Revue

Articuler étroitement Méditation et Atelier philo

Recherche 1 (2021)

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Ou dans le padlet de Michel Tozzi : https://padlet.com/amlafont1379/5l4icya3mps7fj0b

Pour donner un aperçu des expériences menées, deux séances

Séance I (avec les adultes participant à la recherche)

Elle s’est déroulée en 3 temps :

  1. Pratique de l’attention individuelle centrée sur le corps (respiration, impressions corporelles internes).

  2. Méditation à base de sensations externes, à partir d’une fleur et d’un fruit que, les yeux fermés, je touche, sens, écoute, regarde et croque successivement.

  3. Visualisation dans la méditation d’un jardin (réel ou imaginaire) que l’on découvre successivement au cours de la méditation par les cinq sens.

La particularité de cette séance est d’une part de vivre une méditation en trois étapes convoquant chacune un type différent de sensation ; d’autre part de partir dans le moment de l’atelier philosophique, sous forme de DVDP (Discussion à Visées Démocratique et Philosophique, dispositif créé par Michel Tozzi), d’une question en lien avec ce qu’on vient de vivre dans la méditation. La question est « De quelle nature est la connaissance par la sensation ? » ; mais aussi « Quelle connaissance avons-nous avec les sens ? », sujets qui portent moins sur la théorie de la connaissance (« Pouvons-nous connaître par les sens ? », empirisme versus rationalisme), mais sur le type de connaissance à laquelle nous permet d’accéder nos sens.

Temps 1 sur la respiration, le souffle, les impressions corporelles internes

Qu’avez-vous perçu ?

« J’ai eu une sensation de moi. Est-ce que cette sensation me donne une connaissance de moi ? J’ai ressenti mon corps, donc j’ai eu des sensations. Mais comme c’est de moi à moi, est-ce que cette connaissance de moi me conduit à une vision de moi sur une dualité (esprit qui expérimente un corps) ou esprit qui s’expérimente lui-même, à travers le corps (Descartes vs Spinoza) ».

« La question : comment je me définis ? Est-ce que je ne suis qu’un corps ? Je faisais le lien entre le corps et l’esprit. Est-ce que la respiration me définissait ou est-ce que je pensais la respiration ? ».

Sensation et perception

« Nous avons éprouvé des sensations. Mais quelle différence entre la sensation pure accueillie, issue de notre corps, et la perception de ce que je suis ou de mes émotions. Et quelle distinction conceptuelle entre sensation et perception ? La sensation, je la vis sans la juger, corps et ressenti. Dans la perception, je vais y mettre la richesse de mon analyse mentale. La sensation est une donnée, la perception inclut l’analyse, est plus élaborée ».

Attention, prise de conscience, existence

« Porter son attention sur sa respiration, ça m’apprend que je suis, car je respire, je m’appréhende comme être vivant respirant, je n’en avais pas conscience avant ».

Je respire donc je suis. La prise de conscience de ma respiration me révèle mon existence, ma « vivance ».

Identité

Cette prise de conscience apparait comme une connaissance, mais quel type de connaissance ? « Le fait de me connaître se résume ici à un seul élément, ma respiration. Mais est-ce que ce n’est pas partiel ? Est-ce que ça renvoie à mon identité ? ». Prendre conscience de mon souffle me dit quelque chose de mon identité, mais est-ce un attribut essentiel ou secondaire de celle-ci ?

Contextualisation, instant, présence

Cette prise de conscience est contextualisée ; c’est une conscience d’exister dans le temps, et qui se fait plus précisément dans l’instant ; elle donne de l’importance à cet instant ; c’est une conscientisation et du corps et de l’instant, double contextualisation de sensations corporelles et dans cet instant précis.

Cela donne une sensation de présence. Comment se fait-il qu’une sensation éprouvée dans l’instant donne une conscience de présence ? Et qu’est-ce que la présence, la « pleine présence » ? Être ici et là maintenant totalement, exclusivement et intensément. On vit la qualité de l’instant (je me sens exister), intensément (expérimentation de l’existence) et en même l’expérience reste partielle car l’identité se construit (elle vient de quelque part et va quelque part).

Paradoxe : on expérimente intensément la présence de l’existence dans l’instant, et pourtant l’identité vient de quelque part, n’est pas posée en l’air… Est ce qu’on peut avoir conscience de son identité dans l’instant, ou n’est-elle pas liée au passé ou au futur ? Est-ce que l’identité n’est pas une illusion de ma perception ou d’une vision humaine de « qui je suis » ?

Temporalité et identité

« La conscience de la sensation pure (perception de fraicheur, de mouvement, d’air), se greffe sur une perception qui fait déjà appel à l’imagination et à la mémoire et à mon expérience d’être qui fonctionne par la respiration. A partir de là je sors de ma sensation, il n’y a pleine présence que parce que le volume que je suis prend un espace dans le temps. Donc la sensation ne peut pas être nommée sans la mémoire. Avec la mémoire j’existe avec un passé et un futur. La pleine présence est la prise de conscience de soi dans le temps, et pas seulement dans l’instant.

Individu, groupe humanité

« La sensation de respiration me fait penser que tous les êtres humains respirent, donc émerge le concept d’humanité. Cela me rassure et me fait penser que je suis un dans un tout ». Pourquoi quelque chose d’aussi subjectif et individuel me fait penser à tout humain ? « Peut-être parce que nous méditons en groupe, j’ai conscience à la fois de moi et du groupe, et par extension de tous les êtres humains ».

