Revue

Chronique d’une semaine de philosophie à Ossona

(Valais / Suisse) Août 2021

5 matins de philosophie avec 6 enfants d’âge différents en résidence à la montagne.

La demande :

Au printemps 2021, nous avons reçu une demande d’un grand-père qui voulait organiser pendant l’été une semaine de philosophie qu’il partagerait avec ses cinq petits enfants âgés de 5 à 11 ans auxquels se joindrait un autre enfant de 6 ans.

Cette demande a suscité d’abord de l’étonnement, puis de l’enthousiasme, puis de l’inquiétude de notre part car nous pratiquons en général dans un cadre scolaire ou institutionnel et avec un nombre plus élevé de participants qui ont le même âge.

En effet, d’abord, il est rare de recevoir une demande d’animation « familiale », émanant d’un grand-père pour ses petits-enfants

Ensuite, ce projet nous a paru très intéressant par son originalité, tant pour le lieu où il était prévu que pour la forme qu’il allait prendre.

Enfin, le détail du projet nous a inquiétées, les différents âges des enfants, le fait qu’ils n’aient jamais pratiqué d’ateliers de dialogue philosophiques, le lieu - en plein air – et le nombre d’ateliers prévus, un chaque matin durant 5 jours.

La préparation :

Nous avons donc orienté notre préparation en tenant compte de tous ces éléments

Pour les différents âges des enfants, nous pensions que nous pourrions peut-être prolonger la discussion avec les plus grands, au moment où les plus jeunes seraient fatigués.

Nous avons choisi des sujets susceptibles d’intéresser les enfants d’âges différents, la peur, l’amitié, les animaux, le beau / le laid, les différences.

Avec ces projets de thèmes, il fallait que nous puissions animer une matinée entière, chaque jour. Il est évident qu’un dialogue philosophique ne peut pas durer 2 ou 3 heures de temps, même avec les enfants les plus âgés. Nous avons donc imaginé de compléter les discussions philosophiques par la fabrication d’une sorte de journal de bord de la semaine philosophique. Ce journal raconterait les différents sujets dont nous avions parlés. Et cette dimension de « bricolage » allait nous permettre de moduler nos matinées en fonction des différents âges.

Nous avons fait un plan pour la semaine avec pour chaque demi-journée, le point de départ, le sujet de l’atelier de dialogue philosophique, et les traces possibles, les bricolages ou dessins possibles en fonction des thèmes.

Points de départs Ateliers/ sujets possibles Retour commun Traces + questions personnelles notes

Jour 1

Animal journal

Identité

Animaux

Liberté

Coller photo de l’animal

Écrire pourquoi on l’a choisi

Écrire ce qui est important pour le groupe et pour soi et une ou plusieurs questions qui restent

Jour 2

Promenade dans la nature Consigne : choisir quelque chose qui est beau ou laid ou qui étonne

Esthétique

Le beau / le laid

Curiosité

Étonnement

Coller pPhoto ou dessin de ce qui a été choisi, description de l’objet, lister les raisons du choix

Écrire ce qui est important pour le groupe et pour soi et une ou plusieurs questions qui restent

Jour 3

Texte sur la peur : Poil de Carotte, Phileas

Peur

Imagination

Inconnu

Faire un résumé du texte ou écrire ou dessiner sur en pensant à quelque chose qui fait peur

Écrire ce qui est important pour le groupe et pour soi et une ou plusieurs questions qui restent

Jour 4

Dessiner deux amis puis affiche sur amitié (Phileas)

Amitié

Différence

Faire un 2^èmee^ dessin amis après l’atelier

Écrire ce qui est important pour le groupe et pour soi et une ou plusieurs questions qui restent

Jour 5

Parmi les objets à disposition, en prendre 2, différents ou ressemblants et les placer sur un grand tableau à 2 colonnes (= ou non =) expliquer pourquoi

Différence

Tolérance

Égalité

Respect

Dessiner 2 choses qui se ressemblent ou 2 choses qui sont différentes et noter les raisons

Écrire ce qui est important pour le groupe et pour soi et une ou plusieurs questions qui restent

Bilan

Fin de la semaine :

Reparler des ateliers, de la façon dont ils les ont vécus

Sujet préféré et pourquoi

Fabriquer une page de couverture et discuter de ce qui pourrait y figurer

Écrire ce qui est important, ce qu’on a aimé ou des questions qui restent

Le déroulement :

Lundi :

Pour parler de l’identité, des animaux ou de la liberté, nous avons fait fabriquer aux enfants un animal qu’ils aimaient bien avec du papier et du papier collant. Ils devaient ensuite expliquer au groupe pourquoi ils avaient choisi et fabriqué leur animal, en donnant des raisons.

