Revue

Coaching et philosophie

Si la philosophie n'est pas seulement un mot grec ou une discipline périmée, c'est sans doute parce qu'elle est sortie aujourd'hui du cadre restreint de l'enseignement et de la recherche universitaire, pour devenir une activité de plus en plus diversifiée, au sein même des "affaires humaines" (pour reprendre l'expression d'Aristote). Parmi les pratiques contemporaines qui se réclament de la philosophie, et qui semblent rechercher comme elle une sagesse authentique pour mieux vivre, on trouve la consultation philosophique, repérable par son nom. Celle-ci propose généralement d'utiliser la philosophie comme un instrument de progression personnelle ou collective, face aux problèmes de l'existence. Le consultant apparaît alors comme un conseiller ou comme un formateur, selon les cas. Or cette profession nous fait signe vers une autre, qui ne s'appelle pas "philosophique", mais qui lui ressemble étrangement : le "coaching".

Je me demande donc si le coaching peut avoir un lien avec la philosophie, dont la tradition semble bien plus longue et bien mieux établie. Le coaching se présente le plus souvent comme l'accompagnement des individus ou des groupes dans leur changement personnel ou professionnel. Il définit ses méthodes et revendique son autonomie à travers des organisations professionnelles, comme la Société Française de Coaching (SF Coach) ou l'International Coach Federation (ICF), mais aussi par de nombreuses publications (livres, articles) et d'innombrables sites internet.

LA MAÏEUTIQUE SOCRATIQUE, RÉFÉRENCE DU COACHING

Mais qu'est-ce véritablement que le coaching ? Pour le savoir, il faudrait pouvoir assister à toutes les séances de face-à-face entre les coaches et leurs clients, en coaching individuel et en coaching de groupe. C'est évidemment impossible en pratique, et même si c'était possible, cela poserait un problème de méthode, classique en sciences sociales : le risque que l'observateur devienne rapidement un perturbateur, faussant la relation entre le coach et son client, la personne dite "coachée". Les seules solutions possibles pour connaître le coaching restent donc de le pratiquer soi-même, ou d'étudier les comptes-rendus, articles, livres et entretiens des personnes qui se désignent elles-mêmes comme "coaches", ou que l'on désigne ainsi. Un problème de méthode se présente également ici : celui de savoir qui a raison, entre ceux qui pratiquent le coaching, ceux qui inventent ses multiples variantes, et ceux qui en parlent de l'extérieur, ou en tant que clients. Une étude objective exigerait de tenir compte de tous ces aspects à la fois. Je proposerai seulement ici quelques pistes de réflexion, d'après mes propres observations et mes lectures personnelles.

Tout d'abord, si l'on s'en tient aux ouvrages théoriques sur le coaching, on s'aperçoit qu'ils présentent souvent cette activité comme parente ou héritière de la philosophie, et que pour justifier cette ressemblance ou cet héritage, ils utilisent eux-mêmes des références ou des concepts à forte connotation philosophique.

Ainsi, de nombreux théoriciens insistent sur la différence entre coaching, psychothérapie, enseignement, conseil et mentorat (ce dernier terme étant pourtant officiellement préféré, dans l'institution scolaire, à celui de coaching), mais je n'en ai vu aucun opposer coaching et philosophie. Au contraire, les ouvrages théoriques reconnaissent ouvertement que le coaching trouve ses racines historiques dans la philosophie grecque, et en particulier dans la maïeutique de Socrate. Les coaches font souvent référence aussi à cette figure socratique de la philosophie, en particulier sur leurs sites internet, avec une précision qui laisse parfois à désirer. On se contente généralement de dire que la maïeutique est une technique de dialogue dans laquelle une personne pose une série de questions à une autre afin de la faire "accoucher" par elle-même de ses propres pensées, et l'on traduit souvent cette technique en disant que le coach n'enseigne rien au coaché, mais qu'il l'aide seulement à trouver par lui-même les solutions à ses problèmes personnels ou professionnels. Le principe implicite de cette méthode serait de laisser le coaché construire par lui-même ses analyses de situation, ses objectifs et ses stratégies. Le concept de constructivisme est parfois convoqué à la rescousse de la maïeutique.

Un détour par les dialogues de Platon nous montre que cette filiation entre maïeutique socratique et coaching est effectivement réelle. Dans le Théétète (150 c-d , trad. L. Robin, Pléiade), Socrate expose la méthode de la maïeutique, son art d'accoucher les âmes : "chez moi il n'y a point d'enfantement de savoir", la maïeutique est seulement l'art de "poser des questions aux autres et de ne rien produire moi-même sur aucun sujet faute de posséder aucun savoir" (150 c) ; "de moi ils n'ont jamais rien appris, mais c'est de leur propre fond qu'ils ont, personnellement, fait nombre de belles découvertes, par eux-mêmes enfantées" (150 d). Plus loin (151 a-b), Socrate évoque ceux qui viennent vers lui avec les "douleurs d'enfantement" que son "art est capable d'éveiller aussi bien que de calmer", puis ceux qui viennent avec une âme qui n'est "point grosse" : il "reconnaît" alors qu' "ils n'ont de moi nul besoin", et les adresse à d'autres personnes. Plus loin (167 d - 168 c), Socrate invente un discours que Protagoras aurait pu tenir pour lui demander de suivre certaines règles dans la conversation : "procéder par interrogations" s'il veut, mais sans chercher à le faire "trébucher", et en faisant "avec un esprit bienveillant, un examen véritable de ce que je peux bien vouloir dire" (168 a) : cette méthode permet de ne pas discréditer "la philosophie" (168 b).

