L'origine de notre association est éclairante quant à sa nature... Nous sommes en 1996. Un peu partout fleurissent des cafés-philo. Le maire-adjoint à la culture d'Hérouville me demande de créer un tel café sur la ville où je travaille et habite. Je trouve cette demande très intéressante (qui de nous n'a rêvé d'étudier la philosophie avec les gens de sa rue, de son quartier, de sa ville ?) mais j'ai envie de la transformer : le café de philosophie du Mémorial de Caen, né il y a peu, attire déjà un nombreux public chaque semaine. Créer un café philo bis semble superflu et du reste, impossible : nous n'avons pas les moyens financiers du Mémorial. D'autre part, je souhaite ancrer une telle structure dans une relation forte aux textes des philosophes. Enfin, un travail en équipe me paraît plus conforme à l'image de ma ville.
Je parle à l'Association des professeurs de philosophie du département, de la demande qui m'est faite et de la direction dans laquelle je souhaiterais travailler. Justement, deux collègues, E. Laloy et E. Jardin assument parfois, conjointement, sur la demande de l'animateur en titre, l'animation du café philo du Mémorial, et jugent cette expérience passionnante.
À cette époque, à l'association des professeurs de philosophie du Calvados, nous sommes plongés, depuis un an et demi, dans l'étude de La République : à raison d'une séance par mois, nous explorons cette "oeuvre-univers ", chacun travaillant un aspect qu'il a choisi et délimité puis le présentant aux autres. Pendant près d'un an, après avoir suivi ou mis en question Socrate ou Adimante, nous avons des discussions assez brèves mais animées, sur le projet d'une structure ouverte au public. Peu à peu se dégage un ensemble relativement cohérent d'exigences sur lequel plusieurs d'entre nous tombent d'accord : une structure ouverte à tous, où l'étude de la philosophie serait assurée par des personnes formées en philosophie, où l'on travaillerait sur des questions choisies par le public, constituée de groupes restreints pour que la parole circule, où l'étude se continuerait sur plusieurs séances (ce point est peut-être celui qui a soulevé les discussions les plus fréquentes : le pari d'un travail suivi semblait un peu fou) ; où cette étude s'appuierait sur des textes, sur toute la tradition philosophique, sans se priver des échanges entre les participants, animée par une équipe de professeurs de philosophie décidés à faire de la philosophie sans faire des cours de philosophie, qui aurait le statut de la loi de 1901 et dont les animateurs seraient bénévoles.
En novembre 1997 a lieu l'assemblée constitutive, à la Maison polyvalente d'Hérouville (plus connue sous le nom de Maison des associations). Nous décidons d'appeler notre association L'ATELIER DE PHILOSOPHIE. L'article 1 des statuts stipule qu'elle a pour objectif de promouvoir l'étude de la philosophie par un travail suivi et méthodique et pour un large public. Le dossier est déposé en préfecture, L'Atelier de philosophie est officiellement enregistré au Journal officiel en décembre 1997.
En jetant ce regard rétrospectif sur la genèse de notre association, je vois clairement que nous avons bénéficié de l'heureuse conjonction de plusieurs facteurs :
- une demande de philosophie émanant de la cité ;
- un public qui s'est d'emblée constitué partie prenante et qui joue le jeu ;
- un groupe de collègues déjà habitués à travailler des questions philosophiques ensemble et hors du cadre scolaire proprement dit ;
- parmi eux, des professeurs de philosophie pour qui le travail avec un public de non spécialistes volontaires ne constitue pas une pénible redescente dans la caverne, mais une ouverture, non un exil, pour ainsi dire un va-et-vient entre deux aspects d'une même patrie.
En 2004, notre association fonctionne donc depuis sept ans. Nous avons une quarantaine d'adhérents ; tous participent aux ateliers. Hommes et femmes, en nombre à peu près égal, de conditions sociales diverses, ayant ou non poursuivi des études secondaires ou universitaires. L'équipe d'animateurs se compose d'une demi-douzaine de professeurs de philosophie enseignant dans quatre ou cinq (selon les années) lycées de l'agglomération.
Deux sessions de travail ont lieu chaque année. Chacune comprend trois séances, soit, avec les assemblées générales, une réunion par mois. À chaque séance, trois (plus rarement deux) ateliers fonctionnent de front.
Nous avons la chance de pouvoir disposer, une fois par mois, dans le même créneau horaire, de trois salles à la Maison polyvalente, car nous y louons un local à l'année.
En ce qui concerne les questions étudiées, A. Lambert a eu l'idée d'un journal qu'il fait vivre depuis le début. Ce journal, qui en est à son numéro 13 en 2004, contient tous les comptes rendus d'ateliers qui se sont tenus au fil des années.
Même si les ateliers de réflexion et d'étude demeurent les piliers de l'association, nous développons d'autres activités :
- invitation de philosophes contemporains, après que nous ayons travaillé sur leurs oeuvres ou sur un sujet qu'ils ont abordé : M. Conche (qui, au dernier moment, n'a pu venir), R. Misrahi, M. Kessler, bientôt J. Salem...
- invitation de musiciens ou de plasticiens ;
- en juin, depuis quelques années, journée bipolaire : le matin, réflexion commune sur une question vers laquelle convergent plusieurs ateliers de l'année ou sur un sujet qui a été demandé mais n'a pu être étudié. Dans les faits, c'est souvent autour de l'art que se déroule la matinée. L'après-midi, randonnée souvent guidée, qui nous permet de connaître le patrimoine rural ou urbain de la région.
- films vus ensemble au cinéma d'art et d'essai d'Hérouville, puis discussion.
- participation à la Fête des Associations en septembre : stand, textes de philosophes ayant trait au thème choisi chaque année...
Finances : la cotisation est de 10 euros par an pour chaque adhérent. Nous recevons une subvention annuelle de 150 euros de la mairie d'Hérouville. Un moment menacée, cette subvention, sur justificatif de nos activités et après plusieurs réunions, s'est accrue de sommes délivrées à titre exceptionnel, par exemple pour l'invitation d'un philosophe à la bibliothèque.
Chaque animateur reçoit une rétribution symbolique : un bon d'achat valable dans une librairie de Caen, équivalent à un volume de la Pléiade.
Quels problèmes avons-nous à résoudre ?
Il n'est jamais facile d'ajuster les trois ateliers aux demandes multiples des adhérents, lors des assemblées générales d'octobre et de février. Très tôt nous avons été vaccinés contre les regroupements trop larges ("l'art ", "la vérité "...) et avons dû faire des choix sans que personne ne se sente exclu. Mais nous pensons que le choix des questions à étudier par les adhérents eux-mêmes est un aspect essentiel du caractère démocratique de l'association. La co-animation représente à la fois un confort, une sécurité, et une source de tension possible. Elle doit être rigoureusement organisée.
Le fonctionnement des ateliers doit trouver la juste voie entre deux écueils redoutables et symétriques : le monologue de "celui qui sait " et la conversation à bâtons rompus. Le récit d'expériences personnelles n'est pas une fin en soi, mais trouve un sens comme tremplin vers une réflexion philosophique ou comme illustration.
Nous essayons de résoudre ces problèmes, nous en parlons en assemblée générale.
L'Atelier de philosophie contribue ainsi depuis sept ans à la diversité de l'activité philosophique sur Caen, Hérouville et toute l'agglomération.
Contact avec l'atelier et pour le journal : yvanmi@club-internet.fr