Cet article présente une pratique d’atelier philosophique qui relie la danse et la philosophie. Cette pratique est présentée comme une occasion de prendre soin de la « qualité de notre présence » dans un contexte d’échange philosophique avec les autres.
La difficulté de pratiquer une pensée en présence
La cloche sonne, les élèves du collège s’approchent de la classe, ils s’attardent à la porte, observant un espace aménagé de manière inattendue ; certains échangent des regards, parfois sourient. C’est l’heure de l’atelier de philosophie. Dans la classe, les chaises sont disposées en cercle : que va-t-il se passer dans l’espace vide qui se trouve au milieu ?
Dans un cercle, on peut se sentir exposé : parfois, les sacs à dos sont serrés contre soi pour protéger son corps, car il n’y a pas de bancs derrière lesquels se réfugier ; d’autres fois, il est difficile d’enlever ses manteaux. Que se passe-t-il au milieu du cercle ? Faut-il se protéger ? Que faire de son corps, si étrangement exposé aux regards ?
Cette scène s’est produite à plusieurs reprises, lors des ateliers philosophiques que j’ai animés (et coanimés avec les étudiants et étudiantes du DU ProPhilia que je coordonne) au collège Jules Romains et au collège Jean Rostand de Nice, avec des classes de quatrième et de troisième, à partir de la rentrée 2023. La scène nous a dévoilé une différence importante entre les ateliers de philosophie et les cours universitaires traditionnels – et, plus généralement, la plupart des occasions où l’on étudie la philosophie : dans les ateliers philosophiques avec les enfants et les adolescents, on est invité à penser en présence des autres et, si les circonstances s’y prêtent, à penser avec les autres. Penser en présence et penser ensemble : il est rare que ces deux expériences de la pensée se rencontrent dans la pratique philosophique répandue dans les dernières classes du lycée ou à l’université.
La présence des corps et des pensées incarnées, ainsi que l’effort de tisser ensemble une réflexion, sont mis à l’écart comme quelque chose d’insignifiant, voire un obstacle à la pureté de la réflexion philosophique elle-même. Le célèbre pédagogue italien et enseignant Mario Lodi (2022) forge une image forte pour parler de cette mise à l’écart du corps, en écrivant que, dans le système éducatif, la personne est « décapitée » : la tête est séparée du corps et remplie de notions. Le corps, considéré comme un instrument inutile, est enterré dans un banc (p. 122)[1].
Ainsi, dans les ateliers de philosophie, où nos corps sont plus directement confrontés aux regards des autres, les élèves ne sont pas les seuls à être exposés dans le cercle de la philosophie. Les personnes qui animent l’atelier le sont tout autant : non seulement nos corps sont sous leur regard, parfois perçant, parfois curieux ou ennuyé. Mais nous pouvons nous retrouver exceptionnellement démunis face à une pensée tissée dans la présence des corps, une pensée à laquelle chacun et chacune est invité à collaborer, en son nom propre, mais avec les autres. Comme le remarque bell hooks (2019), il peut s’agir d’une expérience de vulnérabilité : « la plupart des enseignant·es doivent s’entraîner à être vulnérables en classe, à être totalement présent en corps et en esprit » (p. 36).
L’espace entre les chaises est vide, mais il n’est pas vidé : lorsque la rencontre est réussie, c’est l’espace où circule l’énergie de la réflexion commune, celui où l’on puise les mots qui permettent de réfléchir avec les autres et à partir de soi-même. Toutefois, laisser les mots apparaître dans cet espace peut être difficile : il arrive souvent que, sous le regard des autres, le mot que l’on cherche ne soit plus celui qui nous interpelle, depuis le centre du cercle, dans l’espace créé par la présence des participants-participantes qui essaient de penser ensemble. Il arrive, au contraire, que les mots que l’on échange soient ceux qui correspondent aux opinions que l’on répète, aux attentes des autres, ou encore aux images de soi que l’on ne veut pas décevoir. On échange alors des mots dits pour ne pas s’exposer, ne pas sortir de la normalité, ne pas ébranler une image de soi.
Une fois, par exemple, j’animais au collège Jean Rostand de Nice un atelier qui partait de la question « Pouvons-nous perdre notre liberté ? », avec une demi-classe de quatrième. À un certain moment, dans la recherche collective d’une définition du concept de « liberté », une sorte de répétition s’est installée dans le groupe autour du thème « la liberté, c’est être seul, pour pouvoir faire ce que l’on veut » et les questions de relance et les contre-exemples ne parvenaient pas à problématiser cette idée répandue dans le groupe ni à faire surgir d’autres idées. Dans ce cas alors, j’ai proposé aux élèves une activité différente : je leur ai demandé de dessiner une situation dans laquelle ils se sentent libres et une autre dans laquelle ils ont l’impression de perdre leur liberté. Il y avait peu d’élèves ce jour-là, seulement huit, et ils ont travaillé par deux. De plus, un groupe n’a pas souhaité montrer son dessin ni en parler, ce qui nous a permis d’avoir le temps de réfléchir à tous les dessins présentés. À partir de la discussion sur les dessins, les définitions de la liberté se sont enrichies et elles se sont ancrées dans les expériences des élèves : par exemple, dans un dessin sur la liberté, il y avait une fille seule dans sa chambre qui regardait son téléphone, mais sa mère était également dessinée, entrant dans la pièce et lui apportant quelque chose de bon à manger. La réflexion sur ce dessin nous a ainsi permis de porter notre attention sur les relations qui n’entravent pas la liberté, mais qui la nourrissent.