Dans le Phédon, la méthode socratique du questionnement est également reformulée ainsi par Cébès : "quand on pose des questions aux hommes, et si on pose les questions comme il faut, d'eux-mêmes, ils disent tout ce qui est comme c'est" (73 a, trad. Dixsaut), ce qui prouve la présence en eux d'un "savoir" et d'un "raisonnement droit" ; l'exemple le plus éclatant en est la géométrie et ses figures (ibid.). C'est ici que l'on pense au célèbre passage du Ménon (81 d - 85 b), où Socrate interroge un jeune esclave ignorant, et parvient à lui faire résoudre par lui-même le problème géométrique de la duplication d'un carré, sans lui enseigner aucun savoir.

Dans le Lachès (187 e - 188 c), Socrate est appelé en "consultation" (186 a) par Lysimaque et Mélèsias, cette fois-ci au sujet de l'éducation de leurs enfants. Lysimaque accepte d'être soumis à la maïeutique socratique car il espère être amélioré par elle, suivant le principe de Solon : "on apprend aussi longtemps qu'on vit", et la réflexion n'est pas réservée à la vieillesse. Prenant ensuite la parole (188 c - 189 b), Lachès approuve aussi le principe de Solon, et finit par proposer à Socrate un contrat moral dans lequel il accepte, bien qu'il soit âgé, d'apprendre ce qu'il ne sait pas encore, et où il puisse aussi instruire Socrate s'il possède lui-même un savoir (189 e).

Plusieurs traits distinctifs de la maïeutique ainsi définie et ainsi pratiquée se retrouvent dans le coaching, tel que le décrivent par exemple Vincent Lenhardt et Laurent Buratti ( Le coaching, 2007), Bernard Hévin et Jane Turner ( Manuel de coaching, 2004, 2007)  :

  • le questionnement pratiqué par le coach ;
  • la découverte autonome des réponses et des solutions par le coaché ;
  • le fait que le coaching n'enseigne rien et que le coach n'est pas expert dans les problèmes personnels ou professionnels dont il accompagne la résolution ;
  • la différence entre la demande explicite du coaché et son besoin réel (V. Lenhardt et L. Buratti) ;
  • la nécessité pour le coach d'orienter son client vers une autre personne s'il n'a pas besoin de coaching ;
  • l'attitude de bienveillance et d' "écoute inconditionnelle" (B. Hévin & J. Turner) nécessaire au coach ;
  • le principe selon lequel le coaché dispose déjà en lui d'un savoir et d'un raisonnement corrects, et qu'il suffit de l'aider à les découvrir ;
  • la nécessité pour le coach de disposer d'une méthode de questionnement ;
  • le rôle de "consultant" attribué au coach ;
  • le principe de l'apprentissage tout au long de la vie (B. Hévin & J. Turner), qui évoque l'idée de "perfectibilité" de l'homme chez J.-J. Rousseau ( Discours sur l'origine et le fondement des inégalités parmi les hommes, 1ère partie, § 16) ;
  • l'existence d'un "contrat moral" entre le coach et le coaché.

On note au passage que Socrate rapproche explicitement la maïeutique de la philosophie elle-même (dans le Phédon, 168 b). Un petit syllogisme apparaît alors : le coaching a une méthode maïeutique ; or la maïeutique est considérée par Socrate comme un modèle de la philosophie ; donc le coaching est un modèle de maïeutique et de philosophie.

Toutefois la prudence s'impose, car personne n'est obligé d'admettre que la maïeutique socratique est l'expression éternelle et incontestable de ce que la philosophie doit définitivement demeurer. De plus, chez les praticiens du coaching, la référence à la maïeutique est plus ou moins précise.

Mais le doute s'atténue lorsqu'on lit les ouvrages ou articles des coaches qui ont aussi élaboré une théorie et une méthodologie de leur pratique. Car il apparaît alors que la maïeutique socratique n'est pas seulement une caution philosophique apportée au coaching, en mal de tradition et de légitimité. Elle est le fondement d'une pratique orientée vers le dialogue réflexif et le raisonnement sur les affaires humaines - ce qui n'est pas sans rappeler le projet de Descartes dans le Discours de la méthode : bien penser pour bien agir.

On ne s'étonne donc guère de retrouver une "matrice philosophique" dans la théorie et dans la méthodologie du coaching : non seulement à travers la référence explicite à la maïeutique, mais aussi à travers une démarche interdisciplinaire, ou encore des citations philosophiques sur le sens du réel et de la vie, et très souvent à travers l'utilisation de concepts et de mots issus de la philosophie.

Par exemple, Bernard Hévin et Jane Turner ont écrit un Manuel du coaching, qui instrumentalise la philosophie, de façon le plus souvent implicite, non seulement en se référant à certains auteurs (Nietzsche, p. XVII ; Aristote, p. 36 ; la logique cartésienne et la logique non aristotélicienne, p. 196, etc.), mais aussi en insistant sur la procédure du dialogue permettant au coaché de mieux exprimer sa pensée :

  • le questionnement (p. 139) ;
  • l'écoute bienveillante (p. 126) ;
  • la reformulation des propos du coaché (p. 141), afin de les renvoyer en miroir, de les clarifier ou d'en déduire les conséquences.

