La philosophie est une discipline redoutable pour la plupart des lycéens. Cette complexité s’explique non seulement par la nature de la philosophie mais aussi par la perception que les élèves se font d’elle. Les données collectées auprès des lycéens ont montré l’existence d’une relation entre la performance et la perception des apprenants en philosophie. Leur réussite dans cette discipline dépend en grande partie de leur conscience disciplinaire. L’amélioration du niveau d’acquisition de ces apprenants en philosophie est corollaire à leur amour pour la discipline. Pour la réussite de leurs missions, les professeurs de philosophie doivent adopter des stratégies visant à développer l’engouement des élèves pour la philosophie.
Traoré (2014) explique que l’enseignement de la philosophie au lycée a pour finalité : la formation de l’homme par le développement de la pensée critique, en vue de son épanouissement, de sa participation au développement économique, socioculturel et de son ouverture sur le monde.
De l’indépendance (1960) à nos jours (2024), le statut de la philosophie a changé, selon les différents régimes politiques qui se sont succédés au Mali. En gros, ces changements ont été l’œuvre de trois doctrines politiques divergentes (le socialisme, la dictature et la démocratie). Du coup, le pays a connu trois types de lycéens avec les intérêts différents à l’égard de la philosophie.
Sous le régime dictatorial, l’enseignement et l’apprentissage de la philosophie ont connu un certain désintéressement, voire un dégout de la part des enseignants et des apprenants. Pour la simple raison, l’émergence de l’esprit philosophique était perçue comme une menace contre ce pouvoir. Une telle situation affecte nécessairement la perception et la performance de ces élèves dans la discipline en question.
Selon Goucha (2007), la conception et la pratique de la philosophie varient fortement selon les différentes aires culturelles du monde. Cet auteur met l’accent sur la particularité de la philosophie en fonction des différentes conceptions culturelles et politiques.
Coulibaly (2020) défend que les enseignants ont beau travaillé en classe, si les élèves ne sont pas engagés, les efforts consentis seront une peine perdue. L’auteur estime que les professeurs et autres acteurs de l’éducation devraient poursuivre la sensibilisation, afin de motiver les apprenants à s’intéresser davantage à la philosophie.
Pour Yu (2020), la conscience disciplinaire est la manière dont les acteurs sociaux et plus particulièrement les élèves (re) construisent les disciplines scolaires. Au Mali, le poids de la culture, notamment celui de la religion influe considérablement la conception des élèves sur la philosophie. La majorité des maliens semblent être dans la logique que les religieux ne doivent pas s’investir dans l’apprentissage de cette discipline, pour le risque de se retrouver dans l’athéisme.
Les réflexions développées nous conduisent à la problématique suivante : quel lien existe-t-il entre la perception et la performance en philosophie chez les lycéens de la commune IV du district de Bamako ?
A la suite de la question posée, l’hypothèse ci-dessous a été formulée :
Plus les lycéens de la commune IV du district de Bamako aiment la philosophie moins ils en ont des difficultés.
La suite de notre argumentation sera axée dans un premier temps sur la méthodologie de collecte et du traitement des données relatives à l’étude ; ensuite, les résultats collectés seront présentés et analysés et notre raisonnement prendra fin avec la discussion de ces résultats et la conclusion. Ceci nous amène aborder la méthodologie de la recherche.
Méthodologie de la recherche
Sur les quarante-cinq (45) lycées que compte la commune IV du district de Bamako (Mali), nous avons retenu quinze (15) pour l’enquête. Dans ces établissements, un échantillon aléatoire de 300 élèves de la terminale a été sélectionné, à raison de 20 élèves enquêtés par lycée. La philosophie étant l’une des épreuves du baccalauréat malien de toutes les séries. Par conséquent, il est judicieux de composer l’échantillon avec uniquement les candidats à cet examen.
En outre, le questionnaire et le test du khi-deux ont été retenus en vue de collecter les données quantitatives auprès de ces apprenants et de procéder à la vérification de l’hypothèse de recherche, formulée dans l’introduction. Le choix du questionnaire se justifie par la taille de l’échantillon et le temps imparti raisonnable (un mois) pour réaliser l’enquête du terrain. S’agissant du test du khi-deux, il constitue un moyen fiable pour vérifier une hypothèse de façon formelle. Le raisonnement suivant portera sur les résultats obtenus des enquêtés.
