Revue

L'animation d'un café-philo, spécificité?

Cette nouvelle forme d'activité philosophique qu'est le café-philo n'a sans doute pas suffisamment donné lieu à formalisation théorique. Et ceci est bien naturel : nous en sommes encore à la surprise et même la jubilation devant une entreprise qui se développe et satisfait notre désir d'ouverture et de partage du " philosopher ". Cette formalisation est pourtant nécessaire, entre autres choses pour prévenir les critiques d'amateurisme ou de " touche à tout " de nos détracteurs. Nous nous proposons donc dans ce texte d'identifier les caractéristiques de la posture d'animation propre à l'animateur d'un café-philo, à partir de notre pratique actuelle. Nous savons que cette posture se distingue fondamentalement de celle de l'enseignant (ce qui ne signifie pas qu'il ne puisse pas, dans sa classe, tirer grand profit des dispositifs de cette sorte...). Mais se distingue-t-elle aussi de celle de " l'animateur de réunion ", tel qu'on peut en juger à partir de critères classiquement utilisés en psychosociologie? Nous essaierons de montrer en quoi ce type d'animation se rattache effectivement à l'animation de " réunions-discussion à thème " (et nous rappellerons les caractéristiques de celle-ci), mais aussi ce qui l'en sépare et constituerait la spécificité d'une " animation philosophique ". Comment pourrions-nous alors qualifier le type d'animation qui rendrait compte de la conduite d'un café-philo mais regrouperait également toute animation développant un travail particulier sur le contenu de ce qui se dit (nous essaierons de le préciser) et que nous pourrions définir comme une activité " d'étayage " favorisant une construction, une élaboration collective, quel que soit le thème traité? Mais tout d'abord, cette animation se distingue-t-elle d'une animation de type psychologique puisque, après tout, chaque personne est invitée à s'exprimer devant l'oreille attentive de l'animateur et reçoit en retour ses reformulations?

UNE ANIMATION DE TYPE PSYCHOLOGIQUE?

Une animation de type psychologique est en effet centrée sur les personnes, à la différence d'une animation psycho-sociologique (cf. plus loin) centrée principalement sur la tâche et/ou sur le groupe (dans des proportions variables qui dépendent des objectifs de celui-ci). Si par exemple il s'agit d'un travail où chacun est sollicité pour explorer sa propre expérience (à partir d'un inducteur et d'objectifs à définir dans chaque cas), l'animateur sera avant tout centré sur la personne qui s'exprime et devra développer des capacités d'écoute, de présence et de compréhension dans le contact, afin de permettre le développement de cette exploration de soi. Précisons à ce sujet, contrairement à l'opinion communément admise, que ce type d'intervention ne concerne pas seulement les groupes de thérapie; il est également fréquent dans les groupes de formation personnelle et/ou professionnelle, y compris dans certaines activités éducatives, qui se proposent à un moment donné de se focaliser sur l'expression du sujet.

Qu'en est-il du café-philo? Ici l'attention portée aux personnes et à leurs paroles ne doit pas se confondre avec la centration évoquée ici; en réalité, elle est de même nature que celle qui doit être portée par n'importe quel animateur de réunion-discussion ou de réunion de travail. De plus, le but de la parole dans un café-philo, même si elle tire bénéfice à s'enraciner dans un vécu, est de s'émanciper d'une problématique personnelle pour devenir " discours raisonnable " dont la vocation est universelle. Dans une certaine mesure2, seuls les mots dans leur auto-suffisance doivent être pris en compte, indépendamment de la personne qui les porte. À l'inverse, l'écoute dans un groupe centré sur la personne s'adresse à la globalité de celle-ci, dans ses dimensions cognitive, affective et corporelle. Les " claviers " de l'écoute sont donc différenciés et ne concernent pas seulement le registre rationnel. La parole ici, et toutes les formes de langage non verbales, vont être autant de signes ou de balises, conscients ou non, qui vont permettre à la personne, avec l'aide de l'animateur et du groupe, d'entrer en relation avec son expérience d'elle-même en même temps qu'elle l'élabore, la faire partager, et tenter si possible de l'analyser. Le Soi (quelle que soit d'ailleurs la définition que l'on peut en donner), est ainsi l'objet privilégié des groupes centrés sur la personne, contrairement bien entendu aux finalités d'un café-philo, même si nous pensons que ce " rapport originaire à soi " est indissociable d'une authentique démarche philosophique. Dans un cas, c'est l'unicité et la subjectivité qui sont visées; dans l'autre, c'est au contraire l'accès à l'universalité et à l'objectivité.

