Revue

Distance Orient-Occident et distance dans les mondes confucéens, en atelier philosophique.

En Asie, les ouvrages de philosophie pour enfants sont souvent des ouvrages d'Occident traduits. Cela crée une distance culturelle avec les enfants. À cela s'ajoute la distance entre enfants et adultes créé par l'usage complémentaire des Entretiens de Confucius. On enseigne que l'homme de bien doit tendre vers la réalisation du souverain bien et pratiquer la piété filiale: ren 仁 et xiao 孝. Les composantes relationnelles du ren rappellent la pensée attentive de Lipman et Sharp qui valorise l'empathie et le soin porté à autrui. Mais l'ajout du xiao vient garantir la stabilité hiérarchique au lieu de développer un dialogue égalitaire. On peut se demander si cette conception hiérarchique et distanciée est compatible avec la visée démocratique de l'attention.

Que faire de ces distances ? Il faut distinguer le contenu des textes de Confucius et leur usage historique. C'est un texte qui souvent a été utilisé à des visées politiques et descend d'une tradition éducative particulière. Plusieurs expériences à Taiwan ont montré qu'il est possible de retourner au contenu des Entretiens et d'utiliser le texte dans une pratique égalitaire. Pour cela, il faut aussi veiller à ne pas mettre à distance les concepts Confucéens les uns des autres.

Les ouvrages concernant la philosophie pour enfants publiés en Europe présentent souvent Socrate comme le fondateur de la philosophie. Et lorsque l'on écrit sur ce que les philosophes de l'histoire auraient pensé de la philosophie pour enfants, on ne présente pratiquement que des philosophes d'Europe. Pourtant, Confucius (- 551-479) ou Laozi (- VIe ou Ve siècle), pour ne prendre que deux exemples, qui étaient aussi des dialoguistes, sont absents de ces ouvrages. Et ce sont ces ouvrages d'Occident qui sont traduits et republiés en Asie. Les enfants en Asie sont très tôt exposés aux textes de Confucius. En particulier à Taiwan où les Entretiens sont utilisés en classe. Mais l'utilisation de ces textes ne se fait que très rarement dans le cadre de pratiques philosophiques.

Dans ces textes, on apprend que l'homme de bien doit tendre vers la réalisation du souverain bien : le ren 仁. Le ren est une vertu d'humanité qui ne désigne pas un bien abstrait mais le bien qu'un homme peut faire à un autre. Les composantes du ren sont de nature relationnelle. Les relations humaines sont au cœur de la réflexion morale. Cela peut rappeler la pensée attentive (caring thinking) de Lipman et Sharp qui valorise l'attention, l'empathie, le soin porté à autrui et place les relations humaines au cœur de la réflexion morale. Le ren relève de l'attention. L'éthique du ren, comme celle de l'attention, est dépositaire d'une conception de la cohésion sociale, de l'organisation de la vie en société, et d'une appréhension de la justice.

Toutefois, l'une des caractéristiques les plus connues de la pensée confucéenne est cette prépondérance accordée à la piété filiale qui constitue une attitude politique. La piété filiale, xiao 孝, engendre une conception de l'État fondée sur le modèle d'une grande famille. D'ailleurs la façon d'utiliser les textes Confucius vise à garantir la stabilité hiérarchique. L'humanisme confucéen se concentre sur l'éducation par l'expérience comme facteur d'amélioration constante de soi. L'éducation est très orientée vers les responsabilités et l'aspect hiérarchique du Confucianisme établit une distance entre le maitre et l'élève.

Cette conception hiérarchique et 'distancielle' éloigne l'éthique de l'attention du ren. Si l'attention et le ren s'inscrivent tous deux dans une pensée politique, on peut se demander si le ren confucéen est compatible avec la visée démocratique de l'attention. Cette question prend toute son envergure lorsque l'on pense à la prépondérance et à la vivacité de la pensée confucéenne en Asie. En Chine, c'est au confucianisme que reviennent constamment les grands penseurs, et ce malgré les campagnes anti-confucéennes de 1919 et de 1973-75. Si tout le monde n'est pas lecteur des Entretiens, nombre de personnes se réclament de la tradition confucéenne vue non seulement comme une doctrine, mais surtout comme un style de vie, une tradition vivante, ce aussi bien dans les mondes chinois qu'au Japon et en Corée. Ceci pose alors la question des conditions de possibilité des pratiques philosophiques et de leur visée démocratique non seulement en Chine, ou même dans la démocratie taiwanaise, mais en Asie en général.

En Asie, nous sommes donc face à plusieurs écueils. D'une part, nous disposons d'ouvrages comme les Entretiens qui dans leur forme et en parti dans leur contenu rejoignent la philosophie socratique, mais qui, dans leur usage pédagogique, sont utilisés à des fins d'examen et à des fins parfois même moralisantes. Ce qui crée une distance entre l'enfant lecteur et le texte. D'autre part, nous disposons d'ouvrage traduits qui sont utilisables pour les pratiques philosophiques dont les textes ou exemples d'Asie sont absents, comme mis à distance. L'interprétation hiérarchique des textes confucéens crée une distance entre les enfants et l'adulte animateur qui ne semble pas compatible avec l'égalité supposée dans la pratique.