Présentation et analyse des résultats d’enquête
Tableau 1 : perception des élèves sur la philosophie
Niveaux de perception | Effectifs | Pourcentage |
---|---|---|
Peu utile | 56 | 18,7 |
Utile | 135 | 45,0 |
Très utile | 91 | 30,3 |
Inutile | 6 | 2,0 |
Très inutile | 3 | 1,0 |
Pas de réponse | 9 | 3,0 |
Total | 300 | 100,0 |
Source : Enquête personnelle, Avril 2023
Les données du tableau ci-dessus montrent que la majorité des lycéens interrogés ont exprimé leur intérêt pour la philosophie. Sur les 300 élèves enquêtés, 135 d’entre eux, jugent la philosophie utile, soit 45,0% et 91 autres pensent qu’elle est très utile, soit 30,3% des enquêtés. Les élèves qui manifestent un avis défavorable sur la philosophie sont au nombre de 6, soit 2% des répondants. Ils sont 9, soit 3%, à ne pas souhaiter se prononcer sur la question. Il faut aussi signaler que 1% des élèves enquêtés n’aiment pas du tout, la philosophie. Sur la base des résultats observés, on peut affirmer que la plupart des lycéens enquêtés apprécient positivement la philosophie comme discipline scolaire. Cet amour exprimé montre l’engagement des apprenants à s’investir dans l’apprentissage de la philosophie au lycée.
Par ailleurs, les résultats du tableau ressortent les pédagogies utilisées par les enseignants en classe. C’est pour dire que la motivation des lycéens pour la philosophie résulte des stratégies d’animation mises en œuvre par les formateurs. Un tel engouement exprimé par les élèves pour cette discipline montre la vivacité des pratiques de classe.
Tableau 2 : niveau de difficultés des élèves en philosophie
Niveaux de difficultés | Effectifs | Pourcentage |
---|---|---|
Un peu facile | 119 | 39,7 |
Facile | 32 | 10,7 |
Très facile | 8 | 2,7 |
Un peu difficile | 93 | 31,0 |
Difficile | 35 | 11,7 |
Très difficile | 9 | 3,0 |
Pas de réponse | 4 | 1,3 |
Total | 300 | 100,0 |
Source : Enquête personnelle, Avril 2023
L’analyse du tableau ci-dessus montre que les élèves enquêtés ne rencontrent pas les mêmes difficultés dans l’apprentissage de la philosophie. 119 élèves, soit 39,7% des répondants, trouvent la philosophie, un peu facile contre 10,7% qui la jugent facile. De même, 93 lycéens, interrogés, soit 31,0% pensent qu’il est un peu difficile d’apprendre cette discipline contre 9 lycéens, soit 3% des enquêtés qui trouvent qu’elle est plutôt très difficile. Les élèves qui n’ont pas souhaité exprimer leur avis sur cette question, sont au nombre 4, soit 1,3% de ces apprenants.
En comparant le niveau de difficultés de ces élèves en philosophie, on peut conclure que les élèves qui sont en situation de difficultés sont moins nombreux, soit une proportion cumulée de 45,7% des élèves enquêtés.
Il est nécessaire de comprendre que même si plus de la moitié des enquêtés apprennent avec moins de difficultés la philosophie mais il faut quand même reconnaître que la proportion des lycéens en situation de difficultés est importante. Cette tendance doit interpeler tous les acteurs impliqués dans l’acte éducatif. Ce constat détermine notre motivation à s’intéresser davantage à ce problème.
En outre, les difficultés auxquelles ces apprenants sont confrontés, sont généralement axées sur la méthodologie du traitement de la dissertation et du commentaire philosophique ainsi que l’argumentation des idées contenues dans le sujet de réflexion. Ces complexités relèvent très souvent de la non maîtrise du médium d’enseignement, le français.
Figure 1 : rapport entre la perception des lycéens et leur niveau de compréhension de la philosophie
X² = 47,20 ; Signification = 0,024
Source : Enquête personnelle, Avril 2023
L’analyse de la présente figure a permis de comprendre que parmi les élèves qui n’éprouvent pas de difficultés en philosophie, il figure peu d’élèves de conception négative sur la discipline en question, soit seulement un effectif cumulé de 4 élèves. En termes de niveau de difficultés, ces élèves éprouvent plus de difficultés que leurs camarades de conception positive sur la philosophie.
En procédant au test du khi-deux sur l’éventualité d’un lien entre le niveau de perceptions et celui des difficultés des apprenants en philosophie, la signification du test est 0,02. Ce résultat montre qu’il existe un lien très significatif entre les deux variables mises en relation (perception et performance). Ce qui signifie que plus l’élève a une bonne perception de la philosophie, moins il a des difficultés et inversement. Cette tendance confirme l’hypothèse de recherche, formulée dans l’introduction de cette étude.
Les données de cette figure laissent apparaître la nécessité pour les professeurs de philosophie de prendre du recul en vue d’une introspection de leurs stratégies d’animation. Cela a pour but de motiver non seulement les lycéens dans les apprentissages mais aussi pour leur permettre de franchir les obstacles culturels qui peuvent avoir des répercussions négatives sur leur performance, surtout dans le contexte de l’étude où ces stéréotypes sont omniprésents à cause du poids de la religion sur les environnements familiaux des élèves enquêtés. Dans la rubrique ci-dessous, nous allons comparer les résultats de l’étude aux écrits antérieurs en rapport avec la thématique sous l’étude.
