Revue

L’enseignement/apprentissage de la philosophie et violence en milieu politique au Cameroun

Revendications postélectorales, organisation des marches pacifiques, joutes verbales calomnieuses, haine politique tribalisée, tel se présente l’arène politique camerounaise de nos jours dans un profond malaise. Ce qui explique la difficile cohabitation politique entre certaines communautés, d’où l’impact négatif de la politique politicienne dans la gestion de la cité. Malgré l’existence des textes statutaires et réglementaires des partis politiques qui gourmandent la délinquance en politique, les tensions politiciennes restent d’actualité. Ce travail se propose de montrer comment l’enseignement et la vulgarisation de la philosophie dans l’espace politique peuvent dédiaboliser ce milieu. L’objectif étant de relever ces manquements pour proposer des perspectives nécessaires à prendre en compte dans le but de rendre plus vivable le milieu sus évoqué. Nous présenterons la situation de la brutalité en milieu politique, et la contribution de la philosophie pour l’éradication de la violence dans cet environnement.

Au regard des agissements de certains politiciens, l’environnement politique camerounais montre un besoin criard de l’enseignement de la philosophie. De nos jours au Cameroun et particulièrement depuis la dernière élection présidentielle de 2018, on note une recrudescence de la violence en milieu politique et l’on tente de penser que la philosophie entant que science qui réfléchit sur la vie a échoué sur le plan de l’éducation des masses. Les écarts de comportements de beaucoup d’hommes politiques, nous invite à proposer l’enseignement-apprentissage de l’amour de la sagesse comme solution à ce problème. La vulgarisation de l’enseignement de la philosophie au sein des formations politiques ; basées sur l’inculcation des valeurs telles que l’humanisme, le respect de l’autre et de sa communauté, la philanthropie, le vivre-ensemble foncier en évitant la division, la démagogie et la roublardise, réduirait la séquestration dans l’espace politique. Cet enseignement-apprentissage du philosopher et sa vulgarisation sont un impératif en milieu politique au Cameroun. D’où le questionnement fondamental : quel impact peut avoir l’enseignement de la philosophie dans le paysage politique ? Nous présenterons d’une part la situation de la violence en milieu politique camerounais et d’autre part, nous préciserons la contribution de cette dernière (la philosophie) pour l’éradication de la violence dans l’espace sus évoqué.

Situation de la violence en milieu politique au Cameroun

Depuis l’ère de la République fédérale ou unie du Cameroun sous M. Amadou Ahidjo, en passant par la coopération avec l’administration française, jusqu’à la République du Cameroun sous le président Paul Biya, la scène politique camerounaise n’a cessé d’être un théâtre bouillonnant d’intrigues et de passions. Un univers instable et énigmatique, où les certitudes vacillent et les émotions s’enflamment aisément. Cette instabilité trouve sa source dans les nombreuses exactions subies par certains acteurs politiques, en particulier ceux de l’opposition. Ces abus, qui se manifestent sous des formes physiques, psychologiques ou morales, constituent les fondements de trois types de violence qui gangrènent le paysage politique camerounais : la violence physique, la violence psychologique et la violence politique.
Ces violences, sous leurs différentes formes, ont plongé la scène politique camerounaise dans un cycle infernal d’intimidation et de répression, étouffant la liberté d’expression et le débat démocratique. Elles constituent un obstacle majeur à l’instauration d’une société apaisée et d’un véritable dialogue politique. Pour briser ce cycle de violence et ouvrir la voie à une ère de paix et de démocratie, il est impératif que toutes les parties prenantes s’engagent résolument dans un processus de dialogue inclusif et constructif. Ce dialogue doit permettre de s’attaquer aux racines des maux qui minent le pays et de bâtir un Cameroun uni, respectueux des droits humains et des libertés fondamentales.

