Revue

Dessins d'enfants dans une discussion á visée philosophique en maternelle

L'objectif de cette étude s'intéresse aux dessins d'enfants de 5/6 ans produits dans le cadre de discussions à visée philosophique. On pourrait penser a priori qu'il s'agit de comprendre comment les enfants interprètent un récit, qu'est-ce qu'ils en retiennent, etc. Sont-ce des personnages, des éléments figuratifs, le questionnement posé par l'histoire, etc. ? Quand on fait dessiner des enfants de maternelle avec pour consigne " Ne dessine pas ce dont tu as envie, il faut que ça corresponde à l'histoire ou aux choses dites dans la discussion", il est vain de s'attendre à ce que les enfants puissent reproduire du narratif dans leurs dessins, c'est-à-dire des éléments proches de ceux des bandes dessinées, car il faut des compétences cognitives et techniques hors de portée d'enfants de cinq à six ans. Le premier enjeu est donc d'inciter l'enfant dessinateur à décentrer ses attitudes et à éviter des reproductions de type égocentrique. Ce sont les éléments qui seront classés dans la colonne "Nuage".

On devrait donc s'attendre à voir en début d'expérimentation beaucoup d'éléments classés dans la colonne "Nuage", et ceci devrait disparaître peu à peu pour les colonnes "Conte" (ce qui est en rapport avec l'histoire) et/ou "Discussion" (ce qui est en rapport avec les idées de la discussion).

Reste la colonne "Imagination" : il ne s'agit pas d'un critère intermédiaire entre ce qui serait encore un peu confus et insuffisamment logique pour être classé dans les critères attendus : conte et/ou discussion. Le but de cette activité de dessin autour de l'atelier de philosophie pour enfants (PPE) est de comprendre comment l'enfant est "altéré" par le conte et/ou la discussion, comment il s'extrait de sa sphère égocentrique, et comment ce que nous désignons par "imagination" peut faire intervenir des éléments intuitifs.

Le critère "Imagination" ou "Intuition" fait référence à ce que Bergson définit. Selon le philosophe, l'intuition s'oppose à l'intelligence (critères logiques). L' intelligence est envisagée comme une force de calcul qui s'oriente vers le statique et la matière, et qui se réalise pleinement dans le domaine technique. L'intuition transcende les cadres clos que l'intelligence fabrique pour s'approprier le monde, afin de chercher à l'intérieur, dans le moi profond du sujet, une source ouverte vers la voie d'une sorte de métaphysique. Dans son ouvrage Les Deux sources de la morale et de la religion, Bergson différencie deux types de sociétés, l'une est fermée l'autre est ouverte :

  • dans le type "société fermée", la société impose à l'individu une somme de comportements au sein de laquelle la morale agit comme un système de normes impersonnelles imposées par les besoins de la société ;
  • dans le type "société ouverte", la morale repose sur la liberté, l'amour, et ce que Bergson désigne " l'appel du héros."

En d'autres termes, on pourrait distinguer d'un côté la construction d'une sorte de "mémoire habitude" élaborée à partir de mécanismes corporels et d'automatismes ; d'un autre côté, le développement de "la mémoire pure", qui s'inscrit dans l'histoire du sujet et lui permet de rassembler les éléments passés sous forme de souvenirs purs et inaltérables. Bergson reprend l'idée de démocratie d'Aristote en plaçant celle-ci dans une philosophie de la nature, la physis c'est-à-dire sa propre essence. Chaque être est fondamentalement considéré comme un être de liberté, dans le sens d'avoir des droits, mais également des aptitudes à faire le droit. Pour Bergson, ces aptitudes ne s'inscrivent ni dans le statut ni dans la socialisation, mais ont leur source dans l'être humain lui-même. Ces aptitudes sont éprouvées comme un absolu transcendant dont la dignité d'être ne vaut que pour elle-même. Bref, en reprenant ainsi les propos de ce philosophe pour définir ce critère "Imagination", je définis la possibilité de créativité de l'enfant comme une aptitude liée à son intuition. Autrement dit, je tente d'appréhender, dans le contexte d'un atelier de DVP, comment un enfant peut éprouver le monde dans lequel il vit.

