Une expérience à la faculté de philosophie et de lettres de l'Université de Buenos Aires
La structure des systèmes d'enseignement et la présence de la philosophie dans ces systèmes, tant au niveau de l'enseignement secondaire que de l'enseignement supérieur, offrent des points communs, mais aussi des différences intéressantes dans les divers pays, qui proviennent autant d'une manière particulière de comprendre le rôle et le lieu de la philosophie dans ce système que du développement historique de chacun. Par exemple, dans les pays de langue anglaise, la présence de la philosophie dans l'enseignement secondaire est peu fréquente, tandis que dans d'autres pays, en France par exemple, la philosophie occupe une place importante : une sorte de couronnement des études, qui se terminent par le baccalauréat.
En Argentine, il existe une longue tradition de présence de la philosophie dans les écoles secondaires. La formation des professeurs qui ont en charge cette discipline se réalise essentiellement dans deux ensembles : les Instituts de formation de professeurs pour l'enseignement supérieur non universitaire et les Facultés au niveau universitaire.
Dans la Faculté de philosophie et de lettres de Buenos Aires, on étudie, entre autres, le professorat de philosophie, lettres, histoire, géographie et anthropologie. Dans chacun de ces professorats, la faculté donne deux diplômes. Licence en histoire, philosophie, etc., diplôme qui s'oriente surtout vers la recherche et des pratiques non enseignantes (docente signifie toujours enseignant en Argentine : el docente, c'est le prof ; no docentes praticas : ce n'est pas dirigé vers l'enseignement) dans chacune des disciplines. Un diplôme de " professeur " en philosophie, histoire, etc., va surtout se diriger vers l'enseignement de cette discipline, au niveau secondaire ou dans d'autres instances du système éducatif. La licence et le professorat ont une formation commune assez longue. Pour le professorat de philosophie, celle-ci se compose de trente cours qui incluent des matières d'introduction aux études de sciences humaines, histoire, philosophie, problèmes philosophiques, des cours de langues classiques et modernes, des modules qui permettent un approfondissement dans une orientation philosophique : philosophie pratique, théorique, logique, épistémologie etc. et des séminaires ou des cours, avec des monographies de début de recherche. Au-delà de cette formation commune, les étudiants qui optent pour la licence doivent réaliser une thèse, et ceux qui optent pour le professorat doivent suivre des cours de pédagogie générale qui sont communs à tous les professorats de la faculté, et des cours de didactique spéciale et pratique de l'enseignement de la philosophie qui est sous notre responsabilité.
L'objectif de cet article rédigé par une équipe de professeurs de cette matière est de présenter de manière informative le travail réalisé par cette équipe. Le régime pédagogique est défini par la résolution 2097 du Conseil directif de la Faculté qui, dans ses principales dispositions, établit que pour suivre les cours de didactique spéciale, les étudiants doivent être reçus en pédagogie générale avec au moins 18 des 30 matières du professorat. La discipline est annuelle avec un premier semestre théorique pratique qui exige une présence de 75 % et être reçu aux partiels et/ou aux travaux pratiques qui y correspondent, et un second semestre, qui est dédié surtout à la réalisation intensive supervisée d'observations de classes et de pratiques d'enseignement dans un collège secondaire.
" Didactique spéciale " se propose comme un espace pour que les étudiants avancés ayant opté pour le professorat de philosophie et se trouvant assez près de terminer leurs études comme professeurs - avec des compétences dans l'enseignement de la philosophie au niveau secondaire et dans d'autres instances du système éducatif - comprennent diverses propositions autour de l'enseignement de la philosophie, réfléchissent sur la philosophie et son enseignement, et élaborent une proposition fondamentale d'enseignement dans l'aire de la philosophie. Les pratiques professorales en général et l'enseignement dans le domaine de la philosophie en particulier ne constituent pas un objet étranger pour les étudiants. Au contraire, un étudiant sur le point de terminer ses études a profité (ou a souffert !) du travail de nombreux professeurs tout au long de longues années. Il a sûrement été reçu à certains de ces examens pratiques, aura été collé à d'autres, et parfois se sera dit " cette matière devrait être vue sous tel ou tel point de vue ", ou " le jour où j'aurai à enseigner je le ferai, moi, de cette manière ".
En conséquence, la plupart des étudiants qui doivent suivre les cours de didactique spéciale et pratique de l'enseignement en philosophie ont un projet plus ou moins explicite, plus ou moins réfléchi, c'est-à-dire un ensemble d'idées déjà claires sur la manière de faire avancer cet enseignement de la philosophie. Le travail de la matière consiste donc à soumettre à la critique ces idées, à aider à enrichir ce projet, à apporter des informations ou une bibliographie, à analyser des situations d'observations d'enseignement, et le travail réalisé par les étudiants face à la classe.