La violence physique dans l’espace politique camerounais

Du latin « Vis » qui signifie « Force », la violence se définit comme une « Force d’une intensité particulière. » ou l’« Usage illégitime de la force et atteinte à l’intégrité des personnes. » (Baraquin & al, 2003, p.313). De manière générale, la violence est cette contrainte physique, morale ou psychologique exercée sur un homme ou sur une communauté qu’elle soit politiquement, économiquement, religieuse ment constituée. Sur la scène politique camerounaise, la force physique s’impose comme un instrument redoutable, déployée sans vergogne pour faire taire les voix dissidentes et imposer ses volontés. Bagarres, tortures, bastonnades, jets d’objets et de gaz lacrymogènes, traitements inhumains, séquestrations, restrictions de mouvement, incarcérations arbitraires et même meurtres - la violence se décline sous toutes ses formes, ne reculant devant aucune atrocité. Cette brutalité n’est pas l’apanage exclusif des militants de l’opposition. On la retrouve également au sein des partis politiques eux-mêmes, où des luttes intestines pour le pouvoir dégénèrent en affrontements sanglants. Au Cameroun, et précisément en 2006 lors du congrès du Social Democratic Front (SDF), parti de l’opposition à Yaoundé, les partisans de Ni John Fru Ndi et de Ngwasiri Clément s’affrontaient. Plus récemment, en 2021, dans l’arrondissement de Bengbis (région du Sud), l’annonce des résultats des élections internes au Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), parti au pouvoir, a déclenché la fureur des partisans évincés. Accusant le sous-préfet d’ingérence, ils ont incendié sa résidence. A Banganté également, l’élection du président de la section RDPC du Ndé-nord entre le maire Niat Eric et Célestine Ketcha a tourné à l’émeute, avec vandalisme du matériel électoral et autres actes répréhensibles. Le journaliste Pierre Claver Nkodo, témoin de ces exactions, n’a pu que déplorer : « Sorcellerie et brutalité s’invitent à l’élection du président de la section RDPC du Ndé-nord à Banganté, sous le nez et la barbe de Paul Biya, le président national. » Ces incidents ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres qui illustrent la triste réalité de la violence physique en politique au Cameroun. Cette violence constitue une menace grave à la démocratie et aux droits fondamentaux, et exige une action urgente pour y mettre un terme. Il est impératif que les autorités camerounaises prennent des mesures concrètes pour punir les auteurs de ces actes et instaurer un climat de respect et de dialogue dans le champ politique. Seul un engagement ferme en faveur de la non-violence et du respect des règles démocratiques permettra de bâtir un Cameroun apaisé et prospère, où tous les citoyens puissent exercer leurs droits et s’exprimer librement. Si tel se présente la violence physique au Cameroun, qu’en est-il de la force morale ?

La violence morale ou psychologique

Génériquement, elle s’incarne par des injures, des insultes, des lynchages médiatiques et cybernétiques, des chantages, l’achat des consciences en périodes électorales, l’acharnement, la longévité à la tête de la formation politique, le musellement, la gestion opaque du parti par certains leaders, la purge des militants dissidents de leurs organisations politiques et des frustrations de toutes sortes. Ceci vise en son fond, le dénigrement de la personne, de la personnalité politique de l’être humain. A ce niveau, on assiste au rapetissement du militant ou du sympathisant à son identité libidinale en le maintenant à une position inférieure ; ce qui laisse croire qu’on cherche la mort politique de son adversaire, qu’il soit du même parti ou de l’opposition. On verra en longueur de journées ou des soirées, sur les plateaux de télévision et des ondes radiophoniques, quelques acteurs politiques appeler à l’élimination (politiquement parlant) des autres leaders politiques. La dissolution en 1955 de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) par le gouvernement français au Cameroun en tant que parti politique de l’opposition est une illustration ou encore le cas de certains militants du parti au pouvoir qui ont vertement interpelé (via des émissions télé et radio) les autorités gouvernementales camerounaises à dissoudre le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), arguant que c’est un parti politique « très violent ».