Temps 2 sur les sensations « externes », à partir d’un fruit et d’une fleur cueillie.

Quelle sont les différences entre les sensations de la 1ère et 2ème phase ?

Sensation et émotion

« Ce qui m’a habité, c’étaient les émotions : entre le confort et l’inconfort. Sur ma respiration : j’ai eu mal à la gorge, j’étais contrariée de ne pas pouvoir vivre comme je l’imaginais. Et c’était la même chose pour la fleur, car quand je l’ai respirée je m’attendais à avoir une odeur et je n’ai rien eu, donc j’ai été agacée ». « Ce qui était là, c’était cette sensation entre plaisir et déplaisir. Décalage car j’ai cueilli la fleur et que je ne voulais pas le faire. Du coup j’ai eu du mal à la sentir, à me l’approprier. J’ai eu du mal à faire l’expérience en tant que sujet ». « Il y a eu inconfort de départ dans l’expérience, déplaisir car j’ai obéi à une consigne en désaccord avec une valeur, et cette dissonance a empêché de mener l’expérience ». « Moi j’ai pu faire l’expérience, même si je ne souhaitais pas la cueillir ».

La sensation, c’est d’une part ce donné que j’éprouve de l’intérieur (le corps) ou de l’extérieur (l’odeur), mais aussi l’aspect psychologique et affectif de l’agréable/désagréable (une émotion).

Guidance, consentement

Obéir ou ne pas suivre la guidance ? « Se pose pour le sujet la question du consentement à la consigne donnée : est-elle perçue comme une proposition, une suggestion, un accompagnement, qui laisse un degré de liberté ? Ou comme un ordre, amenant des comportements pouvant aller de la soumission volontaire à résistance, voire la révolte ? ça ne peut fonctionner qu’à partir du moment où il y a consentement ».

« Dans les temps de méditations guidées, je sens que j’ai un choix à faire, que je me choisis autrement, je pense la chose ». « Par rapport à l’imagination je me choisis dans le plaisir et je me sens au centre du cheminement. L’exercice c’est de ne pas mentaliser, c’est assez subtil, pour un non habitué ça peut paraître compliqué de lâcher prise dans l’imagination ».

Sensation et mémoire

« Avant même d’expérimenter l’expérience sensible, on est déjà plein de « nous ». Donc j’ai l’impression qu’on ne peut pas s’en défaire, on fait appel à la mémoire, on n’est pas neutre dans l’expérience. L’expérience est plus ou moins en lien avec celui qui expérimente. J’expérimente quelque chose mais en même temps je m’expérimente ».

« Ça veut dire que toute sensation même si elle paraît objective, est située avec un sujet qui a une histoire, qui a un trajet. Or le mot expérience est utilisée pour qualifier le vécu et aussi pour l’expérience scientifique (qui va permettre une expérience rationnelle). Quelle est la nature que nous éprouvons dans ces expériences de méditation : une connaissance sensible, distincte de l’expérience rationnelle ».

Sujet

La méditation de pleine conscience semble mettre le sujet au cœur de la méditation. Est-ce le travail d’un sujet sur sa condition d’être un sujet ?

« Oui, la pleine conscience c’est développer une connaissance plus fine de soi et de l’autre (en passant par soi) ».

« On va accéder à un état moins ou non sensible. On passerait de cette sensibilité pour pouvoir se désensibiliser, pour avoir une connaissance plus universelle. La pleine conscience va nous permettre de nous centrer pour ressentir encore mieux le lien avec les autres ».

C’est différent dans d’autres types de méditation, comme le zazen, où « Je sens un temps de vacuité plus grand que moi, je n’ai pas de pensée ».

Temps 3. Et la sensation dans la visualisation du jardin ?

Remémorisation, recomposition ou création ?

« Par rapport à l’imagination, je choisis le plaisir, je vais aller chercher mon jardin, et l’exercice, c’est de ne pas mentaliser. C’est d’être dans cet espace ». « L’expérience de la visualisation ne ferait appel qu’à ce qu’on connait ». « C’est la remémorisation d’un souvenir d’un passé ».

« Quand on imagine on fait appel à la mémoire, on peut faire appel à une fleur qu’on connait mais on recompose ». « C’est la position de Descartes : l’imagination recompose des choses qu’on connait déjà ». « Je suis d’accord avec Descartes : on compose avec des bribes de connaissances ». « La visualisation, c’est une différence de posture, d’état, qui peut-être m’a permis d’être plus libre, j’ai pu être plus créative. Création complètement neuve peut-être pas, mais une phase d’une créativité particulière, au-delà de la mémoire ».

« Dans l’étape 1, on expérimente le corps ; dans la visualisation c’est une expérience de la pensée, et on va réagir avec le corps. Est-ce que ces deux parties sont séparées, ou liées ? J’ai l’impression que c’est lié, et on va porter notre attention sur l’une ou l’autre ».