En comprenant bien sûr que sur les bases de quelques points de base communs, il est possible et même souhaitable que l'on puisse développer divers projets. C'est aussi le travail de la discipline de récupérer et d'intégrer par l'élaboration d'une proposition d'enseignement, les connaissances disciplinaires assimilées dans les autres matières suivies dans le cursus et les connaissances pédagogiques incorporées à partir de didactique générale. Le projet à élaborer se base sur l'élaboration d'un dossier devant les autorités et les collèges pour proposer l'enseignement de la philosophie.
LES CONTENUS CONCEPTUELS DE LA DISCIPLINE
Ils se regroupent en quatre unités :
Unité 1 : approche de questions de fond de l'enseignement de la philosophie. La philosophie, son enseignement et son apprentissage ; faire de la philosophie et enseigner la philosophie. Apprendre la philosophie et apprendre à philosopher. Pourquoi et dans quel but enseigner et apprendre la philosophie ? Conceptions philosophiques et modalités de l'enseignement philosophique : modalités historiques, problématiques, doctrines et textes. Points de vue mixtes.
Unité 2 : approche de l'enseignement de la philosophie à l'école. L'enseignement de la philosophie dans l'histoire de l'enseignement secondaire en Argentine. Transformations de l'école secondaire et relation avec l'enseignement de la philosophie. Les programmes depuis la fin du xixe siècle et les livres de textes. Divers paradigmes. Situation actuelle de l'enseignement de la philosophie au niveau secondaire. Loi fédérale d'éducation et contenus de base communs. La formation et la citoyenneté. La philosophie dans la formation orientée. La philosophie dans l'enseignement supérieur universitaire et non universitaire. La philosophie pour et avec les enfants.
Unité 3 : approche du sujet qui apprend la philosophie dans le contexte institutionnel. Développement intellectuel, affectif et psychosocial de l'adolescence. Adolescence et contexte culturel. Le groupe adolescent : caractérisation, rôle, mode de communication. Théories de l'apprentissage. L'enseignement de la philosophie en relation avec le sujet d'apprentissage.
Unité 4 : approche de la didactique de philosophie. Le professeur de philosophie. Réflexions sur le lieu, le rôle du professeur de philosophie dans les institutions éducatives. Le diagnostic du groupe classe. La planification. Différentes instances et modalités. Objectifs, buts et attentes de réussite. Contenus conceptuels. Procédés d'aptitude. Sélection et organisation de contenus conceptuels, cartes ou schémas. Les différentes techniques pour conduire une classe. L'exposition. L'étude dirigée. Les dynamiques de groupe. Les activités du professeur et des élèves. Les guides pour étudier. Les recours traditionnels et non traditionnels. Les livres de textes. L'évaluation de l'enseignement et de l'apprentissage. Valeurs et limites d'une didactique de la philosophie.
Quant aux savoir-faire et aux aptitudes, la discipline cherche à développer chez les étudiants sur le point de terminer leurs études de professeurs de philosophie : la compréhension critique de différentes conceptions de l'enseignement et de l'apprentissage en matière philosophique. La compréhension critique des caractéristiques les plus habituelles des adolescents dans le cours de philosophie. La réflexion critique autour de l'apprentissage et de l'enseignement de la philosophie dans les institutions scolaires. L'analyse critique des différents aspects qui incluent le rôle du professeur de philosophie. Le savoir-faire pour évaluer et conduire l'enseignement et l'apprentissage dans les institutions éducatives. L'attitude critique et constructive vis-à-vis du travail de professeur et son perfectionnement.
Pendant le premier semestre, se développe le cours théorique et pratique au cours duquel on aborde les quatre unités en réunions de quatre heures hebdomadaires.
Les thématiques que l'on travaille dans la première unité constituent des problèmes de sens (ou de base) de l'enseignement de la philosophie, dont le traitement et l'observation supposent un travail infini qui ne peut que rester ouvert et recevoir des réponses plurielles. Les problèmes qui se posent là sont en relation avec les fondements de la proposition de projets pédagogiques pour l'enseignement de la philosophie. Il s'agit pour l'étudiant, au travers de la lecture de textes, de discussions et de la rédaction des premiers travaux pratiques, d'arriver à clarifier ses présupposés pour qu'il puisse prendre position par rapport à l'enseignement de la philosophie dans le but de poser les bases et les fondements provisoires de son projet pédagogique.