De plus, cette brutalité psychologique en politique se laisse transparaître à travers l’interdiction des marches pacifiques, des conférences de presse de certains partis de l’opposition, et des réunions privées des formations politiques concurrentes ; toute chose qui concoure à l’ostracité démocratique et plombe l’idéal du pacifisme ou de pacification du paysage politique. Ce bafouement des libertés et de l’animation de la vie des organisations politiques dont les missions principielles sont, de communiquer, d’informer sur le fonctionnement du parti, le projet de société et les mécanismes de la conquête du pouvoir, entraîne la division, la haine, la stagnation de la vie politique et la déflagration sociale. Au sujet de l’autorisation ou non d’une marche, rappelons que le Cameroun est régit d’un système de déclaration. La Loi n°90/055 du 19 décembre 1990 fixant le régime des réunions et manifestations publiques en son article 3 alinéas 1&2, stipulent que « Les réunions publiques, quel qu’en soit l’objet, sont libres. Toutefois, elles doivent faire l’objet d’une déclaration préalable. » Pour ce qui est des sanctions pénales, les dispositions de l’article 9 alinéa 1, indiquent que « Sans préjudice, le cas échéant, des poursuites pour crimes et délits, est puni des peines prévues à l’article 231 du code pénal. » On peut alors lire sur cet article : « Est puni d’un emprisonnement de quinze (15) jours à six (06) mois et d’une amende de cinq (05) mille à cent (100000) francs, celui qui : (a) participe à l’organisation d ‘une réunion publique qui n’a pas été préalablement déclarée ». Mais, par des représailles à coloration politique nous constatons que certains militants des partis politiques majoritairement de l’opposition et quelques membres des organisations civiles sont loin de bénéficier des privilèges de ces dispositions de la loi. Ils sont plutôt soumis à la loi antiterrorisme de 2014 (ce qui est d’ailleurs autorisé par la loi) donc la coercibilité est extrême. Mal/heureusement, certains militants et cadres du MRC (Bibou Nissack Olivier, Fogue Alain, Awasum Mispa Fri, Intifalia Oben …) après la marche interdite du 22 septembre 2020, ont écopé des peines de prison aux motifs divers : attroupement, insurrection, rébellion ou atteinte à la sûreté de l’Etat, de révolution, et bien d’autres. Sur l’interdiction des marches, le Social Democratic Front (SDF), première organisation politique qui inaugure le retour au multipartisme au Cameroun dans les années 90, est à une cinquantaine de refus de nos jours, ce sort similaire est réservé aux autres partis politiques opposés au RDPC, parti gouvernant. Sur/dans les réseaux sociaux, au bout de la lecture de nombreuses interventions des internautes, cette négativité politique est perceptible entre les différents antagonistes politiques. Les militants du RDPC sont taxés de « sardinards », c’est-à-dire des personnes qui aiment la sardine, son huile et soutiennent aveuglement l’idéologie et les projets de leur parti, mêmes si ceux-ci n’ont pas d’encrage sur le vécu des citoyens. Sont appelés « tontinards » ou « talibans » les membres et sympathisants du MRC. Selon l’imagerie politique (du camp de l’adversité), le « tontinard » est celui qui, bien qu’ayant le don de la tontine, de la solidarité, adhère à une cause politique par affinité sociologique, et son caractère quelque peu violent (à tort ou à raison) lui confère cette appellation de « taliban ». Cet étiquetage politique pour le moins élogieux des uns et autres justifie le degré de perdition et de cupidité qu’engendre la précarité en milieu politique, contribuant ainsi à l’affaiblissement de l’unité nationale et de la construction d’une démocratie politique consensuelle et apaisée.

