Revue

Variations quantiques

Dans cet article, nous présentons un atelier de philosophie qui interroge la notion de « quantique » à partir de ses nombreuses reprises en dehors du cadre de la physique à proprement parler. Cette interrogation est apparue chez nous à la suite d’une situation où l’une d’entre nous (Sandrine Schlögel) ne savait pas comment répondre à un interlocuteur qui invoquait la physique quantique pour défendre des idées très éloignées de la physique. Si nous partons d’une anecdote personnelle, c’est pour faire sentir le caractère à la fois situé et affectif des questions philosophiques. Néanmoins, pour tenter de partager l’affect à l’origine de notre interrogation, nous avons sélectionné des documents vidéo qui mobilisent également le concept de quantique. En les analysant avec les participants de l’atelier, d’abord en sous-groupe et ensuite en groupe plein, nous apprenons à prêter attention à la diversité des modes selon lesquelles les notions de la physique quantique sont utilisées en dehors de leur domaine propre, provoquant des émotions et s’insérant dans des champs stratégiques chaque fois différents.

Dans cet article, nous présentons un atelier de philosophie pour adolescents et adultes qui interroge la notion de « quantique » à partir de ses nombreuses reprises en dehors du cadre de la physique à proprement parler. Cette interrogation est apparue chez nous à la suite d’une situation où l’une d’entre nous (Sandrine Schlögel) ne savait pas comment répondre à un interlocuteur qui invoquait la physique quantique pour défendre des idées très éloignées de la physique. Si nous partons d’une anecdote personnelle, c’est pour faire sentir le caractère à la fois situé et affectif des questions philosophiques. Néanmoins, pour tenter de partager l’affect à l’origine de notre interrogation, nous avons sélectionné des documents vidéo qui mobilisent également le concept de quantique, qu’il s’agisse de discours étiquetés développement personnel ou de vulgarisation scientifique, par des chercheurs universitaires ou non.

En les analysant avec les participants de l’atelier, d’abord en sous-groupe et ensuite en groupe plein, nous apprenons à prêter attention à la diversité des modes selon lesquels les notions de la physique quantique sont utilisées en dehors de leur domaine propre, provoquant des émotions et s’insérant dans des champs stratégiques chaque fois différents. Cette « mise en série » d’expériences diverses, d’affects différents par rapport à la physique quantique permet de mettre en évidence les différences dans notre manière de percevoir les discours sur cette discipline.

Alors que la physique quantique suscite de l’intérêt chez les non-spécialistes (des intérêts sans doute multiples), il s’agit ici d’observer et de comprendre les raisons et non d’imposer le message que les spécialistes cherchent à faire passer. Ce dispositif permet d’aborder des disciplines scientifiques en essayant de déjouer une hiérarchie entre les savoirs, l’expert·e étant considéré·e comme le maître de la discipline qu’il dispenserait à ses élèves.

Tout part d’une anecdote

Une anecdote personnelle constitue le point de départ de notre atelier. C’est l’une d’entre nous, Sandrine Schlögel, doctoresse en physique et animatrice de l’atelier, qui raconte cette anecdote à la première personne plus ou moins comme suit (nous résumons certains passages tout en tentant de maintenir le style oral) :

Je suis invitée avec mon compagnon à participer à un repas organisé par une ancienne voisine avec qui nous avons conservé des relations amicales. Notre hôte nous prévient qu’elle invitera une dizaine d’autres personnes d’horizons variés afin de susciter des rencontres et des conversations riches. Autour d’un feu de cheminée, toutes les personnes se présentent, mais très vite la discussion tourne fort autour d’un participant, un homme grisonnant, aux lunettes fines, chemise jaune et costume gris (dans mes souvenirs, il portait une cravate et un petit foulard, mais je n’en suis plus tout à fait certaine). Il se présente comme ingénieur civil et philosophe, il explique avec fierté qu’il est prêtre défroqué et qu’il a travaillé avec Jacques Delors, homme politique français et ancien président la Commission européenne. Il parle de son intérêt pour l’énergie libre, cette énergie produite « à partir de rien » qui est déniée par les universitaires et les hommes politiques. Il passe ensuite sur la mécanique quantique.