Que faire de ces distances culturelles et hiérarchiques ? D'abord il faut distinguer le contenu des textes de Confucius et leur usage. Nous avons à faire ici à un contenu philosophique qui a été utilisé à des visées politiques et qui a fait partie d'une tradition éducative particulière. Plusieurs expériences récentes à Taiwan ont montré qu'il est possible de retourner au contenu des Entretiens et de les utiliser dans une pratique égalitaire. Et c'est en fait bel et bien avec l'attention et l'empathie que tout commence...

Les réalités de la salle de classe

En tant qu'enseignante et formatrice d'enseignants, travaillant aussi bien au niveau du primaire qu'au niveau universitaire, j'enseigne la philosophie depuis près de vingt ans dans le contexte culturel taïwanais, et il y a des observations empiriques que j'ai remarquées dans la classe taïwanaise.

En tant qu'enseignante formée initialement en France, j'ai ressenti une distance entre l'enseignant et l'élève. Il m'avait semblé que cette distance était due au fossé de la langue, à ma couleur de peau, à mon accent ou à tout le bagage européen que je portais en moi malgré moi. La dimension confucéenne ne m'est pas immédiatement apparue. Pourtant, à Taïwan, on enseigne aux élèves la nécessité d'être respectueux envers leur professeur en se référant à la doctrine confucéenne, en particulier au concept de rituel, li 禮, dès le plus jeune âge. Cette distance façonne aussi mes relations quotidiennes avec mes voisins, collègues ou l'administration. On nomme les personnes par leur de nom de famille suivit de la fonction professionnelle ou sociale. On n'utilise pas les prénoms (il serait d'ailleurs plus juste de parler de 'postnom' puisque ces caractères sont placés après le nom de famille). Ainsi je suis littéralement « Bo. Professeur » 博教授, et par ce biais, je suis souvent l'objet d'attention ou de marque de respect induits par mon statut de professeur des universités. Dans l'administration, les signatures à apposer sur un document sont hiérarchisées et il est important de respecter le protocole d'ordre pour obtenir une procédure valide.

Ces pratiques dites 'confucéennes' façonnent les relations en société, et particulièrement les relations entre l'enseignant et l'élève. Confucius est référé populairement comme 'le professeur des professeurs'. Et cette relation de pouvoir invisible façonne indirectement l'attitude d'apprentissage et l'état d'esprit des étudiants taïwanais. La classe taïwanaise du collège à l'université est souvent une classe calme. Dans la classe, le dialogue entre enseignant et élèves est souvent une route à sens unique. C'est toujours l'enseignant qui questionne et les élèves qui répondent. Si l'enseignant arrête de poser des questions, la conversation se termine et la classe redevient silencieuse. Les dialogues consistent simplement à partager un point de vue sans s'opposer, pas à développer en collaboration une idée. Le comportement des élèves est influencé par les relations quotidiennes (ne pas déranger). L'élève s'inquiète de ce que ses camarades de classe pensent d'eux (ne pas perdre la face). Cela génère des hésitations. Il est difficile d'avoir une discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP) en classe si l'enseignant représente toujours l'autorité, en tout cas, dans les premières semaines d'ajustement.

Pour les étudiants taïwanais, cette façon d'apprendre relève de la relation de pouvoir entre l'enseignant et l'élève, ou de la peur de dépasser l'enseignant ou du jugement des pairs. On attend du professeur qu'il professe. L'enseignant est un modèle. Il est le détenteur de connaissances et a la responsabilité de les transmettre. Les enseignants fournissent des idées essentielles que les élèves doivent comprendre et imiter. Les élèves s'attendent donc à ce que l'enseignant enseigne suivant un manuel et s'assure qu'ils comprennent. Le professeur fait la leçon et le travail de l'étudiant est d'écouter.

Mais l'écoute n'est pas passive ! C'est là qu'on note le rôle de l'attention. La relation de pouvoir est caractérisée par la distance. L'élève doit respecter l'enseignant de la même manière qu'il respecte son père. Les enseignants sont une figure d'autorité. Par conséquent, le travail collaboratif par la recherche, le raisonnement, l'évaluation, la présentation est moins efficace. Pour les enseignants occidentaux, cela ressemble à une méthode d'enseignement hautement contrôlée, non orientée vers l'étudiant. En fait, l'enseignement est une petite partie de l'activité de l'enseignant : en dehors des cours, il y a une relation chaleureuse et plus affectueuse. Le bon professeur est strict en classe, mais un ami à l'extérieur. L'enseignement est en fait une petite partie du mentorat et l'attention est ailleurs.