La violence politique en paysage politique

La violence politique est cette force qu’exerce l’Etat sur ses administrés dans le but de mettre fin à toutes les autres formes de bestialités dites anarchiques. Foncièrement contraignante, elle a pour vocation essentielle d’assurer l’harmonie, et le respect des droits et des devoirs de tous et de chacun. Ce type de brutalité restaure l’ordre public dans le sens de sauvegarder la légitimité, la souveraineté des institutions de la République et de protéger le patrimoine national. Au Cameroun, la brutalité politique serait un instrument pour stopper l’aspiration et l’intéressement à toute vocation ou carrière politique. Au nom de la violence politique, certains membres du gouvernement, les gouverneurs, les préfets et sous-préfets rendent difficile l’éclosion des ambitions politiques de certains partis de l’opposition ; ceci par l’interdiction des activités politiques de ces derniers, des arrestations rocambolesques, les incarcérations fantaisistes et autres traitements humiliants de certains acteurs politiques. Or, le préambule de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008 précise que « Toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Elle doit être traitée en toute circonstance avec humanité. En aucun cas, elle ne peut être soumise à la torture, à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Par exemple, le 08 septembre 2020, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) appelle aux marches pacifiques (le 22 septembre), après l’annonce des premières élections régionales au Cameroun par le Président en exercice Paul Biya, afin de contester cette décision et sept autres partis politiques ont suivi l’appel. Contre toute attente, le 11 du même mois, les gouverneurs des régions du Littoral et du Centre ont, par décret interdit toute réunion et manifestation publique pour une durée illimitée. Le 14 septembre, le Ministre camerounais de l’administration territoriale Paul Atanga Nji, adresse une lettre à ces deux gouverneurs ainsi qu’à celui de la région de l’ouest, les avertissant que toute manifestation non autorisée serait dispersée par les forces de l’ordre, et par la même occasion à appeler les gouverneurs de faire arrêter toute personne qui organiserait une manifestation à but politique. Toujours sur le même fait et dans la même lancée, le 15 du mois sus évoqué, le Ministre de la communication René Emmanuel Sadi a mis en garde les partis politiques et leurs leaders sur le fait que des manifestations illégales pourraient être considérées comme « insurrectionnelles » et que celles-ci seraient punies en vertu de la loi antiterroriste. Défiant l’autorité étatique, les militants du MRC vont effectivement participer à la marche où une centaine de leurs camarades seront arrêtés et emprisonnés. Une telle situation aussi déplorable soit elle, amène Lewis Mudge, Directeur Human Rights Watch pour l’Afrique centrale à dire que « Ces mesures sont une tentative à peine voilée de la part du gouvernement camerounais de se servir (…) D’une loi antiterrorisme draconienne comme prétexte pour supprimer le droit à la liberté de réunion (…) Les autorités devraient s’efforcer de protéger et faciliter l’exercice de ce droit, au lieu de chercher des moyens de le restreindre. » On comprend aisément que la politisation de la violence politique à pour enjeu fondamental l’endiguement et la mise en berne des partis de l’opposition ; permettant du coup au parti au pouvoir de pérenniser son règne. Or, l’utiliser (la violence politique) de manière responsable, républicaine et équitable rendrait plus vivable l’espace politique. Cependant, quel rôle peut jouer la philosophie dans l’élimination de l’agressivité dans cet espace ?

Contribution de la philosophie à l’éradication de la violence en milieu politique

« J’aurai ensuite fait considérer l’utilité de cette philosophie et montrer que, puisqu’elle s’étend à tout ce que l’esprit humain peut savoir, on doit croire que c’est elle seule qui nous distingue des plus sauvages et des barbares et que chaque nation est d’autant plus civilisée et polie que les hommes y philosophent mieux. » (Descartes, 1886). Au regard des inquiétudes et des angoisses que suscitent la politique, l’amour de la sagesse apparait comme solution idoine, et nul doute à cause de son caractère (de la philosophie) axiologique. C’est dire que cette discipline enseigne des valeurs et des vertus donc leur mise en pratique conduirait l’homme et son entourage vers des perspectives meilleures. Parce qu’elle (la philosophie) regorge certains idéaux éthiquement et pragmatiquement valables, elle peut jouer un rôle prépondérant dans la réduction et même dans la suppression des passions négatives au sein des formations politiques et de leurs environnements. Pour le faire, certains philosophes et amoureux de cette science ont développé des théories et des notions dont leur appropriation et leur expérimentation efficiente aiderait à la résolution du problème. On peut citer : l’enseignement du siècle de la Raison ou des Lumières, le respect de la personne humaine et la bonne volonté et l’enseignement des Nouvelles Pratiques Philosophiques (NPP) en milieu politique.

