Revue

Ateliers philosophiques en famille: au cœur d'une nouvelle pratique

L'expérience de la coopérative d’intérêt collectif LUDOMONDE de 2020 à 2022

Cet article relate la genèse et l’expérimentation d’ateliers philosophiques en famille : les parti pris idéologiques et méthodologiques, les succès et les difficultés. Ce sont environ 75 ateliers qui ont été organisés par la coopérative d’intérêt collectif LUDOMONDE, avec la participation de la doctorante Sandra SACCAL.

Introduction

La philosophie pour enfants est au début de son histoire : née dans les années 1970 aux USA avec M. LIPMAN et M. SHARP, elle commence à être en vogue en France depuis quelques décennies mais reste encore un phénomène culturel mineur. Une très faible proportion de la population enfantine la pratique et le monde universitaire qui œuvre dans ce domaine est limité à une poignée de professeurs se comptant sur les doigts des deux mains. Peu de diplômes universitaires s’y réfèrent, seuls quelques DU ont fait leur apparition il y a quelques années. Parmi les quelques thèses sur la question, la philosophie avec les parents est quasi inexistante. On insiste par ailleurs assez souvent en formation sur l’importance d’avoir une pédagogie différenciée en contenus et en supports selon les tranches d’âges visées : maternelle, primaire ou adolescents. On souligne à cet égard les différences de compétences entre les différentes tranches d’âge.

Malgré cela, certains praticiens animateurs et animatrices expérimentent ponctuellement des ateliers philosophiques en famille avec plus ou moins de succès. Ils en parlent souvent comme d’« expériences » plus que comme d’actions sur une longue durée.

M’inscrivant moi-même dans ce contexte au cours de l’année 2020 et souhaitant développer les ateliers philosophiques avec des enfants au sein de ma coopérative, je n’avais pas l’intention de proposer des ateliers intergénérationnels. Ce fut une conjoncture particulière qui m’y amena subrepticement. En effet, suite à la première vague de covid, la CAF de Paris sollicita pendant l’été les structures socioculturelles pour proposer des activités favorisant le lien parental. Etant dans une phase d’apprentissage des nouvelles pratiques philosophiques, je me mis en tête qu’il y avait sans doute quelque chose à jouer au niveau des familles bien qu’on en parlât peu. Je téléphonai aussitôt à ma formatrice de l’époque : Edwige CHIROUTER[^1], pour lui faire part de mon intuition. Je me souviens de sa première réaction devant mon envie de faire philosopher les familles : « Ah c’est compliqué… ». Mais très vite, devant ma motivation à expérimenter, elle m’aida à élaborer un plan de séance à tester ce dispositif sur la question du bonheur…

Seuls quatre ateliers-tests avaient été réalisés cet été-là mais avec un certain succès, l’aventure commençait, redoublant alors ma motivation !

Du test au projet : construire une intervention sur le long terme

Un projet coconstruit avec la CAF de Paris et le milieu universitaire

Suite à nos ateliers-tests de l’été 2020, je proposai à la CAF de faire une recherche exploratoire sur les ateliers familles et Edwige Chirouter réussit à motiver l’une de ses doctorantes pour travailler sur ce projet : Sandra SACCAL[^2]. L’idée était de mêler le travail universitaire au travail expérimental de terrain. La CAF fut séduite par le projet et le finança pour 2021.

Le programme de cette première année devait être le suivant : 50 ateliers philosophiques en familles (à partir de 6 ans) de 1h30, 8 cafés des parents, une journée « temps fort » de la philo en famille et une recherche exploratoire menée par une doctorante embauchée pendant 5 mois à mi-temps. Les ateliers devaient être menés à Paris intra-muros dans des structures socioculturelles de notre choix. Dix thèmes d’ateliers furent choisis : le bonheur, l’amour, la liberté, le travail, grandir et vieillir, la vie en société, filles et garçons, la connaissance, la peur, la colère.