Afin de mieux présenter l'éducation dans un monde chinois, il faut noter le rôle spécifique de la mémorisation. Mémoriser des textes classiques et rédiger des essais très stylisés (baguwen 八股文) est un processus sélectif. Si le chinois classique n'est plus enseigné en Chine, il l'est encore à Taïwan. Les instructeurs occidentaux perçoivent souvent la mémoire comme une approche passive, opposée à la pensée. Mais la mémoire, la répétition est une pratique de compréhension et d'approfondissement de la pensée, ainsi qu'une stratégie de création de sens et d'interprétation. C'est aussi un moyen de transformer les comportements par l'imitation d'exemples. Cela fait que les modes d'apprentissages ne sont pas les mêmes qu'en Europe, par exemple. On notera par ailleurs que l'apprentissage de l'écriture se fait uniquement par mémorisation et répétition manuscrite des caractères. Apprendre à écrire en utilisant la mémoire plutôt qu'un autre procédé doit sûrement avoir un impact sur le rapport au langage et au savoir. Mais cela reste encore à élucider.

Taïwan est culturellement classée comme société confucéenne, la doctrine confucéenne a été apportée par le gouvernement pendant le royaume de Tungning 東寧王國, le premier État maritime à prédominance chinoise Han connu sous le nom de dynastie Zheng fondée par Zheng Chenggong (Koxinga)郑成功 en 1661. De plus, pendant le règne de la dynastie Qing (1644 -1912), Taïwan a été largement influencé par la doctrine confucéenne et nous pouvons encore voire comment la culture confucéenne enracinée s'incarne dans la vénération de Confucius. Confucius est toujours considéré comme une figure historique marquante et même sainte de la société. Confucius est appelé « le grand maître » 至聖先師. Le gouvernement a désigné l'anniversaire de Confucius comme le jour de la journée nationale des enseignants. Chaque année un rituel est consacré à Confucius où les acteurs de l'éducation (ministre, diplomates, philosophes confucéens et descendants de Confucius) sont invités. Cette cérémonie, qui a lieu tous les 28 septembre depuis 1950, est une reconstitution raccourcie à 1h de la cérémonie originelle qui avait lieu en Chine sous la dynastie Zhou après la mort de Confucius. 36 écoliers du primaire, vêtus de vêtements de soie jaune avec une plume et une flûte à la main exécutent une danse classique liuyi (六佾), tandis que 65 lycéens jouent des harmonies traditionnelles. La musique utilisée lors de la cérémonie a été écrite sous la dynastie Song (960 et 1279).

Commemoration de Confucius a Taipei

Figure 1 Commemoration de Confucius a Taipei. crédit: Department of Information and Tourism, Taipei City Government

De nombreux pays de culture confucéenne organisent chaque année des commémorations, notamment la Chine continentale, Macao, Hong Kong et la Corée du Sud. Dans les classes primaires, les valeurs confucéennes sont parfois affichées sur les murs ; des dessins animés racontant des histoires illustrant des comportements exemplaires répondant à ces valeurs sont montrés aux enfants ; et, dans certains établissements, les textes sont scandés dès l'équivalent du CP.

Panneaux à la porte d'une école publique de Hsinchu

Panneaux à la porte d'une école publique de Hsinchu

Figure 2 Panneaux à la porte d'une école publique de Hsinchu (Taiwan). Crédit : Charlotte Pollet

L'objectif initial de l'éducation confucéenne est de cultiver la vertu et de réformer les individus pour avoir un impact sur les futurs dirigeants et créer un monde meilleur. L'examen de la fonction publique (keju 科舉) qui servait à la section des fonctionnaires a évolué à cet effet. Il s'agissait de sélectionner les hommes de bien tel que décrit par les Entretiens. Les classiques confucéens étaient des matériaux sur lesquels l'examen était basé. Il fallait compléter les textes ou composer des textes du même format. Cela demandait donc une connaissance parfaite des Classiques. L'usage des textes Confucéens dans une visée d'examen a changé la portée de ces textes. Ainsi, le système est passé de la culture de soi à la satisfaction externe par la récompense et les réalisations mondaines telles que l'accès à un poste gouvernemental. Et si, actuellement, le format des examens a bien changé, la pression de la réussite par l'examen reste énorme. Le passage des examens reste encore le principal accès aux postes les mieux considérés.

À Taïwan, de nombreuses tentatives ont été faites pour modifier la nature de l'enseignement axé sur les tests afin de réduire la pression et l'anxiété causées par les tests. Mais les résultats des tests continuent de primer traditionnellement sur les autres mérites. Ils déterminent toujours l'admissibilité aux pratiques ou priorités professionnelles. Ainsi, l'éducation confucéenne reste importante pour une perspective interne et externe : développement personnel et culture du caractère, et mobilité sociale.

Ces observations sociales, culturelles et empiriques m'incitent à réfléchir à la manière d'appliquer la philosophie aux enfants dans ce type de société confucéenne. Est-il possible de mettre en œuvre la philosophie pour les enfants dans un contexte culturel hiérarchisé ? La doctrine confucéenne peut-elle être compatible avec la philosophie pour enfants ? La valeur fondamentale du principe confucéen ren est-elle compatible avec la valeur fondamentale de la philosophie pour les enfants qu'est l'attention ? La hiérarchie confucéenne est accusée de prolonger le patriarcat et l'harmonie de renforcer le conformisme. Est-ce le cas ?

Care et Ren 仁

L'une des valeurs fondamentales de la philosophie pour enfants telle que théorisée par Lipman est la pensée attentive ou « caring thinking » (Lipman, 2003). La dénomination n'est pas sans rappeler l'éthique du soin « care ethic » telle que présente par Noddings (1988) ou Gillian (1982). Curieusement, ces valeurs présentent de réelles connexions avec le ren. Le ren relève du care[1].