Exemple :

Dans son dessin, Tom représente un élément pictural, le ciel. Or cet élément n'est cité ni dans l'histoire ni dans la discussion. Les autres enfants placent cet élément pictural dans la colonne "Nuage" autrement dit hors sujet. Tom, n'est pas d'accord parce que pour lui, il est normal de dessiner un ciel "parce que le ciel est toujours là. Il y a toujours un ciel au-dessus de nous." Sa remarque est une intention voulue, il n'a pas dessiné un ciel comme ça pour faire joli, mais parce que cela lui paraît évident et logique et il le dit "il y a toujours un ciel !"

L'hypothèse de cette étude peut donc être formulée ainsi : si l'on demande à des enfants de faire un dessin dans le cadre d'un atelier à visée philosophique (en leur précisant de faire un dessin en adéquation avec cette discussion), est-ce qu'on favorise chez l'enfant des processus de décentration et de construction de sens ?

En sollicitant le dessin dans un atelier de DVP, on peut s'attendre qu'à l'issue de l'activité, les enfants aient des productions picturales : soit de type égocentrique ; soit la reproduction d'éléments descriptifs liés à l'histoire ou à la discussion ; soit une production peut-être révélatrice d'une intuition nourrie d'esthétisme.

Reprenons l'exemple de Tom qui a dessiné un ciel. C'est un fait banal qu'un enfant dessine un ciel dans n'importe quel dessin. Mais dans la discussion, les enfants justifient cet élément dans la colonne "nuage" (hors sujet) parce qu'il n'y a pas eu de référent. Or, Tom ne fait pas que refuser ce choix sous le prétexte qu'un ciel c'est joli, mais il reclasse cet élément dans la colonne "imagination" en disant "c'est dans ma tête, je l'ai inventé." En verbalisant le fait d'avoir dessiner un ciel, il nous signifie la manière dont il appréhende le réel. Le dessin n'est pas uniquement la retranscription picturale du récit ou de la discussion mais également la retranscription de ce que l'enfant éprouve à propos du monde. Dans ce cas, son inspiration, sa créativité, son "intuition" ont pour origine des aptitudes dont la source est intrinsèque à la personne elle-même.

L'activité du dessin présente donc deux faces. La première peut être induite par des effets extérieurs au sujet, l'histoire, la discussion, la relation aux autres ; la seconde face est tournée vers l'intériorisation, c'est cet écho que nous nommons "intuition".

L'intérêt du dessin dans un atelier de DVP peut trouver plusieurs aboutissements. Sur le plan pédagogique, cet outil peut permettre de mettre en activité toute une classe. En effet, l'expérience montre qu'un atelier de DVP fonctionne plus facilement quand on restreint le nombre d'intervenants pour la discussion proprement dite. Dans ce cas, le dessin autorise les enfants qui ne participent pas directement à la discussion à prolonger d'une autre façon la discussion. Sur le plan de l'analyse des effets de la DVP, le dessin permet d'observer et d'étudier les effets de la discussion philosophique avec des enfants "taiseux." C'est une fenêtre d'observation vis-à-vis des enfants qui ne parlent pas beaucoup ou pas du tout. Or, le silence de certains enfants ne signifie pas pour autant que l'enfant soit forcément passif. Enfin, le dessin stimule les représentations des enfants, qu'il s'agisse des représentations liées sur la façon de conceptualiser ou celles liées à l'intuition.

Le dessin peut donc présenter un double intérêt : un lien conceptuel, ou "concept iconique", et un lien "intuitif." Le concept iconique peut être défini comme une représentation en acte au travers du dessin. Ce dessin permet d'identifier explicitement comment l'enfant dessinateur s'y prend pour tenter de dénoter la problématique de l'histoire ou de la discussion philosophique. L'approche intuitive peut être définie comme une représentation créatrice identifiant de manière implicite la façon dont l'enfant s'y prend pour dénoter la façon dont il a appréhendé la problématique de l'histoire ou de la discussion philosophique.