L'unité tend plutôt à localiser la philosophie dans l'institution scolaire et essaie de faire en sorte que l'étudiant connaisse l'histoire de l'insertion de la philosophie dans l'école, le rôle qu'elle a joué, les programmes en vigueur, les livres de textes, etc.
L'unité 3 propose un complément théorique, une observation pour que l'étudiant arrive à une meilleure connaissance des élèves adolescents en relation avec l'enseignement de la philosophie.
L'Unité 4 traite des questions plus spécifiques ou classiques de la didactique et se dirige vers le projet de travail qui préfigure la pratique future de classe et qui servira de préparation pour les pratiques à développer dans le second semestre.
Naturellement, si l'on peut souhaiter que toutes les pratiques professorales s'appuient sur une base de type théorique, au moins sur une réflexion, sur des questions de sens, à plus forte raison devrait-on poser les bases de la pratique de telle manière que, dans son projet pédagogique l'étudiant vise une cohérence entre cette base et sa proposition.
Ainsi on cherche à ce que la réflexion sur les questions de base enrichisse la formulation de la proposition pédagogique et que l'élaboration des instruments pratiques étaye les discussions sur les questions de sens.
Dans le premier semestre, on supervise les travaux pratiques correspondant aux quatre unités qui constituent la première partie du dossier de l'étudiant : bases et propositions pour le cours de philosophie, on met en pratique différentes techniques de dynamique de groupe, on analyse les observations effectuées dans les collèges secondaires que les étudiants doivent exécuter, et on met en place des classes d'essai qui constituent un entraînement pour les observations et les pratiques de laboratoire. Les contenus se développent en classe théorico-pratique au cours desquelles on essaie d'incorporer les propositions et les réflexions réalisées dans les travaux pratiques et d'analyser les réussites et les difficultés qui surgissent dans les classes d'essai.
On essaie donc d'orienter les étudiants vers un processus de production d'une proposition pour le cours de philo. Les classes d'essai sont de brèves situations d'enseignement de la philo dans l'enseignement secondaire. Elles ont une durée maximum de trente minutes au cours desquelles l'étudiant traite d'un thème ou un sous-thème qui a été sélectionné et clarifié à partir des contenus philosophiques des programmes de l'enseignement secondaire.
Les étudiants qui réussissent les examens du premier semestre réalisent au cours du second les activités d'observation et de pratique qui ont lieu dans un collège dépendant de l'Université de Buenos Aires (Collège National de Buenos Aires, École Supérieure de Commerce Carlos Pellegrini ou Institut Libre d'Enseignement Secondaire). Les observations s'étendent sur un minimum de dix heures, la moitié devant être réalisées pendant le cours de philosophie où l'élève effectuera ses pratiques, et les autres dans la même classe, mais sur d'autres matières.
Ces observations ont pour fonction que l'étudiant puisse se faire une idée cohérente du lieu et élaborer un diagnostic du cours dans lequel il va pratiquer, en détectant les connaissances déjà acquises, les préoccupations des élèves, les modalités de travail, etc., ce qui lui permettra de réaliser une planification adéquate des thèmes qu'il devra développer. Les pratiques comprennent un minimum de dix heures de classe, qui dans la majeure partie coïncide avec les développement d'une unité didactique.
Tout au long du second semestre, on aura une réunion hebdomadaire de consultation et d'échange d'expériences, pour analyser en groupe le développement des classes, faire les ajustements nécessaires, superviser individuellement la planification de chacun des étudiants. Les étudiants qui complètent leur pratique doivent présenter au département de philosophie le dossier avec tout ce qui a été fait, en incluant un document final dont les caractéristiques seront détaillées plus bas.
La matière n'a pas d'examen final, auquel on substitue une production riche et variée tout au long de l'année et que l'on retrouve groupée dans le dossier que les étudiants doivent remettre à la fin de leur pratique et qui comprend les différents éléments.
- Première partie : fondamentaux et propositions pour le cours de philosophie qui comprend des travaux pratiques réalisés pendant le second semestre.
- Deuxième partie : la pratique pendant le cours de philosophie qui comprend les matières suivantes, grilles d'observations et pratiques, planification, unités, plans de classe, matériels confectionnés par les classes, grilles d'exercices, évaluations que les élèves du cours où se réalisent les pratiques font de l'étudiant pratiquant.
