Revue

Pourquoi se former à la méthode holistique compte ?

L’atelier-démonstration de 3 heures que j’ai animé le jeudi 21 novembre 2024 dans le cadre des Rencontres Internationales sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques (RINPP) avec une trentaine de participants avait comme thème : Pourquoi se former à la méthode holistique compte ?
L’intervention s’est déroulée en trois parties : une introduction théorique, une  mise en condition des participants et une réflexion collective sur la nécessité de se former à la méthode holistique.

Introduction théorique

Dans l’introduction théorique, j’ai souligné l’importance de la formation à la philosophie pour enfants et adolescents afin d’intégrer les « fondamentaux ». Ceux-ci sont indépendants de la méthode employée et font notamment référence à trois éléments :

1.1. La posture de l’animateur (neutre, bienveillante, sécurisante, pas autoritaire/verticale…)
1.2. Le cadre (cercle, espace de liberté, point de repère…)
1.3. Les objectifs (aider les enfants à penser par eux-mêmes, développer l’empathie, la coopération, la tolérance, intégrer les règles, la confiance en soi…)

Mise en condition selon la méthode holistique

Pendant cette deuxième partie, nous avons abordé la notion de « confiance en soi » - notion fondamentale dans les objectifs des pratiques philosophiques - par la méthode holistique.
Cette approche combine une pratique corporelle – et notamment artistique - avec la pratique philosophique. Ici l’art est utilisé comme moyen de recherche philosophique qui permet de travailler différentes habilités de pensée : définition d’une notion, faire des distinctions conceptuelles, dégager une problématique, donner un argument…
Dans notre intervention, la méthode holistique a fait émerger, à partir d’une pratique d’arts plastiques avec de la pâte à modeler, un questionnement autour de la notion de « confiance en soi ». Contrairement à ceux qui préconisent la méthode de Mathew Lipman, la pratique artistique a remplacé la lecture partagée dans le déroulement de l’atelier, même si notre démarche demeure fortement inspirée par le père fondateur de la Philosophy for Children.

En général, les différentes étapes d’un atelier complet selon la méthode holistique sont les suivantes :

  • Pratique artistique
  • Cueillette de questions et analyse de ces dernières afin de s’assurer qu’il s’agit bien de questions philosophiques
  • Reformulation des questions non-philosophiques
  • Discussion pour le choix de la question ou bien
  • Vote ou tirage au sort de la question (s’il n’y a pas accord entre les participants sur une même question)
  • Discussion de la question choisie

Evidemment, les questions qui ne sont pas choisies peuvent être gardées et abordées lors de séances ultérieures.
Dans le cadre de l’atelier mené pour les RINPP de cette année, nous avons réalisé les trois premières étapes.

En voici le déroulement plus en détail.

Pratique d’arts plastiques avec de la pâte à modeler

La question de la « confiance en soi » a été conceptualisée et problématisée à partir d’une pratique d’arts plastiques avec de la pâte à modeler (2 temps) :

Temps 1. Travail de conceptualisation et argumentation (10 minutes)

Les participants - qui avaient à disposition de la pâte à modeler - ont été invités à réaliser quelque chose (un animal, un objet, une plante, une figure abstraite…) qui pour eux représentait la « confiance en soi » et à penser à un argument pour justifier leur choix.
Nous avons donc travaillé ici sur la compétence de conceptualisation (les participants ont représenté le concept de « confiance en soi », ils ont essayé de le cerner par la réalisation en pâte à modeler) et d’argumentation (ils ont dû trouver un argument qui liait le concept à la réalisation).

Temps 2. Travail de problématisation, conceptualisation et formulation de questions philosophiques (10 minutes)

Ensuite, les participants ont été invités à formuler une question philosophique à partir de l’expérience artistique dans sa globalité (en prenant en compte leurs émotions, leurs ressentis, leurs sensations, leurs perceptions, leurs attentes, les résultats etc.). La question pouvait problématiser ou conceptualiser le thème de la confiance en soi.

Cueillette de questions et analyse de ces dernières

Une fois la pratique artistique terminée et après avoir encouragé les participants à partager leurs ressentis sur l’expérience, ces derniers ont été amenés à tour de rôle à décrire leurs productions, à justifier leur démarche et, accompagnés par l’intervenante, à trouver la question philosophique (problématisante ou conceptualisante) qui a émergé par l’expérience artistique.
Au début, quand les participants n’ont pas l’habitude de pratiquer la philosophie, le rôle de l’intervenant est fondamental pour les accompagner, les aider à formuler une question philosophique, le défi étant double : il s’agit d’identifier une bonne problématique et de le faire en termes philosophiques.
Une fois la cueillette de questions réalisée, nous avons analysé chaque question pour bien vérifier ensemble que toutes les questions étaient philosophiques.
Nous avons arrêté la mise en condition à la cueillette de questions.

Pourquoi se former à la méthode holistique ?

Nous avons analysé la méthode holistique et fait émerger quelques spécificités par rapport à d’autres approches plus classiques. Pourquoi, donc, se former à la méthode holistique ?