Je pense que, tant que les participants à un atelier s’échangent seuls les mots dits pour ne pas s’exposer, la philosophie ne se rend pas à la fête. Il peut même s’agir de mots intelligents, mais il n’y a pas de déplacement par rapport aux opinions qu’on a déjà entendues, rien de nouveau qui puisse surprendre celles et ceux qui parlent et écoutent. Même le mouvement de la raison (l’échange d’arguments, les réponses aux questions de relance, par exemple) peut être imité plutôt que pratiqué à la première personne, il peut être subi et non approprié. Les idées déjà acquises, les opinions et les images (de soi, du monde) ne sont souvent pas ébranlées, si ce n’est que superficiellement. Les corps restent rigides, les sacs à dos continuent d’être des boucliers et les manteaux des armures. Les mots ne révèlent rien, mais, comme les manteaux, ils cachent (et protègent) ce que nous ne sommes pas prêts à partager avec les autres ou que nous n’avons pas l’intention de révéler, même à nous-mêmes.
Et si la philosophie est un mouvement de déplacement par rapport aux opinions diffuses et aux images de soi et du monde, alors ce mouvement fait défaut. Il n’y a pas de dynamique, mais stagnation et répétition. La philosophie ne s’est pas présentée, l’occasion n’était pas propice. D’ailleurs, elle ne l’est pas toujours.
Comment alors ouvrir la porte à la philosophie et favoriser le mouvement de pensée qu’elle rend possible ? Dans le cadre d’un atelier de philosophie, cette question se précise, pour moi, en interrogeant directement l’expérience de la pensée en présence : de quelle manière la pratique de la pensée avec les autres, qui caractérise les ateliers de philosophie, parvient-elle à ne pas se figer dans une répétition du déjà connu et des opinions ? De quelle manière la pensée, dans ses sauts et ses déplacements, n’est-elle pas bloquée par la peur du regard de l’autre, d’autant plus intense que l’on ressent fortement sa propre présence et celle des autres, comme dans le cercle des ateliers philosophiques ?
Ce sont des questions qui m’accompagnent depuis quelques années, à partir du moment où j’ai commencé à animer des ateliers de philosophie. Mes expériences se situent principalement dans deux domaines : d’une part, la collaboration avec une danseuse et chorégraphe, dans le cadre du projet Dancing Philosophy (2021–2022), développé au sein du projet COESO sur les sciences collaboratives[2]. Avec la chorégraphe Cosetta Graffione, nous avons organisé des ateliers de danse et de philosophie pour enfants et adultes, en lien avec un projet de recherche sur le désir et les relations.
Nous avons tout particulièrement animé des ateliers de danse et philosophie avec des enfants de l’école primaire (7-9 ans, 15 participants), des adolescents du collège (11-14 ans, 20 participants) et des lycéens (16-17 ans, 8 participants), dans leur temps extra-scolaire, au sein de l’école de danse Alma Danza (Bologne, Italie), qu’ils fréquentaient. Nous avons proposé trois séances d’atelier par chaque groupe d’âge (sauf pour les collégiens, que nous avons rencontrés seulement deux fois), organisées sur une période d’une dizaine de jours, entre fin mars et début avril 2022. Puis, entre avril et juin 2022, nous avons animé des ateliers de danse et philosophie avec des étudiantes et étudiants de l’université : Université Polytechnique Haut de France à Valenciennes, avec une dizaine d’étudiantes et étudiants du M1 Master Audiovisuel, Médias Interactifs Numériques, Jeux, avec qui nous avons travaillé pendant 6 demi-journées ; Université Rennes 2, avec huit étudiants et étudiantes en Licence et en Master – Départements des Arts du spectacle et Lettres, avec qui nous avons travaillé pendant 4 demi-journées. Nous avons également organisé des ateliers à destination des chercheurs-chercheuses et des membres d’associations qui participaient au projet COESO – Collaborative Engagement on Societal Issues (programme Horizon2020 – SWAFS, Science with and for society), dont notre projet Dancing Philosophy faisait partie, au Centre Norbert Elias, EHESS, Marseille (les ateliers ont impliqué entre 25 et 30 participants et ils se sont déroulés sur une demi-journée au début de mai 2022).