En méta analyse, un participant pense que trois méditations très différentes, ça permet de les comparer, mais c’est beaucoup d’expériences pour tout conceptualiser. Il ajoute qu’il faudrait que la méditation soit déjà pensée philosophiquement, la proposer et la guider pour qu’elle permette de sentir ce vers quoi elle va ouvrir, par exemple les idées d’unité, de dualité ou d’illusion…

Commentaires

Remarques méthodologiques

Il y a une difficulté à philosopher sur une méditation. D’abord parce que philosopher c’est conceptualiser. Et que dans une méditation on ne conceptualise pas, on ressent dans l’instant présent. Dans celle-ci on est dans la sensation, la perception, parfois l’émotion, toujours dans le ressenti et le vécu. En philosophie on est dans le langage et la pensée. On ne peut réfléchir philosophiquement sans le langage. Or le mot odeur, qui est aussi une notion, une idée générale et abstraite, ne sent pas. Le mot toucher n’est ni lisse ni rugueux. C’est sa force et sa faiblesse.

Sa force, parce que le mot-notion d’odeur renvoie à toutes les odeurs, les odeurs actuelles, passées ou futures, à l’infinité des odeurs. Il réalise la folle ambition encyclopédique de la totalité. C’est dû à sa généralité : la notion d’odeur subsume en un seul mot toute odeur réelle, possible ou imaginaire. Elle a une extension indéfinie. Cela fait sa puissance.

Mais aussi sa faiblesse, car le mot odeur n’est pas la sensation odorante, il ne nous fait rien sentir, alors qu’il en parle. Il en parle pour en dire si peu, ou presque rien. Il rate quasiment le réel, car le mot et la notion ne sont pas la chose ou la sensation. Et il faut beaucoup d’habileté et de mots choisis au sommelier pour nous parler de l’odeur de ce vin. La notion nomme ce qu’en fait elle ne connait qu’indirectement par la seule nomination. La notion d’odeur passe complètement à côté de l’odeur de rose, par son abstraction qui a vidé le concret de sa qualité, de sa diversité qualitative, ondoyante et chatoyante, de ses unicités, de ses nuances. C’est le saltus mortalis du concret coloré à l’abstrait neutre, du particulier et du singulier au général et à l’universel, du vécu à la pensée. Il y a quelque chose de mort dans le concept, s’il faisait « sentir » quelque chose, ce serait le cadavre de la vie, du palpitant, l’extinction de toute sensation. La sensibilité de la poésie se fait avec les mots, mais contre eux.

Et pourtant le concept prend de la hauteur, comprend et explique, analyse. Car la sensation ressent, mais ne dit rien d’elle-même, elle n’explicite pas son ressenti : il y faut le langage, et pas seulement pour décrire, mettre des mots sur le vécu, mais pour déplier conceptuellement, analyser ce senti. L’écueil se pose aussi dans le fait qu’il faut « méditer sans les mots ». Or, la difficulté de beaucoup, surtout débutants, est de bien se détacher des mots dans l’instant du ressenti. On est supposé ressentir, sans vraiment y mettre du langage sur l’instant présent, et faire venir ensuite les mots, dans le temps du « retour sur les ressentis ».

Il y a donc un paradoxe à philosopher sur une méditation. Un pari et un risque à assumer : être au plus près de l’expérience sensible par le langage et le concept. Et non le langage de la poésie, qui suggère et connote, mais celui d’une connaissance rationnelle. Oserions-nous parler d’une conceptualisation expérientielle, en ce sens qu’elle part de son expérience ?

La philosophie ne conceptualise pas seulement, elle problématise. Elle part d’un étonnement sur ce que l’on considère comme des évidences, transforme les affirmations en questions, (se) questionne, travaille la formulation de ses questionnements, cherche et interroge les enjeux de ces questions, les difficultés à les résoudre à cause des problèmes qu’elle pose.

La méditation de pleine conscience est une pratique de l’attention (ciblée ou non), qui pose bien des questions. Nous en poserons quelques-unes non de l’extérieur, comme un objet de curiosité ou d’analyse, mais à partir de l’éprouvé de ces pratiques, de l’intérieur de l’expérience qu’elle procure. Nous faisons en effet l’hypothèse que la méditation peut avoir un réel potentiel philosophique à développer. Qu’elle peut aider à approfondir certaines questions philosophiques. Nous faisons aussi l’hypothèse que certaines méditations peuvent aider à approfondir tel ou tel problème, et pas forcément tel autre.

La question et l’écueil se trouvent aussi dans le fait qu’il faille quelque part « méditer sans les mots ». Or, la difficulté de beaucoup, surtout débutants, est de bien se détacher des mots de l’instant du ressenti. On est supposé ressentir, sans vraiment y mettre du langage sur l’instant présent, et faire venir ensuite les mots, dans le temps du « retour sur les ressentis ».

On peut dès lors se demander soit quel type de méditation peut permettre d’exploiter philosophiquement tel problème, soit en partant de telle méditation quel type de question elle permet de traiter philosophiquement. Dans ce second cas, il s’agira de formuler le plus adéquatement la question que l’on pose, car elle dépend du contenu spécifique de cette méditation. La formulation de ces questions est en effet un des aspects essentiels de la problématisation philosophique.

Remarque : la problématique abordée dans cette recherche est assez analogue, du point de vue de la didactique de l’apprentissage du philosopher, à celle qui consiste à se demander quel type d’album, de roman, de BD, de film etc., bref d’histoire racontée, correspond le mieux à une question donnée à traiter philosophiquement. Ex. : par exemple quel type de support, quel album de jeunesse sont propices au traitement de la question : « Est-ce qu’une amitié ça dure toujours ? ».