LE CADRE DE LA DISCUSSION

Décrivons le cadre dans lequel s'est déroulée cette expérimentation. Le support de l'atelier de philosophie s'appuie sur les contes d'Audrey-Anne1. Le matin ou la veille, une lecture d'un conte a été faite à toute la classe. Tous les élèves (groupe de la discussion philo et groupe dessinateurs) sont invités à questionner l'histoire et à chercher les questions qui seront débattues. L'enseignant vérifie que les éléments descriptifs de l'histoire et la situation sont bien compris. Puis, les questions des enfants sont synthétisées par l'adulte. L'après-midi ou le lendemain, l'atelier commence par un double rappel : la ou les questions à débattre et les règles de fonctionnement de l'atelier. Deux groupes sont constitués : le groupe qui va débattre et celui qui va dessiner. L'atelier est constitué avec des co-animateurs, des discutants et des dessinateurs dont l'enseignant rappelle systématiquement les rôles :

  • le Président demande qui veut parler, il donne la parole et est le garant du bon fonctionnement de l'atelier ;
  • le Passeur de micro a pour rôle donner le micro aux enfants qui discutent ; il nomme l'enfant qui va prendre la parole et lui rappelle à chaque fois la question posée par l'enseignant ;
  • le Reformulateur, à la suite de quelques prises de parole, essaie de restituer au groupe ce qui a été dit. Il est aidé dans cette tâche par l'enseignant ;
  • les Discutants interviennent dans le débat ;
  • les Dessinateurs ont pour consigne d'écouter le groupe qui discute et de faire un dessin lié à ce qui est dit. Leur feuille de dessin n'est distribuée que quelques minutes après que la discussion ait commencé.

L'enseignant énonce la question à débattre, puis au cours de la discussion, intervient en faisant des micro-synthèses, en recentrant le débat s'il y a lieu, et en cherchant à dégager les différents points de vue exposés par les Discutants. Avant que la discussion ne débute, il trace au tableau quatre colonnes en rappelant comment les dessins seront analysés par tous les enfants de la classe :

  • colonne "nuage" cela n'a rien à voir avec l'histoire ou la discussion ;
  • colonne "imagination" ça peut être lié avec l'histoire ou la discussion ;
  • colonne "conte", ce sont des éléments directement liés à l'histoire ;
  • colonne "discussion", des éléments appartenant uniquement à la discussion. Évidemment, il sera fréquent de trouver des éléments qui chevauchent ces deux dernières catégories.

Á l'issue de l'atelier de la DVP, quelques dessins d'enfants sont choisis et l'enseignant rappelle les consignes : " Les dessins sont beaux ou pas jolis. Il faut choisir un élément du dessin, le classer dans une colonne et justifier son choix."

TYPOLOGIE DES ÉLÉMENTS PICTURAUX

1°) "Le nuage" ==> éléments picturaux qui n'ont pas grand-chose à voir avec la PPE. Les éléments du dessin renvoient à l'égocentrisme de l'enfant : dessin libre, illustration personnelle. Le dessinateur ne tient pas compte de ce qui se passe autour de lui, il est profondément plongé dans son monde égocentrique. On retrouve : un soleil, un ciel, des nuages, un arc-en-ciel, des fleurs, des oiseaux, des arbres etc. Quand on lui demande de justifier ces éléments, il semble sidéré, " c'est pour faire joli", " c'est parce que ça me plaît".

2°) "L'imagination" ==> éléments qui peuvent évoquer des anecdotes personnelles, mais ces éléments ne rendent pas compte de ce qui a été dit au cours de la discussion. Cependant, lorsqu'on interroge l'enfant dessinateur, il semble qu'il ait un sentiment intuitif que ce qu'il a produit est logique.

Exemple :

Dans un conte, il est question d'Audrey-Anne et de son frère qui partent en voiture pour aller passer la journée dans un bois, parce que ce jour-là, il n'y a pas école. Le dessin de Tom représente la voiture sur une route, mais il a également dessiné des maisons avec un jardin d'enfants où l'on voit des enfants qui jouent. Les élèves qui analysent son dessin placent ces maisons et les enfants dans la colonne "Nuage" car on n'en parle ni dans l'histoire ni dans la discussion. Tom, conteste ce choix car pour lui s'il n'y a pas d'école, c'est normal que les enfants qui restent en ville jouent dans un jardin d'enfants.

3°) "Conte" : on retrouve de façon explicite des éléments descriptifs et des personnages de l'histoire.

4°) "Discussion" : il s'agit des éléments ou d'une situation qui découle de la discussion.

Les éléments de cette typologie peuvent être croisés avec certains de ceux proposés par M.-F. Daniel2. Rappelons brièvement ces types d'échanges : anecdotique, monologique, dialogique non critique, dialogique quasi critique et dialogique critique.

