L’étude de l’argumentation dans le monde occidental a ses racines en Grèce avec les sophistes et Aristote, couvrant les domaines de la logique, la dialectique et la rhétorique. La logique traditionnelle traitait l’argumentation en langage naturel, mais à partir du XIXe siècle, elle a évolué vers une branche mathématique sous l’influence de Frege. Depuis le milieu du XXe siècle, de nouvelles approches ont émergé, telles que la logique substantielle (Toulmin, 1958), la logique informelle (Blair & Johnson, 1980 ; Johnson, 1996) et la logique naturelle (Grize, 1974, 1982, 1990, 1996), qui prennent en compte la formalisation de la logique et soulignent son rôle en tant qu’“art de penser” pour le raisonnement ordinaire. De son côté, dans La Nouvelle Rhétorique (1958), Perelman et Olbrechts-Tyteca réaffirme l’existence d’une rationalité spécifique des discours sociaux face à la rationalité scientifique.
Le développement considérable des questionnements théoriques concernant l’argumentation et la diversité des disciplines impliquées (psychologie, logique, philosophie, sciences de l’éducation, sciences du langage, didactique, etc.) rendent aujourd’hui toute définition globale de l’argumentation simplificatrice et potentiellement risquée. Il est plus approprié de caractériser ce domaine en mettant en lumière l’ensemble des problématiques qui le traversent et lui donnent sa structure. C’est notamment ce que réalise Christian Plantin dans son Dictionnaire de l’argumentation (2021).
Ces différentes études s’incarnent dans une pluralité de définitions et d’approches de l’argumentation qui privilégient chacune un type de rationalité (consensus, syllogisme, dialogue critique, méthode scientifique), certains objets ou situations (par exemple le discours syllogistique, la plaidoirie ou le dialogue) avec leurs spécificités, leurs normes en matière d’argumentation. On retrouve cette diversité d’objets, de situations et de normes à l’école dans les programmes et dans les pratiques (orales ou écrites) en classe (analyse de texte argumentatif, dissertation, débat argumenté, Grand Oral…). L’argumentation y est considérée à la fois comme un objet et un moyen d’apprentissage, un produit et un processus, et ce dans de nombreuses disciplines, ce qui peut, on le verra, être pour les élèves source d’ambiguïtés, renforcée par la complexité et la plurifonctionnalité en contexte éducatif des situations argumentatives, celles-ci visant le développement de compétences sociales, langagières, cognitives et l’acquisition de savoirs disciplinaires, très souvent de façon concomitante et mêlée à d’autres pratiques discursives.
L’effet formateur des activités orales polygérées sur la capacité des élèves à argumenter suppose un certain nombre de préalables communs aux disciplines (climat de classe, discutabilité des contenus, compétences communicationnelles, règles éthiques de la discussion, professionnalité de l’enseignant ou animateur) mais aussi spécifiques (usage et place des savoirs disciplinaires, règles liées à la rationalité critique, éthique intellectuelle). Ces préalables sont aussi souvent présentés comme des bénéfices de ces pratiques pour l’élève ou le groupe classe. Il y aurait derrière ce paradoxe produit/processus un effet de spirale instrumentale. La mise en place dans le cours de philosophie d’activités orales argumentatives polygérées semble permettre de travailler les rapports aux savoirs et au langage (désormais RASL) des élèves et des professeurs en comparaison des méthodes plus expositives et descendantes (Gagnon, 2015). Ces démarches traduisent certes un effort pour réformer l’enseignement de la philosophie au lycée longtemps pratiqué sous forme de cours ex cathedra et centré sur l’écrit et ainsi travailler à le rendre accessible à tous. Mais il ne suffit pas de mettre en place une activité conjointe pour garantir des significations partagées[1] (Bautier, Rochex, 2004). La plupart des interactions dans ces activités mobilisent des usages spécifiques du langage, non familiers à tous les élèves, indissociables de RASL et à l’école (Bautier, Rochex, 1998) et lorsqu’un élève apprend au sein d’une institution, il ne peut être “bon élève” que s’il se conforme aux rapports aux savoir que l’institution définit. Or un individu appartient à plusieurs institutions (par exemple à la famille et à l’école) dont les RASL peuvent être différents (Chevallard, 1992). De plus ces usages attendus sont variables selon les niveaux d’enseignement, les activités et les disciplines ce qui rend d’autant plus complexe pour l’élève la compréhension de ce qu’on attend de lui et de ce que signifie et implique le fait de “réussir” la tâche demandée. Tout ceci est susceptible de créer des malentendus et ainsi d’empêcher certains d’entrer dans les apprentissages.
Cet article s’ancre dans une réflexion plus globale[2] en cours qui porte sur les liens (possiblement réciproques) entre les RASL et (l’apprentissage de) l’argumentation philosophique des lycéens en contexte oral polygéré. L’objectif de cette recherche est d’identifier ce qui dans les RASL des élèves peut être de nature à aider ou à entraver leur argumentation philosophique, de décrire les situations qui semblent favoriser certains types de RASL et de comprendre la dynamique des processus à l’œuvre susceptible de produire un apprentissage différencié au sein des activités orales argumentatives polygérées. Mon intention n’est pas de prôner un retour nostalgique à des pédagogies transmissives. Ce n’est pas non plus de disqualifier des méthodes ou de pointer du doigt des pratiques, des choix pédagogiques, mais de mettre en évidence les conditions de leur efficacité et de leur équité pédagogique afin de fournir des clés pour construire chez les élèves, plutôt que présupposer, les RASL propices à l’apprentissage et la pratique de l’argumentation philosophique. Le propos de cet article se concentre sur les malentendus possibles à propos de l’argumentation et qui peuvent conforter ou construire chez les lycéens des RASL défavorables à l’apprentissage et la pratique de l’argumentation philosophique.