De la même façon qu’il va s’agir dans ce cas de passer de la narration d’une histoire (à contenu latent) à son sens philosophique (son contenu manifeste, par une reprise problématisante et conceptuelle du narratif), il s’agirait ici de passer explicitement dans le second du méditatif au réflexif. A ceci près que dans le premier cas, on fait l’expérience d’une lecture, et dans le second d’une méditation…

Quelques réflexions

Sur la pratique de l’attention individuelle centrée sur le corps (Etape 1)

Dans cette pratique, il y a une prise de conscience fine de ma respiration, de la façon dont je respire, une immersion dans ma respiration, qui occupe toute ma conscience d’être vivant : je suis mon corps, plus que je ne l’ai. Prise de conscience aussi d’impressions corporelles, par exemple du contact que j’ai avec ma chaise (j’éprouve une sensation de dur, je suis dans le toucher, en lien avec mon environnement,) etc.

Peut-on dire que la prise de conscience d’impressions est une certaine connaissance ? Oui si on entend par connaissance la perception d’informations sur mon corps.

Cette connaissance est acquise dans un certain contexte, est contextualisée : je m’installe volontairement dans une certaine posture (yeux fermés, dos droit…) ; les impressions viennent de et portent sur mon corps ; la prise de conscience se déroule dans l’instant (présence dans l’instant, présence à l’instant) ; elle est guidée de l’extérieur par une autre personne ; elle se pratique en groupe.

Vécue au présent, elle est cependant reproductible, ce qui est l’un des critères d’une connaissance (la stabilité du phénomène, sa reproductibilité).

Cette connaissance n’est pas rationnelle, mais sensible. Cette sensibilité est d’abord sensorielle, même si elle peut s’accompagner d’émotion. Elle consiste en un ressenti, de l’ordre de l’expérience individuelle et subjective, vécue dans mon corps et perçue par mon cerveau : le ressenti de la sensation interne, cénesthésique, est envoyée et traitée dans et par mon cerveau. La sensation est une donnée brute qui correspond à la modification d’un sens externe ou interne. La perception est la manière dont un sujet interprète ses sensations. Elle est éprouvée, m’arrive de l’intérieur, s’impose à moi, mon corps m’affecte.… Moi/je (mais qui est ce « je » ?), expérimente mon corps, l’explore, rend conscient ce qui ne l’était pas (le non conscient), sans être pour autant inconscient au sens freudien…

On peut ainsi soutenir que la méditation sous forme de pratique de l’attention nous donne une certaine connaissance : la connaissance sensible des impressions sensorielles de notre corps. Elle contribue ainsi à une connaissance de soi, de son corps, et en partie de son identité (je m’éprouve comme un être vivant, un être sensible, une conscience, une présence à soi).

Questions : pourquoi commencer une méditation par une certaine posture corporelle, et un travail pour adopter cette posture ? Pourquoi ensuite porter attention à sa respiration, son souffle ? Les méditations de pleine présence commencent toujours de cette façon : que signifient ces invariants ? Ici, nous avons affaire à une méditation ciblée sur des contenus des sensations corporelles, sensorielles ou remémorées/imaginées : qu’en serait-il avec une méditation de pleine conscience non ciblée, qui ouvre sa vigilance, et ses sens, à tous les éléments de l’instant présent, au fur et à mesure de leur entrée en scène : bruits, pensées, souvenirs, température ambiante, projets, sentiments, position du corps .… ?

Sur la méditation à base de sensations externes à partir d’un fruit et d’une fleur coupée ou pas (odeur, goût, toucher, vue, ouïe) — Etape 2

La méditation sur et à partir d’une fleur et d’un fruit que, les yeux fermés, je touche, sens, écoute, regarde et croque successivement, l’explorant par ses cinq sens, concrétise l’expérience de pensée intellectuelle de la statue de Condillac, qui découvrait progressivement le monde en étant successivement dotée des cinq sens. Il s’agit de la découverte d’un objet à travers les sensations réelles qu’il nous procure, et nous connaissons ainsi l’objet par l’intermédiaire de nos sens.

Mais de quelle connaissance s’agit-il ? C’est une connaissance sensorielle, qualitative, de ce qui nous affecte dans notre environnement.

Qu’entend-on par les sens ? Exemples de sens : odorat, goût, vue, ouïe, toucher. Qu’y a-t-il de commun à ces différents sens ? (Attributs du concept pour définir, conceptualiser). Ils donnent des informations, des impressions (visuelles, auditives…), des sensations, différentes selon le sens envisagé. Qu’est-ce qu’une sensation ? Un phénomène qui traduit, de façon interne chez un individu, une stimulation d'un de ses organes récepteurs : ex. les sensations visuelles. Plus largement un état psychologique découlant des impressions reçues et à prédominance affective ou physiologique : ex. une sensation de calme, de bien-être, d’énervement. C’est en ce second sens que l’animateur demande aux participants après la méditation ce qu’ils ont ressenti. Le ressenti est en un premier sens une sensation physique ou mentale. Plus généralement une impression liée à la manière dont on perçoit quelque chose, une situation. Exprimer son ressenti, c’est donner une forme langagière, explicite et communicable, à que l’on a vécu.

La ressemblance entre les deux types de méditation est une attention fine portée à nos sensations. La différence est que la première est orientée vers soi, son corps, l’intérieur, elle recentre. La seconde est sensible au monde, et se laisse affecter. Mais elle suppose aussi une concentration sur ce que l’on éprouve.