  • L'échange est considéré comme anecdotique quand les enfants parlent de façon non structurée et rapportent tout à des situations qui leur sont personnelles. Il n'y a ni processus de recherche, ni réelle influence liée par les interventions des pairs. Dans ce type d'échange, il n'y a pas de justification, chaque énoncé est présenté comme une conclusion.
  • L'échange monologique amorce un début de processus de recherche, mais uniquement orienté vers "la" bonne réponse. Les énoncés ne sont ni justifiés ni réellement liés aux autres interventions.
  • Marie-France Daniel définit un échange dialogique lorsque les énoncés commencent à former une communauté de recherche : les interventions sont liées avec celles énoncées par les pairs et investies dans une réflexion qui est motivée par le problème à résoudre ensemble. Cependant, il y a plusieurs variantes.
  • L'échange est qualifié dialogique non critique quand les élèves, bien que pouvant dialoguer, n'arrivent pas à évaluer les points de vue ou les perspectives en jeu.
  • Par contre l'échange est défini comme dialogique quasi critique quand, dans un contexte d'interdépendance, certains élèves sont critiques pour questionner les énoncés des pairs, mais que ceux qui sont questionnés ne sont pas d'un point de vue cognitif suffisamment influencés par la critique émise, de sorte que la discussion ne présente pas une amélioration du point de vue ou de la perspective.
  • Enfin, l'échange est appelé dialogique critique, non seulement quand les élèves améliorent la perspective initiale du groupe, mais aussi lorsqu'ils la modifient. Ils sont capables de considérer l'autre comme porteur de divergence, condition nécessaire à l'enrichissement visant la mise en communauté de recherche. Dès lors, l'incertitude momentanée est acceptée comme faisant partie de toute discussion, et la critique des pairs est recherchée pour elle-même, comme un outil pour avancer dans la compréhension.

Ainsi, l'échange de type anecdotique peut renvoyer au critère "Nuage". L'échange de type dialogique non critique renverrait aux colonnes "Discussion" et "Conte" La colonne "Imagination" est révélatrice d'une sorte de fenêtre métaphysique que l'enfant ouvre sur le réel à partir de son moi profond. De ce fait, on ne peut croiser ce critère avec un élément de la grille typologique de Marie-France Daniel. Mon attente en début d'expérimentation était de voir apparaître un grand nombre d'éléments picturaux à classer dans la colonne "Nuage", puis de constater au fil des ateliers un déplacement vers les colonnes "Conte" et "Discussion". Quant à la colonne "Imagination", initialement je ne savais pas vraiment ce qu'il pouvait en découler. En m'inspirant de l'idée bergsonienne de l' intuition, je ne cherchais pas à définir un critère intermédiaire entre l'égocentrisme attendu chez des enfants de cinq à six ans et l'émergence d'un début de logique, mais j'espérais appréhender la manière dont certains enfants développent l'image qu'ils se font du réel.

Tout au long de ce travail, j'ai établi un corpus de plusieurs dessins d'enfants ainsi que des verbatim qui feront l'objet d'un travail ultérieur. Pour l'instant, les conclusions de cette étude ne peuvent faire ressortir que des résultats partiels et qualitatifs.

ANALYSE D'UN EXEMPLE

Analysons les dessins de Tom, qui est un enfant qui ne s'exprime pas lorsqu'il est discutant dans un atelier de DVP. Dans le travail de classe, cet élève n'a apparemment pas de difficultés de compréhension. Son caractère est avenant, mais il aime plutôt travailler de façon individuelle que collective. On pourrait dire de lui que c'est un enfant timide dans le contexte classe.

Le tableau ci-après reprend la classification des éléments de ses dessins fait en début d'expérimentation.

Séance n° 9 (22/01/2006) : "Le jardin". Les éléments descriptifs et les personnages de l'histoire sont les suivants : le père d'Audrey-Anne, Anne-Audrey, une autre petite fille qui se nomme Marguerite, des fleurs, une marmotte, un potager... Deux situations sont présentes dans le conte, le père qui chasse la marmotte, et Marguerite qui piétine des fleurs.

Séance N° 10 : "Le verre de jus d'orange". Les éléments descriptifs et personnages sont : Anne-Aurdrey, son petit frère Nicolas, un verre de jus d'orange, la cuisine et les toilettes de la maison d'Anne-Audrey. Les situations : Anne-Audrey a soif et boit un verre de jus d'orange, puis quand elle va faire pipi, son petit frère veut aller avec elle dans les toilettes.