UNE ANIMATION PSYCHOSOCIOLOGIQUE?

On distingue habituellement deux fonctions distinctes dans l'animation des groupes : la facilitation de la " procédure " et la régulation des " processus ". Qu'en est-il pour l'animation d'un café-philo?

La facilitation de la procédure (rôle centré sur la tâche)

Cette fonction consiste à aider le groupe dans sa production : préparer le sujet, présenter la tâche, distribuer la parole, recentrer par rapport au sujet, reformuler ce qui se dit, faire des synthèses pour que le groupe sache à quel point il en est arrivé, proposer des méthodes de travail, gérer le temps. Cette dimension " procédurale " est bien sûr présente dans le café-philo; il correspond en effet à un cadre spatio-temporel et à des règles du jeu précises : présentation du sujet, deux parties de cinquante minutes séparées par une pause de quinze à vingt minutes, synthèse orale à la fin de la première partie puis synthèse finale par écrit, prises de paroles gérées selon des règles déterminées (inscriptions des demandes limitées à cinq, ne pas couper la parole, ne pas s'exprimer trop longtemps ni trop souvent, s'efforcer d'être clair, explicite, donner les raisons de ce qu'on avance, laisser la priorité à celui qui ne s'est pas encore exprimé...). Nous ferons simplement trois remarques à ce sujet.

  • 1/ Ce dispositif de travail étant toujours identique et se répétant donc d'un café-philo à l'autre, il devient rapidement un cadre tiers extérieur auquel l'ensemble des participants se réfère spontanément. Il doit simplement être rappelé en début de séance, notamment pour les nouveaux venus. L'animateur en est certes le garant, mais ce cadre s'impose rapidement de lui-même.
  • 2/ La distribution de la parole d'une part, la synthèse partielle et finale d'autre part, sont, dans les deux cafés-philo auxquels nous nous référons ici (Narbonne et Maureilhan), assurées par deux autres personnes, ce qui allège sensiblement l'animateur d'une partie de ce rôle relatif à la procédure.
  • 3/ Concernant la reformulation, la question est précisément de savoir si cette notion est ici appropriée : s'agit-il vraiment de reformulation dans un café-philo? Celle-ci est définie dans le cadre de la conduite de réunions comme une intervention qui facilite l'expression (par l'accueil " inconditionnel " de la parole de chacun qu'elle induit), qui favorise l'écoute des idées émises et qui stimule l'interaction. Il semble bien en effet qu'une telle reformulation soit nécessaire dans un café-philo; mais nous devrons nous interroger pour savoir si l'intervention de l'animateur n'excède pas ce premier sens de la reformulation.

Pour conclure provisoirement sur ce point, cette fonction d'aide et de cadrage au service de la production du groupe est évidemment présente dans un café-philo, mais nous pressentons également que l'animation de celui-ci ne peut se réduire à cette seule dimension.

