Revue

Qu'est-ce qu'une question philosophique ?

Que ce soit les élèves, les participants à un atelier ou à un café philo, que ce soit un animateur d’atelier philo ou même un professeur de philosophie, la question de savoir ce qu’est une question philosophique, si c’est bien ou non une question philosophique qui est proposée, que l’on propose ou que l’on formule, est récurrente. Et cette question est complexe, elle-même philosophique. Quels sont les attributs, les critères d’une question philosophique ? Cette question a-t-elle même un sens ? Est-ce la question ou/et son traitement qui est/sont philosophique(s) ? Cet article essaye de faire le point, et examine divers points de vue.

La question de la question

Se placer devant cette question (Cela implique toute une posture, qui implique de la prendre au sérieux et la faire sienne !), implique au préalable une réflexion sur ce qu’est une question. La question semble une spécificité humaine, ne serait-ce que parce qu’elle se formule par le langage, et exprime un manque, révèle une ignorance, et donc un désir de savoir (Freud parlait de « pulsion épistémophile »). Toute question posée par un humain a une origine (la curiosité), et un sens (métaphysiquement la solitude ontologique de l’être confronté à l’angoisse de la finitude). Elle traduit une attente, celle d’une réponse, et s’accompagne plus ou moins d’une inquiétude, face à l’incertitude que la réponse ne soit pas donnée, ou insatisfaisante, ce qui peut se traduire par une simple déception, jusqu’au désespoir. Elle s’inscrit dans une intersubjectivité, car elle est « adressée », dirigée vers celui/celle qui est censé combler cette ignorance, un « sujet supposé savoir » (Lacan). Celui qui pose une question est généralement en position basse (Goffman), celle du demandeur devant le sachant, et il faut un Socrate pour poser la question en position haute, car le répondeur le plus souvent se discrédite, se contredit, ou avoue finalement son ignorance, ou déserte la discussion de dépit …

La question de la réponse

On ne peut réfléchir à la question sans réfléchir aussi à la réponse, car ils font la paire. Le pattern question/réponse est à la fois chronologique (la question vient avant la réponse, il faut l’expliquer aux enfants de maternelle), et logique (on répond, a minima on essaye de répondre à une question. La question est vide et ouverture, elle fait sens, direction vers, flèche. La réponse fait le plein, elle est censée obturer et clôturer la question, l’éteindre, la rendre inutile (« La réponse est la mort de la question », dit Blanchot ; un élève me disait un jour : « la question est la proie de la réponse ») : elle arrête la recherche. D’où l’intérêt de ne pas répondre trop vite, de différer, si on veut répondre censément.

La question en philosophie

En philosophie, la question revêt un statut particulier, principiel, fondationnel. Elle est au-delà de l’origine une fondation, ce qui est curieux, car la question habite un lieu d’instabilité, au contraire d’une base solide. En philosophie, tout commence par des questions (l’étonnement aristotélicien, la maïeutique socratique, le questionnement cartésien…). La question ouvre la réflexion, l’enquête (Dewey), inaugure une recherche, une démarche. Philosopher c’est la culture de la question, et non de la réponse. On peut même terminer un atelier par une question. Philosopher, c’est notamment problématiser. Problématiser, c’est partir d’une interrogation, c’est élaborer des questions, c’est mettre en question(s) des pseudo évidences ou préjugés. Et c’est chercher quel est le problème sous-jacent à la question posée, quels sont ses enjeux, quelle est la difficulté à répondre à la question parce qu’il y a des obstacles à résoudre le problème. Le philosophe questionne parce que, contrairement à la vie quotidienne où l’on cherche à fuir, contourner ou se débarrasser le plus rapidement possible des problèmes, il aime lui les problèmes, il y séjourne, il cultive une « érotique des problèmes » (Charbonnier).

F. Galichet relativise l’idée qu’en philosophie tout par de questions : « c’est juste si on se place dans la perspective d’une philosophie conceptualisante, où le tryptique problématiser/conceptualiser/argumenter est dominant. Mais si on se place dans un paradigme plutôt « interprétatif », il n’est pas sûr qu’il en aille de même. Peut-on dire, par exemple, qu’une philosophie comme celle de Nietzsche part de « questions » ? Lui-même dirait plutôt, je pense, qu’elle prend sa source dans une jubilation, une expansion de la volonté de puissance, la joie d’être et de se sentir être, le désir de prendre sa place dans la « danse » de l’éternel retour, etc. On trouve dans les textes de Nietzsche bien plus d’affirmations que de questions ! Pareillement Bergson, dans la Pensée et le mouvant, conteste que le problème soit le principe du philosopher. Il montre, à propos de la liberté, que beaucoup de problèmes dits philosophiques sont en réalité de faux problèmes si on les considère non comme des questions intellectuelles mais du point de vue du vécu, de ce qu’il nomme l’intuition. On pourrait en dire autant de la philosophie husserlienne, qui se veut une description des phénomènes et non une recherche d’explications ».