L’enseignement du siècle de la Raison ou des Lumières au sein des formations politiques

Si, depuis l’antiquité philosophique, la critique reste et demeure la chasse gardée de toute réflexion en philosophie, cela suppose qu’avant toute inculcation des valeurs chez le politicien, on doit développer chez ce dernier l’esprit critique, entendu comme « Libre examen de l’esprit qui n’accepte d’autre autorité que celle de la raison. S’oppose à la soumission au principe d’autorité. » (Baraquin & al, 2003, p. 105). Historiquement, le XVIIIème siècle a été symbolisé comme le siècle de la Raison. C’est la période faste de la Raison et de la liberté. Il incite les hommes à développer leur sens critique, en pensant par eux-mêmes, à combattre le dogmatisme, l’obscurantisme et à promouvoir la tolérance. Ici, il faut initier l’acteur politique à apprendre par soi-même sous l’impulsion de sa propre pensée, afin d’affirmer ou d’infirmer un fait ou prendre une décision face à une situation. Aujourd’hui, toute personne voulant éviter la crispation en milieu politique doit développer, par le biais de la philosophie ou mieux encore du philosopher, les aptitudes telles que : l’esprit critique, qui est la remise en cause de toutes les questions préétablies afin de les discuter personnellement, grâce à l’usage de la raison. Il s’agit simplement de l’art de juger, d’analyser, de discerner le vrai du faux, ou du moins de peser le pour et le contre dans le but d’atteindre la vérité. Chez Michel Tozzi, cette nature critique de la philosophie, ou mieux encore ces compétences du philosopher, se trouvent dans son triangle didactique : « problématiser, conceptualiser et argumenter. » (Tozzi, 1994). Cela signifie que la recherche des solutions aux problèmes sociaux comme ceux de la violence et ses conséquences négatives en milieu politique passe par un questionnement philosophique sur la réalité existante (problématiser) assorti d’une justification rationnelle (conceptualiser) basée sur un discours cohérent, logique et pertinent (argumenter). Ainsi, la raison développe chez le sujet politique des qualités humainement vivables, en l’occurrence la tolérance ou la non-violence.

La bonne volonté

Autre valeur pouvant aider à amoindrir l’usage de la force dans l’environnement politique est la « bonne volonté », c’est-à-dire cette nature intrinsèque de l’homme à poser des actions adossées au bien et sans contrainte quelconque. En effet, ce qui fait la valeur absolue de la bonne volonté, c’est la nature même du vouloir, l’intention et non les résultats obtenus après un acte commis. « De tout ce qui est nécessaire de concevoir dans le monde et même en général hors du monde. Il n’est rien qui puisse être tenu absolument au bon si ce n’est une bonne volonté. » (Kant, 1976). C’est dire clairement que la volonté est bonne de manière a priori et non a posteriori. Pour la réussite de toutes nos activités quotidiennes, en politique particulièrement, il faut y introduire en amont la bonne volonté. Dispenser cette notion (la bonne volonté) en milieu politique à travers les slogans, des spots publicitaires télévisés et radiodiffusés dissimulerait certaines velléités criminogènes liées à la nature humaine. En politique, au lieu de la « mauvaise foi » pour parler comme Jean Paul Sartre, qui génère le trouble en conduisant au chaos, il faut la « bonne volonté » qui nous éloignerait du mal en restaurant la confiance et la cordialité. Au-delà des valeurs philosophiques évoquées ci-dessus, les Nouvelles Pratiques Philosophiques, en tant qu’une pratique de l’enseignement en philosophie ne peuvent-elles pas constituer un outil de conscientisation de l’environnement politique ?