- Troisième partie : document final d'auto-évaluation qui intègre les différents items, apprentissages réalisés tout au long de la discipline, confrontation entre les réussites et les propositions de départ, jugement sur sa propre évolution pendant l'étape du cours théorique-pratique, premier semestre, et l'étape des pratiques.
Une fois que les étudiants ont complété ce qui était obligatoire et ont été reçus à la matière, ils doivent aussi remettre un dossier sur une évaluation des matières qui comprend les items suivants : articulation avec la didactique générale, étapes du cours théorique pratique (classes, observations, travaux pratiques, classes d'essai), étapes pratiques, guide du processus de planification, guide du processus de classe, développement général du professorat, suggestions pour d'autres cours.
Ce dossier est analysé par l'équipe éducative pour évaluer le travail réalisé pendant l'année et éventuellement enrichir et ajuster la qualification de futurs professionnels.
Nous considérons comme valable l'expérience développée ces dernières années dans la matière. Après avoir dépassé quelques résistances de départ qui se manifestent par une attitude ambivalente sur le rôle et la profession de professeur, les étudiants assimilent les contenus traités à différents degrés. D'une part, ils comprennent différentes conceptions du processus d'enseignement philosophique et ils réfléchissent d'une manière critique. D'autre part ils développent des savoir-faire pour planifier, conduire, évaluer au niveau secondaire l'enseignement, une attitude critique et constructive sur le métier de professeur et son perfectionnement.
L'expérience réalisée nous a permis de réduire le dualisme traditionnel qui sépare les classes théoriques et pratiques et aussi d'éliminer les examens de fin d'études pour les remplacer par une riche production orale et écrite des étudiants tout au long du processus qui nous permet d'arriver à les connaître avec une assez grande acuité. Si l'on se réfère aux difficultés qui se présentent, elles sont souvent en rapport avec l'adaptation au changement du rôle de l'étudiant en professeur. À certaines occasions ces difficultés proviennent aussi de la nécessité de développer des contenus qui ne sont pas dans les centres d'intérêts des étudiants ou qu'ils ne dominent pas d'une manière satisfaisante. La bibliographie obligatoire est signalée plus bas en relation avec les travaux pratiques que doit réaliser l'étudiant.
En manière de conclusion, nous allons synthétiser quelques points du programme que nous avons présentés.
Didactique spéciale et pratique de l'enseignement de la philosophie.
La didactique spéciale et pratique de l'enseignement de la philosophie a diverses propositions générales : la compréhension de différentes positions autour de l'enseignement de la philosophie ; la réflexion sur la philosophie et son enseignement et la mise en pratique d'une proposition basée sur l'enseignement philosophique. Dans tous les cas on espère que l'élève manifeste une attitude critique constructive envers le métier de professeur et son perfectionnement.
Ces propositions pourront se réaliser pleinement à partir des idées déjà prévues et des projets plus ou moins élaborés dont disposent les étudiants. Au travers de la critique de ces idées, une meilleure élaboration de ces projets, un apport d'informations et une bibliographie, une analyse des situations d'enseignement d'autres professeurs et des étudiants eux-mêmes. Dans tous les cas cela suppose une base minimum de points communs.
Nous avons dit aussi qu'il était souhaitable que toute pratique professorale s'appuie sur une base de type théorique ou au moins sur une réflexion sur des questions de sens. À plus forte raison, on devrait asseoir (argumenter) la pratique de l'enseignement de la philosophie. Il ne faut pas comprendre cette argumentation comme un préalable à l'élaboration d'une proposition concrète, ni comme un système duquel dérive plus tard un projet ou une proposition de solution de problèmes d'enseignement. Au contraire, on fait en sorte que la réflexion enrichisse la formulation de la proposition pédagogique et que l'élaboration des instruments pratiques serve à étayer les discussions sur la question du sens.
La formation initiale d'un bon professeur de philosophie est un thème controversé. Les thèmes de discussions sont nombreux et divers : quel devrait être le poids relatif des contenus disciplinaires dans les contenus pédagogiques ? Quel serait le curriculum le plus adapté ? Quel mode d'enseignement philosophique devrait-on privilégier ? Quels traits devraient caractériser un bon professeur de philosophie ?
Il n'est pas possible de répondre à ces questions dans le cadre de cet article, ce n'est pas non plus notre intention, cependant, nous croyons avoir montré une proposition d'enseignement qui va vers un modèle dans lequel le professeur de philosophie dialogue avec les philosophes, les textes philosophiques, l'histoire de la philosophie, les connaissances scientifiques, ses étudiants et qui fasse de la classe un lieu d'enseignement et de production philosophique.