Et, comme de nombreux théoriciens ou praticiens du coaching, les auteurs construisent leur méthodologie au moyen de classifications et de catégories, impliquant souvent des concepts philosophiques. On pourrait sans doute voir, dans cet usage instrumental et nominaliste des concepts, un patchwork peu systématique et donc peu rationnel, ce que Kant aurait appelé une "rhapsodie", indigne de la rationalité philosophique. Mais d'un autre côté, comment ne pas reconnaître ici un usage pratique ou éthique des idées de la raison ?

Lorsque les auteurs articulent un "modèle disciplinaire" et un "modèle relationnel" du coaching, n'est-ce pas une articulation proprement philosophique entre la théorie, la pratique et l'éthique ? La catégorisation des compétences liées à chacun de ces domaines (cf. p. 63 et 66) ressemble elle aussi à une rationalisation de l'action, dont la visée est d'atteindre un "mieux agir" et un "mieux penser" à l'intérieur du dialogue. Les compétences disciplinaires du coach impliqueront ainsi une réflexion sur :

  • les principes et les représentations mentales du coaché par rapport à sa situation et à ses possibilités de changement ;
  • les domaines et les cycles de la vie (p. 89, p. 93) et du changement personnel (p. 83) ;
  • les valeurs morales (p. 86). Cette réflexion fondera une pratique orientée vers trois compétences fondamentales : observer, accompagner et autonomiser le coaché. L'héritage de la maïeutique se fait encore sentir lorsque les auteurs écrivent : "le coach ne détient pas la solution qui convient au coaché, et il l'ignore même", ajoutant que "cette ignorance honnête, authentique et sans prétention est, en elle-même, créative et porteuse de solutions" (p. 200).

Vincent Lenhardt, l'un des pionniers du coaching en France, est d'ailleurs cité (p. 22) au moment de définir le coaching : "Cette approche comporte à la fois une philosophie, une attitude, des comportements, des compétences et des procédures" (Vincent Lenhardt, Les responsables porteurs de sens, 1991). Chez Vincent Lenhardt et Laurent Buratti, qui coopèrent dans le cabinet Transformance, la prégnance de la philosophie dans le coaching est encore plus marquante. Les concepts philosophiques importés dans la théorie et la méthodologie du coaching sont très nombreux, par exemple : sujet/objet, complexité, maïeutique, spiritualité, épistémologie, paradigme, système global, sens, certitude, identité, ontologie, humanisation, personne, sujet, intersubjectivité, conscience, en action, etc.

Dans leur livre Le coaching, ils vont jusqu'à dépasser l'ordre chronologique philosophie / coaching, et à le remplacer par une identification, puisqu'ils en viennent à considérer le coaching comme une "philosophie mère" (p. 77). Ils fournissent alors une définition de la philosophie orientée vers l'idée de sagesse pratique. Ils citent tout d'abord la phrase d' Antonio Machado dans Champ de Castille : "Voyageur, il n'existe pas le chemin, on le trace en marchant". Puis ils écrivent : "Qu'est-ce que la philosophie ? C'est à la fois un paradigme (une manière cohérente de penser l'humain et le monde), une pratique (un savoir-faire) et une sagesse (un savoir être)" (ibid.).

Le risque d'une telle définition est d'ouvrir la porte à une instrumentalisation maladroite de la philosophie. Ainsi, la plupart des praticiens du coaching prétendent, sur leur site internet, que leur activité repose sur une "philosophie", mais ils réduisent souvent ce terme à l'idée d' "avoir une conception du monde", sans pouvoir justifier de ses fondements théoriques et de sa pertinence pour l'accompagnement des personnes. On touche ici au problème du référentiel de compétences du coach : doit-il inclure une formation approfondie à la philosophie, afin de donner du sens au coaching lui-même ? Une formation approfondie impliquerait sans doute les trois domaines définis par V. Lenhardt et L. Buratti, et non seulement une formation théorique sur des problèmes étrangers à l'accompagnement des personnes.

Si ces conditions sont remplies, on peut alors dire que le coaching ne se contente pas d'une référence extérieure à la philosophie. Il n'usurpe pas le nom et le prestige de la philosophie et de la maïeutique, il ne s'en sert pas pour cautionner des pratiques douteuses par un argument d'autorité issu d'une tradition antique et respectable. Au contraire, le coaching bien compris serait une manifestation moderne (jusque dans son appellation) de l'exercice mental proprement philosophique, qui consiste à construire consciemment ses pensées et ses actes, en vue d'atteindre une sagesse à la fois théorique et pratique. Comme la philosophie, le coaching se constituerait dans une relation éthique fondée sur le dialogue et le respect, où la vérité se construit progressivement, au lieu d'être donnée dans un ensemble de dogmes ou d'opinions contraignantes, faisant figure d'argument d'autorité.

LA MULTIRÉFÉRENCE SCIENTIFIQUE DU COACHING

Cependant, malgré toutes ces ressemblances, et malgré certaines filiations plus ou moins conscientes entre la philosophie et le coaching, peut-on et doit-on confondre ces deux pratiques ? Le "coaching" serait-il donc une idée creuse, un anglicisme servant d'étiquette commerciale à de nouveaux sophistes, vendant des paroles inutiles et de l'incompétence ? Il est raisonnable d'éviter ici tout jugement à l'emporte-pièce, car, comme dit le proverbe, la critique est aisée, mais l'art est difficile. Si le coaching est difficile à concevoir et à fonder scientifiquement, on peut tout autant y voir l'effet de son insuffisance théorique, que la marque distinctive d'une pratique qui est avant tout un art. Or l'art a souvent posé problème aux philosophes, qui n'ont parfois trouvé d'autre solution que de quitter la philosophie pour s'adonner à l'art, ou que de critiquer l'art au nom de la philosophie. Comme s'il n'y avait aucune philosophie dans l'art lui-même.

