, mais...". Dès lors, "il ouvre une place considérable au dialogue avec des avis différents, et progresse dans sa pensée vers une complexité qui fait partie de la construction de son sentiment de "plus-value", et symbolise ainsi son désir d'accès à l'Instance Monde" (Jacques Lévine).
Assemblés, ces"fondamentaux" forment un corpus de savoirs qui fonctionne à la manière d'un" patrimoine", ce Patrimoine culturel cité plus haut et à l'appropriation duquel nous souhaitons les faire participer.
L'éclairage sur le psychisme des enfants que nous apportent les Ateliers de Philosophie AGSAS, peut avoir des conséquences considérables. Il ouvre la voie à une nouvelle pédagogie, celle des trois Vouloir Savoir, à l'idée d'une autre école et d'une autre transmission.
Texte rédigé avec la contribution posthume de Jacques Lévine, psychanalyste, psychologue et philosophe, fondateur de l'AGSAS