Revue

Les jeux de la co-animation d’un atelier de dialogue philosophique

Atelier proposé aux NPP 2023

Introduction

Cet article, co-écrit par plusieurs membres du comité de l’association proPhilo (www.prophilo.ch), relate une réflexion sur la pratique de la co-animation. Un atelier sur ce sujet a été conduit dans le cadre des Rencontres internationales des Nouvelles Pratiques Philosophiques de novembre 2023 qui se sont déroulées à l’INSPE du Mans.

A cette occasion, le chantier Philo Formation a proposé un atelier intitulé « Les jeux de la co-animation », animé par des membres de l’association proPhilo.
Cet atelier visait à explorer un aspect de l’animation du dialogue philosophique rarement abordé. Comment s’y prend-on pour co-animer ? Dans quelles conditions peut-on le faire ? Comment chaque personne qui anime intervient-elle et quel en est l’intérêt ?

Origine du projet

Les animateurices de notre association animent presque exclusivement en co-animation et ont acquis, au fil des années, une expérience importante dans cette pratique.
Dans nos multiples formations initiales et de renforcement, ainsi que dans nos pratiques de dialogue philosophique entre adultes, nous avons été amené·es à collaborer, à co-construire et à co-animer. Fonctionner en binôme nous a paru évident lorsque nous avons commencé à mettre en place et à conduire des ateliers de manière professionnelle. Aujourd’hui encore, nous favorisons autant que possible cette façon de faire, particulièrement dans nos projets d’ateliers en lien avec la culture (bibliothèques, musées, théâtres, danse…).

Élaboration et mise en place de l’atelier au sein du chantier Philo Formation

Lors de ces rencontres, trois membres de notre comité ont proposé de réfléchir à ce que sous-entend une co-animation et de vivre ensemble trois ateliers co-animés par les participant·es. L’idée de cette réflexion était de se questionner et de s’enrichir mutuellement sur cette pratique.

Déroulé de l’atelier

Notre atelier comportait trois étapes, à savoir une réflexion en binôme sur la préparation d’un atelier co-animé, une démonstration d’une co-animation par trois binômes et un retour sur les réflexions suscitées tant par la préparation que par le vécu lors des co-animations.

Réflexion et préparation :

Nous avons proposé de préparer l’animation sur le sujet « Être soi-même ou jouer un rôle ? ».
Les consignes données à tou·tes les partipant·es étaient les suivantes :

  • Animer sur le modèle Lipman
  • Définir les intentions de la co-animation
  • Prévoir le dispositif physique et les consignes données au groupe de participant·es
  • Se questionner sur la nécessité de prévoir le rôle de chacun·e
  • Organiser la prise de parole
  • Prévoir ou non des traces
  • Anticiper les difficultés

Démonstration :

Après un court temps de préparation, trois binômes se sont proposés pour animer successivement une partie de l’atelier.

Retour sur l’expérience :

Le premier groupe témoigne avoir pris plus de temps pour réfléchir au contenu de l’atelier qu’à la façon de gérer la co-animation et l’organisation.
Il constate l’importance du temps de préparation lorsqu’on met un dispositif complexe en place.
Il relève qu’il faudrait vraiment définir des rôles très distincts pour que cela fonctionne, des rôles qui soient en complémentarité (comme dans les clownosophes, par ex.).
Le deuxième groupe se demande comment gérer un désaccord ou une incompréhension entre les deux animateurices parti·es chacun·e sur des modes différents (en rapport avec la méthode utilisée, méthode lipmanienne ou dialogue socratique, par ex.).
Pour le troisième groupe, il est très important de préciser le rôle de chacun·e. Le groupe a décidé de fonctionner sur une distinction entre le fond et la forme, avec une personne qui s’occupe plus de l’aspect philosophique, et l’autre plutôt de l’aspect démocratique et de la reformulation. Il souligne qu’il est difficile de réagir à ce que fait l’autre et qu’il faut être clair sur ses intentions.

Observations plus générales qui ont émergé de la discussion entre les binômes qui ont animé, les participant·es et les membres de proPhilo

  • Il faut communiquer en amont sur la manière dont on veut concevoir la co-animation. Cela ne va pas de soi.
  • Il y a un aspect de confiance mutuelle qui intervient dans la co-animation qui permet, par moment, de se reposer sur l’autre.
  • Bien que les participant·es insistent toutes et tous sur le fait qu’il est très important de préciser le rôle de chacun·e pour que cela fonctionne, les membres du comité de proPhilo témoignent du fait que ce n’est souvent pas le cas et que les choses peuvent aussi s’organiser de manière plus organique ou que chacun·e peut occuper le même rôle, sans que cela ne pose de problème (voir ci-dessous co-animation de connivence).
  • Pour bien co-animer, il faut être en mesure de comprendre ce qui se passe et de réagir en conséquence. Il s’agit d’être très clair sur ses intentions, pour que l’autre puisse y réagir.
  • Le temps de débriefing, entre deux personnes qui ont co-animé, est crucial à la fin d’un atelier.
  • Le rôle du corps n’est pas à sous-estimer. Il y a beaucoup de choses qui passent par la communication non-verbale.
  • Il peut y avoir des sentiments d’exclusion, si l’un·e des deux animateurices prend toute la place.
  • Une bonne co-animation fonctionne sur un principe de connexion avec l’autre.
  • Au cours de l’atelier, l’ensemble des groupes de co-animateurices était assis côte à côte. La question de la place de chaque co-animateurice ne s’est pas posée.

