Revue

Plus-value de compétences de la discussion à visée philosophique (DVP) en classe coopérative

Une fois effectuée une présentation du contexte de l'école coopérative Antoine BALARD de Montpellier qui allie classes coopératives et discussions à visée philosophique, cette communication consistera en un développement des référentiels de compétences suscitées par ce contexte, tant dans son aspect coopératif et démocratique que dans son aspect philosophique. Une comparaison entre ces deux référentiels permettra une indication de la plus-value engendrée par les DVP au sein de ces contextes. Pour éclairer la présentation de ces référentiels, deux développements conceptuels seront proposés : un premier concernant la classe coopérative, un second autour du concept de compétence et de ses notions connexes.

Contexte

L'école coopérative Antoine Balard se trouve dans le quartier populaire de La Paillade à Montpellier. Elle accueille près de deux cent enfants du quartier, presque tous originaires du Maghreb. Elle est composée de dix classes, des classes uniques du CP au CM2. Cette école est inscrite en ZEP depuis leur création. Le projet des classes uniques a succédé à celui des classes de cycle III et à la tentative de classes de cycle II. À partir de la loi d'orientation sur la politique des cycles de 1989, plusieurs enseignants s'étaient regroupés pour augmenter l'hétérogénéité dans les classes et y développer la prise en compte des différences. Progressivement, des fonctionnements de classes se sont dessinés, des outils se sont construits (la démarche PIDAPI d'apprentissage individualisé par exemple), et un climat de plus grande sérénité s'est installé. Les enseignants de cycle II ont voulu à leur tour bâtir des classes de cycle II mais la faible présence d'enfants lecteurs a été une entrave importante au développement des autonomies. Cette expérience n'a pas été reconduite mais l'idée d'intégrer les enfants sortant de maternelle dans les classes de cycle III a donné lieu au projet des classes uniques.

Pratique d'une pédagogie coopérative

L'organisation de l'école permet une demi-heure d'accueil le matin. Les enfants arrivent donc progressivement et s'installent dans leur travail. Un enfant " président du jour " anime l'ensemble des moments collectifs. Le premier est un " Quoi de neuf ? ". Il laisse la place à des interventions autour de faits de vie, présentation d'objets, petites lectures, nouvelles des correspondants ou questions d'actualité. Chacun se lance alors dans son plan de travail. Il s'agit d'activités à partir d'un document établi par l'enfant et l'enseignant. Il reprend l'ensemble des tâches à effectuer et des projets à réaliser pendant la semaine. Les compétences à travailler sont puisées parmi le corpus de celles proposées dans les "ceintures" : à l'image de ce qui se passe sur un tatami, de la couleur blanche à la marron, les enfants peuvent s'y voir grandir en fonction de leurs réussites. Cela leur permet d'entrer dans des activités qui correspondent à ce que l'école attend d'eux en même temps que ce qu'ils sont en mesure de se construire. Ensuite débute la réunion coopérative durant laquelle chacun fait part de ses demandes au groupe et communique l'avancée de ses projets. C'est aussi l'occasion de se fixer des rendez-vous pour une présentation collective ou la réalisation d'une visite ou d'une enquête. Le restant de la journée laisse place à des plages de temps personnels (et non individuels), à des moments collectifs (exposés, activités) ou à des ateliers d'école. Il s'agit d'une organisation commune aux classes uniques qui permet aux enfants de choisir une activité en histoire, géographie, sciences, littérature ou arts, indépendamment de la composition des groupes classes. Ces ateliers sont animés par les enseignants. Les journées s'achèvent par un " bilan-météo ", où chacun peut exprimer ce qu'il pense de son travail, ce qu'il a appris et l'aide éventuelle dont il a besoin.