L’enseignement des Nouvelles Pratiques Philosophiques (NPP) en milieu politique

De l’antiquité philosophique jusqu’à la modernité en passant par la patristique médiévale, l’enseignement de la philosophie a été beaucoup plus formel, institutionnalisé. Se former en philosophie commandait à celui qui aspirait à l’apprentissage, la connaissance ou au savoir d’intégrer un cadre normatif, structuré bénéficiant de l’onction d’une légitimité étatique : l’école. C’était un lieu bien organisé dont les programmes, les enseignants, les élèves et les conditions d’enseignement incombaient à l’État central. En Égypte pharaonique, nous avions de grandes écoles de pensée philosophique, à l’instar de l’école Thébaine, l’école Memphite, l’école Héliopolitainne, Amarnienne et celle Saïte. Que dire de la célèbre Académie de Platon ou du fameux Lycée d’Aristote, en Grèce antique ? Tel était conçu le paradigme social d’apprentissage de la philosophie. Aujourd’hui, la philosophie se veut une plus large visibilité face à la dimension de l’ignorance grandissante de l’homme de la « doxa » qui occupe majoritairement la cité. Combattre l’ignorance, c’est enseigner efficacement la philosophie là où l’ignorance se trouve. Il faut donc la pratiquer, dans un cadre scolaire, c’est-à-dire à la maternelle, au primaire et au secondaire ; dans un cadre académique (à l’université et dans les grandes écoles supérieures). En dehors de l’école (à la maison, au marché, à l’église, à la prison, à l’hôpital, dans les rues ou ruelles (comme le faisait déjà et brillamment Socrate en son temps), à la mosquée, et surtout au sein des formations politiques). Bref, dans des lieux publics et privés. C’est ce qu’on appelle les Nouvelles Pratiques Philosophiques. La salle de classe n’est plus désormais le lieu sacré par excellence de l’enseignement de cette discipline, elle bascule pour conquérir de nouveaux espaces, horizons, et assurément pour des perspectives nouvelles. Il y a là une visée formative ou didactique, celle de la formation des êtres humains à un spectre plus étendu. Cependant, « Au-delà de ces enjeux liés à la nature scolaire du savoir en question, … d’autres enjeux, plus larges : des enjeux langagiers et communicationnels et, surtout, des enjeux politiques (le caractère constitutif des liens existant entre l’émergence de ces nouvelles pratiques entendues comme des pratiques de la discussion et la nature essentiellement démocratique du régime politique qui leur sert de cadre). » (Monjo Roger, 2013, p.164). Pour cet auteur, les NPP ont des portées essentiellement politiques car elles redynamisent le lien politique entre les hommes. Ce qui impacte sérieusement sur les sujets pensants, soit sur un plan personnel, soit à un niveau commun. On comprend pourquoi il insiste : « En s’interrogeant sur l’avenir, Michel Tozzi évoque l’impact possible de ces nouvelles façons de faire de la philosophie : une double contribution à la revitalisation du lien politique mais aussi social, une contribution, aussi, à une réflexion plus éclairée sur le sens de la vie, dans sa dimension individuelle et collective. » (Ibid., p. 165). S’il est vrai que la conséquence de l’enseignement des NPP doit être perceptible sur des plans personnel et collectif, quel peut être leur contenu ? Cette nouvelle approche d’étudier la philosophie doit-elle se focaliser sur un type de savoir particulier ?