La régulation des processus (rôle centré sur le groupe)

Un animateur un tant soit peu formé à la psychologie des groupes sait que la facilitation de la procédure n'est qu'une des deux " pédales " de la conduite de réunions; la qualité de la production d'un groupe dépend aussi de la dynamique des processus relationnels qui s'y développent (le " système affects-valeurs ", pour reprendre un concept utilisé quelquefois). Cette dynamique de groupe, qui ne se manifeste pas explicitement dans ce qui se dit, mais de façon plus ou moins irruptive par un ton, un rire, un silence, une réaction ou une tension particulières, la plupart du temps de façon non verbale, traduit en réalité l'état psychologique réel dans lequel se trouve le groupe, à travers les phénomènes de dépendance ou de contre-dépendance, les conflits, les alliances, et plus globalement l'affectivité en jeu ici et maintenant. L'animateur doit bien sûr tenir compte de cette réalité et exercer une fonction dite de " maintenance " ou d'" entretien " qui consiste à réguler aussi bien que possible ces processus. Cette fonction s'exerce également dans un café-philo mais elle est souvent peu activée dans le groupe que nous animons, sans doute pour plusieurs raisons.

  • 1/ Le groupe, tout en étant " ouvert ", fait preuve de stabilité (la majorité des présents sont des habitués).
  • 2/ L'adhésion générale du groupe à des règles du jeu très directives est un frein puissant aux risques de " dérapages ", c'est-à-dire à des manifestations plus ou moins irruptives en dehors du cadre fixé.
  • 3/ Enfin, la forte appropriation des objectifs du café-philo par les participants permet de tenir le cap de la priorité des contenus sur les enjeux psycho-affectifs (il va de soi que ceux-ci sont toujours présents...).
  • 4/ Mais il y une raison plus fondamentale : la nature même de l'activité philosophique implique une prise de distance par rapport aux affects. Sans bien sûr nier le nécessaire " rapport à soi " (M. Foucault) de toute entreprise philosophique, nous voulons simplement rappeler que celle-ci, en tant qu'elle vise l'universel, limite d'elle-même les manifestations psycho-affectives du moi. C'est peut-être aussi à partir de cette spécificité de l'activité philosophique que nous comprendrons mieux les caractéristiques de son animation. Nous verrons que celle-ci est davantage orientée - ou au moins autant - sur un travail à partir du contenu exprimé dans les différentes interventions des participants que sur la procédure ou les processus dans le groupe.

En conclusion de ce rapide examen, nous pouvons tout d'abord confirmer la nature psychosociologique de l'animation d'un groupe de café-philo : il est évident en effet que la fécondité de ce genre de réunion, qui passe en particulier par l'importance de la participation, et donc du nombre et de la qualité des interactions, dépend d'un certain nombre de conditions désormais bien connues, que l'animateur a pour rôle de développer ou de préserver, et qui sont les suivantes : l'inter-connaissance, la confiance mutuelle, la communication (inter-compréhension des messages émis et acceptation de chacun par chacun), l'ajustement des objectifs et des attentes de chacun dans le groupe, l'égalité de droit des participants à participer. Dans le cadre du café-philo, il apparaît que l'ensemble des techniques psychosociologiques mises en œuvre sont précisément au service de cette " éthique de la discussion " qui caractérise cette activité.

Ceci étant dit, nous pressentons aussi que cette dimension psychosociologique de l'animation n'est sans doute pas la seule ni, peut-être, la plus importante : si toute animation de groupe implique en effet une compétence psychosociologique quelles que soient la nature et la tâche du groupe, l'animation d'un café-philo, du moins dans le cadre du dispositif décrit (nous montrerons qu'il en va autrement dans le cas d'un partage des tâches différent), si elle veut garantir la nature philosophique de la discussion, doit nécessairement aller au-delà d'une simple conduite de réunion.

D'OÙ PARLE L'ANIMATEUR?

La " neutralité " de l'animateur

La position de l'animateur de groupe par rapport aux contenus, que le groupe soit centré sur la tâche ou sur lui-même (session de dynamique de groupes par exemple), est une position de neutralité. Il va de soi que dans les groupes " coopératifs " (c'est-à-dire la plupart du temps) l'animateur de réunion est aussi membre du groupe et la séparation des rôles n'est pas radicale; il importe cependant que l'animateur s'implique peu dans les contenus (notamment par rapport à des choix d'options ou des prises de positions) pour deux raisons principales :

  • Pouvoir centrer son attention sur les procédures et les processus (" on ne peut pas être au four et au moulin ").
  • Ne pas profiter de sa place dans le groupe pour peser trop fortement sur le fond de la discussion et risquer de susciter ainsi malaise et passivité du côté des participants; cette " prise de pouvoir " étant bien sûr contradictoire avec l'égalité des droits de chacun que doit garantir l'animateur.