Si le coaching est lui aussi un art, et si nous ne renonçons pas à en rendre compte philosophiquement, bien que son appellation et sa réalité effective soient difficiles à saisir, il est alors nécessaire de dire en quoi cet art consiste, indépendamment du fait qu'il comprend des aspects philosophiques. Cela suppose que la philosophie, en tant que discipline théorique et en tant que pratique de pensée ou de dialogue, ne soit pas le seul fondement ni la seule forme du coaching.

Or il apparaît effectivement que de nombreuses disciplines de pensée sont convoquées comme références théoriques ou méthodologiques par les praticiens et théoriciens du coaching, et que ces disciplines se présentent rarement sous l'aspect traditionnel de la philosophie, entendue comme un questionnement systématique portant sur des problèmes généraux. Le plus souvent, il s'agit de techniques de développement personnel, permettant de mieux comprendre la psychologie et les relations humaines, afin d'aider les individus à améliorer leur bien être, leur réussite ou leur performance - trois notions parfois confondues. De nombreux coaches se servent de ces techniques, dont ils résument les bienfaits sur leur site internet, et qui tiennent parfois lieu de référentiel de compétences crédible aux yeux de leurs clients, surtout quand il s'agit d'entreprises qui ne veulent pas investir dans un coaching non labellisé.

Les techniques le plus couramment invoquées sont la Programmation Neuro-Linguistique (plus connue sous le label PNL), l'Analyse Transactionnelle (label AT), la Process Communication (label Process Com ou PCM quand on ajoute le Management), la Gestalt Thérapie, l'indicateur typologique Myers-Briggs (label MBTI), l'Ennéagramme ; des références théoriques sont parfois mentionnées comme s'il s'agissait seulement d'outils techniques, comme c'est le cas par exemple pour la Systémique ou la Psychanalyse (François Delivré donne une liste de compétences mobilisables dans Le métier de coach, 2004, p. 450-454).

De façon générale, toutes les techniques utilisées sont présentées comme des pratiques de coaching fondées sur des conceptions de type scientifique, afin d'éviter les tâtonnements de l'expérience. Le coaching se fonde potentiellement sur un grand nombre de "champs théoriques" à prétention scientifique (dont on trouve un panorama utile dans l'ouvrage de Pierre Angel et Patrick Amar, Le coaching, 2006, p. 27-65) On invoque souvent alors des "principes" ou "postulats" issus de la psychologie et des sciences économiques ou sociales en particulier. Un modèle qui revient souvent est celui des neurosciences, qui présentent l'être humain comme un système, dont on peut analyser la structure et les relations dans son milieu propre. Par exemple, la PNL en déduit des techniques permettant au coach de mieux communiquer avec le coaché, et au coaché d'influencer consciemment sa propre vie, en se programmant mentalement à chacune des occasions de son existence, seul ou dans ses relations humaines.

Pour être coach, il semblerait donc suffisant, suivant cette approche technicienne, de maîtriser une technique quelconque de développement personnel. Pourvu qu'on puisse la rattacher à une justification scientifique concernant la psychologie humaine et sociale, cela suffirait pour appliquer le programme cartésien : bien penser pour bien agir. Il serait même inutile de connaître complètement le fondement scientifique du coaching pour savoir le pratiquer. De même qu'on peut être musicien sans être musicologue, on peut pratiquer le coaching sans posséder de connaissances scientifiques en psychologie ou en anthropologie. Il suffit que le théoricien garantisse les principes, et que le praticien applique les règles qui s'en déduisent.

Assurément, le spécialiste de philosophie verrait dans cette conception du coaching un appel à l'irrationnel, car comment justifier que l'on choisisse une discipline plus qu'une autre pour fonder une pratique aussi importante et grave que l'accompagnement des personnes dans leurs difficultés personnelles et professionnelles ? Et comment accepter l'idée que le coach puisse devenir un "homme de l'art" grâce aux sciences humaines, en ignorant que les résultats de ces sciences sont inséparables du processus qui les a produits ?

Mais cette critique présuppose un coach ignorant, faisant figure de sophiste ou de charlatan. Le cas est-il majoritaire ? On ne saurait en juger sans procéder à une évaluation complète des effets du coaching dans ses innombrables variantes. Faute de pouvoir réaliser une enquête aussi gigantesque, on doit donc se contenter de dire que le présupposé d'un coach ignorant n'est pas vérifiable de façon universelle, mais que l'on doit aussi poser l'hypothèse d'un coach savant, qui fonde réellement son art sur une science, plus ou moins développée, de ce qu'est l'être humain et de ce qu'il peut devenir.

La différence entre le coaching et la philosophie ne viendrait donc pas nécessairement du fait que le coaching n'est qu'une technique, faisant allusion à des fondements scientifiques mal maîtrisés. Elle viendrait, plus profondément, du fait que le coaching est un art fondé sur des sciences qui n'ont rien à voir avec la philosophie.

LE COACHING COMME THÉRAPIE ?