D’autre part, mes expériences d’animation d’ateliers philosophiques se situent dans le cadre du projet ProPhilia (Université Côte d’Azur), dont je suis la coordinatrice depuis la rentrée 2023, et qui est dédié aux pratiques de la diffusion philosophique et de la recherche-création. Ce projet est associé à une formation à la diffusion philosophique (le DU ProPhilia) : avec les étudiants et étudiantes de cette formation, nous intervenons tout particulièrement dans les collèges de l’académie de Nice (collèges J. Rostand et J. Romains et auparavant le collège M. Jaubert, avec des classes de troisième et de quatrième, plus rarement de cinquième, que nous suivons tout au long de l’année). Mais nous animons aussi des ateliers philosophiques dans les écoles primaires (école Rothschild, Nice, classes de CM1 et CM2), et plus ponctuellement avec des élèves des lycées de Nice. Nous intervenons également dans les musées et les théâtres (villes de Nice et de Carros), en proposant des ateliers de philosophie ou des conversations philosophiques (à destination des adolescents des collèges où nous intervenons, mais pas exclusivement, et aussi des adultes).
C’est grâce aux échanges avec les participants et les participantes aux différents ateliers, mais surtout avec les personnes qui les ont animés avec moi, que j’ai pu élaborer certaines des réflexions qui m’ont aidée à mieux comprendre les questions que je mentionnais plus haut et à imaginer quelques réponses pratiques. Je voudrais présenter certaines de ces réflexions dans mon texte.
La qualité de la présence
Pensons aux moments où nous sommes dans un lieu, avec d’autres, mais nous ne sommes pas pleinement présents-présentes : nos pensées vagabondent ailleurs, notre attention pour ce qui se passe et pour les personnes qui sont avec nous s’atténue ; une partie de nous est en relation avec quelque chose qui nous éloigne de la situation et des relations dans lesquelles nous sommes (par exemple, on a une inquiétude, ou on pense devoir prouver quelque chose, ou alors on craint d’être évalué négativement). On éprouve ainsi une tension entre le fait d’être dans un lieu avec d’autres personnes et le fait de ne pas y être pleinement présent-présente.
Notre présence dans une situation peut en effet prendre des formes différentes : être dans un lieu, mais avec notre esprit qui erre ailleurs ; participer à ce qui se fait dans un certain contexte ; ou encore être attentif à ce qui s’y passe et aux personnes qui s’y trouvent. La qualité de notre présence peut donc varier considérablement.
Ces variations dans la qualité de la présence constituent l’un des points centraux des recherches de la philosophe Chiara Zamboni (2009), consacrées à la « pensée en présence » (en présence d’autres personnes et de ce qui se passe dans une situation donnée) et auxquelles mon article doit beaucoup. Chiara Zamboni, membre de la communauté philosophique féminine Diotima de l’université de Vérone, en Italie, élabore ces réflexions à partir du besoin de comprendre et de raconter la pratique philosophique d’une pensée en présence au sein de cette même communauté.
Pour différencier les formes de notre présence dans une situation, Chiara Zamboni (2009, p. 96) établit une distinction entre « être -là » dans une situation et « être présent-présente » dans celle-ci. Elle propose comme critère de distinction la connexion avec les autres, à travers le langage verbal ou non verbal : on « est simplement là » dans la mesure où on se retire, plus ou moins radicalement, de la communication. Dans ce cas, on est-là avec une manière d’être rigide, obscure, qui se soustrait, totalement ou partiellement, au jeu de l’échange verbal ou non verbal. La « présence », en revanche, accepte le jeu de l’échange verbal et non verbal, elle se conjugue avec l’intention de communiquer, de laisser les autres regarder et de regarder à notre tour. Dans la présence, l’être-là s’anime.
Dans son analyse de cette distinction, Chiara Zamboni introduit une comparaison avec Merleau-Ponty (1964), pour désigner l’ensemble des liens perceptibles et imperceptibles par les sens, visibles et invisibles, qui nous relient aux autres avec lesquels nous nous trouvons dans une situation donnée. La qualité de notre présence dépend de l’attention que nous portons à ces liens, de notre disposition à en faire matière d’échange et de langage – pas seulement verbal. Merleau-Ponty indique ces liens visibles et invisibles à travers le concept de « chair » et il propose de les considérer comme une « surface de séparation entre moi et autrui qui est aussi le lien de notre union (…), la charnière invisible sur laquelle ma vie et la vie des autres tournent pour basculer l’une dans l’autre » (Merleau-Ponty, 1964, p. 283). Notre compréhension de ce qu’est que penser en est tout aussi affectée :« Il faut s’habituer à comprendre que la ‘pensée’ (cogitatio) n’est pas contact invisible de soi avec soi, qu’elle vit hors de cette intimité avec soi, devant nous, non pas en nous, toujours excentrique » (Merleau-Ponty, 1964, pp. 282-283).