Nos parti pris idéologiques et méthodologiques

Il fallut dans un premier temps prendre en compte certaines contraintes :

  • Nos ateliers devaient être proposés dans des structures où le public n’est pas captif mais vient volontairement (centres sociaux, bibliothèques, associations de proximité…).

  • Ce public serait en majorité peu cultivé en matière de philosophie.

  • Les ateliers seraient en majorité des one shot sur un thème mais l’objectif serait de faire revenir des familles sur plusieurs séances.

  • Le format devait être de 1h30 avec un public intergénérationnel.

  • L’objectif principal de la CAF, dans le cadre du soutien à la parentalité, était de favoriser le lien parental et la communication intra-familiale.

  • Notre objectif principal était de garantir la philosophicité des ateliers.

Afin de susciter la motivation et de remédier à la peur générée par le mot « philosophie », nous avons décidé d’utiliser pour chaque séance des supports culturels : albums jeunesse, contes, jeux, activités créatives, photo langages, extraits vidéo. Nous avons également choisi des thèmes généralement en rapport des préoccupations parentales.

Pour maintenir la concentration du public, nous avons alterné des temps sur les supports culturels avec des temps de débat, des moments de réflexion en petits groupes et des moments en grand groupe.

Pour favoriser le lien parental, nous avons créé des temps où le groupe famille échange en autonomie autour d’une expérience de pensée et nous avons instauré une contrainte pour l’animateur : l’obliger à mettre en écho parents et enfants sur leurs propos afin de faire émerger entre eux une convergence ou une confrontation d’idées. Nous utilisions souvent des phrases du genre : « Alors Rachida, est ce que vous êtes d’accord avec ce que vient de dire votre fils ? Non ? Alors dites-nous pourquoi ? » ; « Alors dis-moi Julie, es-tu d’accord avec l’idée de ton papa ? Oui ? Peux-tu nous dire pourquoi ? ».

Notons également d’autre parti-pris : nous favorisons toujours la prise de parole des enfants en début d’atelier afin de favoriser leur motivation et leur attention. Enfin nous supprimons tout a priori concernant la valeur d’une idée ou d’un argument en regard du statut du participant, qu’il soit parent ou enfant. Nous examinons chaque parole avec le même doute et demandons au groupe de l’analyser quelle que soit sa provenance.

Enfin, nous avons décidé d’outiller les parents pour qu’ils reproduisent chez eux certaines méthodes afin de discuter autrement avec leurs enfants. Sans vouloir les transformer en animateur philosophique (nous savons tous que cela demande de l’expérience théorique et pratique), nous souhaitions les amener à tester de nouvelles pratiques à leur niveau. C’est pourquoi nous avons créé le Guide parental pour philosopher et communiquer en famille et mis en place des mini-formation du type Café des parents. Le livret à l’usage des parents a été rédigé avec Sandra SACCAL et a été remis aux parents à la fin de chaque séance. Il donne aux parents les informations de base sur ce qu’est la philosophie avec les enfants et la communication non violente. Il leur donne également quelques exemples de supports culturels (albums jeunesse ou jeux) et quelques idées pratiques sur la manière de les exploiter. Ce livret est mutualisable et utilisable gratuitement par tous les animateurs francophones sous les conditions de la licence Creative Commons mentionnée sur cette page de téléchargement : http://www.ludomonde.coop/philosophie-en-famille/.

La mini formation Café des parents, réalisée sur site socioculturel pour des petits groupes de parents, a le même objectif. Elle s’adresse soit à des parents ayant déjà assisté à l’un de nos ateliers en famille, soit à des parents curieux qui veulent savoir un peu plus précisément de quoi il s’agit avant de s’inscrire à un atelier avec leurs enfants. Pendant 2 heures, les parents expérimentent divers supports culturels (album, photo langage et jeux) et la manière de les exploiter.