De manière triviale, une pédagogie coopérative peut se définir comme une forme d'enseignement dont les apprentissages sont possibles par la coopération entre les personnes qui composent le groupe. Nous entendons par coopération toutes les situations où des individus ont la possibilité de s'entraider par et dans la rencontre éducative. La définition la plus explicite semble avoir été donnée par un de ses précurseurs : " L'école coopérative c'est, au lieu de l'école assise, vivant dans le bourdonnement des vaines paroles, l'école active ... C'est une école transformée politiquement où les enfants qui n'étaient rien sont devenus quelque chose, c'est l'école passée de la monarchie absolue à la république et où les enfants apprennent le jeu de nos institutions et s'exercent à la pratique de la liberté. L'école coopérative c'est enfin l'école où l'instruction n'est plus le but exclusif, mais celle où l'on vise à former l'être pensant, qui sait écouter la voix de la raison, l'être moral et conscient et responsable, l'être social attaché tout autant à l'accomplissement de ses devoirs qu'à la revendication de ses droits. "

La conduite pour un enseignant d'une classe coopérative pourrait consister à réussir cinq passages :

  • Passer d'une pédagogie du contrôle à une pédagogie de la " dissipation ", qui accueille l'événement et considère ce qui échappe au maître comme source d'apprentissage.
  • Passer d'une pédagogie de l'homogène à une pédagogie de la complexité qui refuse une conduite uniforme du groupe et accepte l'hétérogénéité et le vivant comme enrichissements de la classe.
  • Passer d'une pédagogie de l'enseignement à une pédagogie de l'apprentissage qui fait des modalités d'apprentissages des élèves la base de l'activité de l'enseignant.
  • Passer d'une pédagogie de l'individuel et du collectif à une pédagogie de la personne, prise dans sa globalité, en particulier le caractère social de son essence.
  • Passer d'une pédagogie de l'omnipotence du maître à une pédagogie de la coopération qui fait de la classe et de l'école un espace d'échanges de savoirs, et des situations d'entraide des alternatives équitables à l'intervention didactique.
  • Passer d'une pédagogie du spectacle à une pédagogie matérialiste qui tend vers la valorisation des productions de chacun au lieu de la production la plus aboutie, et qui attribue à l'outil un statut pédagogique fort.

Véritable architecture pédagogique, la classe coopérative s'appuie sur une structure d'institutions permettant l'exercice de la coopération. Par l'intermédiaire de différents degrés d'entraide, des espaces de libertés se constituent. Les élèves s'octroient ou obtiennent diverses autorisations : celles de dire, de contredire, de se déplacer, de proposer, de choisir, de décider, de légiférer, de féliciter, de critiquer, de s'aider, de planifier, d'organiser, de s'organiser dans le travail. Progressivement, ils apprennent par l'engagement l'agir citoyen, se construisent des compétences sociales pour mieux façonner leur propre personnalité, et développent un rapport dynamique aux savoirs. C'est dans ce cadre que se construisent diverses compétences.

Définitions des notions employées

Le concept de compétence est généralement associé à d'autres notions, qu'il convient de bien définir pour mieux distinguer.

- Une aptitude est entendue comme la capacité virtuelle liée au temps nécessaire dont un individu a besoin pour maîtriser un apprentissage déterminé. Elle correspond aux compétences des individus quant à leur capacité de mettre en œuvre plus ou moins efficacement des opérations mentales et à maîtriser plus ou moins bien des stratégies de résolution de problèmes.

- Une capacité serait l'actualisation de l'aptitude, le pouvoir d'accomplir un acte, de produire un comportement ou un ensemble de comportements adéquats dans une situation donnée. Il s'agit d'une habileté transversale, un savoir-faire décontextualisé susceptible d'être mis en œuvre dans des situations professionnelles ou sociales très différentes. " Une capacité est une visée de formation générale, commune à plusieurs situations, alors qu'une compétence est une visée de formation qui met en jeu plusieurs capacités dans une même situation. "

- La cognition est l'" ensemble de connaissances et de croyances dont certaines peuvent être erronées ou inadéquates. [...] La cognition recouvre à la fois l'ensemble des activités qui concourent à la connaissance, qu'elles fonctionnent de façon correcte ou plus ou moins correctes, et l'ensemble des produits de ces activités, qu'il s'agisse de connaissances proprement dites, d'erreurs franches, de représentations et de croyances approximatives ou partiellement inexactes. " La cognition correspond donc à tous les processus cognitifs et les produits de ces processus, c'est à dire les connaissances vraies ou erronées qu'un apprenant construit de manière personnelle tout au long de sa vie et qui lui permettent d'interagir avec le monde.