Dans un premier temps, mon compagnon et moi restons silencieux… jusqu’à ce que quelqu’un au courant de notre formation nous interpelle : « Et vous, en tant que physicien, qu’en pensez-vous ? » Cette question, courante pourtant, me met dans l’embarras, d’une part parce que je ne comprends pas grand-chose à ce que cet homme dit —cela n’a rien à voir avec ma formation—, mais d’autre part aussi parce que je ne connais pas mon auditoire, je ne sais donc pas très bien comment réagir. J’ose quand même dire que le vocabulaire et les concepts mobilisés par cet homme m’échappent : le mot « quantique » n’a pas l’air de signifier la même chose pour lui que pour moi, ses raisonnements n’ont pas l’air de reposer sur un intérêt pour la discipline que j’ai étudiée… Bref, c’est obscur.

Outre la gêne occasionnée par la question, l’irritation monte, car cet homme semble utiliser la physique quantique à une seule fin, à savoir créer l’emprise et la sidération sur son auditoire. Mon intervention vive et affectée captive l’auditoire : à ma critique, mon interlocuteur —voire mon opposant, car cette conversation prend des airs de joute oratoire— s’en prend à la pratique des scientifiques, il met en cause leurs méthodes. Les scientifiques, affirment-ils, sont des « êtres déshumanisés », car ils ne se posent pas les bonnes questions. Mon irritation monte encore et se teinte de peine : personne parmi les participants ne connaît la pratique scientifique de l’intérieur, personne n’est en relation avec des scientifiques ni ne comprend ce qui les mobilise.

Je me sens femme, jeune (je n’ai pas encore trente ans) face à cet homme plus âgé, arrogant, autoritaire et se permettant de parler de sujets qu’il ne connaît pas. La discussion s’arrête avec son départ. Il me salue d’un sourire, il a apprécié la joute, mais qu’est-ce que cela aurait pu bien transformer chez lui ? Dans la voiture, sur le chemin du retour, c’est l’énervement qui domine. Au volant, je tremble de tous mes membres. Avec la nuit qui passe, c’est la gêne qui prend le relais : pourquoi ai-je défendu les sciences de cette façon, alors que j’avais quitté peu auparavant l’institution universitaire, déçue par ce qu’elle proposait ? Pourquoi avais-je ressenti ce besoin ?

Rendre partageable

Il est courant d’aborder la philosophie comme une pratique qui pose des questions générales sur la vie et le monde. Les questions que la philosophie pose sont présentées comme essentielles et universelles. Pourtant, un grand nombre de personnes se désintéressent des questions philosophiques ; la philosophie n’est étudiée que par une petite minorité à l’université. Nous ne voyons dès lors pas comment elle pourrait prétendre à l’universalité.

À l’inverse, nous estimons que les questions philosophiques émergent d’affects. C’est déjà ce que disait Aristote dans son fameux adage selon lequel « la philosophie naît de l’émerveillement », mais nous étendons ce principe pour inclure dans l’origine des questions philosophiques tout affect tant positif (tel l’émerveillement) que négatif (telle l’irritation). En racontant l’anecdote qui a donné lieu à nos questionnements, nous visions à en souligner l’élément affectif.

Néanmoins, l’atelier ne cherche pas à analyser directement cette anecdote, car cela mettrait l’animatrice au centre des réflexions alors que nous voudrions l’ouvrir à tou·tes les participant·es. Comment rendre la réflexion collective possible ? Nous prenons le parti de partager pendant l’atelier des supports qui font usage de la physique quantique afin que les participant.e.s vivent une expérience autour de cette discipline. Multiplier les expériences et les usages de la discipline permet d’observer les effets qu’ils produisent sur nous, raison pour laquelle nous sélectionnons plusieurs supports ; plusieurs participant.es visionneront le même support afin de mettre en évidence la diversité des affects produits ; il s’agira alors de se questionner sur les divergences et convergences des points de vue qui seront l’indice d’expériences diverses par rapport à la physique quantique (les niveaux de connaissance, par exemple). Pour ce faire, nous avons sélectionné six documents vidéo qui contiennent des propos portant sur la mécanique quantique [1] :

  1. Né en Inde en 1946, Deepak Chopra émigre aux États-Unis où il devient médecin spécialiste en médecine interne et endocrinologie. Il est auteur de nombreux ouvrages autour des sciences et de la spiritualité, en particulier autour de la médecine quantique, qui remportent un grand succès. La vidéo est un extrait de la conférence Physical Healing and Sciences donnée par Deepak Chopra à l’occasion du Tagore Festival en 2011 [2].

  2. Physicien français né en 1971, Julien Bobroff est actuellement professeur à l’Université Paris-Sud. Ses recherches portent entre autres sur la physique quantique et la supraconductivité. Il est auteur d’ouvrages de vulgarisation et a co-fondé le groupe de recherche La physique autrement. La vidéo est un extrait de sa conférence sur la suprématie quantique (sur la mise en œuvre de l’informatique quantique) donnée en 2020 dans le cadre du cycle « Une question, un chercheur » destiné aux étudiant·es du supérieur [3].