C'est ici que la comparaison entre le coaching et la maïeutique ressurgit de façon inattendue, comme un contre-argument. Ce que de nombreux coaches omettent de mentionner, quand ils définissent le coaching comme une maïeutique d'inspiration philosophique, c'est que la maïeutique socratique n'est pas seulement une technique de questionnement permettant à la personne interrogée de construire par elle-même un savoir dont elle détenait confusément les éléments, elle est aussi une thérapie. Car si Socrate compare son interrogatoire philosophique avec la technique d'accouchement des sages-femmes, c'est précisément parce qu'il s'agit bien à ses yeux d'un acte thérapeutique, une opération eugénique visant à mettre au monde les pensées viables et à laisser avorter les mauvaises pensées ( Théétète, 150 c et 151 c).

Dans le Lachès (187 e - 188 c), Lysimaque accepte d'être soumis à la maïeutique socratique car il espère être amélioré par elle ; mais il décrit cette maïeutique comme une conversation entièrement réglée et contrôlée par Socrate, qui détourne le sujet initial de la conversation, tourne et retourne son interlocuteur, et le contraint à rendre compte de son existence passée et présente, afin d'être plus vigilant sur l'existence à venir. En réalité, la maïeutique est une conversation guidée, où le maître connaît d'avance la réponse qu'il attend du disciple, et où il conduit celui-ci vers une réponse qu'il n'a pas le choix d'éviter.

Le but est certes de conduire l'interlocuteur vers une démarche autonome de problématisation et de dialogue interne de l'âme avec elle-même (définition que Socrate donne à la pensée dans le Théétète, 189 e et dans le Sophiste, 263 d). Mais la relation pédagogique implique au départ une asymétrie entre le maître raisonnable et le disciple enchaîné au monde sensible et à ses opinions : elle reproduit donc la hiérarchie interne de l'âme humaine, cet attelage où un cocher (héniochos, "celui qui tient les rênes") doit conduire le cheval le meilleur et le cheval le pire, en donnant le pas au meilleur, au plus divin (Phèdre, 246 a-d). Le cocher de Platon, qui contrôle les directions contradictoires de notre âme, fait penser ici au mot "coaching", issu du français "coche", lui-même dérivé de Kocs, le nom d'une ville hongroise célèbre pour ses diligences tirées par des chevaux. Si l'activité du cocher platonicien était une direction de conscience, et si le mot "coach" est issu de "cocher", cette étymologie s'oppose totalement à la définition actuelle du coaching. Le coaching que nous connaissons a perdu ses racines étymologiques, évoquant la maïeutique directive de Socrate.

La visée de la maïeutique ainsi définie semble rejoindre celle d'une purification mentale, ou d'un assainissement des pensées. Cette purification se produit lorsqu'un maître va conduire un disciple à se remettre en question, à abandonner des opinions infondées pour les remplacer par un savoir véritable synonyme de santé et de moralité (ce qui peut aussi faire penser à la phrase de Rousseau dans Julie ou la nouvelle Héloïse : "l'art d'interroger est bien plus l'art des maîtres que des disciples. Il faut avoir déjà beaucoup appris de choses pour savoir demander ce qu'on ne sait pas"). On se situe ici dans une longue tradition de la Grèce antique, qui considère l'activité philosophique comme une psychiatrie, une idée que l'on retrouve chez Epicure ( Lettre à Ménécée). La purification philosophique apparaît alors à la fois comme une pédagogie et comme une médecine.

On pourrait en déduire quelle place tient le philosophe : rôle d'un mentor, d'un expert ou d'un thérapeute - ce qui n'a rien à voir avec le coaching, de l'avis commun de nombreux coaches. Par exemple, Pierre Angel et Patrick Amar précisent que le coach peut certes apporter ponctuellement des conseils ou des aides au coaché, mais que ce n'est pas le mode d'intervention majeur du coaching, qui n'est ni un conseil ni une thérapie (Le coaching, p. 17-20). C'est en cela que le coaching diffèrerait nécessairement de la consultation philosophique.

En effet, certaines consultations philosophiques semblent fonctionner suivant une maïeutique partiellement directive ou thérapeutique, contrairement à la méthode préconisée ou affichée par la plupart des coaches. C'est ainsi qu'Olivia Benhamou raconte, dans un article de la revue Psychologies (novembre 2004), comment elle a expérimenté une consultation philosophique du consultant Oscar Brenifier (qui présente des cas semblables sur son propre site internet). Le point de vue d'une cliente est ici intéressant, car on est de l'autre côté de la barrière, et son expérience confirme les propos des coaches. Dans cette consultation philosophique, on observe que le consultant amène la cliente, par une suite de questions, à problématiser, à définir les notions et à déduire les conséquences des propos tenus, si bien que la cliente est effectivement soumise à un dialogue maïeutique, qui lui révèle que derrière un problème de relations familiales pouvait se cacher un problème de confiance en soi. La cliente semble satisfaite bien que l'expérience ait été éprouvante et qu'elle ait été guidée par le consultant, car elle juge la consultation philosophique aussi efficace qu'une séance de psychanalyse.

Certains consultants philosophes vont plus loin, et considèrent que la philosophie peut effectivement avoir un rôle thérapeutique, dépassant la simple clarification ou purification de nos idées. C'est la conception d'Eric Suarez, qui présente plusieurs cas de consultations dans son livre justement appelé La philo-thérapie (2007). L'effet de ces consultations, dont les procédés ressemblent à ceux d'Oscar Brenifier, serait selon l'auteur de "canaliser les pulsions" ou les "passions" au moyen de la "raison", et ainsi de "réduire la douleur de vivre", sans avoir besoin de remonter à l'inconscient par une thérapie analytique (p. 2). Un article de Laurence Delpierre ( La Vie, N° 3224, 14 juin 2007, p. 19-21 : "Mon médecin est un philosophe") rapporte le témoignage de plusieurs clients satisfaits d'avoir trouvé dans les consultations philosophiques d'Eric Suarez et de Bruno Giuliani un complément ou une alternative à la psychothérapie ou à la psychanalyse.