« J’ai choisi une chèvre, parce que j’aime faire le bruit de la chèvre ou du cabri »

« J’ai choisi l’oiseau parce que j’aime découvrir de nouveaux endroits comme l’oiseau »

« J’ai choisi le tigre parce qu’il mange de la viande comme moi »

Le dialogue philosophique a suivi sur les différences entre les animaux et les humains, ce qui les caractérisent.

« Les animaux n’ont pas d’habits, mais on a tous des yeux »

A la question « qu’est-ce qui est différent des humains chez les animaux », les enfants ont répondu : « les animaux ne parlent pas comme nous, ils ont quatre pattes. Ils n’ont pas d’habits mais des poils qui sont leurs habits. Ils ne mangent pas comme nous et tombent sur leurs pattes »

Mardi :

Pour introdu ireintroduire la question de la beauté ou de la laideur, nous avons décidé de faire une rando-philo avec la consigne suivante : repérer quelque chose de beau ou de laid ou quelque chose qui étonne et expliquer au groupe la raison de son choix. Dès qu’un des participants avait trouvé quelque chose, nous nous arrêtions et il nous expliquait son choix, ensuite nous en discutions au cours de mini-dialogues philosophiques au cours de la promenade sur le beau, le laid ou l’étonnement.

Cette activité a permis aux enfants d’être attentifs à ce qu’ils voyaient, de procéder à un choix et de le justifier pour ensuite émettre des hypothèses ou trouver des critères d’évaluation esthétique.

Par exemple, une fillette a choisi un vieux mur abandonné dans un champ. La discussion a commencé par la raison de son choix à savoir l’étonnement de trouver un mur construit au milieu de la nature. Le groupe s’est demandé pourquoi c’était étonnant. « C’est bizarre ce mur en plein alpage ». Le groupe a pensé qu’il avait dû se passer quelque chose à cet endroit et des hypothèses ont été émises. Ensuite la question de la beauté de ce mur a été discutée.

Un autre enfant a dit :

De retour à l’auberge, les enfants ont dessiné ce qu’ils avaient choisi pour leur album.

« J’ai choisi un caillou dans un arbre. Ça m’étonne parce que les cailloux sont par terre. »

La mini-discussion d’est déroulée sur le même schéma que dans l’exemple précédent, vu que le point de départ était également l’étonnement face à quelque chose d’inhabituel. Les hypothèses à propos de ce caillou ont été les suivantes : « l’arbre a avalé le caillou et a grandi avec » « quelqu’un a mis le caillou dans l’arbre ».

De retour à l’auberge, les enfants ont dessiné ce qu’ils avaient choisi pour leur album.

Mercredi :

Pour aborder le sujet de la peur, nous avons lu un extrait de « Poil de Carotte » de Jules Renard.

Nous avons ensuite eu une discussion sur la question de la peur, ce qui fait peur et pourquoi ou ce qui ne fait pas peur.

« J’ai peur des araign4ées » « C’est rigolo de faire peur aux autres, peut-être que l’araignée rigole quand elle nous fait peur »

Les enfants ont ensuite dessiné quelque chose qui leur fait peur et donné les raisons de cette peur, le danger « on a peur des araignées parce qu’elles sont dangereuses, on a peur de rester seul », l’inconnu « on a peur de ce qu’on ne connaît pas », la perte « les parents ont peur pour leurs enfants ».

Puis ils ont fabriqué une chambre avec des fantômes en 3 dimensions.

Jeudi :

Pour parler de l’amitié, ils ont dessiné « deux amis ».