Ceci étant justement rappelé, et sans remettre en question les principes ci-dessus mentionnés (qui sont valables quelle que soit l'animation envisagée), peut-être est-il opportun de les " revisiter " dans le cas particulier du café-philo.

  • Concernant le premier (" on ne peut pas être au four et au moulin "), nous avons constaté que la conduite du groupe stricto sensu était sensiblement facilitée, d'une part par le partage des rôles, d'autre part à cause de conditions particulières (stabilité du groupe, adhésion forte aux objectifs et règles du jeu, prégnance du cadre spatio-temporel, et surtout nature de l'activité). Dans ce contexte, le rôle de conduite du groupe n'exclut pas un autre rôle, plus spécifiquement philosophique, qui reste à définir.
  • Concernant le second (neutralité comme garantie d'une élaboration collective où l'égalité des droits de chacun est préservée), ne pouvons- nous pas distinguer l'engagement sur le " fond " de la discussion (contradictoire avec le principe de neutralité) d'interventions qui proposeraient au-delà de simples reformulations, des reformulations ou traductions explicitement philosophiques à partir des réflexions ou jugements émis? La question qui se pose en effet, et qui nous paraît centrale concernant la crédibilité des cafés-philo, est la suivante : à quelles conditions une telle discussion est-elle philosophique? L'ensemble des règles précédemment rappelées et qui sont propres à permettre une véritable " éthique de la discussion " constitue bien entendu un élément de réponse; celui-ci n'est pas à notre avis suffisant et ne fait pas mention de ce qui précisément marque la spécificité d'une animation de ce type. Nous pensons en effet qu'il est nécessaire que l'animateur (ou une autre personne, éventuellement d'autres personnes, dont le rôle serait alors à définir) soit aussi un référent qui représente symboliquement l'histoire des discussions philosophiques qui ont eu lieu jusqu'à ce jour!

L'animateur de café-philo comme " passeur "

La tâche qui vient d'être évoquée serait bien sûr impossible s'il en était le réel dépositaire! Cependant, il nous paraît important que cet " objet philosophie " (en tant que territoire du " philosopher ") soit quelque part présent dans cette réunion de café-philo, au titre d'objet tiers qui médiatise en quelque sorte les échanges entre pairs. Nous savons bien que de toute façon nos capacités de penser s'alimentent à la source de tous ceux, dans l'histoire individuelle et collective, qui ont pensé avant nous et cela plus ou moins à notre insu, plus ou moins en conscience. Il est donc indispensable que ce tiers puisse être interrogé, non pas tant sur la lettre de telle ou telle doctrine ou théorie - il ne s'agit pas de faire de l'histoire de la philosophie dans un café-philo -, mais en tant que dépositaire des questions, enjeux, problématiques qui constituent la chair même de la philosophie et que seule une personne formée à la philosophie peut assurer (pas nécessairement une formation universitaire).