Malentendus sociocognitifs : des obstacles coconstruits
La notion de malentendus sociocognitifs[3] a été théorisée et travaillée sur le terrain par le groupe ESCOL[4] pour comprendre pourquoi et comment la relation pédagogique peut ne pas “fonctionner” et pourquoi certains élèves rencontrent des difficultés (Bautier, 2013 ; Bautier et Rayou, 2009 ; Bautier et Rochex, 1997 ; Breux et Perret-Clermont, 2014 ; Kohler, 2015 et Muller Mirza, 2014). Un malentendu est une construction conjointe de l’enseignant et de l’élève. Il se produit quand « les différents acteurs de l’interaction, parfois sans le savoir, ne partagent pas la même compréhension de la situation, et que cela a des implications sur la mobilisation des ressources sociocognitives » (Muller Mirza, 2014, p.166). Il désigne donc un décalage entre les situations que l’enseignant croit mettre en place et ce que l’élève interprète (consigne, tâche, règles, finalité…). Cette interprétation s’enracine dans certains RASL contractés socialement hors et dans l’école qui eux-mêmes s’inscrivent dans une relation de sens et de valeur à des processus (apprendre, mémoriser…), des produits (savoirs ou compétences), des contenus institutionnels, des situations d’apprentissage. Ces RASL ont une dimension épistémique, identitaire et sociale. Patrick Rayou[5] (2002) a par exemple décrit les malentendus sociocognitifs entraînés par l’enseignement de la philosophie, en particulier l’exercice de la dissertation. C’est une épreuve éminemment cognitive dans laquelle on engage beaucoup (de) sa personne (identitaire) y compris face aux pairs (sociale). Il est demandé au candidat de mettre “en œuvre une pensée propre[6], déployée en un discours continu dont il prend la pleine responsabilité”, “de développer un travail philosophique personnel et instruit des connaissances acquises par l’étude des notions et des œuvres.”[7] Ainsi il s’agit bien de dire ce que l’on pense et d’argumenter mais d’une manière qui intègre un énonciateur universel et tisse un discours avec les savoirs et les textes d’une culture générale résultat d’un cursus pluridisciplinaire et philosophique acquise avant et pendant l’année de Terminale. Dès lors, si le professeur fait une remarque sur l’argumentation à teneur épistémique comme le fait qu’on ne peut généraliser une expérience individuelle, l’élève pourra le comprendre en termes d’illégitimité sociale croyant que c’est son statut social d’élève, son manque d’autorité qui lui interdit de donner son “opinion”. Ce malentendu est sans doute accentué par le recours paradoxal mais assez fréquent à l’argument d’autorité dans un cours de philosophie (Charbonnier, 2019)[8]. Devant ces attendus non compris, l’élève trouvera des stratégies d’évitement par exemple en contournant (en faisant parler des personnes au rang social plus élevé comme des juges, des médecins) ou en adoptant une posture très conformiste là où les professeurs souhaiteraient une certaine prise de risque, une certaine audace. Nous verrons qu’à cela s’ajoutent des malentendus propres à l’argumentation qui expliquent le caractère particulièrement décevant pour les professeurs et pour les élèves de cette expérience de l’enseignement de la dissertation philosophique. L’apparition de malentendus peut être favorisée par certains exercices ou consignes mais peut venir aussi du fait que les enseignants, souvent d’anciens bons élèves, ont du mal à comprendre les difficultés d’apprentissage, surtout dans les matières où ils excellent (Charles et Clément, 1997). Bien souvent, les connaissances acquises et les RASL construits pendant leurs études, en formation initiale, ne les aident pas à organiser leur enseignement (Deauviau, 2009). Enfin, les enseignants peuvent être amenés à utiliser des méthodes d’apprentissage auxquelles ils n’ont pas été exposés en tant qu’élèves. Les activités orales collectives, par exemple, ne font pas partie de la formation initiale concentrée essentiellement sur la préparation aux épreuves des concours de l’enseignement (CAPES et Agrégation)[9] et très peu de la formation continue (seules 4 académies dans le PAF de 2021-2022). On peut donc supposer que peu de professeurs en fonction aujourd’hui ont vécu en tant qu’élèves et étudiants des activités orales collectives comme les débats, les discussions. C’est cette “énigmatique rencontre”[10] entre RASL des enseignants et des élèves dont il faut prendre acte en tant que chercheurs et professeurs et que Bernard Charlot décrit bien ici :
“quand un enfant ou un adulte doit apprendre une chose radicalement nouvelle, il aborde cette situation nouvelle avec les rapports aux savoirs qu’il a déjà construits. Ces rapports « déjà-là » peuvent l’aider à affronter la nouveauté lorsqu’ils sont homogènes à ceux que requiert l’apprentissage nouveau, ou au contraire, lorsqu’ils lui sont hétérogènes, constituer un obstacle, induire des conflits épistémiques ou identitaires. Le professeur, le formateur, se heurte en permanence à cette question de la différence entre ce que signifie pour lui « apprendre » et ce que cela signifie pour ses élèves.”[11]
Si les objets de savoir existent pour les individus, ils existent donc aussi pour les institutions. Derrière les prescriptions institutionnelles, derrière la liberté pédagogique et philosophique prônée dans les programmes et les instructions de l’enseignement de la philosophie, il y a de fait une certaine façon de considérer la façon dont on apprend la philosophie, le statut des savoirs du cours de philosophie et des autres disciplines, le statut de l’oral et de la parole des élèves, le statut, la nature et la place de l’argumentation et de son apprentissage. C’est ce que Perrenoud[12] (1993) appelle les curriculums cachés. Il y a donc aussi des rapports aux savoir et au langage présents, distillés, imposés dans les curricula.
Examinons ces co-constructions possibles de malentendus au sujet de l’argumentation à différentes échelles (superposables !) : l’institution, l’enseignement de la philosophie et les activités en classe.