Mais pourquoi faudrait-il en déduire que la consultation philosophique n'a pas de valeur thérapeutique elle-même ? On pourrait au contraire la rattacher à la "logothérapie", ou thérapie au moyen de la raison (logos), dont la théorie fut élaborée par Viktor Frankl vers 1926. Or il s'agissait, pour ce médecin psychiatre et docteur en philosophie, de concevoir une médecine psychiatrique alternative à la psychanalyse freudienne. La logothérapie, nous dit Frankl, est une "psychothérapie" permettant au patient de surmonter ses "névroses" en "prenant conscience" du "sens de la vie" ; il échappe alors au "vide existentiel" qui l'habite lorsque ni ses instincts ni la tradition ne peuvent lui dicter sa conduite, et il échappe du même coup au totalitarisme et au conformisme ( Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, 2006, p. 99 et 104). Si la consultation philosophique est une logothérapie (thérapie au moyen de la raison), il n'est pas exclu alors qu'elle comprenne, comme la psychanalyse, des phénomènes de transfert et de contre-transfert.

L'effet thérapeutique est-il donc le critère de démarcation entre la consultation philosophique et le coaching ? Il faut éviter ici toute généralisation, car la consultation philosophique peut aussi porter sur des problématiques qui n'ont pas grand chose à voir avec la souffrance mentale des individus. C'est le cas des consultations répondant à des problèmes professionnels ou éthiques, auxquels s'est particulièrement attachée la consultante philosophe Eugénie Vegleris, comme elle l'explique dans ses livres Manager avec la philo (2006) et Des philosophes pour bien vivre (2007).

On serait donc tenté d'en revenir à l'hypothèse que la consultation philosophique partage avec le coaching une méthode de questionnement et d'écoute, qui permet à la personne interrogée de résoudre des problèmes par l'exercice de sa propre raison, sans que les problèmes ne soient nécessairement pathologiques. Car si le problème semble relever d'une souffrance ou d'une névrose, le consultant philosophe devrait avoir conscience de la nécessité de rediriger son interlocuteur vers un psychiatre ou un psychanalyste (ce qui suppose chez le philosophe une formation suffisante en psychologie).

LE COACHING COMME PRATIQUE PHILOSOPHIQUE

Finalement, j'en viens à me demander si les critères de démarcation entre la philosophie et le coaching sont pertinents. Reprenons leur liste.

Le premier critère est la référence du coaching aux sciences et à leurs applications pratiques, dont les principes, les formes et les méthodes ne correspondent pas toujours aux exigences théoriques et rationnelles auxquelles la tradition philosophique nous a habitués. En particulier, certains théoriciens du coaching affirment que l'écoute active, supposée appartenir au coach, est exempte de présupposés, alors que le philosophe ne cesse de remettre en question, justement, les présupposés qui fondent toute pensée et toute entente de ce qui est dit, et que ce problème est aujourd'hui connu sous le nom de "cercle herméneutique".

Le deuxième critère est que la consultation philosophique a une visée thérapeutique, ou quasi-thérapeutique, lorsqu'elle aide une personne à se guérir de sa "douleur de vivre" (philo-thérapie), de son "vide existentiel", voire de ses "névroses" (logothérapie).

Le troisième critère est que la consultation philosophique, souvent conduite par des professeurs de philosophie dont certains sont en exercice, accepte facilement l'utilisation d'une maïeutique directive de type socratique, à côté de la maïeutique non-directive de tendance constructiviste.

Or la démarcation établie par ces critères peut être réfutée :

  • L'absence de la philosophie dans les références théoriques du coaching est peut-être l'effet d'une conception scientiste des techniques d'accompagnement de la personne, et ne prouve pas que la philosophie doive être exclue du champ disciplinaire du coaching ; nous avons vu qu'elle apItemît au contraire comme une matrice ou un Itemdigme de celui-ci.
  • Même si le coaching n'a pas de visée thérapeutique (problème qui reste d'ailleurs à examiner plus sérieusement), et si certaines pratiques philosophiques en comportent une (philo-thérapie et logothérapie), il reste que certaines autres pratiques philosophiques n'en comportent pas non plus, comme la consultation philosophique centrée sur l'accompagnement professionnel ou la résolution de problèmes.
  • La maïeutique non-directive rapproche le coaching de la philosophie, même si celle-ci admet en outre une maïeutique directive dans un but de formation ou de thérapie.