Dans ces NPP, il faut dispenser les notions apodictiques, spécifiques pouvant garantir à l’arène politique un air humaniste. Cela suppose un choix, une discrimination positive du concept et de son applicabilité. D’où, la notion de paix au sens latin « pax », renvoyant à la « tranquillité », au « calme ». Plus justement, elle est cette « situation de concorde, de bonne entente, dans les relations entre des personnes, plus particulièrement entre les membres d’une même communauté politique. » (Baraquin, 2003, p.214). Prise sous cet angle, la paix inspire la confiance aveugle et réciproque entre les personnes, voire envers les institutions qui les gouvernent. À travers les NPP, les États ou Nations doivent s’investir positivement c’est-à-dire, éduquer leurs concitoyens à une culture plus pointue de l’idéal de pacification de leur environnement politique ; garantissant de facto la sérénité et la sécurité de tous. À l’inverse de la sécurité, c’est le règne de tout est permis, le chaos, la sauvagerie sous toutes ses formes.

Eu égard de l’analyse ci-dessus, les NPP enseignées en milieu politique peuvent constituer un levier de sensibilisation contre toutes formes de dérives dans cet espace, car elles appellent au changement de paradigme en garantissant de nouveaux horizons politiques stables et durables. Le faisant, cela favorise l’édification d’une communauté politique plus agissante et responsable.

Conclusion

Notre tâche était celle de la contribution de la philosophie pour la réduction de la bestialité en milieu politique. En effet, le manque des valeurs comme la non-violence, le respect de la personne humaine, de la bonne volonté, et l’enseignement du siècle de la Raison, des Nouvelles Pratiques Philosophiques chez certains acteurs politiques au Cameroun préoccupe l’ensemble de la communauté politique. Or, si ces valeurs et pratiques consubstantiellement chères à la philosophie sont pédagogiquement enseignées aux leaders des formations politiques et leurs militants, cela éviterait au biotope politique d’être « un sport de combat. » (Gantzer Gaspard), un milieu où la violence est la « Chose du monde la mieux partagée. » (Descartes). Et du coup, aiderait au renfoncement de la démocratie politique et à la consolidation de l’unité nationale.

  • Baraquin, Noëlla & al (2003), Dictionnaire de philosophie, Paris, Armand Colin.
  • Déclaration de Lewis Mudge, Directeur de Human Rights Watch pour l’Afrique Centrale sur la répression des libertés politiques au Cameroun, septembre 2020.
  • Descartes, René (1886), Principes de la philosophie, Paris, F. Alcan.
  • Descartes, René (1984), Discours de la méthode, Paris, Vrin.
  • Gandhi, Mahatma, Déclarations et écris de 1920 et 1921 par Romain Rolland, in Mahatma Gandhi, 1924, Stock, 55’ éd. 1929.
  • Gantzer, Gaspard (2017), La politique est un sport de combat, Paris, Fayard.
  • Hobbes, Thomas (1651), Le Léviathan, Paris, Trad. F. Tricaud, Ed. Siret, 1971.
  • Gusdorf, Georges (1957), La vertu de la force, Paris, Ed. PUF.
  • Kant, Emmanuel (1785), Fondements de la métaphysique des mœurs, Trad. G. Chappon, Paris, Hatier, 1963.
  • Kant, Emmanuel (1986), Projet de paix perpétuelle, in Œuvres philosophiques, Paris, Gallimard.
  • Loi n°90/055 du 19 déc. 1990 Fixant les le régime réunions et manifestations publiques au Cameroun.
  • Loi 2014/028 du 23 déc. 2014 Portant répression des actes de terrorisme au Cameroun.
  • Loi 2016/007 du 12 juillet 2016 Portant code pénal du Cameroun.
  • Mbang Dim, Pernel (2022), La problématique de la paix à travers l’enseignement de la philosophie en milieu scolaire au Cameroun, Chisinau, EUE.
  • Mounier, Emmanuel (1978), Le Personnalisme, Paris, PUF.
  • Monjo, Roger (2013), Michel Tozzi (2012). Nouvelles pratiques philosophiques, Lyon, Chroniques sociales.
  • Parenteau, Danic & al (2017), Les idéologies politiques, Québec, Presses de l’Université du Québec.
  • Tozzi, Michel (1994), Penser par soi-même, Initiation à la pensée philosophique, Lyon, Chronique Sociale.
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