Des sources de malentendus à propos de l’argumentation
Dans les prescriptions institutionnelles : une transversalité apparente
La compétence à argumenter semble être LA compétence transversale par excellence comme en atteste le livret scolaire pour l’examen du baccalauréat[13] en voie générale (Première et Terminale[14]) qui comptabilise 51 occurrences du mot (avec ses variantes “argument”, “argumenter”, “argumentation”). Par comparaison, il y a 22 occurrences du mot “problème” (problème, problématique, problématiser). 19 enseignements[15] incluent l’argumentation parmi les “compétences requises dans les enseignements en référence aux objectifs visés par chacun d’entre eux”[16]. Presque tous donc sauf l’Éducation Physique et Sportive, l’enseignement obligatoire des langues vivantes (sachant que les enseignements de spécialités et DNL en font mention). Dans le livret scolaire pour l’examen du baccalauréat en voie technologique[17], on compte 59 occurrences (en plus des enseignements communs cités ci-dessus, plus de 9[18] citent l’argumentation). L’énumération de tous ces enseignements permet de se rendre compte de la multiplicité des usages et contextes de l’argumentation dans le cursus d’un élève et potentiellement dans la même journée ! Cependant cette transversalité de la compétence à argumenter n’est qu’apparente car outre la possibilité de statuer sur des normes génériques (la justification, la discutabilité du contenu), il y a bien des normes propres aux disciplines. Par exemple, en SVT[19] ou en Physique-Chimie, les affirmations doivent être justifiées par des preuves empiriques et être cohérentes avec les théories acceptées. En Histoire-Géographie, on parle bien de “Construire une argumentation historique ou géographique”[20]. Plus généralement, les savoirs disciplinaires sont censés être les critères de validité des énoncés produits dans l’argumentation. Un même sujet de débat peut aussi, selon le contexte, exiger des normes différentes. Si par exemple, une question de société est traitée en EMC[21], ce ne sera pas la même démarche que si elle est débattue en SES où elle est censée s’appuyer sur des savoirs à construire et permettre aux élèves de différencier opinions et savoirs[22]. On retrouve cette complexité de l’argumentation dans les Questions Socio Scientifiques qui mêlent différents domaines et donc différents régimes de preuve et de validité de l’argumentation (Pallarès, 2020 ; Bächtold et al, 2023). L’usage littéral et indifférencié du copié collé[23] d’un paragraphe à propos du rôle de la pratique de l’argumentation dans le développement des compétences orales dans les bulletins officiels de nombreuses disciplines, a priori très différentes, ne saurait pourtant conduire à une conception univoque de l’argumentation comme en atteste le bulletin officiel concernant le Grand Oral[24]. La nature complexe de l’argumentation, qui contient des normes partagées et spécifiques à chaque discipline, est une source possible de malentendus pour les élèves. De plus, cette variété de contextes se décomposent souvent en pratique orale et/ou écrite ce qui n’implique pas non plus les mêmes conditions de production, d’évaluation et donc d’apprentissage. Selon la conception de l’argumentation, il y a en effet des “situations prototypiques” ou des “discours de référence”[25] (et donc des dispositifs pédagogiques privilégiés) associés à des objectifs différents (apprendre à argumenter, argumenter pour apprendre, développer des compétences sociales, l’esprit critique…). Cela se traduit par la présence de plusieurs conceptions de l’argumentation au sein des différents enseignements et exercices. Pour les décrire, nous nous servirons ici de la “Carte du champ de l’argumentation” à partir de la question du langage issue du Dictionnaire de l’argumentation[26] de Christian Plantin. On a tout d’abord une ambiguïté entre tantôt une définition de l’argumentation comme activité cognitivo-langagière tantôt comme pure activité de pensée[27] même si la première conception est majoritaire dans l’enseignement. Selon celle-ci, les activités pédagogiques ou exercice scolaire mettront l’accent soit sur le processus d’évaluation et de construction d’arguments soit sur le “produit fini”, l’argumentaire, c’est à dire l’ensemble des arguments articulés pour expliciter, justifier et/ou soutenir au moins un point de vue. On peut considérer que dans tous les cas la conception est restreinte (c’est-à-dire non généralisée à la langue ou au discours) car les textes officiels posent que tout discours n’est pas nécessairement argumentatif (sinon pourquoi préciser “texte ou oral argumentatif”). Les élèves auront parfois à produire des discours qui auront la forme de monologue (argumentation monogérée par un locuteur) parfois de dialogue (argumentation cogérée par les participants). Par exemple, la logique traditionnelle (monologue monologique étudié parfois en cours de philosophie) étudie ce qui assure la validité d’un discours. Celle-ci est considérée indépendamment de tout auditoire et de tout opposant. Il n’y a pas non plus d’intention perlocutoire (chercher à convaincre ou persuader). Le monologue dialogique est ce à quoi pourrait correspondre la dissertation philosophique. Rhétorique du bien dire, ce discours intègre la parole de l’autre sans lui être adressé[28]. Il n’est pas structuré par l’intention perlocutoire, son caractère persuasif est au fond un “effet secondaire” de sa véridicité. Ce discours rationnel raisonnable correspond à l’approche de Toulmin (1958). Le type d’argumentation le plus souvent travaillé correspond à la rhétorique de persuasion qui correspond à un dialogue sans structure d’échange. C’est le cas lorsque l’on demande aux élèves de produire un exposé. Enfin, les activités orales argumentatives polygérées sont des dialogues avec structure d’échange. Étant donnée la variété des buts, des modalités, des normes appropriées aux contextes et des prises en charge de l’énonciation, on comprend que certains élèves soient perdus, mésinterprètent ce qu’on attend d’eux si un travail d’explicitation régulier et dans chaque discipline n’est pas fait. De surcroît, ignorer les différentes conceptions de l’argumentation fait prendre le risque d’évaluer un type d’argumentation selon les critères d’une autre (par exemple la correction de la langue pour le dialogue). Ceci pourrait permettre d’expliquer le fait que la pratique de l’argumentation orale collective (dialogue avec structure d’échange) en cours de philosophie doive sans cesse prouver sa légitimité au sein de l’institution (qui privilégie le monologue dialogique) alors que les théories de la logique informelle et de la pragma-dialectique donnent depuis les années 1970 la priorité à l’étude de l’argumentation en tant que dialogue.