C’est donc un point à discuter. Pour nous, didactiquement, dans une perspective d’apprentissage du philosopher, c’est la question et le questionnement qui peuvent initier la recherche de l’apprenti-philosophe.

Mais qu’y a-t-il dans ce type de question pour qu’elle mobilise aussi fortement la pensée, quelle donne lieu à une élaboration d’œuvres magnifiques, à des systèmes (Hegel) ou antisystèmes (Nietzsche) philosophiques, à cet effort tenace pour trouver une réponse, quitte à constater des apories (ex. les antinomies de la raison pure de Kant) ? Est-ce parce qu’il s’agit précisément d’une « question philosophique », à l’allure vertigineuse ? Mais qu’est-ce alors qu’une question philosophique ?

Contextualisation de la question

La question de la question philosophique est souvent posée par ceux, qui sans grande formation philosophique, veulent animer des ateliers philo. Parce qu’on leur dit qu’en formation, un bon moyen de commencer une discussion dans un atelier, c’est de partir d’une question, posée si possible par les enfants, spontanément (cf. la boite à questions) ou à partir du support d’une image, d’une BD, d’un album, d’un livre, d’un film etc. Mais une question philosophique, ou susceptible d’un traitement philosophique, qu’est-ce à dire ?

Pour ceux qui par ailleurs ont une culture philosophique, la réponse à cette question ne va pas non plus de soi (ne pas aller de soi, est-ce un attribut d’une question philosophique ?), car elle suppose d’être au clair sur ce qu’est la philosophie et le philosopher, ce qui fait débat entre les philosophes eux-mêmes, entre les professeurs de philosophie, entre les didacticiens, entre les praticiens, et entre ces différentes catégories d’acteurs.

Reformulation du questionnement

  • Est-ce que telle question est philosophique ou pas ? Philosophique par nature, par essence ? Ce serait la nature de la question qui indiquerait sa « philosophicité ». Rares sont ceux par exemple qui jugeront la question : « La vie a-t-elle un sens ? » comme non philosophique. Kant la traduisait à sa façon : « Que puis-je espérer ? ». Cioran tranchait : « De l’inconvénient d’être né ». Quelle est donc la nature, la spécificité, les attributs de cette question, comment conceptualiser la notion qu’elle contient ?

  • Faut-il affirmer que les questions existentielles (« Qui suis-je, », « D’où viens-je ? », « Où vais-je ? », « La vie est un problème, le suicide est-il la solution ? », « Que se passe-t-il après ma mort ? », « Quel sens la mort donne à ma vie ? », « Suis-je libre ? », « Que dois-je faire ? » etc.) sont par nature philosophiques, et si oui pourquoi ? Et qu’entendre par questions existentielles : celles qui mettent en jeu le sens ou le non-sens de ma vie et de ma mort ?

  • Mais pour Wittgenstein par exemple, cette façon essentialiste de poser la question : « Qu’est-ce que (une question philosophique) … ? » est inappropriée, purement nominale, elle n’a pas de sens en soi, parce que toute question s’inscrit dans un « jeu de langage » qui ne prend de sens que dans un contexte donné : par exemple les questions données au bac de philo sont choisies à l’examen parce qu’elles sont jugées par des professeurs de philosophie philosophiques dans leur contenu et leur formulation, et on attend qu’elles soient philosophiquement traitées. Peut-on au moins affirmer que certaines questions ont « un air de famille », une « allure » philosophique, comme le corpus des questions compilées dans les annales du bac de philo ? En quoi consiste alors cette allure ?

  • De plus le propre de la philosophie est de trouver certaines questions obsolètes aujourd’hui (ex. les questions sur les anges dans une centaine de pages de la Somme théologique de Saint-Thomas, ou des questions de type métaphysique pour certains philosophes, positivistes ou contemporains) ; ou mal posées, et il y aura un travail pour les déplacer, les reformuler, voire les contester…

  • Le caractère philosophique d’une question ne préjuge aucunement de son traitement. Une question jugée philosophique dans son contenu même peut ne pas être traitée philosophiquement. On peut apporter par exemple une réponse religieuse et non philosophique à cette question : « La vie a-t-elle un sens ? » : celle inspirée, recommandée ou exigée par Dieu. Faut-il dire qu’une question philosophique se traite par la raison ? Alors que la religion y répond par la foi ? Mais la science répond aussi à des questions (parfois les mêmes) par la raison ! La science peut-elle cependant répondre à une question existentielle et trancher par exemple sur la question de la valeur de la vie ou du suicide ? Nous ne le pensons pas, parce que cela n’engage pas seulement la raison. Alors pourquoi se tourner vers la philosophie : par la relation entre le rationnel et le raisonnable, comme le pensaient les sages de l’Antiquité (comprendre le monde pour s’y comporter sagement) ?

