Il s'agit ici d'une approche philosophique, et non psychanalytique du mythe. Ce qui nous importe c'est le " destinatio ", le " fatum. " La question est de savoir s'il est pensable qu'il y ait des lois infranchissables pour la volonté : c'est ce qu'on appelle le destin !
L'histoire lue à nos philosophes en herbe
Oedipe, fils de Jocaste et de Laïos, naît à Thèbes. Son père Laïos, le roi de Thèbes, craint la prédiction de l'oracle de Delphes : son fils le tuera et épousera sa mère. Quand l'enfant naît, Laïos l'abandonne dans la montagne de Cithéron, les chevilles percées et attachées par une corde à un arbre. Un berger eut pitié de l'enfant. Il le recueille et le confie au vieux roi de Corinthe Polybe et à sa vieille épouse, la reine Péribée, qui ne pouvait plus avoir d'enfant. Polybe et Péribée lui donnent le nom d'Oedipe qui, en grec, signifie "pieds gonflés". Le destin d'Oedipe ne sera ni de faire de grands voyages ou de participer à de grands combats guerriers. Son destin (ananké) sera d'explorer le mystère de la mort, de savoir qui il est et pourquoi les Dieux lui ont-ils réservé un destin si abominable.
Devenu adulte, Oedipe eut la malencontreuse idée de se moquer d'un homme pris de boisson. Celui-ci, furieux, le traita " d'enfant trouvé. " Oedipe questionne Polybe, qui refuse de lui répondre nettement. Oedipe part pour Delphes afin de consulter l'oracle d'Apollon et de connaître le mystère de sa naissance. L'oracle lui annonce qu'il allait tuer son père et épouser sa mère. Terrifié par cet oracle et croyant que Polybe et Péribée étaient ses véritables parents, il tente de fuir son destin.
Oedipe évite de retourner à Corinthe et part pour Thèbes. Dans un passage étroit de la route, il rencontre des hommes portant un voyageur en litière. L'homme de la litière lui ordonne de se garer et le frappe, estimant qu'il n'obéissait pas assez vite. Fou de rage, Oedipe se jette sur l'homme et le tue puis extermine le reste de la troupe. Le voyageur en litière, c'était Laïos, son vrai père ! Avant d'arriver à la ville, il fit sa deuxième rencontre. Le Sphinx, appelé aussi Sphinge, monstre mi-femme et mi-lion avec des ailes et une queue de dragon, vivait sur un rocher situé près de Thèbes. Il arrêtait les voyageurs, leur posait de redoutables devinettes : " Quel est l'être qui marche le matin à quatre pattes, à midi sur deux pattes et le soir sur trois pattes ?" Ou encore : " Quelles sont les deux soeurs dont l'une engendre l'autre et dont la seconde engendre à son tour la première ?" Les voyageurs n'arrivaient jamais à répondre. Alors la Sphinge les dévorait. Le péril finit par devenir si grand que la reine Jocaste, veuve de Laïos, offrit le trône de Thèbes à quiconque répondrait à l'énigme et exterminerait le monstre. Sur ces entrefaites, Oedipe approcha de la ville, fut arrêté par la Sphinge. Sans hésitation, Oedipe répondit à la première devinette : " L'homme ! Il marche à quatre pattes étant petit, sur deux pattes étant adulte, et sur trois pattes quand il est vieux, puisqu'il s'appuie sur un bâton." A la seconde question, il répondit : " La Nuit et le Jour !"
Oedipe entra à Thèbes en triomphateur. Des années passèrent. Mais toujours le destin veillait, et l'infernale mécanique du malheur était en marche. Un jour, le drame éclate. La peste s'abat sur la ville... La peste était toujours, pour les Grecs, le signe d'une souillure à la fois morale et sociale. L'oracle consulté rendit un verdict implacable : un homme souillait la ville par sa présence. Le meurtrier de Laïos était toujours vivant et se cachait parmi les habitants. Tant qu'il vivrait, la peste et la stérilité ravageraient la ville. Oedipe mène alors l'enquête. Il questionne, il harcèle, ne laissant rien dans l'ombre. Tous les témoins des moments cruciaux de sa vie, le serviteur de Laïos qui l'a vu tuer son maître, le berger qui lui sauva la vie en refusant de l'exposer dans la montagne, tous sont là, devant lui, à ses côtés, comme des témoins accusateurs. Tous voudraient se taire, oublier. Mais Oedipe force les consciences, traque la vérité dans ses moindres recoins. Il sait maintenant qui il est.