La bienveillance est le fondement de la morale confucéenne mais aussi du care. La relation bienveillante est fondamentale pour les humains et est universelle. Chez Gillian (1982), il s'agit d'une relation dyadique entre le « one-care » et le « care-for », souvent modélisée par la relation mère/enfants. La prise en charge prend en compte le point de vue de la personne soignée, l'évaluation des besoins et les attentes de la personne prise en charge dans la formulation de la réponse qui offre la meilleure opportunité d'aider la personne soignée. Il y a une part d'irrationnel, puisque l'entraide implique l'engagement, avec de lointaines possibilités de succès. Le soignant reçoit le soigner sans évaluation. Il travaille en mode « résolution de problèmes » pour garder à l'esprit la relation particulière, le contexte pour éviter de glisser dans un raisonnement abstrait, impartial et impersonnel de déontologue. A ce sujet Gillian note que les hommes et les femmes expriment différemment la voix des soins. Le soin est souvent moins valorisé (par les hommes mais aussi par les femmes elles-mêmes) par rapport à la déontologie, l'utilitarisme ou le kantisme, alors que le soin est essentiel, et majoritairement réalisé par les femmes.

De son côté, Lipman, inspiré par Nussbaum (2003, p. 266), rappelle que sans émotion, la pensée serait plate et sans intérêt. Prendre soin ou être attentif, c'est se concentrer sur ce que nous respectons, c'est apprécier sa valeur, valoriser sa valeur. La pensée attentionnée implique un double sens, car d'une part elle signifie penser avec sollicitude à ce qui est l'objet de notre pensée, et d'autre part elle signifie être préoccupé par sa manière de penser. Il y a un aspect rationnel de la prise en charge qui se pense avec sa variété. L'attention est une sorte de pensée lorsqu'elle effectue des opérations cognitives telles que la recherche d'alternatives, la découverte ou l'invention de relations, l'établissement de connexions entre les connexions et l'évaluation des différences. Si Lipman se concentre sur la relation entre le penseur et le pensé, Sharp ajoute que l'entraide est naturelle, fondamentale pour la condition humaine. Elle considère que la Communauté de Recherche Philosophique (CRP) n'est pas donnée, mais un idéal qui demande du temps. Elle voit le rapport à l'autre en jeu dans la pensée attentive, ce qui la rapproche de Gillian.

Le confucianisme et le care sont tous deux des systèmes éthiques alternatifs aux approches fondées sur des règles. Mais le care est vu comme anti-patriarcal, alors que le confucianisme est hiérarchique. Ils partagent tous deux un idéal éthique commun : une éthique sans principes généraux avec gradation en fonction de la proximité. Ils accordent tous deux de la valeur à la relation, à l'obligation et au souci des autres. Le ren est bienveillance, amour, altruisme, gentillesse, compassion, charité, vertu parfaite, bonté. Les deux éthiques impliquent action et responsabilité.

Mais le ren est une vertu générale qui représente la vertu parfaite ou la perfection morale qui englobe toutes les autres vertus particulières : bienveillance, bienséance, courage, piété filiale, loyauté. C'est un sommet d'accomplissement moral, avec une orientation non conséquentialiste. C'est aussi une sensation naturelle. Le care est aussi un sommet car le care est à la fois naturel et éthique. Il affirme un « je dois » interne, basé sur la mémoire de ce que l'on ressentait enfant, pris en charge par la famille. En ce sens, c'est aussi la naturalité du lien qui est au cœur de l'éthique. Les deux concepts désignent une éthique sans principes généraux et sans place pour une morale impartiale. Le critère est la sympathie. Il n'y a pas de directives générales. Il n'y a pas de règle universelle absolue, car l'accent est mis sur la sensibilité morale plutôt que sur le principe.

Ces éthiques sont toutes deux calquées sur la relation parents/enfants, puis étendues à une petite société de famille, puis à une société plus large en tant qu'éventail de soins pour résoudre les problèmes. Toutes deux reposent sur la compréhension morale et mettent l'accent sur le caractère sentimental : gentillesse, amabilité, compassion, sympathie... Les deux considèrent que les relations d'entraide sont fondamentales pour l'humain et universelles.

La réceptivité et l'empathie sont considérées comme plus utiles que les principes. Le principe universel et l'idéal d'impartialité sont donc limités. Dès lors, ils rejettent tous deux l'amour universel, parce qu'impraticable, illusoire ou contraire à leur éthique. Confucius déclare que l'amour commence avec les parents ou les frères et sœurs, puis s'étend à d'autres personnes. Noddings (2013) pourrait ajouter que l'individualité est définie par la relation.