Être dans un lieu avec d’autres personnes et parler avec elles, comme dans le cas des ateliers de philosophie, met ainsi en jeu de nombreux éléments : les mots, bien sûr, mais aussi les voix qui les prononcent, les corps, les regards, les odeurs, les mouvements, la disposition dans et de l’espace, jusqu’aux traces d’expériences passées que le corps porte en lui.
La qualité de notre présence dépend également de la qualité de notre attention à ces éléments. Si nous nous considérons comme des êtres « décapités » (Lodi, 2022, p. 122), à savoir comme des têtes qui n’ont pas besoin de corps ni de réalité sensible pour penser, cela a alors des effets directs sur notre présence. Une partie de nous, celle qui nous enracine dans la situation dans laquelle nous nous trouvons, est amputée. Nous n’en prenons pas soin et il est d’autant plus facile que la tête, isolée, perde le contact avec ce qui nous entoure et les autres qui sont avec nous. Et d’ailleurs, si, dans un contexte d’échange ou d’apprentissage, nous ne pouvons pas nous sentir tout entiers-entières, nous ne pouvons alors pas non plus être lucides sur nous-mêmes, sur ce que nous y expérimentons ou y faisons de positif ou de négatif, de juste ou d’injuste. Cette lucidité vis-à-vis de soi-même et de la situation est mise à thème par bell hooks (2019), qui la relie à juste titre aux réflexions et aux pratiques féministes : « avec la pensée féministe – écrit-elle – [étudiant·es ou enseignant·es] ont toujours reconnu la légitimité d’une pédagogie qui ose subvertir la division esprit/corps et nous permet d’être entier en classe, et donc sincère » (p. 269).
L’esprit reste prisonnier d’images ou captivé par un raisonnement qui s’enroule sur lui-même et dans l’isolement. Et c’est souvent ainsi que nous ne nous écoutons pas, que nous prêtons peu d’attention à ce qui apparaît dans les échanges, à ce quelque chose de nouveau et de paradoxal qui se dit dans la conversation et qui peut nous échapper si nous ne lui faisons pas de place. Il devient clair ainsi à quel point la pratique de penser avec les autres dépend de la qualité de notre présence (Zamboni 2009, pp. 95-105).
En prêtant attention aux éléments qui nous ancrent dans une situation d’échange et de réflexion avec les autres, nous commençons à considérer des aspects que nous laissons généralement en marge de notre champ de vision : les mots incarnés, les mouvements, les regards, les corps. Nous pouvons ainsi rencontrer quelque chose qui restait auparavant dans l’ombre, quelque chose d’inconnu, qui s’éloigne de nos opinions, et qui nous concerne en même temps profondément. Le langage en est vivifié. Les mots simples qui désignent des questions importantes de notre expérience (la vie, la mort, la liberté, l’amour, l’amitié, le temps…) sont moins rigides et ils s’ouvrent à notre expérience et à l’inattendu qui peut se manifester dans un échange (Zamboni 2009, p. 15).
Nous pouvons avoir tendance à penser que la présence ne qualifie qu’une manière d’être individuelle, celle d’une personne qui, dans une circonstance donnée, est bien ancrée dans ce qui se passe et prête à en saisir les transformations. Il ne faut toutefois pas se méprendre : comme le montre Chiara Zamboni, la « présence » est plutôt une notion relationnelle, qui caractérise une situation et les relations qui s’y nouent : « La présence n’est pas une propriété personnelle qui nous suit comme une ombre, mais le point de connexion de l’implication perceptive avec les autres. C’est un co-être corporel, entre son propre corps et celui des autres, qui va au-delà de mon corps individuel » (2009, p. 96)[3].
Ainsi, prendre soin de la qualité de la présence dans une certaine situation implique de porter une attention aux formes de relation à soi et à l’autre qui sont possibles dans un contexte ou dans un groupe. Par exemple, lorsque j’accompagne les étudiantes et les étudiants dans leurs ateliers en milieux scolaire, après l’atelier nous avons un temps de bilan collectif sur ce qui est arrivé, mais je ne les note jamais sur l’atelier lui-même. Je crois que, si je le faisais, l’atelier deviendrait une performance et la qualité de la présence se réduirait, en les conduisant à être plutôt en relation avec la note qu’avec les élèves qui leur parlent.