Séance N° 11 : "M. Laterreur". Les personnages et décors sont les suivants : Audrey-Anne, Nicolas, M. Laterreur (un ami de la famille) et son chien Moustache, une voiture, un parc. La situation est la suivante : Nicolas, pour s'amuser, serre dans ses bras Moustache qui n'apprécie pas d'être tenu aussi fort ; puis la situation s'inverse : c'est M. Laterreur qui pour des raisons identiques fait la même chose avec Nicolas.

Le tableau indique comment les enfants ont classé les éléments picturaux dessinés par Tom. Quand les éléments sont soulignés, cela signifie que Tom est d'accord avec la classification faite par les autres enfants. Ainsi, on peut lire pour la séance N°9 : Tom a dessiné un soleil, des nuages plus un gribouillage avec du feutre orange. Il est d'accord que le gribouillage c'est hors sujet, pour le soleil et les nuages il n'est pas d'accord mais il n'est pas capable d'expliquer pourquoi. Au cours de ces séances, Tom se contente de dire : "Je suis d'accord ou je ne suis pas d'accord" avec leurs décisions. Cependant, en début d'expérience, on remarque qu'il produit beaucoup plus d'éléments pertinents que d'éléments hors sujet. Par ailleurs, les éléments "Imagination" sont judicieux et il arrive presque toujours à resituer la situation dans chaque dessin. Cela prouve qu'il saisit bien l'enjeu de l'histoire et qu'ensuite il prend du plaisir à embellir son dessin avec des éléments congruents.

Séance N° Discussion et/ou Conte Imagination Hors sujet
9 (Décor et personnages)
Le père la marmotte le potager carottes salades

(Situation)
Le père avec un balai chasse la marmotte.)
Cerisiers,
tomates,
maison de jardin
balai
Soleil, nuages,
Elément orange ( ?)
10 (Décor et personnages)
cuisine + verre jus d'orange, Audrey-Anne, WC

(Situation)
Quelqu'un court et transpire (piste orange à droite de la maison)
Soleil chaud,
Stores de soleil
Cabanne d'été
Nuage à visages ( ?)
11 (Décor et personnages)
Route (en jaune), voiture, Audrey-Anne, Nicolas, le chien

(Situation)
Maisons de village,
colline (en bleu)
Soleil, ciel, boule bleue ( ?)
SDécor
SSituation
13
2
9 7

Pour résumer ce tableau, on peut dire que l'hypothèse selon laquelle en début d'expérimentation un enfant devrait plutôt dessiner des éléments picturaux hors sujet est démentie. Par contre, ce qui se dégage, ce sont les éléments classés dans les colonnes "Conte" et "Imagination." On peut en conclure que l'enfant utilise son intuition pour nourrir les représentations de son dessin, et que cela peut lui permettre de saisir le sens de l'histoire puisqu'il est capable de retranscrire à deux reprises la situation du problème.

Analysons maintenant les dessins de Tom en fin d'expérience.

  • Séance N°18 (16/05/2006) "Le petit chien et la bande des grands". Les personnages et décors sont : Vincent, Audrey-Anne, Sophie, un grand chien, un chiot, l'eau. La situation : Vincent jette dans l'eau le chiot pour faire rire les autres enfants, le petit chiot qui a peur de l'eau n'a pas suivi sa mère dans l'eau.
  • Séance N°19 (19/05/2006) "Vincent et la bande des grands". Les personnages et décors de l'histoire : 3 grands (une fille + 2 garçons), Vincent, un caillou, une rue. La situation est la suivante, Vincent est encerclé par les grands qui se moquent de lui.
  • Séance N°20 ( (23/05/2006). Suite de Vincent et la bande des grands, même personnage et même décor, la situation change, car Vincent en parlant avec les grands, n'est plus ennuyé par eux.

La lecture du tableau fait apparaître des flèches qui signalent que Tom ne se contente plus de dire qu'il est d'accord ou non avec ce que disent ses camarades. Maintenant, il est capable de justifier pourquoi il conteste leur choix.

Séance N° Discussion et/ou Conte Imagination Hors sujet
18 (Décor et personnages)
Eau, Vincent, Audrey-Anne, le grand chien, le petit chien

(Situation)
Le petit chien suit la maman chien


"Herbe" (parce que c'est pour séparer l'eau et la terre, les enfants ne sont pas dans l'eau)
Arbres


"herbe"*
19 (Décor et personnages)
(2 bonhommes)**
"je n'avais pas la place" (tension couleur Jaune/Bleu pour la maison et les 2 bonhommes ! ?)