Sur la visualisation en méditation d’un jardin (réel ou imaginaire) — Etape 3

Des sensations sont successivement activées par un guidage extérieur ; on se laisse guider, mais on consent aux suggestions qui nous sont faites, et on les suit.

Ces sensations renvoient à une mémoire sensorielle et affective, ou/et à un monde imaginé, réaliste ou imaginaire. C’est une façon de (re)visiter le réel (si j’explore par l’imagination mon jardin), ou une façon de créer, à la façon d’un artiste, un jardin imaginaire.

Quelle est la nature de la sensation dans une visualisation ? Elle n’est pas produite par un récepteur enregistrant la réalité extérieure. Ce n’est pas en ce sens une perception. C’est « comme si » on voyait, entendait, touchait, sentait, goûtait… Quelle est la nature de ce comme si ? C’est une image mentale déclinée sur le mode de nos sens. Une image mentale est la représentation cérébrale mémorisée ou imaginée d’un objet physique, d'un concept, d’une idée, ou d'une situation. Dans le cas d’une visualisation, nous avons une certaine emprise sur nos images mentales. Pendant le sommeil, ces images échappent à notre contrôle conscient et font émerger spontanément des images inédites. Quelle différence entre une méditation guidée à base de visualisation et un rêve éveillé ?

Expérimentation « Méditation et DVDP » menée par Anne-Marie Lafont en classe de première

Contexte au sein de la séquence

Cette séance s’est faite en guise de bilan au sein de la deuxième séquence dont l’objet d’étude était « Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle ». Les élèves avaient travaillé sur l’œuvre intégrale Les fausses confidences de Marivaux, et le parcours associé « Théâtre et stratagème » leur avait permis d’analyser un texte extrait des Fourberies de Scapin de Molière (la célèbre scène des coups de bâtons), un extrait de la pièce d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac (la scène du balcon formant un triangle amoureux). Par ailleurs, j’avais proposé deux lectures cursives, suite auxquelles les élèves étaient invités à en choisir une parmi : Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, et Knock de Jules Romains. Le thème du parcours étant « théâtre et stratagème », nous avons travaillé sur ce que le théâtre pouvait offrir en termes de stratagème pour soit révéler l’amour, soit y parvenir.

Dans tous les cas, nous aurons constaté que l’amour était en enjeu et qu’il était question de stratagème, de masque, de piège, de mensonges. Il devenait donc intéressant d’aller plus loin dans notre réflexion sur l’amour en organisant une méditation-DVDP sur ce thème afin d’en voir quelles étaient les définitions que les élèves en donnaient.

Description de la séance « méditation et DVDP »

Je suis partie sur l’idée de travailler à la fois l’amour de soi, et de l’autre. Par ailleurs, j’ai voulu volontairement aborder l’amour en lien avec la gratitude. Il s’agissait donc de prendre conscience de notre corps et de le remercier en lui envoyant de l’amour. Puis de faire de même avec son entourage, du plus proche au plus lointain. Je proposais même d’accomplir une sorte de défi en disant, de tout notre cœur, un « merci » à une personne que nous ne connaissions pas, mais que nous pouvions croiser tous les jours ; voire quelqu’un que nous ne connaissions pas du tout. La méditation se faisait par conséquent seul.e, dans le groupe.

Les questions de la DVDP (Qu’est-ce que l’amour ? Peut-on vivre sans amour ? Est-il raisonnable d’aimer ? L’amour peut-il être un devoir ?) étaient soit posées tout de suite après le retour sur les ressentis, soit au fur et à mesure de la discussion, selon les classes.

Script de la méditation

Méditation sur l’amour et la gratitude

Intention de la séance : Je me propose aujourd’hui de m’ouvrir à l’amour et la gratitude

Rituel d’ouverture : bol tibétain + 3 grandes respirations et posture de la dignité

Corps de séance : Installé dans une posture bien droite, je peux porter mon attention à ma respiration et sentir à quel endroit je la sens le mieux, est-ce au niveau du nez ? Est-ce au niveau de la poitrine ? Est-ce au niveau du ventre ? J’inspire et j’expire, bien au contact de mes sensation dans cette zone.

Qu’est-ce qu’évoque pour moi le mot gratitude ? C’est peut-être tout simplement exprimer de ma reconnaissance, savoir dire merci.

1er temps : Nous allons aujourd’hui commencer par nous remercier. Je vais remercier mon corps, mes pieds et mes jambes qui me portent, mon cœur qui bat et apporte l’oxygène à mon corps, mes poumons qui me permettent de respirer, mes mains mes bras mes épaules qui me permettent de prendre, de recevoir, de donner, de porter, d’écrire, ma tête qui sait penser, parler, écouter, mon corps tout entier.

Je peux, si je le veux, si je le peux, me concentrer sur mon cœur. Je peux tout d’abord porter mon attention sur son battement. Si je le souhaite, pour mieux le ressentir, je peux mettre une main dessus, ou les deux. Je peux également le remercier de battre, de me permettre de vivre et de faire son travail correctement. Je peux aussi le remercier de m’apprendre à m’aimer, tel.le que je suis, à aimer les autres, les accepter. Je remercie mon cœur de m’accompagner tous les jours.