Une approche globale qui favorise le développement cognitif et l’apprentissage

Contrairement à beaucoup d’autres approches qui se concentrent seulement sur la compétence réflexive de l’enfant, cette méthode prend en compte ce dernier dans sa globalité : corps et esprit, perception et rationalité. Ici, le corps perceptif et sensoriel est placé au cœur des processus constitutifs de la pensée. Notre méthode holistique vise à réhabiliter la fonction du corps sensoriel et perceptif dans le processus réflexif de la pensée. En ce sens, le geste créatif du corps devient la source d’une recherche philosophique et les participants sont les acteurs de ce processus.
S’appuyer sur une expérience corporelle et sensorielle permet un travail sur des compétences telles que :

  • définir un concept,
  • trouver une problématique,
  • fournir un argument,
  • formuler une question philosophique, etc.

en complément du travail sur ces mêmes habilités qui peut être fait pendant la discussion. Si cette dernière engage davantage la partie la plus rationnelle et intellectuelle des participants, une pratique artistique (ou corporelle au sens plus large) engage l’individu dans sa globalité en n’oubliant pas la composante sensori-motrice du corps.
De façon plus générale, une approche holistique promeut le développement cognitif et l’apprentissage de l’enfant en favorisant l’usage des sens, l’action et la recherche autonome par l’expérience. Le rôle de l’expérience, du mouvement et de la perception dans les processus de l’apprentissage a bien été mis en évidence par les travaux de la pédagogue italienne Maria Montessori et ceux du philosophe pragmatiste américain John Dewey pendant la première moitié du XXe siècle. Montessori et Dewey sont les pionniers de l’activisme pédagogique, une vision qui imprègne la philosophie pour enfants dès ses origines et qui a été adoptée sur le plan de la discussion en communauté de recherche philosophique. À la discussion, notre approche holistique ajoute le corps dans une démarche cognitive. Par le biais de pratiques artistiques (ou corporelles, plus généralement), l’enfant se confronte aux contraintes de la matière, des outils à disposition ou simplement de son corps selon les activités qu’on décide de mettre en place. Il en reconnaît aussi les potentialités, il s’interroge donc pour surmonter les difficultés ou pour exploiter les différentes possibilités, il opère des stratégies, il résout des problèmes et déploie sa créativité. L’enfant est et se perçoit comme acteur dans ce processus cognitif, intellectuel et sensoriel à la fois (« learning by doing » écrivait Dewey). Il acquiert confiance en lui et se construit comme sujet pensant tout en s’amusant et en y prenant du plaisir, ce qui est fondamental dans l’apprentissage parce que c’est un facteur de motivation.

Une approche globale qui favorise le développement affectif et relationnel

Passer par des pratiques artistiques permet aussi d’exprimer différemment, et parfois plus facilement, ses émotions, d’apprendre à les identifier, à les nommer, à les gérer, à les partager. L’enfant est amené ainsi à mieux se comprendre et par conséquent à mieux comprendre les autres, ce qui favorise une relation constructive et coopérative avec eux. En ce sens une approche holistique favorise le développement affectif et relationnel de l’enfant.

Il y a enfin deux autres avantages à s’appuyer sur des pratiques artistiques :

  • d’une part on donne la possibilité aux enfants les plus timides, et qui souvent n’osent pas prendre la parole devant les autres, de s’exprimer autrement ;
  • de l’autre, on permet aux enfants qui ont plus de difficultés à se concentrer pendant la discussion de canaliser leur énergie plus facilement.

Dans ces deux situations il est plus aisé pour l’enfant de partir de sa réalisation créative, pour la décrire d’abord et ensuite, par le biais de questions de relance, d’avancer aussi verbalement dans le processus de réflexion.

Voici quelques exemples de réalisations et de questions philosophiques :

Une image

La pomme et le ver : La confiance en soi dépend-elle de soi ?

Questions philosophiques suscitées par la pratique artistique :

  1. Homme debout : Peut-on toujours être en équilibre ?
  2. Un sourire et un soleil : Peut-on toujours être en équilibre ?
  3. Une sphère : La confiance en soi dépend-elle des autres ?
  4. Un soleil : A-t-on besoin des autres pour développer la confiance en soi ?
  5. Vers les autres : La confiance en soi permet-elle de coopérer ?
  6. La pomme et le ver : La confiance en soi dépend-elle de soi ?
  7. Ellipse : Faut-il toujours avoir confiance en soi ?
  8. Planète : Qu’est-ce que le bonheur ?
  9. Cœur : Est-ce qu’on ressent la confiance en soi dans son corps ?
  10. Pyramide qui s’étend : La confiance en soi dépend-elle de l’éducation ?

Site Les petites Lumières : www.ateliersdephilosophiepourenfants.com

Remerciements : un grand merci à tous les participants pour leur enthousiasme, à Hélène Courbat et à Alain Buchet pour l’invitation, et à tous les organisateurs qui ont su rendre ces deux journées extrêmement riches et intéressantes.

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