- Une connaissance est une " information traitée et rendue utilisable dans des contextes de relations à l'environnement et de relation aux autres. [...] Les connaissances ne sont que de nouvelles informations créées à partir d'autres grâce aux langages. " Il s'agit en même temps d'une " croyance vraie justifiée, ou plus généralement représentation adéquate justifiée. " Ce serait donc une représentation mentale qui correspondrait de façon adéquate à une partie ou à un aspect de la réalité. Une connaissance est l'ensemble de ces représentations. Alors que les connaissances procédurales sont de l'ordre des savoir-faire correspondant à des habiletés dont le principe est de relier des savoirs portant sur le réel à des actions (elles existent afin de ...), les connaissances déclaratives sont relativement indépendantes des actions particulières (elles existent à propos de tel ou tel objet ou domaine.)

Les connaissances sont des représentations considérées comme possédant toutes des structures communes, non seulement d'individu à individu mais aussi de contenu à contenu. Ce sont ces structures cognitives communes qui font que les connaissances peuvent être exprimées dans un langage, donner lieu à des raisonnements logiques, stockées et éventuellement être traitées par ordinateur. Une de leurs caractéristiques premières est de pouvoir être verbalisées dans un langage. Si la personne est capable de pouvoir la verbaliser, elle est appelée connaissance explicite. Si ce n'est pas le cas, elle est dite explicite. Une autre caractéristique est qu'elles doivent être nécessairement vraies, c'est à dire qu'elles doivent pouvoir être justifiées à partir d'un système organisé de connaissances (ce qui les distingue de la croyance).

Les connaissances peuvent prendre trois formes.

  • la proposition : " Pierre sait que ... ". Ce sont souvent des faits.
  • la règle : " Si ..., alors ... ". Elle est le support de l'implication logique.
  • le concept : idée générale et abstraite attribuée à une catégorie d'objets ayant des caractéristiques communes et permettant d'organiser les connaissances.

Toute acquisition de connaissance se fait à partir des structures cognitives préexistantes, en créant une interaction entre l'information entrante et les connaissances présentes. Le langage est le principal moteur de ces acquisitions.

- Une information peut être considéré comme toute chose pouvant être préhensible par les sens dès lors qu'elle peut ou doit être interprétée.Ce qu'une communication apporte de nouveau au récepteur. " Il s'agit du nom pour désigner le contenu de ce qui est échangé avec le monde extérieur à mesure que nous nous y adaptons et que nous lui appliquons les résultats de cette adaptation. Le processus consistant à recevoir et à utiliser de l'information est celui que nous suivons pour nous adapter aux contingences du milieu et vivre efficacement dans ce milieu. Ce processus est à la fois celui de la communication et celui de l'apprentissage.

- Langage est entendu ici comme un outil neurocognitif permettant et s'enrichissant de la communication et visant le traitement de l'information. " Communication et langages fonctionnent par rétroaction. Il faut des langages pour communiquer et c'est en communiquant qu'on perfectionne ses langages. " Un langage se constitue dès lors que la personne a traité un nombre suffisant d'informations et les a intégrées. La communication produit les langages ; c'est parce qu'il y a communication qu'il y a langages, et alors parce qu'il y a langages qu'il peut y avoir accentuation de la communication... et évolution des langages... Les différents langages sont définis par... les verbes : parler, marcher, courir, chanter, bricoler, dessiner, danser, sauter, mathématiser, calculer, etc. " Les langages sont avant tout les outils cognitifs qui permettent d'appréhender par les sens des informations, de les interpréter, de produire une représentation du monde dans lequel on vit, de s'y adapter, d'y exister, d'y évoluer, de le modifier. Ces outils étant avant tout des outils cérébraux qui se traduisent par des connexions neuronales de plus en plus complexes. "

Les langages se construisent d'abord dans une phase exploratoire de création débridée. L'environnement dans lequel se trouve l'enfant, et à partir duquel s'effectuent les interactions (et les stimuli) qui se traduiront par des connexions neuronales, est essentiel. Chaque langage se construit par interférences et dépendances avec les autres langages, en interaction avec les autres. Les autres langages contribuent eux aussi à la construction des langages dits fondamentaux.