En expliquant leurs dessins, ils ont discuté des différents amis choisis, deux filles, un animal et un enfant, deux2 animaux, deux garçons…

Leurs différents choix ont permis le dialogue sur la question de l’amitié entre différentes personnes ou animaux.

« C’est ma copine et moi, on joue souvent ensemble »

« On aime les parents, mais c’est pas des amis, ils sont dans la famille »

Vendredi :

Le sujet choisi était la question des différences.

Pour lancer la discussion, nous avions mis sur une table différents objets disparates venant de la nature ou artificiels, différentes sortes de stylos, du papier collant, une fleur, une bûche, des cailloux, un chapeau, un livre, des couverts, différents vêtements…

La consigne était de prendre deux2 objets et de les poser dans la colonne des objets différents ou la colonne des objets pareils et de dire pourquoi on les posait à cet endroit.

Chaque choix était discuté par le groupe, approuvé ou critiqué. Les enfants se sont rendu compte que selon le critère choisi, on pouvait mettre les objets dans une colonne ou l’autre, par exemple., la fleur et le caillou viennent les deux de la nature mais sont différents parce que le caillou ne pousse pas, et qu’ils ne sont pas de la même couleur.

Des lunettes de soleil et une pive sont semblables par la couleur brune. Ils ont constaté que la plupart des objets peuvent être posés dans les deux colonnes, semblable et différent, selon le critère choisi, couleur, forme, matériau, usage, vient de la nature ou pas… Ce constat a donné lieu à des discussions.

Le bilan :

Cette expérience comporte des difficultés et des avantages.

Les difficultés :

Le petit nombre d’enfants a rendu les discussions moins riches que s’ils avaient été plus nombreux.

La différence d’âge, de 5 ans à 11 ans ne facilitait pas les discussions. Parfois les plus âgés auraient bien voulu continuer la discussion tandis que les petits étaient fatigués. Les discussions se continuaient parfois autour de la confection de leur album.

Le fait d’être en plein air pour les ateliers nuisait parfois à la concentration des enfants qui étaient sollicités par les chèvres, ou les balançoires…Un des enfants était plus agité que les autres et il cédait aux sollicitations de l’environnement.

Les avantages :

Le petit nombre d’enfants a pu aussi être un avantage, dans le sens que des mini-discussions se passaient souvent.

Les enfants étaient des enfants de la campagne, assez tranquilles et qui paraissaient épanouis paisibles et sereins.

La présence de leur grand-père a apporté un plus à la semaine, d’autant plus qu’il continuait souvent les discussions le soir avec les enfants. Il avait d’ailleurs tout à fait compris le sens de notre démarche de dialogue philosophique.

Le site naturel incitait aussi au calme et à la réflexion. Nous étions comme hors du temps, sans stress, ceci d’autant plus que la gestion du temps des ateliers était souple, nous nous adaptions au groupe.

Les moments marquants de cette semaine :

Nous avons emprunté une passerelle au-dessus d’un ruisseau et il était frappant de voir comme ces enfants de la campagne ne ressentait pas de peur à la traverser, ce qui n’était pas le cas de tous les adultes ! ni d’un autre enfant, visiblement de la ville.

Le grand-père, à l’origine de cette demande nous a beaucoup impressionnées par sa faculté à discuter « philosophiquement » avec ses petits-enfants et par sa bienveillance.

En résumé, nous avons passé une semaine hors du temps, dans un environnement de rêve à philosopher avec un groupe d’enfants.

Cette expérience différait beaucoup de notre pratique habituelle entre autre pour la durée des ateliers. Nous avions imaginé de créer avec les enfants un « journal de bord de la semaine philosophique » avec la trace de leurs bricolages et des réflexions menées sur les différents sujet abordés.

Il nous est apparu par la suite que le fait de noter ou de dessiner leurs idées avait un effet plus large, à savoir d’illustrer et de rendre plus compréhensible les outils de la pensée.

De plus lors des moments de dessins ou de bricolage, nous pouvions approfondir les sujets abordés, par une question de notre part ou une réflexion d’un autre enfant.

Télécharger l'article