Attention, l’atelier de « pensée positive » relaté dans cet article n’est pas à prendre au sérieux, il s’agissait d’un atelier humoristique, dans lequel les participant.e.s s’exerçaient collectivement, sur un mode ludique, à parodier la psychologie positive qui sert de moteur aux ouvrages de développement personnel, selon le principe « Plus positif que moi, tu meurs ! ». Par chance, aucun décès n’a eu à être déploré…
Introduction
Yves Cusset, ancien élève de l’École normale supérieure, est à la fois philosophe et comédien. Il a écrit de nombreux spectacles et ouvrages d’humour philosophique, en même temps que des essais de philosophie politique, en particulier autour de la question de l’accueil.
Pour la 22e édition des Rencontres Internationales sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques, il nous a fait l’honneur d’une double présence, toujours diablement drôle et divinement caustique. Après une représentation décoiffante et exclusive de son one-man show « Tractatus philo-comicus », Yves Cusset nous a en effet régalé de sa présence à l’occasion d’une seconde performance : celle d’un atelier de pensée positive, ironique, mordant et détonnant auquel une trentaine de personnes ont pu participer. Cet atelier s’est déroulé au sein du Chantier PhiloPratiques qui avait alors à cœur d’aborder la thématique de la comédie sous un jour quelque peu corrosif : pas tant le rire que le rire jaune, pas tant l’art de la représentation que celui de feindre ou de parodier. Qui d’autres qu’Yves Cusset pour relever ce défi ?
C’est ainsi que nous avons pu vivre, sous les regards tantôt médusés tantôt rieurs des participant.e.s, un grand moment de positive attitude… et de questionnements philosophiques !
Pêle-mêle burlesque d’exercices pour « penser moins et vivre mieux »
À contrecourant de la spontanéité du philosophe, Yves Cusset a d’abord invité ses auditeurs et auditrices à « penser moins pour vivre mieux », à troquer et contrer l’esprit dialectique pour les bienfaits de la pensée positive. Après tout, « c’est moins grave que si c’était pire » et « tout le monde n’a pas eu la chance de voir le malheur d’aussi près que vous ». Voyons combien de phrases similaires nous pouvons accoler à nos pires expériences de vie ?
Si certain.e.s estiment en effet que la philosophie est censée mener au bonheur, n’est-il pas alors de notre devoir de philosophe d’apprendre à porter sur toute chose « un regard positif inconditionnel » ? Un regard capable d’envisager de manière « globalo-globalisante » l’existence dans ce qu’elle a de plus affreux ? Bref, un regard d’amour absolu qu’Yves Cusset adopte mieux que tout autre et qui vous donne le vertige par son trop-plein de gratitude – à moins qu’il ne s’agisse d’un trop-plein de vide ? Incitant tour à tour les participant.e.s à l’imiter : le résultat à de quoi vous bluffer. Quatre-vingts yeux prêts à aimer la vie et à faire de chaque instant un pur triomphe.
À l’image de son anti-manuel de développement personnel qu’est Réussir sa vie du premier coup (Flammarion, 2019), ces injonctions et ce regard singent parfaitement le prérequis (passablement saugrenu et non moins nébuleux) de tous les leit-motiv des livres de développement personnel les plus populaires tels ceux de Louise Hay (You Can Heal Your Life, 1984), Lise Bourbeau (Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même), ou encore Don Miguel Ruiz (Les 4 accords toltèques) pour qui le bonheur semble être le fruit d’une recette à portée de toutes les mains – mais l’est-elle de toutes les bourses ? Faute d’y croire vraiment – mieux, pour y croire vraiment – singer au point de s’en convaincre ? Telle est peut-être la force de « la comédie du bonheur et de la résilience » : la jouer, c’est l’adopter.
Riche de cet espoir d’une vie sans nuage, Yves Cusset embarque alors l’assemblée dans un atelier de « propreté » : balayez les débris de soi-même, les déchets de nos déboires, les rognures de nos déconvenues et pratiquez l’optimisme sans modération. Allez jusqu’à cultiver l’auto-aveuglement pour ne voir que ce qui mérite d’être vu : soi-même, être solaire, devant une Mère Nature faite de petits bourgeons chantants et de brises caressantes. Vous et vos plus grandes réussites au sommet d’une montagne d’expériences que d’aucun.e.s, manquant d’exercices, osent encore appeler « échecs ». Les Anciens nous l’avaient bien dit : le regard philosophique… c’est tout un art, et Docteur Love est là pour vous guider.
Après ces quelques mises-en-bouche et en « appétit de la vie », l’heure est venue de faire les preuves de sa personnalité solaire et d’inonder autrui de ses perles radieuses de « sagesse concentrée ». Yves Cusset a donc accordé à l’audience quelques minutes de réflexion pour que chacun.e puisse participer au grand et joyeux Concours de la plus belle « pensée positive » du Colloque. Inspirée par les tirades ardentes et trépidantes de l’animateur lui-même (Docteur Love de son aveu), la foule des participant.e.s ne s’est pas fait prier et a produit en l’espace de quelques minutes seulement de quoi dérider les plus fins et les plus renfrognés dépressifs de vos contrées : une trentaine de maximes mielleuses à faire fondre tout le malheur du monde… Hélas pour vous, lecteurs et lectrices, le grand comédien les a gardées dans son calpin. Demandez-lui quelques pépites ou mieux, participez-y, grâce à l’adresse mail : questions.docteur.love@gmail.com.
Post-scriptum de la main de l’auteur-animateur de cet atelier, Yves Cusset : l’auteur n’a pas voulu écrire d’article par lui-même, car les émoluments proposés n’étaient pas à la hauteur de sa positivité solaire, et ne permettaient pas de booster suffisamment l’estime de soi et l’amour inconditionnel d’autrui. Il n’en manifeste pas moins son immense gratitude à l’ensemble des participant.e.s pour leur participation active et leur attitude participative, ainsi qu’à la rédactrice de cet article pour l’avoir écrit en état de pleine conscience, de lâcher-prise et de don de soi, autant de prédispositions à penser un peu moins qu’elle n’en a la funeste habitude.
- Cusset Y. (2019), Réussir sa vie du premier coup, Paris, Flammarion.
- Cusset Y. (2016), Rire. Tractatus philo-comicus, Paris, Flammarion.