Ces philosophies sont axées sur la pratique. Les enfants apprennent ce que nous faisons, nous devons donc montrer. La philosophie confucéenne est sujette à l'action où l'enseignant est le mentor. Cela s'appuie sur la mise en perspective de l'ego et développement de la loyauté. Mais c'est là qu'il peut y avoir une confusion : solidarité ou loyauté ne sont pas servitude. Entre le confucianisme et l'éthique du care, la distance n'est pas la même. Dans l'éthique du care, la distance est « horizontale » entre la relation proche et la relation distante. Dans le confucianisme, la distance est « verticale » par rapport à l'échelle sociale. Confucius souligne les devoirs pour celui qui occupe la position subordonnée. Surtout dans la relation parent-enfant. On remarque qu'il y a silence sur l'obligation des parents envers les enfants. Et c'est là que s'arrête la similitude.

S'il est une relation qui ne peut jamais être abandonnée, c'est celle de parent à enfant, la « racine de ren ». Les enfants doivent faire preuve d'une dévotion absolue et « ne jamais désobéir » à leurs parents (2.5), même si les parents ne sont pas des modèles. La piété filiale est inconditionnelle. Mais si les parents agissent contre le Li 禮, les enfants peuvent protester. Si les parents ne s'amendent pas malgré les efforts des enfants, ceux-ci ne doivent jamais outrepasser ce qui est prescrit par leur devoir filial tout en essayant de conduire les parents dans la bonne direction du mieux qu'ils peuvent. La prescription stricte de la relation parents-enfants est basée sur la signification symbolique de cette relation et nous fournit les ressources morales ultimes dans lesquelles puiser pour les années à venir. La famille est la source fondamentale de l'amour et de l'affection, la base de la confiance et de la moralité, qu'il faut étendre. L'amour pour les parents transcende la mort et justifie les rites de deuil et le culte des ancêtres dans toute l'Asie. En face, de nombreux éthiciens du care reconnaissent la possibilité qu'une interaction de soin idéale n'est pas forcement présente dans toutes les relations maternelles, contrairement aux Confucianistes, qui préconisent que les relations maternelles doivent être maintenues inconditionnellement.

Care et ren sont tous deux les idéaux moraux les plus élevés, mais le care n'est pas une vertu, alors que ren est une vertu particulière et générale. La source de l'attention est dans la relation alors que Confucius la localise dans la vertu. Il y a donc différence. L'impartialité reste quand même un critère de cohérence chez Confucius. Quel que soit le jugement : il doit en être de même partout. Ainsi, une personne morale a à la fois une perspective impartiale ET un sens de la justice. Il y a toujours l'obligation de ne pas renverser volontairement la justice ou d'abandonner la perspective impartiale en jeu dans un raisonnement moral.

Pour résumer, dans le care, la relation est entre 'one-caring' et 'care for'. La vertu est l'aboutissement de la relation. Il existe une relation mutuelle potentielle, une dynamique de relation en cours. Pour Confucius, la relation est comme faite de cercles concentriques. Il y a l'amour relationnel et l'amour général. Le point de départ est la famille, mais la destination finale est générale, le but étant une extension sur le Xin 信, la compassion, envers Datong 大同, la grande communauté. C'est un passage de la vertu particulière à la vertu parfaite, un idéal pour la société.

On voit ici, qu'il n'y a pas de morale pour chaque genre dans le confucianisme. L'éthique confucéenne n'implique pas nécessairement un rejet du principe moral, comme dans l'éthique du care. Et contrairement à ce qui est parfois énoncé, l'éthique de Confucius peut également être utilisée comme cadre moral pour critiquer les institutions publiques et les politiques sociales.

C'est ici, que l'on peut voir que les relations entre les diverses valeurs confucéennes jouent un rôle important. Le ren est une vertu relative au traitement des autres. Mais le Li ne laisse pas beaucoup de place à la spontanéité chez les individus, et on ne peut se comporter subjectivement. Il ne faut pas isoler les valeurs confucéennes, mais les voir comme un système pour en apprécier le fonctionnement et déjouer la servitude envers la hiérarchie pour ranimer la solidarité envers la grande communauté.

Pour Confucius, une personne ren sait développer à la fois un point de vue impartial et particulier grâce au Yi 義, la convenance ou droiture. Droiture, altruisme, non égoïsme, justice, équité, le Yi est un PRINCIPE d'adéquation. Ren et Yi sont complémentaires. Ils rendent les gens flexibles dans leurs décisions. Ce qui fait qu'il demeure un principe dans le confucianisme. La pratique quotidienne pour la mise en place du principe et de la vertu est guidée par le Li 禮, les rites, les normes ou convenances. C'est le canal socialement acceptable orienté par l'éducation et le développement des émotions. Le Li est inutile sans ren. L'éthique de Confucius est donc partiellement guidée, non totalement basée sur la naturalité des relations. Ainsi, l'accent est mis sur la culture morale où les principes généraux guident le jugement. Grace au Shu 恕, réciprocité, équité, sympathie, il existe une symétrie dans la relation, alors qu'il peut y avoir une grande asymétrie dans l'amour et la compassion. Il y a donc la possibilité de réciprocité qui manquait précédemment avec la piété filiale. Si le Shu est passif, le Zhong 忠, faire de son mieux ou sincérité, est une forme empathie active. Ce sont ces deux principes qui guident la conduite morale. Ainsi Confucius évite le dogmatisme tout en restant flexible.