- Une notion est une idée générale et abstraite, une connaissance élémentaire qu'on a de quelque chose.

- Une performance est l'actualisation d'une compétence. " Nous établissons une distinction fondamentale entre la compétence (la connaissance que le locuteur-auditeur a de sa langue dans des situations concrètes) et la performance (l'emploi effectif de la langue dans les situations concrètes.) "

- Une représentation est une construction intellectuelle momentanée, qui permet de donner du sens à une situation, en utilisant les connaissances stockées en mémoire et/ou les données issues de l'environnement. Ces représentations ont pour but d'attribuer une signification d'ensemble aux éléments issus de l'analyse perceptive. " Les représentations sont des constructions circonstancielles faites dans un contexte particulier et à des fins spécifiques. La construction de la représentation est donc finalisée par la tâche et la nature des décisions à prendre. Elles sont donc très particularisées, occasionnelles et précaires par nature. Les connaissances sont aussi des constructions mais elles ont une permanence et ne sont pas dépendantes de la tâche à réaliser : elles sont stockées en mémoire à long terme et tant qu'elles n'ont pas été modifiées, elles sont supposées se maintenir sous la même forme. Une autre différence est que les connaissances ont besoin d'être activées pour être efficientes alors que les représentations sont immédiatement efficientes. "

- Les savoirs sont des connaissances objectivées, contenus ou énoncés sur le monde, détachés de toute subjectivité, extérieurs aux individus et facilement communicables. Il s'agit de connaissances contenues dans les livres et les bibliothèques, la totalité de l'information capitalisée et disponible pour comprendre le réel.

- Un savoir-faire peut être assimilé à une habileté. " Les savoir-faire ne sont que l'utilisation, suivant les besoins ou les nécessités, de nouvelles informations intégrées dans les langages. "

- Compétence revêt plusieurs acceptions :

  • capacité dans un domaine donné ou capacité à produire telle ou telle conduite.
  • " Caractéristique positive d'un individu témoignant de sa capacité à accomplir certaines tâches. "
  • " Savoir identifié mettant en jeu une ou des capacités dans un champ notionnel ou disciplinaire déterminé. Plus précisément, on peut nommer compétence la capacité d'associer une classe de problèmes précisément identifiée avec un programme de traitement déterminé. "
  • Ensemble des comportements potentiels (affectifs, cognitifs et psychomoteurs) qui permettent à un individu d'exercer efficacement une activité considérée comme complexe. Une compétence implique à la fois des connaissances déclaratives, des connaissances procédurales et des attitudes. Dans une situation réelle, une compétence se traduit par un comportement effectif appelé performance.

Les compétences générales facilitent la réalisation de tâches nombreuses et variées ; les compétences spécifiques ne sont à l'œuvre que dans des tâches très particulières.

Le terme de compétence est en lui-même une abstraction conventionnelle et pratiquement indéfinissable. Quel que soit le domaine où on l'utilise, il décrit toujours une action ou une tâche (une performance) pour laquelle un nombre infini et indéterminé de compétences seront mobilisées. Les linguistes parlent de système d'opérations ; le problème c'est qu'il est impossible de les déterminer toutes de façon stable. Ces compétences, dans leur enchevêtrement complexe et continu, constituent les langages, et ce sont ces derniers avec les représentations qui en résultent qui permettent la réalisation de telle ou telle action. [...] Les compétences pourraient être les réseaux neuronaux si l'on pouvait les observer et les isoler. Or la science n'en est qu'à pouvoir pressentir les zones cérébrales mobilisées par tel ou tel type de langage. "

Au final, nous retiendrons donc que la compétence serait une combinaison appropriée de plusieurs capacités dans une situation déterminée. Les compétences facilitent la réalisation de tâches nombreuses et variées.

