Revue

Suisse : les Olympiades de philosophie dans l'enseignement

Les Olympiades internationales de philosophie (International Philosophy Olympiad IPO) sont une compétition pour des lycéens issus de partout dans le monde. Je présenterai cette compétition ainsi que quelques compétitions antérieures servant de sélection des candidats. J'expliquerai comment ces compétitions peuvent enrichir l'enseignement, et je discuterai deux problèmes d'interprétation de l'idée olympique appliquée à la philosophie. Je conclurai par un résumé et un appel.

Les Olympiades internationales de philosophie

Les Olympiades internationales de philosophie ont été crées en 1993 par un groupe de professeurs de lycée et d'université des pays suivants : Bulgarie, Roumanie, Turquie, Pologne et Allemagne. Les professeurs des pays de l'Europe de l'Est semblent avoir ressenti un grand besoin de créer des contacts internationaux, au bénéfice de la philosophie. Au fur et à mesure, de nouveaux pays ont rejoint les pays fondateurs pour former aujourd'hui une vingtaine de pays participants, dont plusieurs pays européens ainsi que l'Argentine, la Corée du Sud et le Japon.

Les Olympiades sont organisées une fois par an sous le patronat de la FISP (Fédération Internationale des Sociétés de Philosophie) et de l'UNESCO. Les invités sont les candidats des pays participants, c'est-à-dire deux lycéens par pays (et dix du pays organisateur) ; un ou deux dirigeants, généralement des professeurs de lycée par délégation nationale ; et des représentants de la FISP et de l'UNESCO. Durant les quatre à cinq jours des Olympiades, les candidats prennent part à la compétition elle-même, ainsi qu'à des ateliers de philosophie et des manifestations culturelles.

La compétition consiste à écrire une dissertation (un essai philosophique) sur l'un de quatre thèmes au choix pendant quatre heures sur un ordinateur. La langue de ce travail est l'anglais, le français ou l'allemand, mais il n'est pas permis que ce soit la langue maternelle ou la langue officielle du pays dans lequel le candidat suit son parcours scolaire. Ces conditions ont été fixées en tenant compte des connaissances linguistiques des professeurs formant le jury. D'autre part on voulait garantir l'égalité des chances pour tous les candidats, d'où l'idée d'interdire la langue maternelle et la langue officielle du pays du candidat. Cette situation n'est pas entièrement satisfaisante puisqu'il reste toujours une sorte d'inégalité entre les candidats selon les provenances et les connaissances linguistiques, mais cela semble être la meilleure solution possible.

Les dissertations sont évaluées, dans un premier tour, par un jury composé de tous les professeurs présents. Les travaux sont notés sur dix selon les cinq critères suivants : L'essai doit

  • être écrit de manière cohérente et ne pas contenir de contradictions (cohérence) ;
  • contenir une argumentation pour une thèse ; cette argumentation doit être convaincante (pouvoir de persuasion de l'argumentation) ;
  • s'appuyer sur des arguments exemplaires (connaissances philosophiques) ;
  • montrer la pensée propre de l'auteur de l'essai (originalité) ;
  • ne contenir que des thèses et des arguments qui concernent directement le sujet (pertinence pour le sujet).

Une dizaine des travaux sélectionnés par ce premier jury est ensuite transmise à un deuxième jury, composée de représentants de la FISP, qui décide de la classification finale et de la répartition des médailles.

Les objectifs des Olympiades sont de promouvoir l'éducation philosophique au niveau de l'école secondaire et de promouvoir l'intérêt des élèves pour la philosophie, d'encourager le développement de compétitions philosophiques pour les élèves au niveau national, régional et local, de contribuer au développement de la pensée critique et créative, de développer la réflexion philosophique sur la science, l'art et la vie sociale, de cultiver la capacité de la réflexion éthique, et de promouvoir une culture de paix à travers les échanges et les contacts entres des jeunes gens de nations différentes1.