Care et ren montrent les liens entre émotion et moralité. L'empathie, la compassion, la sensibilité sont des conditions préalables à la moralité. Une personne vraiment morale n'est pas quelqu'un qui contrôle ses émotions avec rationalité, mais quelqu'un qui développe au maximum une capacité d'émotion positive. Ces émotions sont les manifestations originales de notre vraie nature et tissent notre humanité. Elles sont au centre de la morale, et non une forme d'égoïsme ou de pathologie. Mais le care n'est pas exactement le ren. Ces différences de pensées de l'attention font qu'il faut imaginer d'autres dispositifs dans une CRP ou DVDP formée de locuteurs portant un héritage des mondes confucéens.

Socrate et Confucius

Dans les domaines théorique et pratique, le dialogue socratique a été reconnu comme un concept dominant de la philosophie pour enfants, comme fondement et prototype de sa pédagogie : la Communauté de Recherche Philosophique. Dans Philosophy in the Classroom, Lipman et Sharp ont conseillé aux enseignants d'imiter et de s'inspirer de Socrate, opérant comme une sage-femme pour mettre au jour les idées philosophiques des enfants (1980, p. xiii). Dans Philosophy Goes to School, Lipman mentionne de nouveau que ce que Socrate a modélisé n'est pas la philosophie théorique ou appliquée des universités, mais la philosophie pratiquée, et évidemment la philosophie pour enfants est une philosophie pratique (1988, p. 12).

La littérature actuelle dans le domaine de la philosophie pour enfants manque généralement de discussion sur Confucius et sa contribution possible au développement ultérieur de la philosophie pour enfants, et ce même dans les sociétés confucéennes. Cela pourrait être dû en partie à la reconnaissance généralisée du dialogue socratique comme fondement de la philosophie pour enfant, mais, plus encore, à une tendance qui affirme que la philosophie de Confucius et sa pédagogie dialogique sont, dans une large mesure, contradictoires et incompatibles avec celle de Socrate, ce qui entraîne la sous-estimation de la signification potentielle de la philosophie de Confucius considérée comme un facteur désavantageux pour l'implémentation de la philosophie pour enfant dans ces sociétés.

Par exemple, Deng (2014) conclut que seul le dialogue de Socrate possède le vrai sens du dialogue, alors que le dialogue dans les Entretiens n'est que la manifestation de vérités faisant autorité et un monologue en substance. Il est dit que Socrate valorise l'esprit individuel rationnel, que les étudiants doivent être formés pour interroger le monde et en devenir le maître, alors que Confucius met l'accent sur la perfection morale de soi, l'apprentissage comme vertu morale et la primauté de l'action sur la pensée. Il semble que Confucius préférait la transmission des connaissances anciennes et décourageait de se concentrer sur la formulation de nouvelles idées et l'expression d'hypothèses personnelles. Il y aurait désaccord entre Confucius et Socrate, tant sur leurs idées philosophiques que sur leur pédagogie. Cependant, ces écarts ne doivent pas être exagérés, et cette lecture nie les valeurs du dialogue Confucéen.

Dans l'Apologie de Platon, Socrate prétendait ne rien savoir. Confucius a également revendiqué l'ignorance : « Moi, posséder la connaissance ? Loin de là ! Mais vienne l'homme le plus humble me poser une question, je suis prêt, sans y avoir nécessairement une réponse » (9:7). Confucius maintient une attitude de « non-connaissance » et de « non-parler » envers des concepts abstraits pour les phénomènes au-delà de sa propre expérience. Aussi bien Socrate que Confucius affirment tous les deux qu'ils ne savent rien.

On notera que tous les deux favorisent la pensée active, la liberté d'expression. Ils encouragent la parole libre. En fait, plusieurs fois Confucius fait usage de l'humour ou de la provocation pour encourager une pensée propre et originale envers ses interlocuteurs. Les deux penseurs s'expriment par des questions et n'ont pas de tradition écrite personnelle. On n'oubliera pas que 75,6% des dialogues de Confucius sont des réponses à des questions d'étudiants et 24,4% sont des réponses d'étudiants (Gao, 2020) Ce n'est donc pas une opposition au dialogue socratique. Les deux figures découragent l'obéissance aveugle à l'autorité. Ils n'ont jamais forcé les interlocuteurs à accepter une pensée aveuglément. Il ne faut pas oublier que Confucius, avant de devenir un modèle politique, était précisément un critique de la politique de son temps.

S'il existe une différence, c'est celle du contenu philosophique. Platon, par la figure de Socrate, recherche l'universalité des Formes/Idées. Alors que Confucius est préoccupé par des réponses variées et plus contextuelles. Dans leur pédagogie, ils sont aussi différents. Les relations maitres-disciples sont effectives chez Confucius. Le maitre doit être familiarisé avec les caractéristiques de développement, de comportements en classe, de styles de pensée, de connaissances et d'expérience de vie, de personnalité des élèves. Socrate ne se place pas dans une relation de maitre-élève, mais dans un dialogue de pairs. Socrate est plus provocateur que professeur.

