Revue

Clowns et philosophes : Échange de bons procédés

Entretien avec Anne Herla par Mélanie Olivier

Lors des 22e Rencontres internationales sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques, au sein du chantier Philo-Art, Mélanie Olivier (M.O.) s’est entretenue avec Anne Herla (A.H.) au sujet des croisements entre deux pratiques complices : l’atelier philosophique et le jeu clownesque.

M.O. : On accueille Anne Herla, qui vient de l’Université de Liège, en Belgique, plus précisément du service de didactique du Département de philosophie, et qui coordonne également la Fabrique philosophique, un collectif qui propose de la recherche, des formations, et des outils[1]. Cette communication, nous l’avons voulue vivante et collaborative, raison pour laquelle elle se fera sous forme d’interview.
Pendant un certain temps, Anne a proposé des ateliers de clown à ses étudiants en didactique de la philosophie, et proposé des ateliers philo à des clowns. C’est de cela dont elle va nous entretenir ce matin. La première question que je voudrais te poser, Anne, c’est comment, toi, dans ta vie de philosophe, t’est venue l’idée d’aborder l’art du clown ?

A.H : C’est venu d’une rencontre imprévue avec un clown qui a suivi le Certificat en pratiques philosophiques qu’on organise à l’Université de Liège, en partenariat avec PhiloCité[2]. Carlos Bustamante se revendique du clown sensible ou encore du clown contemporain, pour se distinguer du « clown MacDonald ». Il pratique un art clownesque qui s’appuie sur les émotions et l’improvisation. Il s’est formé, entre autres, à la pratique philosophique, mais il a aussi basé son travail de clown sur l’anthropologie, sur la danse, sur la poésie, etc. Il a trouvé qu’il y avait beaucoup de points communs entre la pratique philosophique et sa pratique en tant que clown. Il nous a donc proposé, à nous les formateurs du Certificat, de faire quelques ateliers de clown avec lui. Ce qu’on a fait. Et puis on a eu envie de prolonger cette expérience en essayant de voir quels étaient les points communs entre ces pratiques. De là sont nés deux projets parallèles : Carlos est venu animer des ateliers clown pour mes étudiants, qui sont de futurs profs de philosophie dans le secondaire supérieur. Ils ont suivi cinq ateliers de trois heures avec Carlos, dans la même période où ils devaient passer des stages, sous ma supervision. En parallèle, Carlos a demandé le « match retour » de cette expérience : l’idée c’était que moi je vienne animer des ateliers philo avec une dizaine de clowns volontaires. Ces ateliers, on les a appelés « ateliers de clownosophie ».

M.O. : Quand tu parles de la pratique clownesque dans son lien à la philosophie, tu relèves surtout, dans les différentes communications[3] que tu as déjà faites à ce sujet, sa dimension éthique. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

A.H. : On s’est demandé ce qu’il y avait de commun entre la philo et le clown, pourquoi ça résonnait. Finalement, nous avons eu cette impression que ce qu’il y avait de commun tournait autour du rapport à la surprise, à l’aporie. Au fait, aussi, d’accepter de rentrer dans le problème quand on fait un atelier philo, ou de rentrer dans le trouble quand on est clown ; d’accepter de prendre de front ce qui dérange, ce qui trouble, ce qui perturbe. Et faire face à cela, d’une certaine façon, c’est aussi accepter le déséquilibre comme source de mouvement : chercher jusqu’où se mettre en déséquilibre pour rentrer dans le jeu, tester à quel point on peut se laisser déstabiliser.
Toutes ces questions-là m’intéressaient beaucoup, tout comme celle de l’erreur, de l’errance, de l’aveu de l’errance, donc des choses qui sont très habituelles dans la pratique clown, en tout cas dans celle de Carlos. Pouvoir avouer qu’on est perdu, par exemple, ça me semblait avoir des résonnances avec des moments d’ateliers philosophiques où l’on est face à une pensée nouvelle qui nous étonne, qui ne correspond pas exactement à ce qu’on attendait. Cette question de la surprise, de l’imprévu, du trouble, elle me semblait dessiner plus qu’une technique qu’on pourrait intégrer dans un atelier philo (même si on a aussi essayé de prendre les consignes clowns et de les intégrer dans les ateliers philo telles quelles). Plus qu’une technique, donc, elle dessinait une éthique : une attitude, qui me semblait être radicalisée par le clown et pouvoir intéresser de futurs enseignants. D’autant plus que dans la formation des ceux-ci, en tout cas en Belgique, on reste dans des modalités très classiques, où l’on parle beaucoup de planification, de maîtrise de sa matière. Il me semblait intéressant que les enseignants puissent être dans une posture un peu différente, au moins dans les moments où ils animent des ateliers philosophiques. Qu’ils puissent être dans une posture plutôt inspirée du clown, une posture qu’on pourrait dire de vulnérabilité.