En ce qui concerne la philosophicité des ateliers, nous nous sommes obligés, en tant qu’animateurs, à ne pas en rester à un simple atelier d’expression où chacun donne successivement son point de vue. Il nous a fallu, sur le modèle socratique, bousculer parfois les participants, enfants comme adultes, pour interroger certaines attitudes (impatience, non-participation, réponse hors-sujet), les amener à se justifier, à clarifier une idée, à prendre conscience d’une contradiction, à ralentir le rythme de la pensée et des échanges pour soulever un enjeu ou approfondir une idée, à recentrer la discussion ; du côté des participants, il s’agissait de s’écouter vraiment, de répondre précisément à la question posée, de rester sur l’analyse de l’idée émise par l’un d’entre eux sans donner sa propre idée, d’être concis et synthétique, voire de penser contre soi-même. Toutes ces exigences ont dû être savamment dosées afin de ne pas rendre l’exercice trop scolaire, difficile et rébarbatif, en particulier pour les plus jeunes. Car l’un de nos objectifs principaux est, ne l’oublions pas, de donner le goût de la philosophie. Nous souhaitons que les familles apprécient les séances, qu’elles prennent conscience des bénéfices de l’atelier et aient envie de revenir pour discuter d’un autre sujet.

Mise en place de la recherche exploratoire

Le travail de notre doctorante s’est centré dans un premier temps sur les parents en les questionnant avant et après les ateliers. Il s’agissait de savoir pourquoi ils avaient choisi de venir et de recueillir leur évaluation en fin d’atelier. Vingt familles issues des centres sociaux des 18ème, 19ème et 20ème arrondissements de Paris ont été interrogées par Sandra SACCAL lors d’entretiens semi-directifs avant et après les animations d’ateliers menés par Stéphane CLOUX. Le second axe du travail de Sandra SACCAL fut de déterminer si l’atelier avait une influence directe sur les relations entre enfants et parents : sa méthode fut l’observation directe, non participante.

Voici les résultats :

  • Les familles ont été motivées par quatre facteurs principaux et souvent plusieurs en même temps : en premier lieu l’aspect loisirs et amusement pour 75% d’entre elles ; en second lieu un aspect pratique (la disponibilité, la proximité géographique, la confiance dans les activités proposées par la structure) pour 65% d’entre elles ; en troisième lieu l’aspect relationnel avec leurs enfants pour 45% d’entre elles  et enfin, en dernier lieu, l’aspect purement philosophique de l’atelier (débattre, réfléchir) pour 40% d’entre elles.

  • Les évaluations finales des parents nous informent sur les points suivants :

    • Toutes les familles ont compris la spécificité philosophique de l’atelier

    • 85% des familles ont trouvé l’atelier très réussi, les autres regrettant la timidité de leurs enfants où le caractère seulement ponctuel de l’atelier

    • 85% des familles estiment avoir vécu un beau moment d’échange relationnel avec leurs enfants

    • Enfin 100% des parents souhaitent revenir à un atelier du même type.

Même en tenant compte des biais d’évaluation, ces résultats sont nettement positifs et encourageants. Cela a permis de contrebalancer les difficultés de mobilisation dues au covid 19, qui avaient eu, à l’inverse, plutôt tendance à nous décourager.

  • Les observations non participantes de la chercheuse ont révélé différentes constantes :

    • En début d’atelier, pendant 30 min, les parents sont plutôt timides, ne savent pas trop quelle est leur place et laissent les enfants parler. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : un certain manque d’habitude de la pratique d’ateliers parents-enfants, l’envie d’écouter et la curiosité envers leur enfant, enfin sans doute la peur de dire une idiotie devant un animateur qui, en théorie, en sait un peu plus long qu’eux sur le sujet. Les parents semblent éprouver étonnement et fierté face à la parole de leurs enfants. Et plus l’atelier avance, plus ils osent prendre la parole.

    • En petit « groupe-famille » l’ambiance est toujours conviviale et chacun se met à l’écoute des autres. En grand groupe, c’est un peu plus variable. Parfois les parents ont du mal à sortir de leur rôle cadrant ou donneur de leçon mais cela reste l’exception.