(Situation)
"Ciel et Soleil" (Sentiment qu'il y a toujours au-dessus de nous un Ciel et un Soleil)



"Maison" (On a toujours une maison. Il imagine qu'il est dans sa maison)
Soleil *
Ciel rouge et bleu*




Maison*
2 enfants
20 (Décor et personnages)
Bande des grands (oubli qu'ils n'étaient que trois)
Vincent

(Situation)
Vincent a réussi à s'échapper
(c'est aussi une mise en situation)
"Maison" (Parce que la maison elle protège Vincent de Grands)


Ciel (parce que ça peut aller dans l'histoire)
Maison*
Oiseaux
gribouillage
4 enfants
1 enfant
ciel*
soleil
Décor
Situation
8
2
5 5

Ce qui change entre le début de l'expérimentation et la fin, c'est que Tom justifie ses choix. Les autres enfants n'ont pas parlé de l'herbe (séance 18), on n'en parle pas non plus dans l'histoire, aussi ce détail est qualifié hors sujet par les enfants du groupe classe. Tom leur répond qu'il faut bien une limite entre l'eau et la terre, c'est la raison pour laquelle il a dessiné de l'herbe, donc pour lui cet élément vient de son imagination. On ne parle pas de maison (séance 19) ni dans le texte ni dans la discussion, cependant pour Tom il est logique de la dessiner car lorsque l'école est finie Vincent rentre à sa maison. Par ailleurs, l'histoire implique une situation embarrassante pour Vincent (enfant de six ans dans l'histoire), qui est encerclé par une bande d'enfants plus grands. On peut supposer que Tom se projette plus ou moins dans Vincent dans cette situation, ce qui expliquerait que la maison représenterait pour lui une coupure salutaire lors de cette situation anxiogène. D'ailleurs les deux enfants de la bande des grands sont coloriés en jaune et bleu et la maison également, comme s'il s'agissait d'opposer ce qui agresse à ce qui pourrait protéger Vincent.

On peut donc dire qu'au fil des séances Tom ne se contente plus de faire preuve uniquement d'imagination pour enrichir le dessin lié à l'histoire, il est maintenant capable d'expliciter ses choix et de contester les autres enfants, lorsqu'il y a une contradiction entre son intention et l'interprétation que les autres font de son dessin.

Pour conclure, comme nous venons de le voir, le dessin peut être un prolongement très intéressant pour les ateliers de discussion à visée philosophique. En effet dans tout groupe, il est fréquent de trouver des enfants réservés comme Tom. Lorsqu'ils sont en situation dans l'atelier de DVP, ils ne prennent pas la parole et ne semblent pas intéressés. Comment apprécier les effets de philosophie pour ces enfants ? Or nous voyons que par un moyen indirect, le dessin, ces enfants s'impliquent de manière intéressante. Par le jeu de l'interprétation de leur dessin, on peut alors créer une interaction entre l'enfant dessinateur et ses pairs, et au fil des séances, les intentions du dessin qui n'étaient qu'implicites tendent à devenir explicites. Au départ, l'intelligence de Tom est principalement nourrie par ce qui vient de lui, par ses intuitions. L'analyse de ses dessins a souligné que dès le début de l'expérience ses productions étaient pertinentes. Puis en fin d'expérience, il devient capable de verbaliser et d'expliciter ses intuitions. Peu à peu, on peut donc dire que le dialogue à propos de son travail transforme ce qu'il produit en véritable "concept iconique." Autrement dit, son dessin peut alors être défini comme une représentation en acte qui retranscrit des éléments descriptifs relatifs à l'histoire et aux personnages, ainsi qu'une capacité à saisir les enjeux de l'histoire.


(1) (Marie-France Daniel (2002), Les contes d'Audrey-Anne, Québec : le Loup de gouttière.

(2) Daniel, M.-F., Delsol, A., (juin 2005), "Learning to Dialogue in Kindergarten : A Case Study", Wisconsin : Viterbo University la crosse, " Analytic Teaching, vol. 25, n°3, juin 2005", pp.23-52. Voir aussi l'article de M.-F. Daniel dans le présent numéro.

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