Voici un schéma proposant la symbolisation de cette carte conceptuelle :

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Les situations de communications créent de l'information. Dès lors que cela peut ou doit être interprété, ces informations peuvent être préhensibles par les sens. Deux options se présentent alors :

  • soit la nature de cette information est relative aux savoirs ;
  • soit la nature de cette information est relative aux habiletés, aux savoir-faire.

Dans le premier cas, ces informations viennent compléter, enrichir ou déformer des croyances ou des notions. Les processus de la cognition font d'elles des connaissances déclaratives, c'est à dire des entités adéquates aux situations rencontrées et pouvant être justifiées. De la combinaison de ces connaissances émergent des compétences qui peuvent être manifestées par des performances observables.

Dans le second cas, ces informations viennent compléter, enrichir ou déformer des aptitudes. Progressivement, elles donnent forme à des capacités et à des connaissances procédurales. Par combinaison, des compétences peuvent apparaître et être mesurées comme précédemment à travers des performances connexes.

Ces compétences, dans leur enchevêtrement complexe et continu, constituent les langages, et ce sont ces derniers avec les représentations qui en résultent qui permettent la réalisation de telle ou telle action.

Ces langages se sont progressivement créés, développés et expertisés par un échange dialectique avec le monde (interactions) et avec les personnes (interrelations).

Ces circulations et ces transformations de l'information constituent la communication, en émanent et en produisent. Le but est de conduire à une poursuite du processus de construction des langages.

Référentiel de compétences

La suite de ce travail consistera à s'attacher à deux référentiels de compétences.

Bien souvent, parce qu'existent des référentiels, ils constituent des protocoles didactiques et deviennent des guides à l'action enseignante. Ce n'est pas dans cette logique que se situe ce travail de présentation. A l'instar de C. FREINET, nous pourrions avancer que partir des compétences pour penser la classe, " c'est mettre la charrue avant les bœufs. " La compétence n'est pas un préalable, un pré-requis, mais un acquis. On peut très bien établir et se référer à des référentiels de compétences et appréhender les tâches dans leur globalité. Il ne s'agira donc pas ici de prescriptions pour l'enseignant. Seront plutôt mis en avant la force de l'expérience dans un milieu riche, le vivant et ses interactions qui sont sources de multitudes d'apprentissages. On n'enseigne réellement rien, on ne forme véritablement personne, en tant qu'enseignant, on ne peut que permettre d'apprendre.

Les référentiels présentés le seront sous un angle qualitatif et non quantitatif, simplement parce qu'il n'a pas été recherché de dresser une hiérarchie entre les compétences suscitées, simplement d'indiquer la richesse de leur pluralité.

Les compétences des référentiels se veulent des balises utiles à l'analyse des activités, des comportements, des productions. Elles ont été pensées pour se montrer utiles dans deux types de situations :

  • pour l'enseignant, témoigner de la richesse d'une structure
  • pour les élèves, leur permettre de repérer leurs acquisitions.

Chaque compétence énoncée sera indexée par un certain nombre de tâches associées, à l'image de la conceptualisation qui a été posée précédemment. Pour bien distinguer compétence et tâche, nous avons choisi de présenter les compétences sous forme de verbes d'action, leurs tâches associées sous forme de substantifs.

1 - Référentiel de compétences suscitées par la classe coopérative

Voici une liste non hiérarchisée de compétences pouvant émerger chez les élèves de la participation à une classe coopérative. Leur détermination s'est bâtie à partir de deux critères :

principales manifestations au sein de classes coopératives. Ont été écartées les compétences mixtes, c'est-à-dire potentiellement issues de classes coopératives ou de classes à fonctionnement conventionnel. C'est notamment pour cette raison que ne figurent quasiment pas de compétences disciplinaires.

correspondant au comportement et aux attitudes attendues d'un élève de CM2 terminant une scolarité dans une classe coopérative.