Synthèse

À la suite de cet atelier, nous avons tenté d’identifier différents types possibles de co-animation d’un dialogue philosophique.

  1. Co-animation par compétence spécifique de chaque animateurice et/ou répartition des différentes tâches à effectuer. Ex. : une personne fait la cueillette de questions, l’autre une amorce, ou une personne écrit au tableau, l’autre reformule, etc.
  2. Co-animation par compétences différentes à viser. Ex. : une personne cible les habiletés de la pensée critique, l’autre les habiletés de la pensée créative, ou, selon une décision préalable précise, sur qui cherche quoi.
  3. Co-animation par distinction temporelle de conduite. Ex. : les 20 premières minutes c’est une personne, la suite c’est l’autre, une personne guide, l’autre occupe une place d’assistant·e.
  4. Co-animation par dynamique/rôle théâtral différent. Ex. : l’animateurice enthousiaste et l’autre critique, l’enfant et l’adulte, le personnage du clown introduit dans l’atelier proposé par Emmanuelle Azar et Thibault Gibert, etc.
  5. Co-animation de connivence qui suppose une préparation partagée, une méthode commune, une confiance mutuelle et une mise au point rapide de la conduite à deux. Ex. : je commence, tu continues, je reprends quand ça me paraît pertinent. On se fait un signe pour prendre la parole. On demande de l’aide…

Quel que soit le type d’animation choisie, se pose la question du positionnement physique des animateurices. Ainsi un·e co-animateurice peut être assis·e alors que l’autre est debout pour la prise de notes sur un tableau. Les deux peuvent se positionner face à face, ce qui permet une attention à tous les membres du groupe parce qu’il arrive parfois que l’animateurice ne perçoive pas les signes des personnes assises à ses côtés. Le positionnement face à face permet également d’observer si la personne en charge de la co-animation a besoin de soutien par une question de relance ou une indication du temps qu’il reste.

Bien qu’à proPhilo nous pratiquions en général une co-animation de connivence, cette expérience nous montre qu’il est intéressant d’essayer d’autres formes.

Conclusion

Dans le cadre de l’association proPhilo, nous pratiquons la co-animation depuis de longues années et nous y trouvons de nombreux avantages.
C’est d’abord un formidable outil d’apprentissage pour les nouveaux et nouvelles animateurices qui y trouvent soutien et possibilité d’échange sur la pratique.
C’est un excellent outil de formation continue pour les animateurices expérimenté·es.
La co-animation améliore la qualité de la pratique de l’animation par une critique réciproque bienveillante et constructive.
Elle encourage l’observation et l’écoute mutuelle.
Cette façon de faire favorise l’émergence des idées et la richesse de la préparation de l’atelier.
Elle permet aussi de désigner un·e gardien·ne du temps et de garder des traces plus facilement (en écrivant au tableau ou en conservant des notes du déroulé de la discussion, par ex.).
Enfin, elle facilite la reformulation par l’autre animateurice, la cohérence de la recherche, la pertinence de changer de direction et de creuser une autre idée.

Cette pratique présente néanmoins certains inconvénients tels que :

  • La rétribution de l’atelier qui est partagée en deux.
  • Le coût de l’atelier qui mobilise deux personnes au lieu d’une peut être dissuasif pour les mandant·es.
  • Le risque de confusion pour les participant·es lorsque les co-animateurices ne sont pas en phase.
  • La lourdeur du dispositif qui nécessite une préparation coordonnée de deux personnes.

Notre expérience nous montre que chaque animateurice doit apprivoiser la manière de faire de l’autre et s’ajuster en continu en fonction de son binôme et des personnes qui participent au dialogue. La co-animation se construit ainsi dans le temps avec chacun·e gagnant ainsi en fluidité, efficacité et plaisir.

Chaque binôme construit sa propre manière de faire (son genre, selon l’expression d’Yves Clot, 2010). Ainsi chaque binôme est unique et participe à une diversité de savoirs-faire. De ce fait, une formation à la co-animation ne peut que s’appuyer sur une pluralité de typologies qui seront incarnées à des degrés divers par chaque co-animateurice.

Cette première expérience d’un atelier consacré à l’acte de co-animer nous encourage à poursuivre cette réflexion. Nous remercions les participant·es à ce premier atelier pour leurs apports qui ont suscité chez nous un besoin de creuser certaines questions traitées ou qui en ont amené de nouvelles, par exemple :

  • Comment s’y prend-on pour co-animer ?
  • Quelles sont les conditions qui favorisent une co-animation réussie ?
  • Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas parfois ?
  • Peut-on co-animer avec tout le monde ?
  • Comment avons-nous appris à co-animer ?
  • Un·e animateurice qui ne souhaite pas co-animer est-il ou est-elle un·e bon·ne animateurice ?

Ces questions ont été abordées lors de notre dernière réunion d’échange de pratiques dans le cadre de proPhilo et nous comptons bien poursuivre cette réflexion.

  • Clot, Y. (2010), Travail et pouvoir d’agir, Paris, PUF.
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