Si la qualité de notre présence dans une situation dépend des formes de relations possibles dans celles-ci, il faut toutefois être avertis du fait que la qualité de la présence n’est pas une question de volonté ou d’intention : on ne peut pas vouloir être présent ou que les autres le soient (Zamboni, 2009, p. 96). Ce sont plutôt certaines pratiques qui peuvent favoriser la qualité de notre présence, comme une occasion à saisir et un chemin que l’on peut entreprendre. Je parle à ce propos plutôt de « pratiques », pour les distinguer de ce que nous appelons des « techniques » : les pratiques mènent à une prise de conscience tandis que les techniques sont le fruit d’une prise de conscience (Zamboni, 2009, p. 125). Ainsi, dans une pratique, on acquiert une compréhension de ce qui se passe dans l’action elle-même et de la manière dont on y est disposé.
J’ai expérimenté des pratiques qui se sont avérées efficaces pour prendre soin de la qualité de notre présence dans les situations où nous réfléchissons ensemble avec d’autres personnes. Ces pratiques se situent dans le domaine de la relation entre la philosophie et l’expérience corporelle. Plus précisément, la relation entre la philosophie et la danse-chorégraphie.
Les ateliers de danse et philosophie
La pratique des ateliers de danse et philosophie que je voudrais présenter dans cet article a pris forme en 2021, dans le cadre du projet Dancing Philosophy. J’ai mené ce projet avec la chorégraphe-danseuse Cosetta Graffione, l’analyste du mouvement et chorégraphe Irénée Blin, le performer Daniele Marranca et deux chercheurs en arts vivants et humanités numériques, Clarisse Bardiot et Sébastien Hildebrandt. La pratique des ateliers de danse et philosophie a ensuite été reprise ponctuellement dans le projet ProPhilia – Pratiques de la diffusion philosophique à l’Université Côte d’Azur.
Le projet Dancing Philosophy visait à remettre en question le clivage traditionnel entre le langage corporel et le langage verbal, et à explorer des questions telles que « Qu’est-ce que le désir ? » et « La relation contraint-elle ou soutient-elle la liberté individuelle ? » grâce à une collaboration entre la danse et la philosophie.
Le projet présentait due volets : un volet de recherche – avec des chercheuses-chercheurs en sciences humaines et des chercheuses-chercheurs-artistes en danse, chorégraphie et performance artistique. Et un autre volet constitué par les ateliers de danse et philosophie, menés en contexte extra-scolaire, avec des enfants, des adolescents et des adultes, que j’ai déjà mentionnés et sur lesquels je reviendrai ultérieurement.
Dans le volet « recherche » du projet, les personnes issues du domaine de la recherche philosophique étaient invitées à expérimenter des expériences corporelles et des chorégraphies ; à l’inverse, les danseuses et chorégraphes étaient invitées à réaliser un travail d’écriture philosophique, à participer à une discussion philosophique et à lire (collectivement) des textes philosophiques. Cette invitation à expérimenter mutuellement les pratiques de chaque discipline est liée à une idée directrice : il existe une source de connaissance qui ne peut pas être entièrement saisie par des descriptions verbales d’une pratique, mais qui implique plutôt l’expérience incarnée de l’individu (cette idée peut être défendue à partir de la distinction entre know how –savoir-comment – and know that –savoir que – élaborée par Ryle, 2009).
Guidées par le besoin profond de reconnecter le langage d’un corps pensant (tel est le corps de la danse) et le langage de la pensée philosophique, avec la chorégraphe, nous avons organisé plusieurs ateliers en Italie et en France, auxquels a participé un public varié d’enfants, d’adolescents, mais aussi de membres d’associations, d’étudiants universitaires, de danseuses et danseurs, de chercheuses et chercheurs. Au cours des ateliers, nous avons développé un modèle d’atelier de danse et philosophie qui relie la réflexion philosophique au travail chorégraphique sur le mouvement.
L’atelier comprend trois étapes, que je décrirai d’abord dans leurs traits généraux, pour ensuite décrire dans le détail une séance que nous avons proposée[4] :
- Premièrement, un exercice d’expérience corporelle : par exemple, l’exercice des bâtons[5], dans lequel les participants-participantes, connectés par des bâtons maintenus en équilibre entre leurs paumes, font l’expérience de guider une autre personne et d’être guidés par elle. Cet exercice permet, par exemple, de faire émerger une réflexion conceptuelle sur les relations entre l’autorité et le pouvoir.
Cette première étape peut aussi s’articuler en deux moments : d’abord, une discussion philosophique à partir d’une question (par exemple : « les relations entravent-elles la liberté ? »), qui est animé par l’animatrice-philosophe avant l’expérience corporelle ; ensuite, l’expérience corporelle proposée par la chorégraphe. - Deuxièmement, une réflexion philosophique, qui prend l’expérience corporelle comme point de départ. On propose au groupe de discuter autour d’une problématique (par exemple, les liens entre la liberté et l’autorité ou les différences entre pouvoir et autorité) en posant des questions qui invitent à porter l’attention sur l’expérience vécue. Par exemple, après l’exercice des bâtons, on peut demander : la personne qui guidait les mouvements était-elle toujours la même ou y avait-il une alternance ? En influençant les mouvements de l’autre personne, s’agissait-il d’exercer une forme de pouvoir sur l’autre ou non ? Comment pouvons-nous alors définir le « pouvoir » ?