Discussion des résultats
Les données collectées auprès des lycéens et la littérature exploitée s’accordent à dire qu’il existe une relation entre la perception et la performance, c’est-à-dire plus l’élève aime une discipline, plus elle est facile pour lui ou le cas inverse.
Toutefois, il est important de savoir que les études antérieures n’ont pas pu établir de façon précise et formelle l’éventualité de lien entre la performance et la perception en philosophie. Les auteurs étudiés se sont intéressé à la question sous l’angle de la pluridisciplinarité. En d’autres termes, si l’élève aime une discipline scolaire, il a de forte chance d’y réaliser de bons scores.
La particularité de cette étude est qu’elle a permis au travers du test du khi-deux de démontrer la relation de cause à effet entre les représentations que les élèves se font de la philosophie et leur niveau de réussite en la matière.
Cependant, les résultats de Coulibaly (2024) ne corroborent pas assez ceux de cette étude. Selon cet auteur, 100 lycéens de la terminale ont pris part à un test en philosophie. A l’issue dudit test, 50% des redoublants ont obtenu 10 sur 20 contre 8,50 sur 20 chez les passants. Les données des tableaux 1 et 2 laissent apparaître que la majorité des élèves enquêtés apprécient positivement la philosophie. De la manière, la majorité des élèves testés devraient réaliser de bons scores au test mais les données de Coulibaly (2024) montrent la tendance inverse.
En dépit des résultats d’enquête, notre expérience dans l’enseignement de la philosophie au lycée nous a permis de constater que la majorité des lycéens affichent leur engouement pour la philosophie malgré sa complexité. La fin de la discussion des résultats nous amène à se pencher sur la dernière partie de notre raisonnement.
Conclusion
Cette étude a permis de mettre en exergue la perception des élèves de la philosophie ainsi que leur niveau de difficultés dans cette discipline. C’est pour dire que plus les lycéens apprécient positivement la philosophie, plus ils l’apprennent avec aisance et inversement.
La réussite ou l’échec du lycéen en philosophie est corolaire à sa représentation de la discipline. Cette représentation est caractérisée à la fois par les réalités socio-culturelles de l’environnement de l’élève mais aussi par la pédagogie du professeur en charge de la classe.
Pour pallier ces insuffisances dans l’acte éducatif, axé sur la philosophie, il est nécessaire d’appliquer les approches pédagogiques attractives et participatives. Les démarches permettant surtout à la démystification de l’enseignement et l’apprentissage de la philosophie. L’enseignant doit engager des débats pouvant aboutir au franchissement des obstacles culturels qui empêchent l’épanouissement du savoir philosophique.
Dans le même ordre d’idées, au moment de la transposition didactique, les professeurs de philosophie doivent élaborer un contenu philosophique accessible aux apprenants. Pour ce faire, il est nécessaire de privilégier les concepts courants et les synonymes pour exprimer les concepts soutenus et difficilement accessibles. Il est de constat que les professeurs de philosophie emploient très souvent des « gros mots ». Un telle manière de s’exprimer peut avoir des répercussions négatives sur la motivation des apprenants. Très généralement, si les élèves ne comprennent pas le message dispensé, du coup ils sont découragés et ces découragements peuvent engendre de mauvaises performances scolaires.
- Coulibaly, S.S. (2020). Analyse des causes de l’erreur en philosophie chez les lycéens de la commune IV du district de Bamako. [Mémoire de Master en Sciences de l’Education, Madison International Institut & Business School.]
- Coulibaly, S.S. (2024). Niveaux d’acquisition des lycéens de la commune IV du district de Bamako en philosophie et la correction de leurs erreurs. Revue Hybrides, vol 2, N°3.
- Goucha, M. (2007). La philosophie une école de la liberté, enseignement de la philosophie et apprentissage du philosopher : Etat des lieux et regards pour l’avenir. Edition UNESCO. Paris.
- Touré, C. (2003). Mali : les difficultés des apprentis-philosophes. Diotime Revue internationale de la didactique et des pratiques de la philosophie n°19.
- Touré, C. (1998). L’enseignement de la philosophie au Mali -Problèmes et perspectives, cas des établissements : lycée Kalilou Fofana, lycée Adoul Karim Camara dit Cabral et lycée Askia Mohamed. [Mémoire de DEA en sciences de l’éducation, ISFRA.]
- Traoré, M. (2014). L’approche par compétences dans l’enseignement philosophique malien. Diotime, Revue internationale de la didactique et des pratiques de la philosophie n°61.
- Yu, J. (2020). Conscience disciplinaire et vécu dans les différentes disciplines scolaires à la fin du collège. [Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation, Université de Lille.]