  • Certains chercheurs d’aujourd’hui contribuent à l’épistémologie de leur discipline (discipline traditionnellement philosophique), et éclairent ainsi la théorie de la connaissance, sans se revendiquer pour autant comme philosophes (Ex. : Etienne Klein, Axel Kahn, Francisco Varela, Hubert Reeves etc.). Les chercheurs en sciences humaine et sociales se sont progressivement appropriées des questions qui étaient dans le passé considérées comme philosophiques : le langage est-il spécifiquement humain ? Peut-on parler d’intelligence animale ? Les sens sont-ils trompeurs ? Peut-on maîtriser ses passions ? Ces sciences ont vocation à y répondre rationnellement. La linguistique s’intéresse ainsi au langage, la psychologie à l’étude de l’esprit, l’éthologie aux comportements animaux, la sociologie à la vie collective, l’anthropologie à l’histoire de l’espèce humaine, l’économie à la satisfaction des besoins humains par la production et la répartition des richesses etc.

    Elles utilisent des méthodologies propres, qui ne sont pas philosophiques. Elles proposent leurs contributions propres aux grandes questions humaines, et la frontière apparait alors comme très poreuse avec la philosophie. Celle-ci a besoin de leurs apports, car comme dit Canguilhem la philosophie se nourrit toujours de son autre. Mais elle revendique pourtant la spécificité de son approche. Exemple : la psychanalyse nous en apprend beaucoup sur le désir humain, notion très travaillée par les philosophes depuis Platon, mais par sa théorie et sa clinique, ce n’est pas une démarche scientifique (Freud d’ailleurs ne se revendiquait pas comme philosophe ; mais il est sur la liste des auteurs philosophiques de la classe terminale…). Les mêmes questions peuvent donc être abordées en philosophie et dans certaines sciences : peut-on alors encore dire qu’elles sont spécifiquement philosophiques ?

  • Elles peuvent aussi être traitées philosophiquement ou non, selon le champ épistémologique envisagé : exemple « Qu’est-ce que la mort ? ».

  • Réponse scientifique : « un cerveau à l’électroencéphalogramme plat » (la réponse peut aussi évoluer dans le temps, même si elle fait consensus à un moment donné).

  • Réponses religieuses (car variables selon la religion concernée) : « la séparation de l’âme et du corps », « le passage à une autre forme de vie » etc.

    Qu’est-ce alors répondre philosophiquement (et non scientifiquement ou religieusement) à cette question ? Car la science et la philosophie peuvent avoir les mêmes réponses à certaines questions, tout au moins certaines philosophies matérialistes (la mort est un arrêt définitif de la vie humaine). Et Socrate parle comme certaines religions de la séparation de l’âme et du corps, Platon de métempsychose etc.

  • Par ailleurs, ne peut-on pas traiter philosophiquement des questions qui d’emblée n’apparaissent pas comme telles (« Tu peux me donner deux euros ? ») ? Ce serait la façon de traiter la question qui serait philosophique, et non la question elle-même (ex. problématiser la question du don/d’argent/à un nécessiteux, la signification/le statut/la place du SDF dans une société de consommation etc.). On peut penser aussi qu’il est plus facile de traiter philosophiquement une question qui apparait d’emblée comme philosophique (C’est l’implicite de la dissertation au bac), sachant que l’on peut aussi traiter non philosophiquement cette question. Mais alors qu’est-ce que traiter philosophiquement une question ?

La pertinence didactique de la question

Philosophiquement « la question de la question » peut se discuter (cette discutabilité est-ce d’ailleurs un aspect de sa philosophicité ?). Mais elle demeure didactiquement pertinente, du point de vue de la philosophie comme discipline scolaire et du philosopher dans un atelier philo. Car elle est ressentie comme déterminante et opérationnelle par les praticiens, qui se demandent par exemple dans une boite à questions s’il y en de plus philosophiques que d’autres à choisir pour une discussion, et s’il faut transformer, reformuler certaines questions d’enfants, ne serait-ce pour qu’elles soient plus facilement philosophiquement exploitables…