Si une première discussion philosophique a déjà eu lieu lors de la première étape de l’atelier, avant l’exercice corporel, on reprend la même question de départ, mais on en discute à la lumière de l’expérience corporelle vécue et, dans la phase finale de l’échange philosophique, on attire l’attention collective sur ce qui a émergé de différent par rapport à la discussion qui a eu lieu avant l’expérience corporelle. - Troisièmement, un exercice qui relie la danse et la philosophie par une expérience de « performance conceptuelle » dans l’espace, où les participants créent un mouvement inspiré par un mot, émergé lors de l’échange philosophique (étape 2). Puis, ils réfléchissent à l’expérience corporelle ainsi conduite.
Dans cette troisième étape de l’atelier, nous revenons sur des mots-clés qui indiquent les concepts principaux émergés dans le moment de réflexion philosophique (par exemple « autorité », « pouvoir » « liberté » ou « attention »). Nous demandons ainsi aux participants-participantes de réaliser un mouvement dans l’espace, inspiré par l’un des mots, sous la forme d’une « performance conceptuelle ». Sur la base d’une introduction initiale aux principes de notation du mouvement (le système permettant d’écrire les mouvements réalisés, leur qualité…), nous avons parfois demandé aux participants de créer une esquisse de mouvement inspirée par l’un de ces mots, qui a ensuite été partagée avec un autre groupe sans révéler le mot-source. Enfin, nous avons réfléchi à l’expérience corporelle et discuté philosophiquement de la relation entre le mouvement réalisé et le mot.
Enfin, les participants-participantes sont conduits à réfléchir sur l’expérience corporelle vécue, ainsi qu’à la relation de collaboration avec les autres qui s’est nouée dans la mise en mouvement du concept choisi. Une synthèse de cette réflexion est proposée en conclusion de la séance par l’animatrice-animateur.
Récit d’une séance d’atelier de danse et philosophie
À la suite de cette présentation générale des ateliers de danse et philosophie élaborés dans le cadre du projet Dancing Philosophy, je décrirais une séance que la chorégraphe Cosetta Graffione et moi-même avons animée dans le cadre du Festival ProPhilia de la diffusion philosophique et de la recherche création, qui s’est tenu à Nice au printemps 2024.
Nous avons proposé deux séances de deux heures chacune, qui ont eu lieu le 10 et 11 avril 2024, dans l’une des salles de spectacle du Campus Carlone de l’Université Côte d’Azur. L’activité proposée était intitulée « Un pas de côté. Création et liberté ». Les personnes étaient invitées à participer aux deux séances, mais une partie d’entre elles n’a participé qu’à une seule.
Il y avait douze participants, parmi lesquels des étudiantes et étudiants universitaires, des enseignantes et des personnes extérieures à l’université. Il s’agit donc d’un public adulte. Le choix de ne pas décrire dans cet article les ateliers avec les enfants et les adolescents que nous avons organisés au printemps 2022 découle de la considération suivante : à l’époque nous avons organisé les ateliers dans une école de danse, avec des enfants et des adolescents qui effectuaient un travail spécifique sur le corps, ce qui peut être trompeur dans le contexte de cet article. En effet, cela peut laisser penser que seuls celles et ceux qui font de la danse peuvent participer à ces ateliers et associer réflexion et expérience corporelle. L’objectif du projet Dancing Philosophy était plutôt d’élaborer un parcours d’ateliers pouvant être proposé également à un public qui n’avait jamais pratiqué la danse et n’avait aucune connaissance en chorégraphie.
Dans la séance que je vais décrire, l’atelier est organisé en deux étapes seulement, et non en trois comme dans le modèle présenté ci-dessus. Pour pouvoir développer la troisième étape, qui consiste à mettre en mouvement un mot dans l’espace puis à le décrire à travers la notation (l’écriture du mouvement dans l’espace), pour ensuite discuter ensemble philosophiquement à partir de l’expérience vécue, il faut soit une séance très longue (au moins quatre heures et demie), soit plusieurs rencontres rapprochées. Il n’a donc pas été possible de le faire dans le contexte dans lequel nous sommes intervenues. Cependant, les deux premières étapes peuvent être réalisées sans problème indépendamment de la troisième.
- 1/ Première étape de la séance : la discussion philosophique initiale et l’expérience corporelle
- a. Premier moment : la discussion philosophique initiale – 30 minutes
Après un premier moment d’accueil des participants-participantes, où nous avons fait un tour de parole pour se présenter et nommer les attentes et les craintes par rapport à l’atelier, en tant qu’animatrice-philosophe j’ai proposé de réfléchir ensemble à partir de la question suivante : « Les règles limitent-elles ou favorisent-elles notre liberté ? »
Au cours de la discussion, j’ai veillé à la répartition de la parole et proposé des questions pour favoriser la distinction conceptuelle, l’argumentation et la problématisation.