2nd temps : Je peux aussi ressentir le sentiment de gratitude et remercier mes copains et copines de classe avec qui je partage ce moment unique, mes frères et sœurs, mes parents, mes enseignants, tous ceux qui s’occupent de moi, mais aussi remercier tous ceux qui contribuent à mon bien-être ici sur cette terre, ceux qui cultivent la nourriture que je mange, ceux qui fabriquent les objets dont je me sers, tous ceux qui contribuent à la vie que je mène.

Respirons dans notre cœur et ressentons ce sentiment de gratitude, cette douce émotion de paix et de calme que cela nous procure… Et remercions-nous d’être là aujourd’hui à pratiquer cette méditation pour être plus heureux dans notre vie et permettre d’être citoyen de la paix autour de nous en contribuant à créer un monde meilleur.

Je peux même décider aujourd’hui de dire un franc « merci », sincère et grand à quelqu’un que je ne connais pas forcément : la caissière du supermarché, la boulangère, la dame de la loge qui veille sur notre sécurité au lycée, le personnel qui fait le ménage, les surveillants qui se préoccupent de nous. Juste dire « merci » à quelqu’un qui me fait du bien et à qui je n’avais jamais dit « merci » auparavant…

Transition : Pour sortir doucement de l’exercice, je vais faire de légers automassages avec un sentiment de gratitude pour mon corps et pour moi-même dans son unité.

Rituel de clôture : j’écoute le son du gong du bol tibétain jusqu’au bout (ou autre son) et je me remets dans le mouvement, en commençant par le bas, je remonte, j’ouvre les yeux en dernier.

Questions DVDP : Qu’est-ce que l’amour ? Peut-on vivre sans amour ? Est-il raisonnable d’aimer ? L’amour peut-il être un devoir ?

Retour sur les ressentis des élèves

Chez la majorité des élèves ayant pris la parole, ce qui est revenu est la sensation d’être conscients d’avoir de la chance d’avoir un corps qui fonctionne et qui vit bien ! Certains élèves ont confié qu’ils ne s’étaient jamais posé la question de ce que cela pouvait faire de ne pas voir, sentir, toucher, marcher. Et là, ils prenaient conscience qu’ils avaient de la chance et qu’ils allaient alors prendre plus soin d’eux.

D’autres ont émis la difficulté d’étendre l’amour à tout le monde : facile pour les proches (quoi que…pour certains, c’était difficile car les parents ne sont pas toujours les « amis » des ados !), mais parfois très compliqué pour des personnes qu’ils ne connaissent pas. Certains m’ont dit qu’ils ne se sentaient pas « obligés d’aimer tout le monde ! ». La question du « devoir » allait donc faire tout son sens dans la DVDP : l’amour peut-il être un devoir ? Doit-on aimer ? Doit-on aimer tout le monde ?

Enfin, sur les ressentis à proprement parler : beaucoup ont ressentis des frissons, d’autres leur cœur battre plus fort. Certains ont expliqué qu’à chaque partie du corps nommée, ils avaient des picotements.

Synthèse du débat par une élève

Qu’est-ce que l’amour ?

Le sentiment amoureux n’est pas connu de tous dans la classe, en revanche chacun a un avis sur la définition de l’amour. D’après ce débat, l’amour « est le sentiment le plus fort qui puisse exister », ce sentiment « occupe l’esprit, quand on ressent de l’amour on ne peut s’empêcher de penser à l’autre personne ». L’amour est donc d’après la classe un lien très fort qui provoque de nombreuses sensations et permet de procurer des sentiments inconnus.

Nous sommes donc venus à nous poser une question, existe-il un ou plusieurs amours ?

Après réflexion, la plupart des réactions ont affirmé l’existence de plusieurs amours différentes : l’amour envers les parents différent de celui envers les amis ou encore différent de celui de la passion envers son ou sa partenaire.

Ce sont les trois « types d’amours » : l’amour Agapé (universel, famille), l’amour philia (amis) et l’amour Eros (passion, partenaire).

Peut-on vivre sans amour ?

Dans l’ensemble, les avis semblent très différents, chacun a sa façon de voir l’amour. Pour certains, l’amour n’est pas un besoin, ce n’est pas quelque chose de nécessaire. L’exemple de l’amour envers une religion peut amener à abandonner l’amour Eros. En revanche, certains pensent que vivre sans amour provoquera un manque affectif, et que, bien que vivre sans amour soit possible d’après eux, ce serait difficile mentalement. La société d’aujourd’hui a également été évoquée. Pour certains d’entre eux, de nos jours trouver l’amour est quelque chose à vivre et il est impensable de ne jamais connaître un sentiment amoureux.

Pour d’autres, vivre sans amour est impossible, inconsciemment, on a le besoin de découvrir ce sentiment et on ne peut pas se dire qu’on ne tombera jamais amoureux puisque cela survient d’un coup et que l’on ne contrôle pas cela.

Est-il raisonnable d’aimer ?

Cette question a provoqué de nombreux avis différents, premièrement, certains pensent que lorsque l’on est amoureux c’est la passion qui prend le pas sur la raison et notre cœur dirige à la place de notre cerveau, de plus, d’après eux l’amour ne peut donc pas être assimilé à la raison, la raison est le résultat de notre cerveau et l’amour le résultat de notre cœur, donc deux phénomènes totalement différents.