  3. Le film américain What the bleep do we know !? [Que sait-on vraiment de la réalité !? [4]] sorti en 2004 remporte un grand succès auprès du public. Il a été réalisé et produit par William Arntz, Betsy Chasse et Mark Vicente, tous trois étudiants de la Ramtha’s School of Enlightenment (une école « New Age »). Les liens entre la conscience et la physique quantique ainsi que des enjeux métaphysiques sont explorés dans cet extrait. Un récit de fiction est entrecoupé d’interviews de nombreux experts tout au long du film.

  4. Marc Preschia est un ingénieur belge à la retraite qui réalise des films documentaires en tant que vidéaste amateur. Il écrit sur son compte Twitter à propos de son film De la physique quantique à la pensée positive [5] réalisé en 2019 dont l’extrait a été tiré (il couvre l’entièreté du film excepté l’introduction) : « Ah si les gens pouvaient être conscients qu’ils sont en partie maîtres de leur destin, les choses seraient tellement différentes en ce monde ». Il note également sur Youtube: « Notre conscience peut-elle créer notre futur ? La physique quantique apporte un embryon de réponse !! ». Il ajoute, en lettres majuscules : « CEPENDANT SOYONS PRUDENTS CAR CE FILM N’ÉMET QUE DES HYPOTHÈSES ET NON DES CERTITUDES !!! »

  5. Créé en 2010, le blog Science étonnante est aujourd’hui l’une des chaînes Youtube les plus suivies en vulgarisation scientifique francophone. Elle est réalisée par David Louapre (né en 1978) qui a effectué son doctorat en physique quantique théorique. Il travaille aujourd’hui chez Ubisoft, un éditeur de jeux vidéo, en tant que directeur scientifique. La vidéo sélectionnée pour l’exercice [6] présente une controverse qui a opposé Niels Bohr et Albert Einstein, deux scientifiques qui ont participé à la fondation de la physique quantique.

Le visionnage des vidéos se fait en sous-groupes. Les participants rassemblés en cinq sous-groupes regardent une de ces vidéos. À la suite de quoi, ils discutent entre eux du visionnage en répondant à un certain nombre de questions-guides :

  • Qu’avez-vous ressenti lors du visionnage ?

  • Comment la physique quantique y intervient-elle ?

  • Pourrait-on imaginer reformuler tout le discours sans mentionner la physique quantique ?

Cette dernière question est importante, parce qu’elle interroge la pertinence d’un acteur discursif : peut-on remplacer la physique quantique et les effets qu’elle produit, ou pas ? L’invocation de la physique quantique appuie un discours et produit un effet tout autre que celui qu’on obtiendrait en disant la même chose sans la mentionner : est-ce dès lors vraiment le même discours dans les deux cas ?

Le travail réalisé dans les sous-groupes est mis en commun en plénière (l’animateur.trice pourra désigner un rapporteur.euse au moment de la constitution des sous-groupes). La réflexion se poursuit en plénière. Elle vise à mettre des mots sur les différentes expériences vécues à partir d’un même support afin de mettre en évidence la diversité de nos manières d’être sensibles tout en se raccrochant aux observations de la vidéo (par exemple, le choix des sons ou des images, des éléments du discours).

La discussion permet ainsi de discuter de ce que nous fait « la physique quantique » à partir de quelques supports (éventuellement de l’indifférence) sans avoir pour autant besoin de suivre un cours sur le sujet. Ce qui importe, c’est d’observer les différences de sensibilité à l’égard de cette discipline, les différences de rapport à ce savoir particulier, pour peut-être dégager des hypothèses sur l’intérêt qu’elle suscite hors du champ académique.

Qu’est-ce qu’une série ?

Lorsqu’on testait l’atelier avec les collègues de l’association PhiloCité (Belgique), on se rendait compte que les différents documents, qui se ressemblaient de prime abord, différaient pourtant de façon assez significative : l’un se rapproche d’un discours religieux ou spirituel, l’autre à la psychologie du développement, l’autre encore à des spots publicitaires…

Ce qu’on a découvert collectivement lors de la mise en œuvre de l’atelier à PhiloCité, c’est que ces documents formaient une sorte de série. Ils étaient chacun assez similaire les uns des autres pour être sélectionné dans l’atelier (il y est à chaque fois question de physique quantique), mais dans nos retours, on se rendait compte de leur diversité quant à la façon de traiter le sujet.

