Bien qu'à la mise en ligne de cet article ces journées aient déjà eu lieu (les 25 et 26 octobre 2008), il a paru souhaitable d'en maintenir la publication dans sa forme initiale.
La classe de philosophie se veut le lieu d'une réflexion instruite et vivante. Les grands textes et questions de la tradition n'y sont convoqués que pour former le jugement. L'enseignement de philosophie refuse légitimement de verser dans un simple apprentissage de "doctrines". Il est admis que la culture philosophique n'a de sens que si, grâce à elle, les élèves sont mieux armés pour appréhender de façon critique les problèmes du monde contemporain.
Mais comment se fait le lien précisément entre les problèmes tels qu'ils se posent dans la culture philosophique et ceux du monde contemporain ? Par exemple, suffit-il de comprendre la problématique du Contrat Social ou celle du Traité de paix perpétuel pour comprendre comment se posent les questions politiques aujourd'hui ? Est-ce à l'élève de faire le lien ? Au professeur ? Et comment ?
Nous connaissons ces difficultés. Nous savons aussi qu'il est différentes manières d'y répondre qui engagent à chaque fois une certaine conception de l'enseignement de philosophie. Certains pensent que le meilleur moyen d'articuler la philosophie et le réel est de partir des questions vives du moment (par exemple celles que pose le clonage d'embryons humains) pour remonter aux grandes questions de philosophie (morale, politique, anthropologique, etc.). D'autres y voient un écueil pour la formation : des questions trop arrimées à une actualité sensible faisant obstacle à la distanciation critique ; d'autres encore redoutent une dissolution du philosophique dans le médiatique.
Les prochaines journées d'études de l'ACIREPh seront consacrées à ce problème professionnel : comment enseigner une philosophie vivante ? Peut-on et faut-il pour cela enseigner la philosophie à partir de questions contemporaines ? Nous souhaitons que ces questions puissent y être librement et véritablement réfléchies, discutées, débattues !
Mais pour ne pas séparer la réflexion sur les pratiques et les finalités de celle sur les contenus, nous avons choisi d'aborder ce problème à travers la question suivante : quel droit sur le vivant, quels droits du vivant ? Si d'autres étaient évidemment possibles, celle-ci nous paraît assez emblématique des difficultés qui se présentent. Des questionnements philosophiques décisifs s'y jouent aujourd'hui.
Prenons trois exemples.
1. La question du droit des animaux.
Elle est ancienne : la philosophie a souvent réfléchi sur la souffrance animale : Bentham, Mill, Schopenhauer, et déjà chez Montaigne (son chapitre des Essais "De la cruauté"). On pourrait remonter plus loin encore : la tradition franciscaine, l'Antiquité (Sextus Empiricus), etc. Or cette question se pose de manière renouvelée par des pratiques contemporaines, objets de vifs débats, comme l'utilisation par l'homme d'animaux pour se divertir (corrida, cirque, combats d'animaux, etc.), se nourrir (élevage intensif et en batterie, abattage industriel, etc.), ou se guérir (expérimentation animale). Et de nouveau la philosophie est convoquée, car l'analyse engage des thèses et des argumentations anthropologiques, morales, politiques et métaphysiques qu'il faut bien identifier et approfondir, pour tenter d'y voir clair et dépasser un tant soit peu le débat d'opinions.
2. La question des brevets sur le vivant.
Les groupes industriels qui financent les recherches sur le vivant multiplient les brevets sur le vivant. Pourtant l'idée même qu'une "forme vivante" puisse être l'objet d'une appropriation privée ne va de soi ni moralement ni métaphysiquement ; c'est aussi un problème pour la liberté de la recherche. Enfin les enjeux économiques et politiques sous-jacents sont ici considérables.
3. Les questionnements au croisement de la science, du droit et du vivant permettent enfin, et de façon plus générale, de réfléchir à la manière dont, dans une démocratie s'élaborent les normes de l'existence collective.
Que faire en effet si mes convictions personnelles s'opposent à celles de mon voisin sur la question du droit des animaux ? Comment trancher un conflit entre adversaires et partisans de l'expérimentation animale ?
Tout cela questionne directement la finalité de notre enseignement : qu'est-on en effet en droit d'attendre ici d'un cours de philosophie?
Chacun voit à travers ces trois exemples que c'est aussi la manière dont l'enseignement de philosophie participe à la formation d'un homme et d'un citoyen éclairé qui est interrogée. Notre enseignement ne cesse de proclamer sa valeur éminemment formatrice. Est-ce le cas ? Et est-ce-possible sans enseigner la philosophie à partir des grandes questions contemporaines ? Quel est le rôle du professeur de philosophie ? Est-il surtout (voire seulement) d'initier les élèves à la culture philosophique occidentale classique ? Ou bien (aussi ?) de développer chez eux un "sens philosophique" destiné à s'investir dans les débats du présent, voire du proche avenir ? Faut-il d'ailleurs opposer les deux ? Et si on ne les oppose pas, comment les articuler ?
Programme prévisionnel des journées de l'ACIREPh
Samedi 25 octobre
9h00 - Accueil des participants
9h30 - Allocution d'ouverture
10h - 12h - Conférence-débat avec Florence Burgat, philosophe et spécialiste du droit animal, directrice de recherche à l'INRA) : "Les animaux ont-ils des droits ? Avons-nous des devoirs envers eux ? - L'éthique animale en question".
13h30 - 15h30 - Ateliers.
Plusieurs ateliers seront présentés portant sur une question de métier à partir de travaux menés en classe sur le thème des journées d'étude (droit et vivant, l'homme et l'animal, science et morale, etc.). A partir de nos pratiques réelles avec les élèves réels (!), des contraintes et des objectifs propres de notre profession, il s'agit de réfléchir aux questions que nous nous posons tous, comme professeurs de philosophie, aux difficultés que nous rencontrons, à la manière dont nous y répondons.
16h - 18h -Conférence-débat avec Agnès Ricroch, maître de conférences à l'Institut National Agronomique Paris-Grignon, chercheuse au CNRS, laboratoire d'évolution et systématique, université Paris-XI) : "Les brevets sur le vivant : vers une dérive dangereuse ? Enjeux scientifiques, éthiques et politiques".
Dimanche 26 octobre
9h30 - 11h15 : Conférence-débat : "Comment élaborer les règles de Droit lorsque les convictions éthiques des citoyens sont antagonistes ? A partir d'un exemple (l'expérimentation sur les animaux de laboratoire, le clonage etc.)".
11h15 - 12h30 Ateliers
Peut-on, doit-on enseigner la philosophie à partir de questions contemporaines ? Que faisons-nous, nous mêmes dans les classes ? Nous servons nous de l'actualité ? Comment ? Pourquoi ?
La discussion portera sur cette question en général ; elle ne sera pas restreinte au thème abordé lors des journées.
14h - 16h30 Trois tables rondes autour des thèmes suivants :
1) La question des rapports entre histoire de la philosophie et enseignement de la philosophie : point de vue et discussion.
2) Où en est l'enseignement de la philosophie dans les séries technologiques ?
Difficultés, échecs : quelles conditions pour une réussite ?
3) Enseigner la philosophie en première : témoignages, enjeux et perspectives.
16h30 - 17h30 : conclusions.
L'ACIREPh invite tous les participants à un pot pour fêter l'anniversaire de ses dix années d'existence.
Renseignement et inscription : www.acireph.org
ou écrire à Janine Reichstadt, 108 rue de Turenne, 75003 Paris