Mais néanmoins, il est donc possible d'intégrer la philosophie et les pratiques dialogiques de Confucius en philosophie pour enfant. Pour les enfants des mondes Chinois, cela pourrait apporter d'autres stimuli que des images, petits contes ou dialogues venus de l'Ouest qui leur semblent exotiques.

Les solutions pour la salle de classe

« Les étudiants devraient tous pouvoir faire l'expérience du bonheur confucéen » dit le Pr. Jessica Wang du département des sciences de l'éducation de l'Université de Chiayi à Taiwan. C'est-à-dire l'expérience de la sécurité et de l'harmonie. Il est donc important de favoriser l'empathie, la tolérance, le calme, voire de suspendre la discussion pour éviter les querelles. L'harmonie est une condition préalable à la discussion démocratique et philosophique Confucéenne.

Pour cela, Jessica Wang met en place des jeux en étapes et une gestuelle de communication comme une forme de ritualisation. Ces rituels (Li) visent à comprendre l'autre, à exprimer la bienveillance, à développer la loyauté (ou solidarité) et à éviter le narcissisme. Cela conduit à savoir à quoi s'attendre et comment se comporter.

Rappelons qu'il faut se méfier de l'instrumentalisation de la philo par une philosophie trop conceptuelle, trop verbale, qui ne saurait toucher l'âme. Le but de la philosophie pour enfants est beaucoup plus large que l'unique enseignement de la pensée, surtout s'il est réduit à la pensée critique, insiste Jessica Wang. Une session de philosophie pour enfants ne doit pas apprendre ou enseigner la moralité, mais créer un environnement moralement stimulant et une communauté de recherche bienveillante. C'est-à-dire une communauté intellectuellement et émotionnellement sûre. La philosophie pour enfants contribue à accroître la compréhension éthique et à renforcer le jugement moral. Pour ce faire, le point de départ est le phénomène du cercle, explorant des modes spéciaux d'association, d'interaction, de communication, de changement dans les relations et les comportements. Cela ne concerne donc pas seulement les idées et les croyances, mais bien les relations humaines. Ces relations ne sont pas un effet collatéral, mais le cœur de la pratique.

Chez Lipman, pour que les enfants apprennent quoi faire, nous devons leur montrer. La philosophie pour enfants est orientée vers l'action ou vers la pratique. Ici, le rôle de mentor confucéen peut se justifier : enseigner par le modèle et non par le verbe. À Taïwan, la relation enseignant/élève se lie souvent en dehors de la salle de classe. Or constate que les recherches sur la philosophie pour enfants se concentrent uniquement sur le temps de la classe, pour de raisons pratique. Mais cela fait qu'il manque toute une dimension du rôle et de la présence de l'animateur.

Plus haut, nous avons fait une distinction entre Lipman et Sharp : Lipman est plus concerné par l'enquête philosophique intellectuelle, alors que Sharp, qui est une grande lectrice du féminisme et de l'esthétique... a développé une sensibilité morale différente. Elle voit que le CRP n'est pas donnée, mais une réalisation idéale. Qu'il faut se battre pour créer une CRP qui fonctionne. Cela implique le besoin de grandir, d'être authentique, s'efforcer de comprendre. Cela demande du temps et des efforts volontaires de chaque participant.

Sharp retient plusieurs caractéristiques morales de la philosophie pour enfants et se réfère à Confucius (2007, p. 8) :

1- 'Aller visiter' (H. Arendt) : il s'agit d'entrer dans le monde de personnes différentes qui ont des points de vue différents, écouter leurs histoires, essayer de comprendre leur vision du monde... C'est un travail émotionnel de fin psychologue qui est pertinent pour l'éthique du care, car il nécessite une approche non égocentrique. Ce qui est recommandé aussi bien par l'éthique du care que du ren.

2. égalitarisme et loyauté : la CRP est une forme de vie dans laquelle les enfants apprennent à partager le pouvoir et à collaborer, plutôt que de rivaliser ou de dominer. Ici, la loyauté n'est pas la servitude, c'est bien l'expression de la solidarité qui est au cœur d'une relecture plus authentique de Confucius.

3.rituel en action : le Li vise à comprendre, à devenir de bonnes personnes, à exprimer la bienveillance, à développer la loyauté et à vaincre le narcissisme.

Mais la théorie n'est pas la pratique. D'abord, lors du travail en CRP, 'rendre visite aux autres' peut apporter de l'inconfort, de la désorientation. On note que dans la classe, il est difficile de rencontrer l'autre « que blanc »... l'ethnicité reste une barrière. Ensuite, l'égalitarisme et la graine de solidarité pour la démocratie peuvent transformer une communauté en classe récalcitrante. Les élèves en viennent à des comportements liés au pouvoir, ou à l'hostilité envers la philosophie. Ainsi, être critique envers les enseignants ou en constante révolte n'est pas un signe d'égalité ou de démocratie. La démocratie n'est pas la colère. Et enfin, la difficulté de mise en place de rituels est l'habitude, car générer une habitude prend du temps, et le temps manque parfois, ou même souvent. Or, être pressé de récolter des bénéfices cognitifs et sociaux de la sensation de confort, c'est rater la cible. Ne pas être pressé est la clé.