a) Participer à des échanges dialogiques

Expression
Exercice de l'individuel au sein d'un collectif
Prise de parole
Ecoute d'une prise de parole
Confrontation à d'autres avis
Défense de ses points de vue
Questionnement

b) Participer à des échanges démocratiques

Considération de la loi comme vecteur d'émancipation
Proposition de règles améliorant le milieu de vie
Respect des règlements en vigueur
Elaboration de sanctions comme rappels de la loi
Demande de la parole
Respect des ordres de passage
Respect de la priorité accordée aux petits parleurs
Négociations
Participation aux modalités de prises de décisions
Acceptation des décisions prises

c) Prendre et assumer des responsabilités

Estimation du coût d'investissement d'une responsabilité
Participation au partage des tâches coopératives
Engagement dans la réalisation de fonctions utiles au collectif
Réalisation effective des tâches associées à la responsabilité
Prises d'initiatives
Ecoute des avis d'évaluation de l'exercice de ses responsabilités
Prise en compte des conseils fournis
Demande d'aide en situation de difficulté
Demande d'adaptations en cas d'échec

d) Trouver des solutions à ses propres conflits

Mise en retrait des alternatives violentes
Référence autonome aux institutions de traitement des conflits
Appel à l'adulte en ultime recours
Mise en mots des souffrances vécues
Recherche de solutions sans perdants ni gagnants
Egale importance accordée aux conflits et aux ententes

e) Animer démocratiquement un groupe

Référence aux règles de fonctionnement démocratique
Distribution des responsabilités
Distribution de la parole
Gestion du temps
Constitution et utilisation d'ordres du jour
Choix des modalités de prises de décisions
Organisation de votes et d'élections

f) Apprendre par le tâtonnement expérimental

Engagement dans des projets vrais et vivants
Mobilisation et combinaison de ses capacités
Convocation de ses connaissances
Stratégies de prises de risques
Confrontation au réel, à l'autre
Essais, erreurs et réussites
Répétition des activités
Multiplication des expériences

g) Coopérer

Mansuétude envers les enfants exprimant un besoin
Acceptation de l'attention portée aux plus petits
Apport d'une aide sans fournir les solutions
Mise à disposition de ses compétences
Accompagnement, écoute et soutien
Reconnaissances de ses domaines de maîtrise
Acceptation de ses manques et de ses besoins

h) Participer à des échanges de savoirs

Apport d'informations dans la classe
Curiosité pour l'acquisition de nouvelles connaissances
Intérêt porté aux explications
Capacité à transmettre des savoirs
Conviction que personne ne sait tout
Reconnaissance que chacun possède des connaissances
Acceptation que le savoir appartient à l'humanité

i) Organiser son travail

Lien entre ce qui est acquis et ce qui reste à travailler
Choix des activités à réaliser
Planification des activités
Choix des outils ou des partenaires à solliciter
Bilan des activités effectuées
Finalisation de ses projets
Gestion du matériel
Rangement des outils

j) Effectuer des recherches documentaires

Choix des sujets de recherche
Détermination des questions à travailler
Sélection des sources documentaires
Sélection des informations à conserver
Indications des sources utilisées
Organisation d'exposés ou de conférences d'enfants

k) Communiquer avec l'extérieur

Ouvertures vers d'autres classes, d'autres écoles, d'autres contextes de travail
Ecriture d'articles pour un journal scolaire
Participation à des correspondances scolaires
Utilisation de téléphones, fax, e-mail, lettre, ...

l) Se servir des outils informatiques

Utilisation d'un ordinateur
Traitement de texte et saisie informatique
Choix de logiciels appropriés
Gestion du bureau
Correspondance électronique
Recherches_documentaires

2 - Référentiel de compétences suscitées par les discussions à visée philosophique

Les discussions à visée philosophique correspondent à des activités dialogiques et démocratiques dont le principe est de partir d'une réalité et de construire une tension vers une vérité.