A notre âge, plusieurs pensent que l’on n’est pas forcément assez mature pour avoir la volonté d’être raisonnable et que par conséquent lorsque l’on est amoureux, c’est seulement la passion qui nous dirige et non pas la raison.

La question, est-il possible d’aimer avec raison a donc été posée, de nombreux exemples ont prouvé que c’était possible. Pour certains, lors d’un mariage arrangé à une certaine époque, et sachant qu’ils allaient devoir passer leur vie ensemble, il est arrivé que certains forcent leurs sentiments, c’est la raison qui a donc ordonné cela.

Une remarque pertinente a été faite, d’après un élève, pour faire naître les sentiments amoureux, provoqué par le cœur, c’est la raison qui est à l’origine de cela (lors d’une rencontre, …).

Peut-on aimer sans jalousie ?

Tout d’abord, pour plusieurs personnes, il est totalement possible d’aimer sans jalousie à partir du moment où l’on a entièrement confiance en son partenaire. D’autres pensent en revanche que tout le monde est jaloux inconsciemment, il y a toujours un doute ou une peur probablement provoquée par un manque de confiance en soi ou en son partenaire. La jalousie peut être vue comme une preuve d’attachement qui montre que la personne est réellement attachée à l’autre.

La discussion a ensuite évolué et on s’est ensuite posé la question sur deux différents types de jalousie : les jalousies maladives et excessives différentes de la jalousie provoquée par un manque de confiance.

Le passé et des expériences amoureuses douloureuses peuvent amener une personne à devenir jalouse.

Aimer c’est donc posséder ?

Les avis ont encore été partagés : lorsque l’on est amoureux on peut posséder le cœur de son partenaire mais pour certains ce n’est pas possible de posséder quelqu’un, l’amour est plutôt un partage entre deux personnes. On possède les sentiments de l’autre mais, d’après eux, dire que l’on possède la personne peut même être malsain.

L’amour doit-il être un devoir ?

L’amour aide à avancer dans la vie et cela peut être nécessaire, mais ce sentiment doit rester naturel et forcer ses sentiments pour accomplir un devoir sont deux choses différentes. Il ne faut pas se formater à aimer une personne car cet amour serait donc moins sincère et cela ne reflète pas la définition du sentiment amoureux.

Le thème de l’amour est un sujet très vaste qui est vu d’une manière différente de chaque personne et il est important d’avoir le ressenti de l’autre pour nous aider à évoluer.

Analyse réflexive

Je remarque que les élèves s’emparent de façon très personnelle de la question de l’amour ! Si certains remarquent, à juste titre, qu’ils n’ont pas encore l’expérience et le recul nécessaires pour en parler, d’autres ont déjà eu certaines expériences et s’en servent pour exprimer leurs pensées.

Peu finalement évoquent les textes lus en classe, mais nous les retrouvons dans leurs idées : la jalousie et ses travers, la possession, l’amour de soi et l’amour de l’autre, etc. Les trois classes ont cependant bien réinvesti le fait qu’il n’y a pas qu’une seule définition de l’amour, et que tout un chacun a bien entendu sa propre vision de l’amour.

Toutefois, tout le côté « stratagème » que nous retrouvions dans cette séquence a disparu dans les remarques des élèves : cela s’expliquerait-il par la différence d’époque ? Le fait que la stratégie soit perçue comme antinomique lorsqu’il s’agit de sentiment amoureux chez l’élève d’aujourd’hui ?

Mais au-delà de ces considérations, je constate que beaucoup de notions philosophiques ont été ainsi abordées, et je retrouve certaines pensées de philosophes, sans, encore une fois, les avoir évoqués en cours. Ainsi avons-nous parler de la raison vs sentiment, de la notion du devoir, de celle du bonheur (liée à l’accomplissement de l’être amoureux).

Il a été, de fait, question dans chacune des classes de l’amour-Eros, et donc de la passion, vue comme un « risque », « toxique » par certains élèves et causant la souffrance. En effet, l’état de passion apparaît comme équivoque : le mot « passion » effectivement (du latin patior, pati : supporter, souffrir) désigne en premier lieu tous les phénomènes passifs de l’âme. Les cartésiens nommaient « passions » tous les états affectifs (plaisirs, douleurs, émotions), pensant qu’ils étaient subis par l’âme du fait de son union avec le corps. D’un autre côté, la passion est une inclination si ardente qu’elle envahit l’individualité tout entière : en ce sens, la passion est de l’ordre de l’activité, elle constitue une des forces vives du comportement humain. Cette ambiguïté fondamentale du concept de passion s’explique par les péripéties de son histoire. Dans son sens ancien, la passion est l’accident consistant à subir une action. Chez les stoïciens notamment, elle est une déformation accidentelle, une exagération de la tendance fondamentale qui veut que chaque être veille à se conserver. Les passions sont donc nocives à leurs yeux et le sage doit s’en garder s’il veut atteindre la sereine impassibilité qui constitue le bonheur.

La réhabilitation des passions commence avec Descartes pour qui « elles sont toujours bonnes de leur nature », étant donné qu’elles ont une fonction naturelle qui est de « disposer l’âme à vouloir les choses que la nature nous dicte utiles et à persister en cet volonté »[1].Un véritable renversement n’intervient qu’avec les romantiques qui exaltent les passions, parce qu’elles élèvent et affermissent l’âme du vrai « sage » : « Il n’y a que des âmes de feu qui sachent combattre et vaincre ; tous les grands efforts, toutes les actions sublimes sont leur ouvrage »[2]nous dit Rousseau.