Je serais donc tenté de dire que chaque coach, chaque consultant philosophe et chaque professeur de philosophie est amené à prendre position, parfois sans le savoir, par rapport à différentes compétences, différentes pratiques et différents champs disciplinaires, dont certains seulement sont exclus de son domaine, mais qui se recoupent le plus souvent avec des domaines voisins. Pour clarifier cette hypothèse, je propose le tableau suivant, qui pose autant de questions qu'il n'en résout, en présentant une liste indicative de critères susceptibles de définir chacune de ces pratiques :

X Critère distinctif Coaching Consultation
philosophique
Enseignement
philosophique
collectif
Maïeutique directive X X X
Maïeutique non-directive X X  
Dialogue X X X
Mentorat   X X
Formation intellectuelle   X X
Thérapie   X  
Développement personnel X X  
Aide au changement X X  
Stratégies de performance X X  
Dynamique de groupe X X X
Outils relationnels à référence scientifique X    
Questionnement herméneutique   X X
Transfert, contre-transfert X X X
Autonomisation X X X

Ainsi, d'un côté le coaching semble hériter dans une large mesure du modèle disciplinaire et relationnel de la philosophie, mais d'un autre côté il fait appel aussi à d'autres disciplines et d'autres postures relationnelles, importées de la psychanalyse, de la linguistique, du management, de la psychologie, et des diverses techniques de développement personnel mises au service de l'accompagnement, comme la programmation neuro-linguistique (PNL) ou l'analyse transactionnelle (AT), sans compter la multitude de techniques fondées sur des conceptions anthropologiques particulières, sur les sciences humaines, ou sur la spiritualité en général.

Il est possible de situer la philosophie dans cette liste interminable, comme une discipline spécialisée parmi d'autres. Sa spécificité pourrait être de répondre à des questions générales : "qu'est-ce que l'homme ?" selon Kant, "qu'est-ce que l'esprit ?" selon Bergson, "que veulent dire les mots et les concepts ?" selon la philosophie analytique, etc.

Mais il est possible également de co cevoir la philosophie comme une discipline transversale, ou comme un paradigme, au carrefour de nombreuses sciences, de nombreux arts et de nombreuses pratiques. Au lieu de dire que la philosophie n'a rien à voir avec le coaching, et qu'elle s'oppose à lui comme une science humaine s'oppose à une pratique incertaine, ou de dire inversement que le coaching n'a rien à voir avec la philosophie, qui est incapable de lui fournir des outils scientifiques pour l'accompagnement des personnes et des groupes, surtout en milieu professionnel, ne vaudrait-il pas mieux faire attention aux intersections inévitables entre l'antique philosophie et le coaching nouveau né ?

Un paradigme commun au coaching et à la philosophie se trouve être, en effet, l'interdisciplinarité et la transversalité des connaissances et des pratiques. Tout comme la philosophie, le coaching contient une démarche intellectuelle "intégrative", comme le remarquent Pierre Angel et Patrick Amar ( Le coaching, p. 29). Le philosophe n'est pas un pur spécialiste confiné dans le rôle d'un maître à penser, d'un directeur de conscience ou d'un pédagogue. Il n'est pas non plus toujours prêt à devenir marginal, manipulateur, sectaire ou autoritaire. Sa vocation est bien plus souvent de s'ouvrir lui-même à la diversité des savoirs, des cultures et des êtres humains, et de servir quand il le peut de passeur entre la pensée close et la pensée ouverte. Ne faut-il pas reconnaître aussi que le but de la philosophie est de faire servir la pensée à la vie elle-même ?

On peut donc se demander si le philosophe, dans son rôle de conseiller théorique, moral ou politique, ne serait pas avant tout un passeur, qui viserait en réalité un but semblable à celui du coaching : permettre à son interlocuteur de devenir conscient de lui-même et de son rapport avec le monde. Cela implique de faire de la philosophie autre chose qu'une théorie générale, et de la transformer en une éthique adaptée aux individus et aux groupes, susceptible de participer à leur perfectionnement et à leur épanouissement.

Mais l'éthique n'est pas seulement un mot à la mode, elle est le résultat nécessaire de la pensée du philosophe et du coach, qui intègrent dans la compréhension des individus et des groupes la dimension du dialogue, la diversité des pensées et des disciplines, la multiplicité des aspects de l'existence et du monde, la complexité des relations infiniment variées entre les êtres. Ce n'est donc pas un hasard, si les coaches, comme les consultants philosophes se réfèrent à des philosophies de la transversalité, de l'intégration et de la complexité.

Je prendrai pour exemple le concept d'enaction, que Vincent Lenhardt et Laurent Buratti considèrent comme un fondement essentiel de la formation du coach, de sa pratique et de sa relation avec le coaché ( Le coaching, p. 78). Ce concept a été créé par le philosophe Francisco Varela à partir de ses recherches de neurobiologie sur l'autonomie de l'être vivant. Il signifie que l'être vivant, en particulier l'homme, agit toujours en relation avec ses perceptions, et perçoit toujours en relation avec ses actions, de sorte que son esprit et ses activités cognitives sont en permanence inscrits dans une corporéité, qui n'est pas seulement le corps propre dont parle Merleau-Ponty, mais aussi la corporéité du monde dans lequel son existence est intégrée, et qu'il intègre inversement dans son expérience. Toute action est "incarnée" (F. Varela et alii, L'inscription corporelle de l'esprit, 1993, p. 234-235), c'est-à-dire qu'elle intègre un monde et s'intègre dans un monde.

L'enaction serait au fondement du coaching : elle permettrait de comprendre comment le coaché peut lui-même initier une boucle rétroactive entre son action, l'expérience qu'il en tire, et la modification de son organisation interne ; elle permettrait aussi au coach de ne pas intervenir sur le processus d'apprentissage autonome du coaché, et de lui proposer seulement des conditions favorables pour "s'auto-créer", pour ne plus être "égocentrique" mais "écocentrique" (Laurent Buratti, "Le paradigme de l'enaction", dans V. Lenhardt [dir.], Accompagner la transformation des personnes, 2008).