Voici une liste anarchique de compétences pouvant émerger chez les élèves de la participation à des discussions à visée philosophique. Leur établissement s'est construit à partir de deux critères :

manifestations au sein de discussions philosophiques à formes dialogiques. Ont été négligées les compétences pouvant émerger de dispositifs philosophiques forts tels que les entretiens philosophiques de groupe (cf O. Brénifier), tout comme les formes philosophiques essentiellement basées sur l'expression du cogito (cf J. Lévine).

correspondant à la nature des activités pensées ou manifestées d'un élève de CM2 terminant une scolarité colorée de pratiques récurrentes de DVP.

a) Participer à des échanges dialogiques

Exercice de l'individuel au sein d'un collectif
Prise de parole
Ecoute d'une prise de parole
Confrontation à d'autres avis
Défense de ses points de vue
Questionnement

b) Participer à des échanges démocratiques

Demande de la parole
Respect des ordres de passage
Respect de la priorité accordée aux petits parleurs
Recherches
Aides, soutiens et encouragements

c) Prendre et assumer de responsabilités

Présidence de séance
Reformulation
Synthèse
Observation

d) Augmenter son corpus de vocabulaire

Utilisation contextualisée de vocabulaire maîtrisé
Découverte de vocabulaire nouveau
Explications d'éléments de vocabulaire
Recours à des outils lexicaux

e) Se construire une pensée personnelle

Participation à des situations d'exercice de sa pensée
Prise de conscience de sa propre existence
Prise de conscience de sa singularité
Considération de l'avis d'autrui
Relativisation du dernier avis entendu
Elaboration de points de vue
Complexification des structures d'arguments

f) Rechercher l'universalité des pensées

Considération des minorités
Considération de l'étranger
Détermination des possibles
Quête du commun aux sociétés humaines
Etude des grands problèmes de l'humanité

g) Exercer et entretenir sa curiosité

Réponse au désir de connaissance, à l'avidité de savoir
Réponse au désir de sa propre connaissance
Considération de la question comme le principal outil de préhension du monde
Reconnaissance de l'autre comme source d'enrichissements

h) Argumenter

Recherche de fondements des thèses émises
Défense de ses points de vue
Référence à des raisonnements logiques
Exemplifications
Contre-argumentations

i) Problématiser

Détermination de problématiques
Introduction méthodologique du doute
Mises en question des points de vue
Mises en questions de ses représentations

j) Conceptualiser

Organisation d'une recherche autour d'un concept
Confrontations des représentations
Distinctions conceptuelles
Recherches sémantiques avec une exigence d'universalité

Analyse comparative des référentiels

Compétences communes à la classe coopérative et aux DVP

  • Participer à des échanges dialogiques
  • Participer à des échanges démocratiques
  • Apprendre par le tâtonnement expérimental
  • Animer démocratiquement un groupe
  • Coopérer
  • Participer à des échanges de savoirs

Compétences partiellement communes à la classe coopérative et aux DVP

  • Prendre et assumer de responsabilités parce que les fonctions ne pas les mêmes.
  • Exercer et entretenir sa curiosité parce que le champ de préoccupation philosophique diffère de celui de la vie coopérative d'une classe.
  • Augmenter son corpus de vocabulaire parce que le mode de recherche lexicale diffère des aboutissements de la conceptualisation.
  • Argumenter - Problématiser - Conceptualiser parce que la référence à ces exigences intellectuelles a des spécificités propres au philosopher.

Compétences exclusives à la classe coopérative

  • Trouver des solutions à ses propres conflits
  • Organiser de son travail
  • Effectuer des recherches documentaires
  • Communiquer avec l'extérieur
  • Se servir des outils informatiques

Compétences exclusives à la DVP

Rechercher l'universalité des pensées

La plus-value que la classe coopérative peut revendiquer sur la DVP correspondrait donc à quatre domaines :

  • le champ du travail, tel qu'il est défini par FREINET : " Le travail est un effort personnel pour transformer et se transformer au moyen d'activités de créations manuelles, intellectuelles, artistiques ... Il s'agit d'un ensemble d'activités qui humanisent. " A noter que la DVP fait elle aussi partie de cette conception du travail, mais que celui-ci se décline en foule d'autres activités dans la classe coopérative, pas seulement philosophiques.
  • La vie sociale du groupe : la gestion des relations, les critiques, les remerciements, les félicitations, les encouragements, les décisions d'organisation à prendre, ...
  • La communication extérieure à la classe : les correspondances, les échanges de travaux, l'organisation de projets
  • L'emploi d'outils, les pédagogies coopératives se voulant matérialistes, c'est-à-dire permettant des activités pouvant être indépendantes de la guidance d'un adulte.