C’est aussi une raison d’émettre quelques réserves concernant les situations orales argumentatives polygérées conçues comme entrées dans l’étude de l’argumentation écrite (Delcambre, 1996). La distinction oral/écrit est souvent perçue comme une simple variation dans la situation de communication or, comme le montre Isabelle Delcambre[29], ces deux “médiums” fonctionnent selon des logiques différentes : régressive pour l’écrit, c’est-à-dire une thèse à justifier ; progressive pour le dialogue argumentatif délibératif, c’est-à-dire que la conclusion n’est pas connue. Cette indistinction revient à évaluer les situations orales avec des critères de l’écrit (contenu propositionnel et pertinence dispositionnelle des arguments) et passer à côté de la complexité et de la richesse de celles-ci[30].
Au niveau de l’enseignement de la philosophie : caractériser l’argumentation philosophique
On le voit, l’argumentation est loin d’être l’apanage d’une discipline (la philosophie par exemple) et les élèves rencontrent, bien avant l’année de Terminale, des situations d’apprentissage mettant en jeu l’argumentation sous des formes diverses. D’ailleurs les préconisations générales concernant les exercices en classe de philosophie de mai 2020 reconnaissent la nécessité de veiller “à ce que les termes utilisés de manière transversale par un ensemble de disciplines – et notamment ceux de « problématisation » ou d’« argumentation » – soient compris et mis en œuvre dans le contexte propre de la discipline « philosophie » et en tenant compte de ses exigences propres[31]” tout en proposant une liste d’opérations rationnelles impliquées par les exercices philosophiques[32]. En cela, elles constituent une avancée par rapport aux précédentes préconisations, et bulletins officiels qui faisaient peu de cas de la logique et de l’argumentation.
Cependant on peut estimer qu’il faudrait aller plus loin dans l’explicitation de ce qu’est l’argumentation philosophique pour éviter les malentendus possibles, notamment la confusion fréquente des élèves avec l’argumentation en Lettres (renforcée sans doute avec la filière « Littéraire » qui auparavant avait le plus gros coefficient en philosophie et plus récemment avec la création de la spécialité « Humanités, Littérature, Philosophie »). Tout d’abord l’enseignement du français adopte plus généralement un point de vue descriptif ou technique (comprendre le fonctionnement d’un texte argumentatif, savoir reconstituer son circuit argumentatif) alors que l’évaluation philosophique est immédiatement normative. La conception de l’argumentation en français se caractérise par son intention d’influencer le destinataire, de modifier ses croyances, de provoquer ou accroître son adhésion. Qu’il s’agisse de convaincre[33] (par des arguments rationnels) ou de persuader (en faisant appel aux sentiments), l’argumentation est définie par son effet sur l’auditoire et c’est l’efficacité qui fait une bonne argumentation avant sa justesse, sa pertinence ou sa robustesse. Ainsi présenter l’argumentation par ces seules finalités, c’est prendre le risque de conforter, pire de construire chez les élèves une posture relativiste au sujet de l’argumentation. En effet, en ayant pour objectif de modifier, d’influencer les croyances de l’interlocuteur, on tend à la circonscrire au domaine de l’opinion, à lui refuser toute autre valeur épistémique. Ceci confirme l’idée que les RASL ne sont ni simplement spontanés ni seulement construits par le milieu familial mais peuvent être le produit d’une culture scolaire. Notons que ce relativisme se retrouve aussi dans la manière dont les élèves se représentent les différentes “réponses” des philosophes aux questions vues en cours : “chaque philosophe a répondu à sa manière à la question mais aucun/tous n’a/ont raison ou tort.”
Cette conception rhétorique de l’argumentation présuppose également qu’en argumentant on cherche à persuader/convaincre autrui d’une opinion déjà tranchée, toute construite. La matrice de la plupart des situations argumentatives à l’école est en effet de type “pour/contre”, “avantages/inconvénients”, “thèse/antithèse”. Ceci a plusieurs conséquences non négligeables : 1) on fait du débat éristique et/ou de l’éloquence polémique l’alpha et l’oméga de l’échange argumentatif, ce qui dans l’optique d’une formation des élèves à la participation citoyenne est assez réducteur ; 2) on oblitère la dimension heuristique, constructive (seul ou à plusieurs) et dialogique[34] de l’argumentation (tâtonner, tester des hypothèses, aborder sous un autre angle) ; 3) “cette représentation de l’argumentation comme obligation de disposer d’une réponse déterminée face à un problème (…) constitue certainement un obstacle épistémologique pour d’autres activités argumentatives, la dissertation philosophique, par exemple, qui relève de l’examen d’un problème (…) où l’on cherche à établir un parcours autour d’une notion[35]”. Voir l’argumentation comme un processus, un parcours et non comme étayage ou justification de thèses-déjà-là c’est, comme le montre Michel Fabre[36], changer de paradigme épistémologique : passer de savoirs propositionnels à des savoirs problématisés et problématisants. Si “L’argumentation par elle-même, dans la logique du débat, est plutôt, par son caractère conflictuel, affirmative (la négation est l’affirmation d’un rejet) que questionnante[37]” alors, pour donner un objectif philosophique à une activité orale collective, il faut argumenter pour problématiser et pour conceptualiser[38]. “L’argumentation ici, à base d’objection, constitue moins une destruction rationnelle d’une thèse pour mieux fonder la sienne, comme un débat argumentatif où l’on étaye sa réponse à une question, qu’un moment de mise en place du doute, qui laisse entières la recherche et la découverte d’une définition plus pertinente.[39]” “En philosophie, la fonction argumentative est subordonnée à la fonction problématisante”[40]. 4) On ôte à l’argumentation ce qui, pour Duval[41], par rapport à d’autres formes de raisonnement comme la démonstration[42], est “son moteur fondamental” : “la confrontation et les modifications des valeurs épistémiques des propositions”[43] que permettent la plasticité des notions (non comme technique de persuasion) et le changement de statut épistémique (l’indubitable devient hypothétique, le général devient particulier…). 5) Si on argumente pour convaincre que sa position est LA bonne, alors le changement d’avis, la concession, l’autocritique et l’autocorrection sont vécus comme une défaite. Or si la finalité de l’enseignement de philosophie est la formation du jugement critique, cela ne se limite pas, pour l’argumentation, à savoir évaluer et construire des arguments mais suppose une posture épistémologique particulière : se savoir faillible[44]. Ceci nous conduit une fois de plus à souligner le lien fort entre RASL et argumentation.