Les compétitions nationales

En amont, un concours national est organisé par chacun des pays participants. Ces concours ont pour objectif de sélectionner les candidats représentant les différents pays. L'organisation de ces compétitions varie de pays à pays. Dans certains pays, la compétition consiste en la rédaction d'une seule dissertation (par exemple en Norvège et au Danemark) ; dans d'autres pays, dans la rédaction de deux dissertations (par exemple en Allemagne, en Autriche, en Suisse, et en Italie). Dans d'autres pays encore, elle consiste, outre deux dissertations, en d'autres étreuves (oral et logique, par exemple en Estonie). Je vais présenter les compétitions en Suisse et en Autriche.

La compétition en Suisse est organisée par l'Association SwissPhilo sous le patronat de la Société Suisse de Philosophie (SSP). Tous les élèves des écoles de maturité de la Suisse (Lycées) peuvent y participer. La compétition comporte deux tours. Dans les deux tours, les candidats doivent écrire un essai philosophique sur un thème au choix (sur quatre proposés). Les langues de compétition sont l'Allemand et le Français. Les critères d'évaluation sont les mêmes qu'aux Olympiades internationales. Le premier tour consiste à écrire un essai philosophique à la maison ou en cours. Un jury détermine les meilleurs des travaux envoyés, normalement une dizaine. Les auteurs de ces essais sont ensuite invités au deuxième tour, qui dure deux jours. Les candidats prennent part à différents ateliers, cultivent l'entretien philosophique et écrivent en quatre heures un essai philosophique. Un jury détermine les meilleurs essais. Ces essais sont ensuite primés et les auteurs des deux meilleurs essais se qualifient pour les Olympiades internationales2.

La compétition en Autriche est organisée par le Ministère de l'Education. Comme en Suisse, la compétition comporte deux tours d'écriture d'essai philosophique. À la différence de la compétition suisse, ce ne sont pas les élèves eux-mêmes qui envoient leurs travaux, mais les professeurs de lycée qui les envoient d'abord à un coordinateur de l'état fédéral (Bundesland) respectif. De chaque état, deux candidats peuvent participer au deuxième tour, donc une vingtaine d'élèves en tout3. Le deuxième tour est organisé comme celui de la Suisse autour d'ateliers et de présentations. À la différence de la Suisse, ce ne sont pas seulement les élèves qui y sont invités, mais aussi les professeurs. Ceux-ci participent à un stage de formation complémentaire pendant que leurs élèves écrivent les essais, et ils forment ensuite le jury qui décide du classement et désignent les deux candidats qui représenteront l'Autriche aux Olympiades internationales4.

Comment les Olympiades peuvent enrichir l'enseignement ?

Les Olympiades sont une compétition dont deux groupes de bénéficiaires sont évidents : les élèves et les professeurs, participant au deuxième tour national ou aux Olympiades internationales. Les élèves participants peuvent ainsi améliorer leurs capacités philosophiques et nouer des contacts. Les professeurs peuvent aussi améliorer leur compétence d'évaluation de la dissertation et s'engager dans des discussions philosophiques et pédagogiques entre collègues. Mais les Olympiades représentent aussi un gain pour tous les élèves d'un cours de philosophie.

Premièrement, la compétition donne l'occasion de travailler sur l'écriture de la dissertation pour les cours de philosophie (dans des pays comme la Suisse ou l'Autriche) qui ne sont pas orientés en premier lieu sur la dissertation. La compétition sert donc à l'amélioration des compétences d'écriture philosophique. Deuxièmement, la compétition donne l'occasion à tous les élèves participant de travailler sur un thème qui n'est pas un thème dans lequel le professeur a un intérêt particulier ou sur lequel l'élève n'a pas travaillé dans le cours même. En cela, les Olympiades peuvent servir d'ouverture d'esprit. Troisièmement, la compétition est une occasion pour tous les élèves de montrer leurs connaissances et capacités philosophiques. Les Olympiades sont donc un moteur de motivation.

Problèmes d'interprétation de l'idée olympique

L'idée olympique appliquée à la philosophie peut donner lieu à des problèmes d'interprétation. Elle peut être interprétée dans un sens étroit comme combat, ou comme compétition élitiste. Je vais essayer d'expliquer en quoi ces interprétations ne sont pas adéquates à l'idée olympique appliquée à la philosophie.