On peut voir ici poindre le danger d'un interventionnisme tel qu'il priverait les participants de ce qui fait l'essence même du café-philo : parvenir à penser par soi-même et avec les autres sur un sujet donné. En particulier, l'animateur-philosophe court le risque, faute d'une distance suffisante à son objet, d'une " adhésivité " trop importante à des orientations philosophiques déterminées, qui se manifesterait par exemple par le fait d'induire trop fortement la production, de ne plus être suffisamment présent à ce qui se dit, de négliger ou de déformer gravement certains énoncés, et par conséquent d'empêcher ou de freiner une élaboration collective. Le mot qui nous vient alors à l'esprit est celui de " passeur " ou " médiateur ". Il s'agit en effet pour l'animateur de faciliter le passage, ou encore d'étayer philosophiquement les réflexions et échanges émis. Cela implique une écoute au plus près de ce qui se dit, y compris dans l'implicite ou le latent. Implicite ou latent qui n'a rien de commun avec un implicite ou un latent psychologique (il s'agirait alors d'une animation de type psychologique, comme par exemple dans certains groupes de thérapie; cf. plus loin). Ceux-ci pourraient être définis comme les présupposés ou les prolongements philosophiques des propos avancés. Ce qui est " ajouté " par l'animateur l'est dans la plus stricte prise en compte des paroles prononcées et sous l'étroit contrôle de leurs auteurs; c'est aussi ce qui va permettre de situer la discussion dans une dimension inter-subjective, c'est-à-dire une dimension qui permet de partager un objet et un langage communs. Cette formulation ou " mise en forme " philosophique du débat, dont la vocation, même si elle est toujours inachevée et partiellement vouée à l'échec, est la quête de l'universel, qui suit scrupuleusement la progression et les difficultés de la pensée qui s'élabore, ne doit pas renier sa parenté avec la maïeutique socratique. N'est-ce pas d'ailleurs cette première tradition de l'Agora que nous nous proposons de faire revivre?

Une animation à caractère psycho-pédagogique?

Il serait réducteur de résumer l'intervention de l'animateur de café-philo à la panoplie traditionnelle de l'animateur de groupe, dont la reformulation est une des pièces maîtresses. Cependant si nous examinons de plus près cette question, nous nous rendons compte que, sur un plan purement technique, les procédés classiquement évoqués pour la conduite des groupes de discussion peuvent être retenus ici; les types d'interventions sont en effet les suivants (Psychologie de la communication, J.-C. Abric, Éd. Armand Colin) :

  • reformulations
  • questions en retour (renvoi au participant de la question qu'il vient de poser).
  • questions relais (renvoi au groupe d'une question qui lui est adressée).
  • questions directes à un participant.
  • questions d'élucidation (reformulation au groupe de ce qui se passe en son sein; il s'agit là d'une technique de régulation).
  • synthèses (nous pourrions ajouter la capacité à " faire des liens ", qui est la composante principale des synthèses et qui souvent les prépare).

Où est donc la différence? Qu'est-ce qui distingue une animation comme celle du café-philo? Dans celui-ci, ces différentes techniques, et tout particulièrement les reformulations mais aussi les synthèses et relances successives, portent l'empreinte de la problématisation philosophique dont l'animateur a précisément pour fonction d'être le garant. Il est lui-même référé à un " arrière-plan ", un référent tiers qui est la philosophie. Cet arrière-plan philosophique se manifeste de diverses manières : bien sûr par l'animation du débat stricto-sensu (ce que nous venons d'évoquer), mais aussi par l'introduction du sujet (la préparation de celle-ci est nécessaire, et de ce point de vue le choix du thème dans l'ici et le maintenant, comme c'est le cas dans certains cafés-philo, n'est pas souhaitable), par l'injection éventuelle de petits textes philosophiques, par les caractéristiques de la synthèse (quoique ce dernier point mérite à lui seul un développement).

Ce qui importe, c'est que l'ensemble des fonctions d'animation soit assuré dans le groupe, ce qui n'exclut pas, bien au contraire, un partage des rôles. Nous avons déjà fait part de notre expérience en ce qui concerne la partition entre animation, distribution de la parole et synthèse, mais il est tout à fait concevable également de diviser l'animation en deux pôles : un pôle psychosociologique et un pôle philosophique. Cette dernière fonction pourrait alors être occupée par une personne-ressource différente de l'animateur de la réunion. Il resterait alors à travailler l'articulation entre ces deux fonctions dans le groupe.