M.O. : Que serait cette éthique de la vulnérabilité ?

A.H. : Le terme de vulnérabilité est un terme un peu à la mode, remis en avant par les féministes, avec trois idées principales. Dans une éthique de la vulnérabilité, la première idée serait l’exposition : s’exposer au risque de la rencontre, maintenir le regard face au public, être là, face à l’émotion qui arrive. Cette ouverture, cette exposition physique, je pense qu’elle existe aussi en philosophie. Même si ce n’est pas toujours évident à vivre en classe, il y a une forme d’exposition au problème philosophique qui est nécessaire : se laisser toucher par le problème, se laisser envahir par le trouble qu’il suscite. Et donc il y a là une première définition de la vulnérabilité comme exposition au risque, ouverture.
Une deuxième idée, qui va de pair, ce serait une éthique de la vulnérabilité au sens où l’entendent les théories féministes du care , qui ont revalorisé les activités de soin et l’attention à nos fragilités[4] : il n’y pas d’exposition possible des uns et des autres, sans un climat qui permette cela. Cela vaut aussi bien pour le clown que pour le philosophe. Je veux dire par là que, quand on est plusieurs clowns sur scène, pour pouvoir soi-même se risquer, il faut une confiance, un soin des uns et des autres. On peut dire que cela nécessite un « espace hors-menace ».
Et puis, dernière idée pour penser la vulnérabilité, c’est celle de se laisser affecter par ce qui advient et d’affecter aussi les autres. Contrairement à un acteur qui vient, qui connaît son texte, qui maitrise ce qu’il va faire, le clown, lui, en vérité bien souvent ne sait pas ce qu’il va faire - du moins dans les ateliers que j’ai vécus où on vient avec une impulsion, un thème par exemple, et puis c’est de l’improvisation. On s’appuie alors sur le rapport au corps et à l’émotion dans ce qui se passe au moment même, dans le rapport avec le public aussi. Et c’est cette chose-là - se laisser affecter – à laquelle on a essayé de réfléchir avec mes étudiants : est-ce qu’il y a de ça dans le contact avec une classe ? Est-ce qu’il y a des moments où ces futurs profs pouvaient être en plein contact, avec le regard, avec le corps ?

M.O. : Tu me disais que la pratique du clown offrait la possibilité de penser un autre cadre pour la pratique philo (autre que la Discussion à visée démocratique et philosophique ou la Communauté de recherche philosophique). Quel serait cet autre cadre ?

A.H. : Je n’ai pas de formule nouvelle à proposer. Dans la Communauté de Recherche Philosophique, des compétences sont recherchées et mobilisées par l’animateur qui a en tête ce qu’il cherche à faire, ou bien dans la Discussion à Visée Démocratique et Philosophique, il y a un cadre démocratique bien établi où se jouent des rôles, tout cela est tout à fait intéressant, important même, et a déjà été beaucoup souligné. Mais j’ai l’impression qu’il y a peut-être quelque chose à chercher du côté de la surprise, des occasions, mêmes minuscules, mêmes bizarres, qui provoquent comme des petits chocs dans la pensée, des choses étonnantes, un peu en disruption, qu’il faudrait essayer d’aller creuser davantage. Sortir des cadres préétablis pour laisser davantage de place à la surprise.
Très concrètement, il semble que des consignes clowns pourraient être intégrées à certains moments dans les ateliers. Il y a une consigne qui dit, par exemple, qu’il faut épuiser l’immobilité et le silence avant de faire quoi que ce soit. Alors évidemment c’est bizarre dans un atelier philosophique, mais peut-être pourrait-on imaginer plus de moments de silence, plus de moments où simplement on ressent les choses. Une autre consigne – chère à Carlos – exige du clown qu’il prenne toujours au moins trois secondes à comprendre ce qu’on lui demande. Ce ne sont pas trois secondes où on attend, « un-deux-trois », comme ça, avec rien qui se passe. Mais c’est un moment où on essaye de sentir vraiment ce qui vient de nous arriver, sans être tout de suite dans l’intellect et sans avoir une réponse toute faite, on diffère un peu le moment de répondre à la question et on sent en nous ce que ça nous fait.
Dans les ateliers clowns, on sur-joue ce moment-là et c’est assez fort parce qu’on essaye de vraiment ressentir l’émotion que le partenaire nous envoie, puis seulement alors viennent quelques mots. Les clowns que j’ai rencontrés sont plutôt taiseux, ils ne parlent pas énormément, il y a peu de mots. Donc ceux-ci sont précieux, et souvent formulés de façon étrange. Mais ces mots arrivent après tout un parcours émotionnel qui a lieu pendant ce temps des trois secondes. Contrairement à ce qu’on fait dans la vie où on est tout le temps en train d’éviter les moments gênants, et dieu sait qu’il y en a dans la vie sociale, le clown, lui, affronte ces épreuves ! On revient à ce que je disais tout à l’heure sur l’aveu : dans l’aveu il y a un ressort pédagogique parce qu’on va apprendre à faire face à la difficulté ensemble, collectivement. Et c’est aussi un ressort comique. Dans tous les cas, c’est assumer que l’on est face à une idée détonante, ou qui nous plonge dans un abîme, et on accepte de le reconnaître, on accepte de faire place à cela.