Une première synthèse a été proposée à la fin de ce moment d’échange par moi-même, en tant qu’animatrice-philosophe, avec la participation de la chorégraphe. La discussion s’est concentrée sur les règles qui nous apprennent à nous éloigner de nos habitudes, qui nous amènent à découvrir quelque chose de nouveau et nous aident à bien le faire. Ce sont des règles dont nous pouvons comprendre le sens et qui ne semblent donc pas entraver notre liberté. Ainsi, cette dernière n’était pas comprise comme la possibilité de « faire ce que l’on veut ». Toutefois, la définition positive de la liberté restait ouverte à la fin de cette première phase de la séance (plusieurs définitions étaient en effet proposées : liberté comme création de quelque chose de nouveau ; liberté comme possibilité de choisir entre plusieurs possibilités).
- b. Deuxième moment : l’expérience corporelle – 40 minutes
Après une phase d’échauffement (10 minutes), un exercice corporel est proposé aux participantes-participants. L’animatrice chorégraphe demande de former deux lignes. Ensuite, la première personne de chaque ligne fait deux ou trois pas et se place dans l’espace, immobile comme une statue.
La chorégraphe appelle la deuxième personne de chaque ligne et elle rejoigne la première personne et se place dans l’espace de manière à profiter des « vides » que la première a créés avec son propre corps. Par exemple, si une personne a posé une main sur le côté, laissant un espace vide entre son coude et son corps, la deuxième personne peut passer son bras dans cet espace. Et on procède ainsi de suite avec les autres participantes-participants, jusqu’à ce que tous composent une figure immobile dans l’espace (comme il y avait deux lignes, deux figures ont été composées), où tous les corps sont entrelacés. Ensuite, la chorégraphe appelle les dernières personnes, ensuite les avant-dernières, jusqu’à remonter à la première. Chaque personne appelée doit quitter le groupe en faisant attention aux autres personnes et en trouvant une manière de prendre congé du groupe (par un geste, un regard).
- 2/ Deuxième étape : la discussion philosophique à partir de l’expérience corporelle – 30 minutes
Après avoir fait un tour des ressentis, on reprend la question de départ : « Les règles limitent-elles ou favorisent-elles notre liberté ? », mais on y réfléchit à partir de ce qui a été vécu. Les questions que je pose en tant qu’animatrice-philosophe visent à tisser un lien entre la réflexion philosophique collective et l’expérience corporelle. Je demande par exemple : « Pourquoi avez-vous suivi les indications de la chorégraphe ? ». Les réponses évoquent plusieurs raisons : par respect, pour jouer le jeu proposé. Chacune de ces réponses permet d’approfondir la réflexion collective (par exemple sur ce qu’est le respect, à qui le rendre ; ou sur ce qu’est l’obéissance).
Dans la discussion, une participante a porté l’attention sur un aspect qui n’était pas émergé dans la discussion philosophique initiale et auquel je n’avais pas du tout pensé : elle a établi un lien entre la voix de la personne qui donne les règles ou les consignes et notre disposition à les suivre. « On suit les consignes – dit-elle – aussi parce que la voix qui nous le demande est péremptoire ». Nous avons ainsi discuté ensemble à partir des questions suivantes : pourquoi une voix a-t-elle un effet sur le cours de nos actions, et une autre ne l’a pas ? Et pourquoi la voix est un élément que nous prenons en compte lorsque nous décidons d’obéir à quelqu’un : est-ce raisonnable ? est-ce juste ? à quelles conditions ?
Ce dernier échange autour de la voix nous donne un bon exemple de la manière dont la réflexion philosophique peut s’ancrer dans une expérience corporelle vécue avec des autres. Certains éléments, comme la réflexion sur la voix, n’étaient pas apparus dans la discussion philosophique initiale : ils ont émergé ensuite car ils étaient liés au besoin de nommer quelque chose qui s’était produit dans l’expérience corporelle et qui pouvait conduire à interroger sous un autre angle notre liberté, notre autonomie, l’autorité et le charisme de la personne qui donne des consignes. C’était aussi une manière de porter l’attention sur un aspect des liens visibles et invisibles qui nous relient les uns les autres dans une situation où nous pensons en présence d’autres personnes.