    • Pendant l’activité artistique, les échanges sont également nombreux, plus informels et généralement bienveillants.

Ces résultats sont également très positifs et ont été confirmés par nos ateliers subséquents. Les parents nous le notifient très souvent en fin d’atelier : ils apprécient notre manière différente et rigoureuse de penser avec leurs enfants et avec d’autres familles et sont très souvent étonnés à l’issue de leur première séance.

En parallèle de la recherche de Sandra SACCAL, et dès les premières expérimentations du dispositif, nous avons mis en place des outils d’évaluation de séance : en fin de séance, nous demandions à l’oral de manière individuelle aux participants une appréciation de la séance. Le choix pouvait se faire entre : beaucoup aimé / moyennement aimé / pas du tout aimé / sans opinion.

Bien que ce mode d’évaluation comporte des biais évidents (ne pas vouloir déplaire au professionnel ou aux parents dans le cas des enfants ; éviter de devoir se justifier ou de rentrer en conflit en cas d’évaluation négative), il donne tout de même une évaluation assez concordante avec le ressenti des animateurs Stéphane CLOUX, Sandra SACCAL et Céline SAUNIER (coordinatrice du secteur ateliers philosophiques à Ludomonde depuis mars 2021) qui ont mené les ateliers de mars 2021 à août 2022. Sur cette période 73 ateliers ont été réalisés pour un total de 449 personnes soit une moyenne d’environ 6 personnes par atelier, c’est-à-dire 2 à 3 familles.

Les appréciations furent les suivantes :

Les appréciations

Outre ces appréciations chiffrées très positives, nous avons eu sur chaque atelier des retours oraux majoritairement positifs, d’enfants comme d’adultes. Les appréciations « moyennes » revoyaient majoritairement aux difficultés mentionnées ci-après.

Les difficultés et réussites du projet

Les difficultés

Nous avons testé plusieurs supports culturels et diverses manières d’animer depuis le début du projet, cela nous a permis par « essai/erreur » d’améliorer notre pratique et d’éviter désormais dans la mesure du possible certains écueils. Voici notre retour d’expérience.

La diversité des capacités et compétences du public

L’une des difficultés de l’atelier philosophique est d’arriver à comprendre certains enjeux et de se familiariser avec l’utilisation de certaines habiletés de pensée. A 5 ans, 8 ans, 11 ans où à l’âge adulte, les compétences ne sont pas les mêmes. Au commencement du projet, l’âge minimum des ateliers était de 6 ans mais une fois sur deux, nous nous sommes rendu compte que les enfants de cet âge-là décrochaient. C’est pourquoi, en 2022, nous avons décidé de relever l’âge minimum à 7 ans et de créer des ateliers familles « maternelle » spécifiquement pour les enfants de 4 à 6 ans (et leurs parents), en complément des ateliers concernant les familles avec des enfants de 7 ans et plus.

Les difficultés rencontrées parfois sont les suivantes :

  • Des supports culturels trop compliqués pour les plus jeunes. Par exemple lors de l’utilisation de l’album jeunesse Cyrano pour une séance sur l’amour, les plus jeunes ont décroché. On peut évoquer deux raisons : le style assez recherché du récit et la thématique exploitée à partir de l’album, trop éloignée de leur vécu (qu’est-ce qu’un amour de couple réussi ?). La séance a beaucoup plu aux adultes et aux grands par contrepoint.

  • Un moment du débat où soit l’animateur, soit un adulte part dans une explication trop technique et/ou trop longue. Cela peut être un propos d’adulte faisant référence à l’histoire de la philosophie, à un exemple éloigné de l’expérience enfantine ou bien un enjeu ou une notion trop complexe pour de jeunes enfants (la notion de libre-arbitre par exemple dans l’atelier sur la Liberté).