Mettre en série permet d’attiser notre attention, tout à l’affût que nous sommes des moindres différences entre les divers documents. C’est dans les différences —c’est en tentant de donner un sens à ces différences—, qu’on commence à construire des concepts : la « riposte impossible », la « valeur publicitaire », l’« asile de l’ignorance », pour ne citer que quelques-uns qui ont émergé lors des mises en œuvre de l’atelier.

Lors de l’atelier mené le 17 novembre 2022 à l’occasion des RNPP 2022 à Paris au sein du chantier PhiloPratique, nous avons également remarqué qu’une même vidéo ne provoque pas les mêmes réactions. Par exemple, alors que la vidéo de Science étonnante peut susciter l’intérêt d’une scientifique avertie, elle peut paraître saugrenue pour quelqu’un d’extérieur au monde scientifique : les questions que les scientifiques se posent lui apparaissent étranges, des questions plus simples n’intervenant pas dans leur discours comme s’ils passaient à côté de l’essentiel. Ceci montre que les présupposés et les fondements d’une discipline —qui paraissent évidents aux yeux de celles et ceux qui la pratiquent— échappent en général aux discours de vulgarisation qui considèrent ces bases acquises. Plus fondamentalement, ceci indique que notre manière de penser, les questions que nous nous posons et le point de vue que nous portons sur le contenu d’une vidéo, varient en fonction de notre expérience personnelle.

Étendre la série

Lors de la préparation de l’atelier, nous pensions encore ajouter dans cette série des documents qui portent aussi sur la physique quantique, mais qui ne produisent pas le même effet émotionnel.

La politesse de la fiction

Raconter des histoires et des anecdotes concernant les sciences produiraient encore d’autres affects sur les participants que ceux que nous pouvions attendre des discours de vulgarisation et des documentaires. Nous pensons en particulier à l’histoire d’Ettore Majorana, un célèbre physicien parmi les fondateurs de la physique quantique né en 1906 et disparu en 1938. Les raisons de sa disparition sont reprises sous la forme du récit en invoquant tantôt une interprétation psychologique (voir par exemple Étienne Klein, En cherchant Majorana, Le physicien absolu [7]) tantôt comme une mise en scène de ses propres théories (voir Giorgio Agamben, What is real ? [8]).

Cette seconde interprétation tisse un récit où Majorana a tenté de rendre compte à partir de son existence d’un concept central en physique quantique : celui d’indétermination, à savoir le fait que des particules peuvent se trouver dans plusieurs états physiques (tels, par exemple, les niveaux d’énergie d’un électron dans un atome) en même temps. Tant qu’aucune mesure n’est effectuée, l’expérimentateur ne peut pas connaître l’état dans lequel la particule se trouve de manière déterminée, mais il connaît exactement les probabilités de la trouver dans un état particulier. Cette indétermination n’est pas liée à un déficit de connaissance, mais est inhérente à la nature des particules.

Si nous suivons l’interprétation d’Agamben de la disparition de Majorana, celui-ci termine sa vie dans un état « indéterminé », il met littéralement en scène ce concept de la physique quantique. En effet, ses actes et les lettres qu’il laisse au moment de sa disparition sont contradictoires. Alors que sa disparition est certaine, elle n’est pas vérifiable. L’histoire de Majorana montre combien la physique quantique peut être poétique, combien elle demande d’imagination pour tenter de la transporter dans notre monde, dans la nature visible. Par ailleurs, ce jeu ne demande pas du tout notre adhésion à un quelconque discours : il a presque le statut d’un théâtre ou d’une fiction, des œuvres qui ont le grand avantage par rapport à d’autres types de discours d’offrir au public la liberté de se laisser ou non emporter par l’histoire, et de s’approprier ce qui est dit.

S’emparer de la fiction pour parler de sciences, c’est rompre avec une vision des sciences désincarnée, qui se borne à des résultats qui ont l’apanage de la vérité. Les récits des histoires des scientifiques montrent comment ils participent d’une communauté de recherche qui se posent des questions situées dans un corps social, comment ce sont des gestes et des pratiques qu’ils mettent en œuvre, comment leur existence et leurs recherches peuvent parfois être imbriquée les unes dans les autres.

Introduire différents récits dans la série permettrait également d’observer comment les formes narratives (par exemple les récits de Klein et d’Agamben) traduisent différentes manières de concevoir le travail scientifique et génèrent différents affects parmi les auditeurs. Notre série peut donc être augmentée, comportant non seulement des documentaires, des conférences, de la vulgarisation, mais aussi de la fiction, tous les supports pouvant être observés identiquement, en se demandant ce que ces discours nous font, comment nous y sommes sensibles.