M.O. : On va laisser trois secondes. [Rires] Tu parlais des affects et des émotions qui ont une place, semble-t-il, importante dans ce type d’expérience. Comment les enseignants ou futurs enseignants que tu avais dans le cadre des ateliers clowns ont-ils réagi par rapport à cette dimension affective ou émotionnelle et est-ce qu’ils t’ont fait un retour par rapport à ce que ça leur a apporté dans leur pratique d’enseignant ?

A.H. : D’abord précisons que c’est très modeste comme étude, et tout à fait qualitatif, vu le nombre restreint de participants. Ce que j’ai voulu faire avec mes étudiants, c’est vraiment penser avec eux cette expérience, prendre le temps d’en discuter.
La première chose à dire, c’est que ça a été vraiment compliqué pour certains d’entre eux. Ce n’était pas si facile, tout ce travail sur les émotions. Une étudiante a fondu en larmes. C’est quand même assez puissant ce que provoque le fait d’être dans un groupe, même tout petit, dans lequel on se livre avec ce qu’on a en soi.
Mais même si ça n’a pas été simple, ça les a quand même beaucoup intéressés, m’ont-ils dit, d’essayer de retrouver un peu de cette implication émotionnelle dans les classes. Ils ont réfléchi aux moments où il était plausible de se laisser toucher par ce qui surgit en face, d’accepter de rentrer dans le trouble, d’être dans une forme de corporalité plus grande aussi. Ils étaient assez critiques par rapport à l’école, ils avaient l’impression que l’école en général laisse très peu la place à ce type d’approche, qu’ils allaient se faire broyer s’ils venaient avec ce côté clownesque. Donc leur réflexion portait là-dessus : « Quand est-ce que je suis, en tant que prof, comme un acteur avec son texte écrit, une préparation claire et nette, et quand est-ce que je peux basculer dans une attitude assez différente, plus proche du clown improvisateur, qui va forcément un peu étonner les élèves ? ».
J’ai vu dans les rapports de stage que certains avaient décidé de marquer des temps d’arrêt (« stop, qu’est ce qui se passe là, quelle est cette idée ? »), ce qu’on fait très peu en classe. Là, on s’arrête, on prend le temps. Cette lenteur n’est pas du tout le propre du prof de philo qui fait comme je fais là : il parle, très rapidement [Rires]. Mais l’animateur philo, lui, doit pouvoir marquer des arrêts.

M .O. : Outre la dimension éthique, dont tu parlais tout à l’heure, et la place du corps et des émotions, est-ce que cette expérience t’a appris quelque chose par rapport au savoir, qui serait particulier dans ces ateliers-là ?