Des parents trop « cadrants » ou moralisateurs

Parfois, mais cela arrive rarement, certains parents cadrent trop leurs enfants. Cela peut se manifester de différentes façons : ils soufflent des réponses, ils interrogent les enfants à la place de l’animateur, ils les poussent à prendre la parole ou ils leur font la morale. Heureusement ces comportements ne sont pas fréquents mais nous avons dû les gérer le cas échéant. Il a fallu rappeler aux parents avec bienveillance mais fermeté que l’atelier philosophique était un espace ou chacun devait être indépendant dans sa prise de parole, et qu’il ne devait pas y avoir de pression par rapport au fait de parler ou de se taire ; que la pensée et la prise de parole doivent parfois maturer un long moment avant d’émerger et que le fait d’écouter, de penser, de se positionner intérieurement, même si l’on ne dit rien, c’est déjà philosopher. De même, il a fallu leur expliquer qu’un atelier de philosophie remet en question les conceptions morales et que la posture de l’animateur doit être neutre et ne l’autorise en aucun cas à valider une option ou une autre.

La difficulté de mobilisation du public

Nous avons dû faire face à deux difficultés : les préjugés sur la philosophie et le covid.

Pour les structures socioculturelles, communiquer sur l’atelier philosophique n’est pas simple. Les représentations liées à la philosophie ne sont pas toujours à son avantage : discipline incompréhensible ou peu connue, compliquée, aride voire ennuyeuse. C’est parfois un challenge pour les professionnels de mobiliser leur public. D’où la ruse pédagogique de mettre en avant les supports culturels : albums jeunesse, extraits de vidéos d’animation, activité créative ou ludique.

La crise sanitaire a quant à elle fait perdre des habitudes de fréquentation des structures socioculturelles : le port du masque et la peur du covid ont freiné les inscriptions et éloigné les familles des bibliothèques et des centres sociaux. Finalement, une douzaine d’ateliers ont été annulés faute d’inscrits et ce malgré la motivation des professionnels.

Rajoutons à cela qu’il arrive que des familles qui s’étaient inscrites ne se présentent pas au moment de l’atelier, pour diverses raisons (rdv médicaux ou administratifs, beau temps…). Nous nous retrouvions donc en général avec des groupes composés de 1 à 4 familles.

En ce qui concerne la récurrence, même si quasiment toutes les familles disaient souhaiter revenir pour un nouvel atelier, cela n’a pas toujours été possible car les créneaux des structures socioculturelles ne sont pas extensibles et que la programmation des ateliers philo s’est souvent limitée à deux ou trois ateliers par trimestre, parfois un seul, ce qui a certainement limité la disponibilité du public aux dates fixées. Les structures les plus engagées et motivées -comme, par exemple, le centre social Cambrai dans le 19ème ou la bibliothèque Georges Brassens dans le 14ème- ont réellement réussi à mobiliser un public régulier.

Une organisation spatiale pas toujours propice

L’organisation de l’espace a parfois été compliquée, plus particulièrement dans certaines bibliothèques ne disposant pas de salles d’activité ni d’espaces fermés. Le bruit environnant a pu empêcher alors la concentration ou tout du moins la rendre plus difficile pour l’animateur comme pour les participants, surtout pour les plus jeunes, particulièrement sensibles aux sollicitations extérieures.

Les réussites

Une appréhension injustifiée

Une crainte initiale que nous avions -et qui est habituellement partagée par les animateurs- est celle d’un atelier chaotique et ingérable du fait de son caractère intergénérationnel. En réalité, dans la majorité des cas, la gestion du groupe est plutôt facile car la présence des parents est de fait « cadrante » pour les enfants et leur met une certaine pression quant au fait de se tenir tranquille. En ce qui concerne la prise de parole, ils lèvent volontiers la main et se la coupent rarement. Enfin, les évaluations sont bienveillantes et positives, tant du côté des enfants que de celui des parents, même lorsque de notre côté nous ne sommes pas pleinement satisfaits de la philosophicité de l’atelier. Le public ne semble pas trop exigeant sur le contenu de manière générale, probablement parce que c’est pour la plupart des participants une activité nouvelle, qu’ils se concentrent sur le dispositif et la réflexion et qu’ils ont l’impression de découvrir quelque chose, ce qui est en soi satisfaisant.