C’est enfin la nature même des questions philosophiques[45] qui en font un terrain particulier d’argumentation. L’argumentation est par nature présomptive (Walton 1989, 1996) et on présume “faute” d’une démonstration définitive (Perelman et Oltbret, 1958). On pourrait y voir un défaut, c’est en fait l’expression du caractère non décidable de façon scientifique ou dogmatique des notions concernées (le bien, le juste, le beau, la liberté, l’autorité, etc.). L’ambiguïté, l’ambivalence des mots sont les conséquences de l’indétermination et de l’incertitude[46] des questions philosophiques. Les questions philosophiques sont ouvertes, ce qui signifie que plusieurs réponses peuvent coexister, toutes raisonnables selon le sens des mots que l’on adopte, les valeurs que l’on privilégie ou la façon de poser le problème. Cette ouverture des questions philosophiques peut amener les élèves à entretenir avec cette discipline une posture relativiste parce qu’”elle favorise la cohabitation de points de vue différents. Souvent, de façon erronée, cette cohabitation des points de vue est perçue comme une équivalence de points de vue.[47]” Or “les réponses (ou hypothèses) doivent s’harmoniser à des standards de cohérence, de pertinence et d’adéquation.[48]”
Au niveau des activités orales en classe : porosité, plurifonctionnalité, cadrage et choix du sujet
Un premier malentendu, lorsqu’un enseignant met en place une activité orale collective, peut venir de la porosité entre un usage scolaire et non scolaire de l’argumentation. Contrairement à un certain nombre de tâches collectives, lorsque les gens échangent des arguments, il n’y a pas de paresse sociale. En fait, leur motivation est même améliorée par le contexte dialogique (Mercier, Sperber, 2021). Du primaire au secondaire, les élèves sont en effet, la plupart du temps, enthousiastes à l’idée de débattre[49], d’échanger avec leurs camarades de classe. Mais si le but de l’argumentation est d’ordinaire partagé par l’ensemble des interlocuteurs, petits et grands, dans un contexte hors scolaire (finalités liées à l’activité et finalités sociales, par exemple : argumenter sur le fait qu’il faut manger plus de légumes verts, de la nécessité de se laver les dents avant de se coucher ou de changer les règles du jeu UNO), en classe où les tâches sont parfois déconnectées des objectifs d’apprentissages, le risque est plus grand de ne pas partager les mêmes buts. Or les fonctions épistémiques sont censées être au premier plan dans les contextes éducatifs. Ceci suggère qu’il existe ce qu’on pourrait appeler différentes cultures de l’argumentation qui sont appropriées au contexte. Il est important pour les professeurs d’être conscients de ces différentes cultures de l’argumentation, afin de ne pas présupposer une familiarité chez tous les élèves avec la pratique de l’argumentation davantage basée sur la connaissance et orientée épistémiquement dans les contextes éducatifs. Cela est d’autant plus vrai que tous les enfants ne grandissent pas dans des milieux sociaux où les occasions d’argumenter se présentent régulièrement (Heller, 2014 ; Morek, 2020 ; Quasthoff et al., 2021). Cette difficulté est renforcée par la transversalité[50] et le double caractère de l’oral qui peuvent rendre opaque l’enjeu cognitif de l’activité. André Tricot et Stéphanie Roussel[51] montrent que ce qui complexifie l’action de l’enseignant vient non seulement du caractère à la fois primaire (apprentissage adaptatif et implicite) et secondaire (nécessite un apprentissage explicite souvent scolaire) des connaissances de l’oral mais aussi des frontières floues entre ces deux modes d’apprentissage qui varient selon les élèves et leur socialisation. Cette porosité peut être accentuée en mettant en place des situations d’interactions “authentiques” qui singent des pratiques sociales de référence (débat télévisé, procès, clash sur le net). La dimension motivationnelle et fortement enrôlante de ces activités peut faire passer à côté de ces enjeux cognitifs (par exemple, des activités orales où le but serait de gagner dans une joute oratoire). Un deuxième malentendu vient de la plurifonctionnalité[52] des activités orales argumentatives : s’exprimer, communiquer, élaborer (avec) les savoirs. Pour de nombreux élèves, écrire et parler en classe sont des moyens de communication plutôt que des outils de réflexion. Certains élèves ont du mal à répondre aux attentes scolaires et à s’engager dans un travail philosophique qui nécessite une réflexion approfondie et un travail sur et avec le langage. Ceux qui se concentrent uniquement sur leur expérience personnelle ont tendance à privilégier l’expression immédiate plutôt que l’exploration de concepts et de notions. Ce processus de secondarisation dépend à la fois de RASL, mais relève aussi de processus sociaux et subjectifs tels que l’autorisation et la légitimité de s’exprimer et de penser. Les exigences mal comprises peuvent entraîner des attitudes de protection, comme le recours au relativisme pour éviter de prendre des risques (dans sa pensée et vis à vis des pairs) dans l’activité philosophique. Des recherches récentes ont montré la forte corrélation entre croyances épistémiques et le but que l’on donne au débat et donc la façon d’argumenter (Kuhn et al., 2016, Gagnon, 2017, de Checchi et al., 2022). Le choix de la situation d’apprentissage et la façon de la présenter et de la réguler (consigne, étayage) favorisent les malentendus ou participent à les dissoudre. Par exemple, dans " des situations très ouvertes, faiblement cadrées, faiblement contrôlées, dans lesquelles chacun peut travailler et intervenir «à son niveau[53] »” (Bautier et Rayou, 2009, p.97), où la consigne est donnée dans un langage de conversation[54] et où les interventions des élèves ne sont pas reprises, interrogées et tissées par l’enseignant, certains élèves pourraient ne pas reconnaître les caractéristiques de la situation ou méconnaître les possibilités de travail cognitif et langagier qu’elle offre. Ils pourraient considérer qu’ils sont en train de faire ce qui est demandé juste en “participant” quel que soit la nature de cette participation. C’est aussi pour cette raison que les enseignants doivent être très au clair avec leurs intentions pédagogiques afin qu’il n’y ait pas confusion entre visée politique et éthique et visée épistémique de l’activité.