La plus-value que la DVP peut revendiquer sur la classe coopérative correspondrait à trois domaines :

  • le recours méthodologique à des exigences de pensée, le développement de gestes mentaux spécifiques, visant la quête d'universalisme et de vérité.
  • Le dépassement de la logique des décisions majoritaires, le fait qu'en philosophie une seule personne peut avoir raison contre tous, et qu'au terme d'une DVP il serait inopportun de sanctionner les échanges par un vote.
  • L'ouverture sur l'ensemble des possibles, sur ce qui, par la pensée, peut faire l'objet d'une préhension du monde, ce qui, à son tour, peut notamment permettre la relativisation et la critique des modalités d'organisation de la classe coopérative.

La classe coopérative fonctionne selon les modèles de la démocratie directe et participative. Elle offre aux enfants diverses occasions de participer à une communauté de pairs développant un rapport équitable à la loi et à la parole. A ce titre et du fait que la plupart des problèmes à résoudre correspondent à des situations issues de la vie matérielle et coopérative, ils sont fréquemment confrontés à des modalités de prises de décisions. Celles-ci peuvent prendre diverses formes, du simple consensus au scrutin majoritaire. La plupart du temps, il est donc question de trouver une solution opératoire, qui estompe les difficultés et a pour visée de s'appliquer à tous. A ce titre, elles se traduisent souvent par une réponse unique, évitent les solutions plurielles.

C'est essentiellement à ce niveau-là que les pratiques philosophiques complètent les références à la démocratie. L'agir citoyen n'est plus seulement vécu comme la quête d'opérationnalité par la pratique du vote. Elle devient également une opportunité offerte à tous d'appréhender le monde par le pluralisme de ses vérités, par la complexité de ses organisations. Le socle démocratique de la classe, enrichi des expériences philosophiques qu'il propose, conduit les enfants à la construction d'une réflexion personnelle devenant progressivement une ressource pour l'ensemble du groupe.


(1) Réseaux de correspondances multi-classes " Marelle " et " Acticem ". www.marelle.org

(2) PROFIT Barthélemy, 1935, in MEIRIEU P., "Célestin FREINET", PEMF - L'éducation en questions, 2001, p 25

(3) Concept emprunté aux théories modernes de la physique.

(4) CARDINET J., " Evaluation scolaire et pratique ", De Boeck, 1988, p 133.

(5) LE NY J.F., " Sciences cognitives et compréhension du langage ", PUF, 1989, p 26.

(6) COLLOT B., "Une école du 3ème type ou la Pédagogie de la Mouche", L'Harmattan, 2002, p 59.

(7) LE NY J.F., " Sciences cognitives et compréhension du langage ", PUF, 1989, p 26.

(8) COLLOT B., "Une école du 3ème type ou la Pédagogie de la Mouche", L'Harmattan, 2002, p 42.

(9) DE LANDSHEERE G., "Dictionnaire de l'évaluation et de la recherche en éducation", PUF, 1992, p 165.

(10) COLLOT B., ibid., p 43.

(11) COLLOT B., Ibid., p 58.

(12) COLLOT B., "Du taylorisme scolaire à un système éducatif vivant", Editions Odilon, 2004, p 46.

(13) CHOMSKY N., " Aspects de la linguistique syntaxique ", Le Seuil, 1971, p 37.

(14) RICHARD J.F., " Les activités mentales ", A. Colin, 1990, p 9.

(15) COLLOT B., "Une école du 3ème type ou la Pédagogie de la Mouche", L'Harmattan, 2002, p 59.

(16) HUTEAU M., " Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation ", Nathan, 1994, p 181.

(17) MEIRIEU Ph., " Apprendre... oui mais comment ", ESF Editeur, Paris, 1995, p 182.

(18) COLLOT B., ibid., p 72.

(19) GO Nicolas, " L'éducation au travail pour Freinet ", Congrès de l'ICEM, Paris, Août 2007.

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