Etonnement et plaisir des participants

Nous avons noté un plaisir récurrent des parents lors des prises de parole de leurs enfants. Les parents se sont montrés étonnés et fiers des propos tenus par leurs enfants. Le questionnement original de l’animateur-trice a en effet amené les enfants à parler et à réfléchir différemment par rapport à leurs habitudes, à savoir de manière plus rigoureuse et profonde.

Les enfants sont également très contents de trouver une idée nouvelle, un exemple, un argument, et ils acceptent facilement de reconnaître que leur argument ne tient pas s’ils comprennent en quoi et peuvent s’approprier le meilleur argument.

Certains enfants semblent avoir en atelier des prises de conscience existentielles. Ainsi tel enfant qui comprend en l’exprimant que ce qu’il veut c’est plus de liberté. Pour d’autres il semble que l’atelier ait été perçu comme un espace « hors menace » ; ainsi ce garçon de 5 ans qui parvient pour la première fois à évoquer la mort récente de son père. Enfin certains semblent ravis de découvrir de nouvelles pistes d’actions qui peuvent les rendre heureux.

Atteinte partielle mais réelle des objectifs

Du point de vue relationnel, nous avons su créer dans ces ateliers un moment privilégié en famille en permettant aux participants d’échanger de manière originale et de mieux se connaitre. Nous avons eu des témoignages de familles nous disant que les discussions s’étaient prolongées au domicile avec les autres membres soit sur le même sujet, soit sur un sujet afférent.

Nous avons remarqué aussi que parfois les discussions continuaient entre participants à la fin de l’atelier sans nous. Enfin, le fait que plusieurs familles reviennent régulièrement aux ateliers est un gage que certaines familles au moins ont pris goût à cette pratique (environ 15% du public).

En ce qui concerne nos objectifs philosophiques, nous avons réussi à faire travailler aux familles les habiletés de pensée, à les familiariser avec certaines notions, à leur faire prendre conscience de certains grands enjeux, à déconstruire certains préjugés et surtout à les rassurer sur leur capacité à dialoguer et à philosopher !

Pour conclure, soulignons le fait qu’il s’agit d’une réussite tant institutionnelle que professionnelle. En effet, en tant que militants des nouvelles pratiques philosophiques, nous sommes persuadés de l’intérêt sociétal de ces ateliers intergénérationnels. Et parvenir à sensibiliser la Caisse d’Allocations Familiales et la Mairie de Paris et avoir un retour favorable de leur part est vraiment gratifiant et constitue un pas de plus vers la diffusion de nos pratiques. Grâce à ce premier pas, notre coopérative d’intérêt collectif Ludomonde travaille activement à l’élargissement de ce dispositif à la région parisienne et aux régions, par le biais d’animateurs relais.

Conclusion

Philosopher en famille, oui c’est possible et ça marche ! Les spécificités du dispositif peuvent engendrer quelques difficultés mais qui ne sont pas insurmontables avec un minimum de formation et d’expérience.

Puissiez-vous, chers collègues animateurs-trices et universitaires, envisager de partir à la découverte de ce public et de partager avec nous le fruit de vos expériences et de votre travail, afin d’améliorer ensemble cette jeune pratique philosophique.

« Quand on est jeune il ne faut pas remettre à philosopher, et quand on est vieux il ne faut pas se lasser de philosopher. Car jamais il n’est trop tôt ou trop tard pour travailler à la santé de l’âme. Or celui qui dit que l’heure de philosopher n’est pas encore arrivée ou est passée pour lui, ressemble à un homme qui dirait que l’heure d’être heureux n’est pas encore venue pour lui ou qu’elle n’est plus.»[^3] Dans le sillage d’Epicure, parions qu’il est possible en atelier d’ajouter à la joie de philosopher individuelle la joie des relations familiales et ainsi de contribuer un peu au mieux vivre ensemble !

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