A.H. : Quand Carlos m’a demandé de venir animer des clowns, assez vite je me suis rendu compte que ce n’était pas facile de mixer ces pratiques. Vraiment pas facile du tout. Parce qu’en fait, dès qu’on amenait des choses trop intellos, certains clowns redoutaient le côté « prise de tête » et craignaient de perdre complètement le « jouant ». Quand ça monte dans la tête, le corps parfois s’éteint. C’est le risque en tout cas. Et donc on a fait plein de gaffes. On a essayé plein de choses et il y a eu plein de moments où ça ne ça marchait pas. Par exemple, au tout début, je les lançais sur une citation qu’ils découvraient en entrant sur scène et assez vite, un des écueils a été que les clowns se foutaient de la gueule de la philo. C’était marrant, c’était chouette [Rires], mais ce n’était pas l’objectif. On singeait le philosophe mais on ne pensait pas, ce n’était pas si intéressant sur la question étudiée en tout cas.
Des clowns qui étaient là en tant qu’observateurs nous ont fait le retour suivant : « Mais en fait les clowns pensent déjà. Ils ne vous ont pas attendu pour faire de la philo, pour penser » [Rires]. Ils ont en effet un type de pensée particulier. Et, petit à petit, on a essayé de trouver comment faire une amorce philosophique pour que le clown puisse s’en saisir, s’en emparer à sa façon. Les dix clowns se sont emparé des thématiques et ce que je trouvais vraiment fantastique à découvrir, c’est qu’il y avait vraiment beaucoup de choses qui se passaient dans la pensée à travers parfois, simplement, un seul mot. Un clown a par exemple mis dix minutes pour dire le mot « impossible » ; il se passait quelque chose de très fort en termes de pensée et de force de signification. À de nombreux moments, j’avais l’impression qu’il y avait un savoir - un savoir philosophique - qui émergeait du corps, de l’émotion, de l’improvisation, quelque chose d’inconscient, quelque chose qui n’est pas du tout travaillé à l’avance.
On a fait aussi des jeux un peu amusants. Par exemple, les clowns lisaient un texte philosophique au hasard (on avait des bouquins disponibles), ils cherchaient un peu vite, trouvaient des éléments qui les touchaient et puis on proposait des rencontres totalement aléatoires, par exemple entre Nietzsche et Tim Ingold ; ou un clown qui avait lu Deleuze se retrouvait à le reformuler tout en mâchonnant et recrachant des pages du livre. Des choses très, très étranges se sont passées, mais qui vraiment faisaient penser. Pour moi c’était une découverte de voir la philo se faire transfigurer par le travail du corps et de l’émotion.

M.O. : Tu as évoqué une manière de penser propre au clown. Est-ce qu’elle aurait certaines caractéristiques que tu aurais repérées ?

A.H. : Oui, déjà il y a une émotivité exacerbée puisque le clown est très sensible à ce qui se joue en lui. Mais il y a aussi l’importance du concret. On a remarqué qu’il fallait souvent des éléments de décor, soit imaginaires soit réels – ça peut être une toute petite chose comme un balai par exemple – qui agissent comme une métaphore, quelque chose de concret à quoi se raccrocher. Il y a beaucoup de place faite à l’imaginaire, au récit. C’est très différent d’une conférence philosophique alors mêmes que ce sont des thèmes identiques. Il y a énormément de poésie, de travail sur la sonorité des mots.

M.O. : Une esthétique ?

A.H. : Oui, totalement. Il y a aussi une espèce de dérision généralisée, et puis la capacité à faire de quelque chose de très intime quelque chose de très politique. Cette façon-là d’appréhender les choses donnait une dimension nouvelle à des thématiques classiques.

M. O. : Est-ce que les clowns t’ont fait un retour après les ateliers clownosophiques sur ce que ça leur avait apporté à eux, dans leur pratique de clown, d’avoir cet apport de la pratique philosophique ?

A.H. : C’était variable. Franchement, je ne peux pas dire que tout le monde ait été convaincu par l’expérience. Il y a des clowns pour qui c’était trop « prise de tête ». Et pour d’autres c’était très intéressant, notamment parce que ça les aidait dans leur travail d’écriture. Ils étaient vraiment très intéressés de pouvoir creuser des thématiques par ce biais-là avec d’autres clowns. La plupart de ceux qui étaient là étaient déjà des gens qui lisaient de la philo. Il ne s’agissait pas d’une découverte complète pour eux ; ils étaient là parce que ça les intéressait, mais ils n’avaient jamais exposé leur clown à ce point-là à la philosophie.
Encore un exemple d’exercice : on a fait lire un extrait de Bergson (« Pourquoi l’univers est-il ordonné ? » issu du recueil La pensée et le mouvant) de l’extérieur de la scène pendant que sur le plateau deux clowns tentaient non pas de commenter le texte, mais de l’interpréter « en direct » sur scène, de le jouer. Les clowns étaient partis sur la notion d’ « univers » en créant un ordre très spécifique autour de quelques éléments de décor puis en les désordonnant. C’était presqu’exclusivement visuel, et relativement éloigné du sens profond du texte, qui ne pouvait pas être digéré à vue si facilement. Mais ça faisait penser tout de même, et les échos entre texte et scène était frappants et interpellants… Une étrange expérience.
Ces propositions n’avaient jamais vraiment été expérimentées comme ça. Donc je dirais qu’on a senti les limites de quelque chose de trop intellectualisant à certains moments, mais aussi la puissance qu’il y avait lorsque le clown parvenait à s’emparer d’une pensée ou d’un concept et à le transposer sur scène.