L’exemple de cette discussion peut ainsi montrer plus concrètement de quelle manière cette pratique des ateliers reliant la danse et la philosophie peut accompagner l’épanouissement d’une pensée élaborée avec d’autres personnes. La pratique que j’ai décrite y parvient en nous aidant à prendre soin de la « qualité de notre présence » dans la situation où nous réfléchissons avec d’autres, par exemple portant notre attention réflexive sur notre voix, les voix des autres et leurs effets sur nos actions. Mais cela permet aussi de porter l’attention sur les regards et de dire, par exemple, à partir de l’expérience corporelle, s’ils nous gênent ou s’ils nous aident dans le fait de s’exposer par son corps, ses mouvements, ses paroles. Ainsi, des éléments tels que la voix et les regards, qui contribuent à constituer la trame de notre pensée en présence, peuvent devenir un objet d’attention et de réflexions, personnelles et partagées, mais aussi d’expérimentations de la part des participants-participantes.
Comme mentionné précédemment, Chiara Zamboni propose une distinction entre « être là » et « être présente-présent », fondée sur l’acceptation du jeu de la communication verbale et non verbale qui caractérise la présence. Sur cette base, nous pouvons dire que cette pratique d’atelier de danse et de philosophie favorise la communication et la réflexion autour de notre expérience incarnée et partagée, et elle nous donne ainsi l’occasion d’intensifier la qualité de notre présence dans la situation. Le corps et, avec lui, ce qui nous aide à nous enraciner dans une situation et à être en relation avec les autres, n’est pas réduit au silence, mais il devient au contraire un objet de parole et de réflexion partagée. Par cette pratique, nous pouvons découvrir que la tête n’a pas besoin d’être isolée pour que nous puissions bien penser. Au contraire, grâce à un exercice corporel, comme celui des « bâtons » ou celui des « statues » que j’ai décrit, nous pouvons porter notre attention sur des aspects de notre expérience qui peuvent enrichir et déplacer notre réflexion philosophique – le lien entre la voix, le respect des règles et notre liberté, par exemple. Dans cette pratique, l’expérience corporelle devient une autre source de compréhension et d’apprentissage. Notre corps n’est plus abandonné sur les marches qui mènent aux sommets de la pensée.
- Ferrando, S. (2022, 29 juin), The movement of an emodied thought. Pilot 2 Dancing Philosophy Report. Zenodo. 10.5281/zenodo.6788038.
- Ferrando, S., & Graffione, C. (2026), Dancing philosophy: The story of how body and mind regained each other. In Tartakowsky, E. & Rossetto, P. (Éds.), In Other Words. Opening research to creative practices, Presses Universitaires de Paris Nanterre.
- Graffione, C. (2024, 8 septembre), La créativité des bâtons de bambou. Dansophie/Dancing philosophy. https://dansophie.hypotheses.org/501
- hooks, b. (2019), Apprendre à transgresser. L’éducation comme pratique de la liberté. Syllepse.
- Lodi, M. (2022). Cominciare dal bambino. Scritti didattici, pedagogici e teorici. Rizzoli.
- Merleau-Ponty, M. (1964). Le visible et l’invisible. Gallimard.
- Ryle G. (2009). The Concept of Mind. Routledge.
- Zamboni, C. (2009). Pensare in presenza. Conversazioni, luoghi, improvvisazioni. Liguori.
- Zimmermann, C., Husquinet, H., Cambron-Goulet, M., & Harbonnier, N. (2024). Corporéité et apprentissage : pour une pédagogie au croisement de la philosophie, de la danse et des études féministes. Philosophiques, 51 (2), 425–454. https://doi.org/10.7202/1119390ar
À ce propos, je voudrais également citer les recherches de Camille Zimmermann (Zimmermann et al., 2024) : partant du constat que, dans les formes traditionnelles d’enseignement, et plus encore dans l’enseignement philosophique, on rencontre systématiquement la négation du corps, considéré comme un obstacle aux activités de l’esprit, elle repense le corps comme source de connaissance. Son étude est associée à une recherche-action, à laquelle j’ai eu le plaisir de participer au printemps 2025, qui a pour objectif d’offrir des outils aux étudiantes et étudiants universitaires – et éventuellement aux enseignantes-enseignants – pour s’affronter aux formes de négation du corps dans l’apprentissage, et pour remettre en question les formes de pouvoir qui, dans l’organisation académique du savoir, tirent profit et alimentent cette négation. ↩︎
Pour avoir un aperçu de l’ensemble du projet Dancing Philosophy, il est possible de consulter notre carnet de recherche : https://dansophie.hypotheses.org/. ↩︎
C’est moi qui traduis. ↩︎
La forme des ateliers de danse et philosophie que nous avons élaborée est décrite dans mon rapport des activités du projet Dancing Philosophy, The movement of an embodied thought (Ferrando, 2022, 29 juin) et dans l’article que la chorégraphe, Cosetta Graffione, et moi-même nous avons co-écrit (Ferrando et Graffione, 2026). ↩︎
Pour une description détaillée de cette expérience corporelle, voir le texte de Cosetta Graffione (2024, 8 septembre), La créativité des bâtons de bambou, publié dans le carnet de recherche du projet Dancing Philosophy https://dansophie.hypotheses.org/501. ↩︎