En généralisant notre propos, ne pouvons-nous pas reconnaître un fonctionnement identique dans toutes les situations d'animation à finalité formative ou éducative3? Par exemple en situation de formation, une animation ne fonctionne bien sur un sujet donné qu'à partir du moment où l'animateur a " dans la tête " une culture sur le sujet concerné (en termes d'informations, de questionnements, de convictions, etc.). Dans un contexte formatif ou éducatif, l'animateur a en effet la plupart du temps des objectifs (en terme d'exigence de contenu par exemple4), sans que pour autant son animation cesse d'être " non directive sur le fond ". Une telle animation peut néanmoins être guidée dans son travail de reformulation, de liaison, de relance sous forme de questions, par un système de références intériorisé par l'animateur. Ceci nous semble opérant quel que soit l'objet de la discussion. Pour distinguer ce type d'animation du type psychosociologique et du type psychologique, et à défaut d'un terme plus adéquat, nous l'appellerons " animation psycho-pédagogique ". Cette expression risque de soulever quelques objections : d'abord parce qu'elle rappelle une discipline enseignée (précisément par des philosophes!) dans les anciennes écoles normales et qui n'avait que peu de points communs avec ce qui est en jeu dans un café-philo; ensuite parce que la pédagogie ne concerne à l'origine que les enfants; enfin et surtout parce que cette expression risque de " scolariser " une activité qui n'a peut-être pas une finalité explicitement formative, ce que suppose en effet cette expression. Mais cette objection ne trahit-elle pas également une conception réductrice de la pédagogie véhiculant l'idée d'un " maître " transmettant un message " déjà là "? Ne pourrions-nous pas appeler cette animation " psycho-socio-philosophique "? Un inconvénient apparaît aussitôt : nous nous trouvons face à une tautologie qui cache peut-être mal la pétition de principe de certains philosophes : la philosophie étant en elle-même sa propre didactique et sa propre pédagogie, on ne pourraient définir cette activité, quelle que soit sa forme, que par elle-même5! Or il apparaît que beaucoup d'animations faisant appel à des contenus non spécifiquement philosophiques (reliés par exemple à des domaines de connaissance comme la sociologie, la psychologie, les sciences politiques, etc.) relèvent du même type6. Et ces animations apparaissent riches de promesses et de perspectives nouvelles, autant dans les institutions (scolaires notamment) qu'en dehors d'elles.

Pour conclure, concédons que la notion d'" animation psycho-pédagogique " est ambiguë tant qu'elle reste associée à des représentations de la pédagogie encore tributaires de formes scolaires et transmissives du savoir; mais il reste encore à trouver (créer?) une expression qui transcende l'expérience particulière du café-philo tout en spécifiant la nature de son animation. Quoi qu'il en soit, ces différenciations conceptuelles sont loin d'être formelles. Dans de nombreux contextes associatifs ou professionnels en effet, nous pouvons tirer beaucoup de bénéfices à savoir identifier la situation et adopter le type d'animation qui convient.


(1) Titulaire d'une maîtrise de philosophie.

(2) Il ne s'agit là que d'une orientation dominante; vouloir réaliser ce programme à la lettre aboutirait en effet à contredire la nécessaire régulation des processus psychologiques que nous analysons par la suite.

(3) Nous abordons plus loin la question de savoir si l'animation d'un café-philo peut être rangée dans cette catégorie...

(4) " Exigence de contenu " ne signifie pas réponses attendues aux questions posées.

(5) Soyons justes : le terme animation psycho-socio-philosophique indique malgré tout une concession faite à la psycho-sociologie! Mais nous voulons dire que la qualification de " philosophique " à propos de l'activité qui se déploie dans un café-philo est tautologique (du moins en ce qui concerne les intentions poursuivies) et ne dit rien sur la spécificité de l'animation mise en œuvre.

(6) Le type d'animation est identique, même si la " ressource " (la source?) est différente (philosophie, psychologie, sciences de l'éducation...). Pour ne s'en tenir qu'à cette forme particulière de " café ", citons les " cafés-éducation ", les " cafés-psy ", les " cafés-citoyens, etc.

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