Enfin des recherches récentes (Gagnon, 2010 ; de Checchi, 2021) considèrent que la discipline (surtout la valeur épistémique qu’on accorde à ses savoirs) peut avoir une incidence sur l’argumentation. Plusieurs recherches[55] ont montré que le choix du thème à traiter pouvait être un obstacle à sa scolarisation ou mener soit à l’accumulation d’idées (consensus factice) soit à la dispute (quand l’émotion est trop forte) (Polo, 2020). Michel Tozzi montre en outre que la formulation des questions “induit fortement la nature de la structuration du débat et le processus de sa dynamique[56]”. Certaines formulations poussent “d’emblée à la prise de position et à l’affrontement cognitif”, placent l’élève dans “ une logique d’opposition défensive offensive et non d’écoute intégrative” peuvent ainsi conforter les élèves dans leurs représentations initiales du débat.
Conclusion.
Le but de cet article était de montrer que les malentendus possibles que les élèves peuvent entretenir à propos de l’argumentation peuvent être coconstruits par la culture scolaire à différentes échelles. Ces malentendus peuvent entretenir des RASL qui empêchent certains élèves d’entrer dans les apprentissages qui ont lieu lors des activités argumentatives, notamment polygérées. Nous avons vu notamment que l’enseignement de la philosophie avait tout intérêt à se défaire d’une conception “rhétorique” de l’argumentation (argumenter pour convaincre) qui constitue un obstacle épistémologique pour la compréhension de ce qui est attendu dans une argumentation philosophique. Cette compréhension des difficultés d’apprentissage par les malentendus et les RASL appellent des moyens de remédiation appropriés. Il semblerait qu’il ne suffise pas de faire davantage d’exercices argumentatifs (à force ça viendra !) ni de simplement redonner la “méthode”. Aider les élèves à comprendre qu’une activité orale argumentative polygérée est d’abord une situation d’apprentissage, de réinvestissement des savoirs (et non seulement la réalisation d’une tâche), leur permettre de faire du lien avec ce qui a été vu en classe avant et après, sensibiliser les professeurs aux enjeux épistémiques des pratiques argumentatives et les encourager à cultiver des représentations épistémologiques pertinentes de l’argumentation, semblent être des solutions raisonnables.
“Si la classe peut être considérée comme espace d’activité conjointe, comme communauté de pratiques ou communauté discursive, la participation des différents élèves à cet espace et à cette communauté, de même que sa régulation par le maître, s’avèrent fort hétérogènes et, dès lors, sources de bénéfices cognitifs fort inégaux.” Bautier, É. & Rochex, J. (2004). Activité conjointe ne signifie pas significations partagées. Dans : Christiane Moro éd., Situation éducative et significations (pp. 197-220). Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur. ↩︎
Dans le cadre d’un doctorat en Sciences de l’Éducation et de la Formation dirigé par Edwige Chirouter au CREN (Nantes Université). ↩︎
Par exemple, Bautier, E., et Rochex, J.-Y. (1997). Apprendre : des malentendus qui font la différence. In J.-P. Terrail (Ed.). La scolarisation de la France (pp. 105-122). Paris : La Dispute. ↩︎
L’équipe ESCOL (Éducation et scolarisation) regroupe des enseignants-chercheurs et chercheurs associés exerçant pour la plupart à l’Université Paris 8 Saint-Denis ou à l’Université Paris-est Créteil – INSPÉ de l’Académie de Créteil. https://circeft.fr/escol/ ↩︎
Rayou, P. (2002). La dissert’ de philo, Sociologie d’une épreuve scolaire, coll. Le sens social, Presse Universitaire de Rennes. ↩︎
Je mets en italique. ↩︎
B.O Les exercices en classe de philosophie, p.1, Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse - Mai 2020 https://eduscol.education.fr/document/24055/download ↩︎
“La philosophie risque toujours de verser dans ce qu’elle prétend combattre, c’est-à-dire d’amener les élèves à une allégeance pour la philosophie. D’un côté, on dit contester l’argument d’autorité : il est faux que “si Platon l’a dit, alors c’est vrai” ; mais de l’autre, on nage dans l’évidence : il va de soi que “si Platon l’a dit, alors c’est intéressant”. Or tout le problème est là : avant même d’imposer une vérité, l’autorité dit ce à quoi il faut s’intéresser et prêter son attention.” Charbonnier, S. (2019). Que faire de l’argument d’autorité dans le cours de philosophie ? Qui enseigne qui ? Pour une pédagogie inverse en philosophie, coord. Raphaël Künstler, coll. Didac Philo, Ed. Lambert-Lucas, p.58 ↩︎
On fait d’ailleurs peu de cas de la spécificité des épreuves orales par rapport aux épreuves écrites. ↩︎
Geneviève Therriault (2017). Rapport au(x) savoir(s) de l’enseignant et de l’apprenant : Une énigmatique rencontre. Louvain-la-Neuve, éd. De Boeck Supérieur. ↩︎
Ibid. Charlot, B. (2017). Postface. Les problématiques de recherche sur le rapport au savoir : diversité et cohérence. ↩︎
Houssaye, J. (dir.) La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, Paris, ESF, 1993, pp. 61-76. ↩︎
Livret scolaire en voie générale https://eduscol.education.fr/document/45376/download ↩︎
Je limite mon analyse au cycle Terminal dans cet article même si les malentendus et les RASL se construisent parfois dès la maternelle. ↩︎
Les enseignements communs : le Français, l’Histoire-Géographie, l’Enseignement scientifique, l’Enseignement Moral et Civique, les Arts, la Philosophie, parmi les spécialités la Géo po, HLP, LLCER, LLCA, Mathématiques, NSI, Physique-Chimie, Sciences de la Vie et de la Terre, Sciences Économiques et Sociales, en sections linguistiques DNL, et parmi les enseignements optionnels : les Mathématiques complémentaires, les Mathématiques expertes, le DGEMC. ↩︎