L'idée olympique, inventée en Grèce antique, était une compétition sportive pour trouver les meilleurs athlètes dans différentes disciplines hippiques et de gymnastique. Quelques-unes de ces disciplines de gymnastique étaient des sports de combat, comme la lutte, le pugilat et le pancrace. D'autres disciplines de gymnastique n'étaient pas des sports de combat, comme la course à pied sur différentes distances, le lancer du disque, le saut en longueur et le lancer du javelot. L'interprétation de l'idée olympique comme combat est ainsi réductionniste même pour le cas des jeux olympiques antiques. De plus, la compétition philosophique dans l'écriture de dissertation n'est pas un combat puisqu'il n'y a pas d'opposant à combattre. On pourrait rapprocher l'écriture de la dissertation au lancer du disque ou du javelot, mais d'une manière ce serait aussi une réduction puisque, dans le premier cas il y un seul critère d'évaluation alors que dans le deuxième il y en a plusieurs. Plus fondamentalement, les critères du deuxième ont un aspect normatif que les critères du premier n'ont pas : pour être pertinent, convaincant et original, il faut faire des choix qui sont basés sur des principes normatifs. Mais ces différences ne devraient pas non plus cacher les ressemblances : il s'agit dans les deux cas d'une compétition, c'est-à-dire d'une recherche du meilleur dans une certaine discipline définie par des règles. La compétition philosophique n'est pas un combat, mais plutôt une mesure des compétences.

L'idée de concours peut aussi être perçue comme élitiste. L'objectif d'un concours est de trouver et de former les meilleurs dans une discipline, dans un groupe qui dépasse d'une certaine manière les autres, donc une élite. Mais l'élitisme en soi n'est pas nécessairement négatif. L'élitisme peut aussi promouvoir l'aspiration vers le perfectionnement de capacités, dans le cas de la philosophie de capacités intellectuelles. Les Olympiades ne sont pas seulement élitistes ; elles sont aussi là pour permettre le dialogue entre de jeunes gens de différentes régions d'un pays dans le cas des compétitions nationales et de différentes nations dans le cas de la compétition internationale. Ce dialogue se fait entre des personnes intéressées dans la philosophie, qu'elles soient les meilleures ou non. Les Olympiades sont donc aussi et simplement un moyen de réaliser ce dialogue, qui autrement n'aurait peut-être jamais lieu.

Conclusion

J'ai présenté dans cet article les Olympiades internationales et les compétitions nationales Suisse et Autrichienne. J'ai expliqué comment les Olympiades peuvent enrichir l'enseignement, notamment en donnant occasion à l'amélioration des compétences d'écriture philosophique, à l'ouverture d'esprit et en servant de moteur de motivation. J'ai discuté deux problèmes d'interprétation de l'idée olympique : les Olympiades ne sont ni un combat, ni une manifestation purement élitiste. Il est bien dommage que la France, nation avec une grande tradition non seulement de la philosophie en général, mais de la dissertation philosophique dans l'enseignement secondaire en particulier, n'y participe pas à ce jour. Une telle participation serait sans aucun doute très appréciée par les organisateurs et les participants des Olympiades Internationales, et cela pourrait aussi enrichir l'enseignement philosophique en France5.


(1) Pour le règlement entier, voir le site internet de la FISP : http://www.fisp.org/, ou des IPO : http://www.philosophy-olympiad.org/. Pour une liste des médaillistes, voir le site Internet : wikipedia (en allemand) : http://de.wikipedia.org/wiki/Internationale_Philosophie-Olympiade.

(2) Site Internet des Olympiades Suisses de Philosophie (en allemand et en français) sur : http://www.philosophie.ch/.

(3) Depuis la dernière année, deux candidats du Trentin-Tyrol du Sud y participent aussi.

(4) Site Internet de la compétition autrichienne (en allemand) : http://www.philolympics.at/.

(5) Je voudrais remercier Verena Thaler pour ses comentaires.

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