Lorsque le début vient à la fin

Enfin, nous défendons l’idée que la physique quantique —ses expériences, ses articles scientifiques— pourrait être présentée comme déjà une variation de notre série, au même titre que les autres expériences proposées. Qu’est-ce que cela fait de placer la science dans une série avec ses nombreuses reprises ? Qu’est-ce que ces interrogations, ces pratiques, ces discours des chercheurs nous font ? Pourquoi ce discours-ci produit des émotions encore différentes ? Ne se référer qu’aux discours ne suffit pas, car ces émotions sont liées aussi à l’aspect fort circonstancié du discours, tenu qu’il est par des expériences et des observations précises. La pratique scientifique dans les laboratoires de recherche, qu’elle soit faite de programmation ou de manipulation de faisceaux de particules, pourrait également prendre place dans notre série au même titre que les discours.

La mise en série : un exercice philosophique ?

Alors que la physique quantique est au départ une discipline scientifique, elle suscite de l’intérêt au-delà des experts qui l’étudient. Afin de pouvoir discuter des reprises sans les discréditer d’emblée en les écrasant par des explications d’experts, le premier geste consiste à trouver une manière de déjouer l’autorité des discours, celle-ci n’étant pas conférée au même discours par tout le monde. La mise en série des vidéos, des narrations, des expériences scientifiques, des œuvres d’art… qui mobilisent la physique quantique permet de discuter non pas de ce qui est vrai ou faux dans les discours —ce qui aurait pour effet de discuter de l’autorité des discours, d’en affaiblir certains et d’en conforter d’autres— mais plutôt de se concentrer sur ce que ces discours produisent sur chacune et chacun d’entre nous.

Le dispositif de mise en série vise à produire des différences d’affects par rapport aux médias utilisés pour se rendre attentif aux différences entre eux et à apprendre à spécifier les forces et les faiblesses de chacun d’eux. Le choix des médias est important : il doit permettre de faire exister des différences d’affects (si elles ne sont pas apparentes, peut-être faudra-t-il étendre la série), en rassemblant des formes de discours différentes (nous avons ici convoqué des documentaires, de la fiction…).

Les différences d’affects mettent en évidence les singularités de nos expériences, mais aussi créent des inégalités de connaissance, sans reproduire pour autant la hiérarchie implicite des savoirs. C’est cet effet qui est visé, car il permet de libérer la discussion de la main des experts (qui seraient au contraire tentés de donner un cours pour expliquer à leurs « élèves » ce qu’ils devraient comprendre) sans pour autant tomber dans un relativisme où chacun pense ce qu’il veut sans qu’une discussion soit possible. La mise en série, en indiquant plutôt des différences de ce qui est jugé important, ce qui a de la valeur et ce qui laisse indifférent, permet d’ouvrir une discussion où tous les points de vue singuliers nourrissent la réflexion.

Plus largement, ce dispositif d’animation permet d’interroger la (ou les) fonctions que jouent les sciences au sein du corps social, de questionner la caution que les sciences peuvent donner aux discours alors qu’ils dépassent leur champ disciplinaire et de voir comment chacun d’entre nous réagit différemment et ne prêtera pas la même attention aux discours écoutés.

Notes
  1. Les vidéos pourront être présentées ou non avant d’être visionnées, en fonction que le choix de la vidéo soit laissé aux participants ou pas. L’absence de femmes dans les documents choisis est significative : rares sont celles qui réalisent des documents à ce sujet. ↩︎

  2. Disponible sur Youtube (avec sous-titres en français) : <https://www.youtube.com/watch?v=fIrzY7fAIS8> Extrait sélectionné : de 07min36 à 21min04. ↩︎

  3. Disponible sur Youtube : <https://www.youtube.com/watch?v=CTu2uvTconE>. Extrait sélectionné : de 03min19 à 18min21. ↩︎

  4. Disponible sur Youtube en version originale sous-titrée en français : <https://www.youtube.com/watch?v=LMwLtl08zJw> (voir aussi l’entrée Wikipédia anglophone consacré au film). Extrait sélectionné : 15min22 à 29min42. ↩︎

  5. Disponible sur Youtube: https://www.youtube.com/watch?v=RieRpBgeekY Extrait sélectionné : 02min03 à 18min08. ↩︎

  6. Disponible sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=28UN70790Do Extrait sélectionné : 00min16 à 16min34. ↩︎

  7. Éd. des Équateurs, 2013. ↩︎

  8. Stanford University Press, 2018. ↩︎

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