Ibid. ↩︎
Livret scolaire en voie technologique https://eduscol.education.fr/document/45379/download ↩︎
Physique-Chimie pour la Santé, Biologie et Physiologie des pathologies humaines, ST2S, Sciences de Gestion et Numérique, Management, Droit et Économie, Économie Gestion Hôtelière, STCS. ↩︎
Le Bulletin officiel du Programme de SVT de terminale générale (25 juillet 2019) contient 7 occurrences de la compétence d’argumentation. Cette discipline est précurseur pour ce qui est de la recherche sur l’argumentation sur les Questions Socio Scientifiques et les Questions Socialement Vives. ↩︎
Et ce en procédant “à l’analyse critique d’un document selon une approche historique ou géographique” et en utilisant “une approche historique ou géographique pour mener une analyse ou construire une argumentation”. B.O - Programme d’histoire-géographie de terminale générale - 25 juillet 2019 ↩︎
EMC = Éducation Morale et civique / SES = Sciences économiques et sociales ↩︎
“Les sciences sociales s’appuient sur des faits établis, des argumentations rigoureuses, des théories validées et non pas sur des valeurs. L’objet de l’enseignement des sciences économiques et sociales est le fruit des travaux scientifiques, transposés à l’apprentissage scolaire. Il doit aider les élèves à distinguer les démarches et savoirs scientifiques de ce qui relève de la croyance ou du dogme, et à participer ainsi au débat public de façon éclairée ; il contribue à leur formation civique.” Bulletin officiel de SES de terminale générale - 25 juillet 2019 ↩︎
Dans presque tous les bulletins officiels on retrouve ce paragraphe : “Comme toutes les disciplines, les… (mathématiques, SVT, HLP…) contribuent au développement des compétences orales à travers notamment la pratique de l’argumentation. Celle-ci conduit à préciser sa pensée et à expliciter son raisonnement de manière à convaincre. Elle permet à chacun de faire évoluer sa pensée, jusqu’à la remettre en cause si nécessaire, pour accéder progressivement à la vérité par la preuve.” ↩︎
Par exemple on peut lire “En fonction de la discipline ou du champ auquel se rattache la question, les types d’arguments peuvent varier, allant de données statistiques jusqu’à la pratique artistique ou à l’expérience esthétique : c’est la pertinence, l’agencement et l’approfondissement des arguments choisis qui font l’objet de l’évaluation de l’épreuve et permettent au candidat de manifester sa compréhension des enjeux et des démarches du domaine où il a choisi” ou bien “Le développement et la réponse à la question, ainsi que l’argumentation, doivent contenir de vrais marqueurs disciplinaires : dimension expérimentale avec recours à des données authentiques (manipulations réalisées par les élèves ou résultats expérimentaux publiés), activités de modélisation, activités de programmation et ouverture sur le monde scientifique, économique et industriel (par des liens avec des professionnels de la vie active).” de déployer sa question. La maîtrise de la langue et de l’expression va ici de pair avec la conscience du fonctionnement d’une littératie disciplinaire particulière et la capacité à présenter sa réflexion à quelqu’un qui se situe dans une autre discipline, c’est-à-dire aussi dans une autre tradition intellectuelle.” Grand Oral et enseignement de spécialités janvier 2023 https://eduscol.education.fr/document/46243/download?attachment ↩︎
Ibid. Plantin. ↩︎
En accès libre ici http://icar.cnrs.fr/dicoplantin/argumentation-2/ ↩︎
Dans certaines disciplines, notamment la philosophie, on travaille parfois les biais et sophismes ou fallacies (erreur de raisonnement) mais n’est-ce pas toujours l’argumentation dans une pratique langagière qui est visée au bout du compte ? Sur les limites des approches éducatives de débiaisage ou lutte contre les fallacies voir notamment La Synthèse sur l’Éducation à l’Esprit Critique (version 2020) ou (ÉPhiScience, à paraître) ↩︎
Où l’on voit que parler d’auditoire même universel pour une dissertation peut être ambigu. ↩︎
Delcambre, I. (1996). Quelle fonction donner au travail oral dans l’élaboration d’un écrit argumentatif ? L’argumentation en dialogue, revue n°112, Langue française, p.112. ↩︎
En revanche, je pense qu’il est possible d’utiliser l’argumentation orale pour construire des RASL propice à l’argumentation écrite. ↩︎
Les exercices en classe de philosophie - Mai 2020 p.2 https://eduscol.education.fr/document/24055/download ↩︎
“La structure du raisonnement : position des prémisses, enchaînement des propositions, établissement des conclusions, etc. les modalités du raisonnement : raisonnement hypothético-déductif, inductif, analogique ; raisonnement par l’absurde, etc.; les principes d’argumentation ou de contre-argumentation dans le cadre d’une analyse ou d’une discussion raisonnées : examen des présupposés, élucidation des éventuels paralogismes, etc. ; les finalités du raisonnement : acquérir ou fixer un savoir, déterminer un ordre de conduite, etc.” Elles précisent que ces opérations doivent toujours être étudiées et travaillées en contexte (texte ou question), p.3. ↩︎
Le couple convaincre/persuader fait d’ailleurs partie des mots repères dans le programme de philosophie. ↩︎
Cette dialogicité de la philosophie s’illustre dans les problèmes, thèses et argumentations fondatrices dont la discussion constitue l’histoire même de la philosophie (nominalisme vs réalisme vs conceptualisme, dualisme vs monisme, matérialisme vs spiritualisme ou idéalisme, scepticisme vs dogmatisme vs criticisme) ↩︎
Nonnon, E. (1996). Activités argumentatives et élaboration de connaissances nouvelles : le dialogue comme espace d’exploration, dans la revue n° 112, L’argumentation en dialogue, Langue française, p.68. ↩︎