Cette conséquence de l'enaction n'est pas sans rapport avec la visée commune du coaching et de la philosophie : ne pas enfermer l'être humain sur lui-même, mais l'aider à poser clairement les problèmes et à concevoir de multiples possibilités de réponse (V. Lenhardt et L. Buratti insistent sur cette "ouverture des possibles"), de façon à décloisonner son expérience et son action, jusqu'à ce qu'il crée lui-même son existence comme "projet" (Sartre). C'est ici que le concept d'enaction nous fait signe, au-delà du coaching, vers la philosophie, qui lui a d'ailleurs donné naissance.

En effet, non seulement on peut penser que la philosophie est intrinsèquement une ouverture d'esprit nécessaire à la progression mentale de tout être humain, mais on peut aussi constater que la consultation philosophique met en pratique cette ouverture des possibles chère au coaching. C'est ce que rapporte par exemple Eugénie Vegleris ( Manager avec la philo, p. 39-40) : lorsqu'un client, habitué à recourir à des coaches, lui demande quelle est sa "grille de lecture", elle lui répond que la philosophie ne consiste pas à poser des grilles, mais à ouvrir des "fenêtres", puis elle insiste dans sa démarche sur la méthode du dialogue.

Cette anecdote la conduit à définir la philosophie : "La philo n'a pas d'idée préconçue, elle questionne la réalité. En questionnant elle cherche le sens et non pas la vérité. Pour trouver le sens de la situation que des hommes sont en train de vivre, la philo invite les individus à démultiplier leurs points de vue en échangeant" (ibid., p. 41). Cette définition ne rejoint-elle pas la posture de neutralité bienveillante du coach, créant les conditions d'un dialogue interne dans l'esprit du coaché, ou d'un dialogue externe entre le coaché et l'environnement auquel il est intégré ?

Ainsi, je ne dirai pas que le coaching s'identifie à la philosophie, ni que ces deux concepts sont synonymes. Je dirai plutôt que le coaching le plus accompli rencontre nécessairement la philosophie sur son chemin, soit comme une discipline théorique transversale, ouvrant des fenêtres sur la diversité des possibles, soit comme une matrice ou un paradigme, soit comme une méthode, soit comme une posture de dialogue, et qu'à de nombreux titres la philosophie et le coaching comportent des intersections potentielles. Il appartient toutefois à chaque coach et à chaque consultant philosophe de choisir dans sa pratique quelles intersections seront actualisées, en fonction de son référentiel et de la situation de son interlocuteur.

Mais pour être plus précis, j'ajouterai que le coaching peut légitimement être considéré comme une pratique philosophique, même si certains coaches ne le formulent pas explicitement, car il repose sur un paradigme théorique et relationnel largement tributaire de ce qui fait vivre la philosophie depuis les origines. Ce paradigme, en quelques mots, est constitué des principes suivants : prendre conscience des problèmes, de leurs multiples aspects et de leur complexité (comme le dirait Edgar Morin) ; aider un ou plusieurs interlocuteurs à accéder à cette même conscience par eux-mêmes ; coopérer par le dialogue intérieur ou extérieur à la construction de réponses diversifiées ; progresser vers un mieux vivre lié à un mieux penser.

Si le coaching est une pratique philosophique, cela entraîne en retour une définition particulière de la philosophie, dans ses intersections avec le coaching. Le coaching semble en effet renouer avec ce qui était la figure première de la philosophie dans l'Antiquité grecque : un dialogue non écrit entre des êtres humains, sur des problèmes généraux qui étaient cependant connotés par la présence corporelle d'interlocuteurs particuliers, dans une relation inséparablement éthique et théorique. Comme nous l'ont rappelé Friedrich Nietzsche ( Considérations inactuelles, III, 3 : "J'estime un philosophe dans la mesure où il est en état de donner un exemple (...) par la vie visible et non pas seulement par les livres") et Pierre Hadot ( Exercices spirituels et philosophie antique, 1993, 2002), la philosophie était avant tout une pratique de modification de soi-même par soi-même, dans un dialogue qui visait à la fois une construction collective et une construction individuelle du sens. Par exemple, si le dialogue du Phédon oppose différents interlocuteurs sur la question de l'immortalité de l'âme, c'est pour mieux comprendre, et peut-être mieux supporter, la mort annoncée de Socrate, dans un contexte d'émotion qui est la racine personnelle et psychologique du discours philosophique.

Si philosopher ne consiste pas à parler pour ne rien dire, mais à dialoguer pour résoudre des problèmes qui concernent des êtres humains particuliers, même si ces problèmes sont généraux, alors le coach attentif aux individus et à leur humanité est nécessairement un philosophe. Inversement, lorsque le consultant philosophe se dépouille de son rôle de mentor, de formateur ou de pédagogue, il se rapproche du coaching.

La possibilité d'adopter l'une ou l'autre posture permet de ne pas enfermer le coach et le philosophe dans des identités de rôle qui pourraient s'opposer à l'éthique de la discussion. Comme le montre Jürgen Habermas, la discussion véritable implique en effet une relation éthique, bien plus que la mise en présence de théories préalablement conçues par les interlocuteurs : ce n'est que dans un "dialogue inclusif", où "nos différences réciproques se manifestent dans la perception d'une situation commune", que nous pouvons "exercer la vertu cognitive d'empathie"(L'éthique de la discussion et la question de la vérité, 2003, p. 18). Si tant est que l'éthique ait un avenir, le coach et le philosophe pourraient bien y trouver un terrain commun pour s'entendre, et pour entendre leurs interlocuteurs.

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