Certains considèrent que la communication, les capacités d'apprentissage, la patience, la tolérance, le respect... ne sont que des effets secondaires, alors qu'ils sont une condition de réussite de la CRP. Et c'est précisément ce que préconise Confucius pour le fonctionnement de la grande communauté. Les rituels de Jessica Wang contiennent des éléments esthétiques et kinesthésiques qui, selon elle, reflètent de l'accent confucéen sur la réflexion sur soi et l'apprentissage social. Ils responsabilisent également les individus.

'Aller visiter' est une expression de la bienveillance (ren). Il s'agit d'aimer les autres en les comprenant et comprendre n'est pas facile. La CRP permets de se sentir chez soi, d'appartenir, de se faire comprendre grâce à l'hospitalité linguistique (s'entraider pour traduire les mots en idées), remettre l'ego en perspective, et forger l'égalitarisme dont nous avons besoin pour la démocratie.

Cet apprentissage ne se fait pas automatiquement. Cela demande une sensibilité pédagogique qui demande aussi du temps en classe pour résoudre les conflits interpersonnels. Personnellement, il m'a fallu un semestre pour construire une communauté intellectuellement et émotionnellement mature pour atteindre les compétences de réflexion visée en CRP. Quand un étudiant dit « quand tu vois les autres progresser, tu veux aussi t'améliorer », cela n'est pas sans évoquer l'objectif confucéen de l'auto-cultivation. Cela a nécessité de précieux moments de silence et une présence courageuse. L'enseignant a modélisé le comportement cible et l'élève a suivi. La CRP est d'abord un mode d'association interpersonnelle et de coordination comportementale en classe pour expérimenter différentes manières d'être au monde, d'entrer en relation les uns avec les autres dans ce monde, d'apprendre à se comprendre.

On peut alors conclure que la pratique bienveillante confucianiste peut être une condition préalable à la réalisation de l'objectif démocratique. Le confucianisme n'est donc pas incompatible avec la CRP ou DVDP. Cela dépend de la lecture que l'on fait des Entretiens.

Conclusion

Le conformisme, l'autoritarisme, le sexisme ne sont pas des traits typiquement confucéens. Leur présence ailleurs que dans les mondes confucéens montre qu'ils sont bien ancrés dans le monde industriel. C'est peut-être plus un résultat de l'éducation de masse de la révolution industrielle (productivisme, micro-pouvoir de Foucault). Ici en Asie, mélangé à l'héritage de l'ère féodale et des systèmes d'examen, l'ampleur est exacerbée.

Confucius, en cultivant l'harmonie, embrasse la sécurité intellectuelle mais aussi le risque de devenir une barrière à la pensée critique. L'harmonie, avec la piété filiale comme conformisme avec l'autorité, peut devenir un obstacle à la pratique de la philosophie. Mais en fait, l'harmonie comme sécurité peut être interprétée comme un principe directeur pour la pensée critique et créative... selon la façon dont nous lisons Confucius.

Il existe en fait deux lectures du confucianisme : une populaire, une académique. La lecture populaire génère des croyances conduisant à des comportements dit « Confucéens », créés par des personnes qui se considèrent comme faisant partie d'un type de communauté. C'est une vision culturaliste du Confucianisme et une façon d'utiliser l'écriture de Confucius pour justifier (ou parfois excuser) certains comportements.

Il y a une inversion de la causalité : pour Confucius la piété est un effet lorsqu'une réalité hiérarchique se passe bien grâce aux autres vertus. Pour ses lecteurs, la piété est une cause, une condition pour obtenir une hiérarchie bonne. La piété qui était une résultante sécurisante, devient une condition d'ordre. On comprend alors le rejet par certains praticiens de la philosophie confucéenne, comme vecteur de conformisme anti-démocratique.

La lecture académique revient sur une lecture du Classique et réintègre une compréhension de TOUS les principes confucéens, et conduit à une utilisation et une interprétation opposées du confucianisme où Confucius peut, grâce à sa vertu pacificatrice, être un vecteur de démocratie. Ren, Xiao, Yi, Li, Zhong, Shu, les principes confucéens ne doivent pas être séparés. Il ne faut donc pas confondre le confucianisme pré-Qing et ses interprétations féodales ultérieures, l'auteur et l'usage des Entretiens par ses lecteurs. Autrement dit, Confucius n'est pas confucéen.

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  • Lipman, M. (1988). Philosophy Goes to School. Philadelphia: Temple U. Press.

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  • Sharp, A.M. (2004). Critical and Creative Thinking: The Australasian Journal of Philosophy for Children 12:1, pp. 65--71.

  • Sharp, A.M. (2007). The classroom community of inquiry as ritual: How we can cultivate wisdom. Critical and Creative Thinking. 15(1), 3-14.

  • Tao, J.P.-W.L. (2000). Two Perspectives of Care: Confucian Ren and Feminist Care. Journal of Chinese Philosophy, 27: 215-240.

Notes
  1. Le terme care de Caring Thinking ou Caring Ethic est traduit par soin, attention, bienveillance, sollicitude. Hésitant entre ces traductions, j'ai préféré garder le terme anglais sans traduction, de même que je garde le terme chinois de ren. ↩︎

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