M.O. : Tu nous as parlé tout à l’heure d’un point commun entre le prof de philo et le clown, qui est de s’emparer de ce qui dérange, de ce qui fait problème et de s’en nourrir. Est-ce que toi dans cette expérimentation il y a quelque chose qui t’a dérangé, qui t’a posé problème, et comment as-tu pu t’en nourrir ?

A.H. : Un des vrais problèmes qu’on rencontrait tout le temps c’était : comment mixer les pratiques sans les écraser l’une sur l’autre ? Je ne voulais pas, par exemple, que mes étudiants deviennent des espèces de clowns en classe, ce n’était pas ça l’objectif. C’était arriver à s’inspirer, à trouver ce qu’il y a de commun. Idem pour les clowns, on se rendait compte que les consignes purement philo de l’atelier philo ne fonctionnaient pas bien. Donc il y avait cette question : comment on pouvait faire se rencontrer ces deux publics-là sans les écraser l’un sur l’autre, comment faire alliance ?
Et puis une autre question est arrivée assez vite : y a-t-il des formes de pensée spécifiques, comme par exemple ici celle des clowns ? N’y avait-il pas quelque chose à rencontrer, à comprendre, avant de venir avec des principes sur ce que ce serait une « vraie » discussion philo, les règles d’une telle discussion, etc. ? Dans cette expérience, ce qui m’a le plus intéressée, c’est la façon dont les clowns pensent. Toutes ces rencontres étaient très riches de ce point de vue-là.

L’échange s’est clôturé par un long et riche échange avec le public. Qu’il en soit ici remercié.

  • Herla, A. (2024). Plonger dans le trouble : clown et enseignement de la philosophie, Éthique en éducation et en formation – Les dossiers du GREE, n° 15, à paraitre en 2024.

« Pourquoi l’univers est-il ordonné ? Comment la règle s’impose-t-elle à l’irrégulier, la forme à la matière ? D’où vient que notre pensée se retrouve dans les choses ?
Ce problème, qui est devenu chez les modernes le problème de la connaissance après avoir été, chez les anciens, le problème de l’être, est né d’une illusion du même genre. Il s’évanouit si l’on considère que l’idée de désordre a un sens défini dans le domaine de l’industrie humaine ou, comme nous disons, de la fabrication, mais non pas dans celui de la création. Le désordre est simplement l’ordre que nous ne cherchons pas. Vous ne pouvez pas supprimer un ordre, même par la pensée, sans en faire surgir un autre. S’il n’y a pas finalité ou volonté, c’est qu’il y a mécanisme ; si le mécanisme fléchit, c’est au profit de la volonté, du caprice, de la finalité. Mais lorsque vous vous attendez à l’un de ces deux ordres et que vous trouvez l’autre, vous dites qu’il y a désordre, formulant ce qui est en termes de ce qui pourrait ou devrait être, et objectivant votre regret. Tout désordre comprend ainsi deux choses : en dehors de nous, un ordre ; en nous, la représentation d’un ordre différent qui est seul à nous intéresser. Suppression signifie donc encore substitution. Et l’idée d’une suppression de tout ordre, c’est-à-dire d’un désordre absolu, enveloppe alors une contradiction véritable, puisqu’elle consiste à ne plus laisser qu’une seule face à l’opération qui, par hypothèse, en comprenait deux. »

Henri Bergson, Le Possible et le Réel (1920), repris dans H. Bergson, La pensée et le mouvant, PUF, 1938, p. 108.

Notes
  1. Voir https://lafabriquephilosophique.be ↩︎

  2. Voir https://www.philocite.eu ↩︎

  3. Herla, A. (2024). Plonger dans le trouble : clown et enseignement de la philosophie, Éthique en éducation et en formation – Les dossiers du GREE, n° 15, p. 26-41 ↩︎

  4. L’éthique du care (ou éthique de la sollicitude) est un courant de la philosophie morale fondé par Carol Gilligan (Une voix différente, 1982) et rattaché au féminisme. Il fait voir et valorise le soin, l’attention aux autres, la prévenance, l’entraide et met l’accent sur l’interdépendance et la vulnérabilité, qu’il entend réhabiliter. Cf. Garrau, M. (2018). Politiques de la vulnérabilité, Paris, CNRS Éditions, coll. « Libris ». ↩︎

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