« Dénoncer le propositionalisme qui sous-tend les théories de la connaissance depuis Platon, c’est dénoncer la réduction du savoir à des propositions indépendantes, décontextualisées, sans relation aucune aux questions auxquelles pourtant elles répondent. L’école est tout entière prise dans ce mouvement de réification des réponses et sa tendance est toujours d’enseigner des savoirs sans problème, comme s’il était évident, de toute éternité, que la Terre tourne autour du soleil ou que l’homme et le singe aient des ancêtres communs. » Fabre, M. (2011). Le sens du problème. Éduquer pour un monde problématique : La carte et la boussole (pp. 107-134). Paris, Presses Universitaires de France. ↩︎
Tozzi, M. (1999). L’oral argumentatif en philosophie, coord. Michel Tozzi, Collectif Accompagner, Réseau Académique Languedoc-Roussillon, CRDP Languedoc-Roussillon, p.124 ↩︎
L’argumentation, pour être philosophique, ne peut donc être étudiée, enseignée et évaluée indépendamment de la problématisation et de la conceptualisation. Ce point est très important pour la formation des élèves mais aussi des professeurs et animateurs d’ateliers de philosophie. ↩︎
Tozzi, Ibid, p.128 ↩︎
Cospérec, S. (2010). La place de la logique et de l’argumentation dans l’enseignement secondaire de philosophie, éd. Faculdades de Letras, Coimbra, p.20 ↩︎
“On peut dire qu’une argumentation réorganise autrement le réseau épistémique et aussi sémantique sous-jacent à une opinion” Duval, R. (1995), Sémiosis et pensée humaine : registres sémiotiques et apprentissages intellectuels. P. Lang, p. 266. ↩︎
Pour une comparaison entre démonstration et argumentation, voir Cospérec, S. Pourquoi apprendre à raisonner en philosophie ? Coté Philo n°6 https://acireph.org/Files/Other/argumentation/Argumentation%20philo%20math%20francais%20%20COSPEREC%20CP6.pdf ↩︎
Nonnon, Ibid. p. 72. ↩︎
Gagnon, M. (2010). Regards sur les pratiques critiques manifestées par des élèves du secondaire dans le cadre d’une réflexion éthique menée en îlot interdisciplinaire de rationalité. McGill Journal of Éducation / Revue des sciences de l’éducation de McGill, 45(3), 463–494 https://doi.org/10.7202/1003573ar ↩︎
Les recherches sur les liens entre la nature des Questions Socio Scientifiques et l’argumentation menées par Manuel Bächtold, Gwen Pallarès, Kévin de Checchi, Valérie Munier sont particulièrement stimulantes. Elles m’ont inspiré ce point sur la nature des questions philosophiques. Voir Combining debates and reflective activities to develop students’ argumentation on socioscientific issues, (2023), JRST, volume 60, Issue 4 https://doi.org/10.1002/tea.21816 ↩︎
“C’est dans son incertitude même que réside largement la valeur de la philosophie” Russel, Problèmes de philosophie (1912), Payot (1989), p.180-181. ↩︎
Gagnon, M., Yergeau, S. (2016), La pratique du dialogue philosophique au secondaire. Vers une dialogique entre théories et pratiques, coll. Dialoguer, Presse de l’Université Laval, p. 29. ↩︎
Gagnon, Ibid. p.31. ↩︎
On suppose que les demandes exprimées par les lycéens lors de la consultation sur les savoirs de 1998 n’ont pas changé. https://www.meirieu.com/RAPPORTSINSTITUTIONNELS/LYCEES.pdf ↩︎
« La pratique de l’oral est transversale à toutes les disciplines et à toutes les situations, de sorte que sont difficilement isolables des objets d’enseignement susceptibles d’être travaillés. L’oral est partout, dans l’école et hors de l’école, dans la classe et dans la cour de récréation ». (Garcia-Debanc & Delcambre, 2001, p. 4). ↩︎
André Tricot et Stéphanie Roussel, « Quelles connaissances de la langue orale est-il nécessaire d’enseigner ? Une contribution évolutionniste », Les dossiers des sciences de l’éducation, 36 | 2016, 75-94. ↩︎
“En référence aux nécessités contemporaines, et aux préconisations institutionnelles, la parole en classe est donc produite dans une pluralité d’objectifs. Il s’agit pour l’enseignant de construire la classe comme communauté où chacun peut exister comme sujet – ce qui n’équivaut pas à construire un collectif de travail –, apprendre à prendre la parole en public, exprimer un sentiment, une opinion, commenter un document, s’approprier des savoirs et construire des significations nouvelles, raisonner verbalement, problématiser, débattre, expliquer, raconter, argumenter, représenter… Cette pluralité produit de l’ambiguïté concernant le registre cognitif des activités langagières et de travail attendu, conduit à son opacité, voire son invisibilité. Bautier, É. & Rayou, P. (2009). 3. Épreuves du savoir et malentendus, Les inégalités d’apprentissage : Programmes, pratiques et malentendus scolaires (pp. 93-130). Paris, Presses Universitaires de France. ↩︎
Nous verrons que c’est une des vigilances à avoir pour la mise en place en classe d’activités orales collectives, débat ou discussion. ↩︎
“Des énoncés ou consignes de travail relevant de la conversation ordinaire (et visant pourtant un travail cognitif, une élaboration nouvelle) conduisent certains élèves à une interprétation sur le registre de la vie « ordinaire » ou à comprendre des questions ouvertes comme relevant d’un simple enchaînement question-réponse entre adulte et enfant, comme l’école en présente souvent.” Bautier, É. & Rayou, P. (2009) Ibid. ↩︎
Le thème du “travail” dans l’expérimentation de philosophie en lycée pro menée par le groupe ESCOL. Ils font aussi du thème de l’amour comme potentiellement trop sensibles pour être facilement secondarisables. Claire Polo montre que les thèmes écologiques par exemple peuvent être anxiogènes et empêcher la mise en place du débat exploratoire dans Le Débat fertile. Explorer une controverse dans l’émotion (2020) Grenoble, éd. Université Grenoble Alpes. ↩︎