En outre, il s’agit ici de plusieurs passions qu’il conviendrait donc d’opposer à la raison, unique et seule apte à les gouverner (ce qu’explique d’ailleurs Platon dans son Phèdre). Et dans le discours des élèves, si la raison et la passion sont opposées, c’est que seule UNE passion peut dominer la vie de l’esprit. Il faut alors insister sur le caractère hétéroclite du tableau des affections humaines : des transports amoureux à la possession, du jaloux à l’amour sublime d’une mère pour son enfant, peut-on considérer qu’une même passion est à l’œuvre ? Une unique dénomination (amour) est-elle bien justifiée ? Elle peut l’être, d’après Hegel, à condition toutefois de préciser que la passion ne peut se définir par un contenu. La passion est donc, selon lui, une forme. Mais il y a, dès lors, risque de confusion entre la passion et la vertu. Volonté et passion impliquent l’une et l’autre une constance dans les desseins, une polarisation de la conscience sur un objet qui a été posé et valorisé librement (l’amour du savant pour la vérité, celui de l’homme d’action pour la liberté, etc.) Cependant, tandis que le choix volontaire suppose un équilibre relatif de nos tendances, le choix passionnel traduit une rupture de cet équilibre. En d’autres termes, la passion, qui est une spécification du désir, se distingue de celui-ci tant par sa constance (le désir peut être intermittent) que par son ardeur (certains désirs sont tempérés).

Enfin, alors que certaines passions sont plutôt bonnes, les élèves ont remarqué que d’autres (jalousie, possessivité) sont plutôt mauvaises. Descartes note, à juste titre, que l’amour d’un objet qui en est indigne peut-être plus néfaste que la haine d’une personne aimable[3].

Conclusion provisoire de cette première recherche

A l’issue de cette recherche, nous croyons pouvoir avancer les affirmations suivantes :

  1. Il est possible d’articuler étroitement, au-delà d’une simple juxtaposition, méditation et atelier philo.

  2. Une méditation « pratique de l’attention » permet de soulever certaines questions philosophiques, mais elle ne permet pas d’aborder certains concepts philosophiques. Si l’on veut en traiter un certain nombre, il faut aussi passer par la visualisation et l’expérience de pensée.

  3. La méditation peut donc porter soit sur l’attention à sa respiration et à ses sensations corporelles internes (Cf. ateliers SEVE) ; soit sur des visualisations ; soit sur des expériences de pensée.

  4. L’articulation « méditation » et « philosophie » n’a pas vraiment de « sens » établi : il s’agit surtout d’un va-et-vient permanent entre les deux.

  5. Mais on peut distinguer deux approches possibles : soit partir d’une méditation donnée, et tenter dans un atelier philo d’en faire une reprise réflexive. Celle-ci peut consister à travailler sur des notions implicitement contenues dans la méditation, où des questions qu’elle soulève.

  6. Ou inversement, partir d’une notion ou d’une question et construire une méditation qui permettra de les aborder dans un atelier philo.

  7. Il semble à l’usage plus aisé de construire une méditation, puis à partir de cette dernière, trouver une question abordant une notion philosophique, que l’inverse. Dans le sens contraire (à partir d’une question, construire une méditation), on est amené souvent à redéfinir une autre question. (Ce qui est intéressant en classe, c’est de partir d’une question, puis faire vivre la méditation, et à partir de la DVDP qui en découle, faire reformuler une autre question par les élèves).

  8. Pour être philosophiquement formateur, l’atelier doit confronter les pistes suggérées par la méditation et des pistes différentes voire contradictoires, de manière à assurer philosophiquement un pluralisme des points de vue.

  9. Il est donc intéressant de construire des méditations partant d’une question posée de façon telle à ce que la réponse dégagée dans l’atelier soit complexe, ou amène des réponses différentes, engendrant ainsi pour la réflexion de la perplexité.

  10. Un des intérêts d’une articulation étroite entre méditation et atelier philo, c’est de pouvoir faire le lien avec des programmes scolaires. Le meilleur exemple en est le cours de philosophie au lycée, mais d’autres disciplines peuvent s’y prêter, comme le français par exemple, ou encore la spécialité HLP.

  11. Des expériences faites, il appert que le travail sur la métaphore et l’analogie, ainsi que le recours à l’intuition, peuvent être heuristiques dans cette démarche d’articulation, au même titre que des démarches discursives.

  12. On peut par ailleurs, dans une perspective de lien avec l’histoire de la philosophie, reprendre la tradition antique des exercices spirituels (Cf. P. Hadot). La méditation a alors pour objectif de faire vivre de l’intérieur des doctrines philosophiques (ex. le stoïcisme), en complément de leur approche théorique. Mais en restant dans le cadre scolaire laïque, et en expliquant en amont lesdites doctrines philosophiques, pour éviter les amalgames (rares par exemple sont ceux qui connaissent, et comprennent, la différence entre « religion » et « spiritualité »).

Notes
  1. Descartes, Traité des passions, Article 52. ↩︎

  2. Rousseau, La Nouvelle Héloïse, Bibliothèque de la Pléiade, Ed. Gallimard, 1964, p. 493. ↩︎

  3. Descartes, Lettre à Chanut, 1er février 1647. ↩︎

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