Présents : Marc (7 ans), Eléna (7 ans), Danaë (8 ans), Guillaume (8 ans), Jeanne (8 ans), Gabriel (9 ans), Cécile (10 ans), Julien (12 ans), Ninon (13 ans), Axel (13 ans)
Questions posées :
Axel : Pourquoi Laïos abandonne-t-il Oedipe alors que le destin doit se réaliser ?
Cécile : Pourquoi Oedipe ne se rend pas compte que Laïos est son vrai père ?
Danaë : Pourquoi le Sphinx pose-t-il des énigmes ?
Marc : Pourquoi c'est Oedipe qui mène l'enquête ?
Eléna : Pourquoi l'enfant est-il attaché à l'arbre ?
Résumé de la discussion à partir des notes relevées par Cécile
L'animateur lance la première question : " Pourquoi Laïos abandonne l'enfant suspendu à un arbre ? "
Eléna pense que Laïos laisse faire le destin, parce que s'il tue directement son fils, il sera traité de meurtrier.
Marc dit qu'en fait, Laïos ne doit pas avoir envie de tuer son fils parce qu'il l'aime, c'est son fils. Il préfère que ce soit le destin qui s'en occupe.
Ninon s'interroge. Mais si Laïos n'avait pas été à Delphes consulter l'oracle, il n'aurait rien su et il aurait traité Oedipe comme son fils.
Axel pense que Laïos aurait dû tuer Oedipe au lieu de laisser le destin s'en charger.
Ninon n'est pas d'accord parce que, pour elle, ce sont les hommes qui construisent leur destin et non les dieux !
L'animateur : " Ninon pense que dans cette histoire les hommes laissent trop d'importance au destin, qu'en pensez-vous ? "
Danaë pense que si Laïos avait élevé et aimé Oedipe, son fils n'aurait eu aucune raison de le tuer.
Marc pense que Laïos est embêté à cause de l'oracle, il aime peut être son fils c'est pour ça qu'il ne veut pas le tuer lui-même, mais il croit ce que dit l'oracle.
Ninon réaffirme que le destin ça ne dépend pas des dieux, mais des hommes.
Axel ne partage pas totalement la conclusion de Ninon, parce que même si ce sont les hommes qui fabriquent le destin, une fois que le destin est fabriqué ça devient le destin.
L'animateur demande de s'interroger - pourquoi le Sphinx pose-t-il des questions ?
Guillaume imagine que c'est un peu comme le chat avec les souris, le monstre joue avec ses proies.
Cécile pense que c'est pour éviter de manger les voyageurs pour rien, ça donne au Sphynx une raison de les manger.
Ninon pense que le Sphinx c'est une loi, c'est la loi du destin.
Eléna est un peu d'accord avec Ninon, et ajoute que pour vivre, le Sphinx est obligé de poser des questions. C'est comme si un méchant dieu avait fabriqué le Sphinx, il y a des règles, il pose des questions et si le voyageur ne peut pas répondre, il se fait manger.
Axel propose une explication. Le Sphinx en fait c'est une Question et les gens ce sont des Réponses. Donc, il vit des fausses réponses. S'il y a une bonne réponse alors elle tue la question, c'est-à-dire le Sphinx.
Axel à la demande de l'animateur, redonne son explication, le groupe trouve cette proposition intéressante. Ninon rajoute que le Sphinx c'est une métaphore !
L'animateur lance une nouvelle question : " Pourquoi c'est Oedipe qui mène l'enquête et pourquoi continue-t-il l'enquête quand tous les soupçons démontrent que c'est bien lui le coupable ? "
Marc dit que cette enquête ne peut être menée que par lui, puisqu'il est le roi et que personne ne pourrait dénoncer un roi.
Ninon affirme que c'est son inconscient qui le pousse à agir, car son inconscient ne peut pas supporter ça, alors il le met sur sa conscience.
Gabriel dit que c'est normal, parce que toutes les réponses font que c'est lui le coupable, or comme il est le roi, il est obligé de dire que c'est lui le coupable.
Axel pense qu'Oedipe est à la recherche de la vérité, même si cette vérité va le desservir.
Eléna trouve que, peut être, il a voulu se punir, parce qu'il pense que ce qu'il fait c'est cruel.
Marc est d'accord avec Gabriel, Oedipe en tant que roi fait appliquer la loi, même contre lui.
L'animateur fait une petite synthèse de ce qui a été dit, clôt cette discussion et rappelle au groupe qu'on poursuivra le prochain atelier sur la suite de cette histoire.