Tentative pour trouver quelques attributs ou critères

C’est plus facile de répondre à la question négativement : qu’est-ce qu’une question philosophique n’est pas ? On peut se mettre facilement d’accord sur le fait que l’on ne peut y répondre par un simple apport de connaissances : « Quand Mitterand est-il devenu président ? » (Question historique) ; « Qu’est-ce qu’une peine plancher ? » (Question juridique) ; « Observe-t-on un déclassement des classes moyennes ? » (Question sociologique) ; « Où en est cette année la balance commerciale française ? » (Question économique) ; « Comment fonctionne un moteur à explosion ? » (Question technique) etc. Ou s’il s’agit de répondre sur la réalité d’un fait (« L’homme est-il allé sur la lune ? », « A combien de degré l’eau bout-elle ? »…). Où s’il n’y a qu’**une seule réponse possible **(Ex. factuel : « Est-ce que la terre est plate ou ronde ? », versus philosophico-éthique : « Est-ce que l’homme est bon ou mauvais ? »).

Mais alors, pour qu’une question soit philosophique, quels critères de distinction ? Un ou plusieurs critères, ou leur combinaison ?

Voilà ce que j’ai coutume de dire : une question peut être dite

philosophique dans sa formulation lorsqu’elle est universelle, posée à tout et à chaque humain. Lorsqu’elle est ouverte, susceptible de plusieurs réponses, donc discutable, peut-être même parfois sans réponse (C’est ce que F. Galichet nomme son « indécidibilité »). Lorsqu’elle demande de surseoir à une réponse spontanée et immédiate, de prendre le temps d’une réflexion individuelle, et peut-être d’une discussion collective, tant les réponses ne vont pas de soi. Lorsqu’elle porte sur un problème de sens concernant la condition humaine : la question de la connaissance (Que puis-je savoir ?), la question de l’action, éthique (Que dois-je moralement faire ?), ou politique (Comment s’organiser justement ?), la question de l’esthétique (Créer une œuvre d’art ou contempler la beauté de la nature ou une œuvre). Une question philosophique peut donc se poser dans l’un des champs de la philosophie : métaphysique et ontologie, épistémologie, éthique (philosophie morale), politique (philosophie politique), esthétique. On peut aussi le dire de la façon suivante : une question est philosophique lorsqu’elle pose comme un problème (une difficulté) notre relation à nous-même, à autrui, à l’Etat, à la nature. Ou notre rapport aux valeurs qui peuvent donner sens à notre vie : la vérité, le bien, le juste, le beau…

F. Galichet ajoute pour sa part deux critères :

  • L’implication. Il se réfère à A. Camus qui écrit, au début du Mythe de Sisyphe : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l’esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux ; il faut d’abord répondre ». Et il ajoute : « Si je me demande à quoi juger que telle question est plus pressante que telle autre, je réponds que c’est aux actions qu’elle engage. Je n’ai jamais vu personne mourir pour l’argument ontologique (…) Ce qu’on appelle une raison de vivre est en même temps une excellente raison de mourir ». Pour F. Galichet, une question philosophique est une question dont la réponse que je donnerai (ou non) changera ma façon de vivre, d’agir, de me conduire … la philosophie se définit comme chercher des raisons de vivre qui sont aussi des raisons de mourir … ».

  • La totalisation : « une question philosophique est une question qui renvoie à toutes les autres (Pratiquer la philosophie à l’école, Nathan p. 9), qui ne se laisse pas circonscrire, délimiter, isoler comme c’est le cas pour les questions scientifiques, techniques, morales, politiques, etc. D’où son extrême difficulté, et sa différence d’avec toutes les autres ».

    Il ajoute enfin que les questions philosophiques sont émancipatrices, c’est-à-dire déterminantes pour acquérir une autonomie dans sa pensée et sa volonté. Dans son intervention au colloque tenu à la BNF le 12 juin 2021 (site de la chaire de l’UNESCO : https://www.youtube.com/watch?v=cvFFXFvXggs de 1heure50 à 2h03), il tente de relier les quatre critères qu’il a déterminés aux quatre « figures » de l’émancipation qu’il a distinguées dans son livre L’émancipation, se libérer des dominations (Chronique Sociale).

Voici deux autres approches en philosophie pour enfants.

Le modèle des 4 C

Les critères d’une question philosophique sont selon M. Lipman et M. Sasseville résumés dans la règle des trois « C ». Si elle répond à ces trois critères, alors la question posée est d’ordre philosophique :

  • Question CENTRALE : question fondamentale, qui concerne notre existence.

  • Question COMMUNE : question universelle, que tout le monde, dans le temps et dans l’espace, indépendamment donc du contexte et de l’époque, se pose, s’est posé et très probablement se posera.

  • Question enfin dont la réponse est CONTESTABLE : question ouverte, il n’y a pas une seule réponse, il n’y a pas de réponse définitive et les réponses se prêtent à être réinterrogées et remises en question.

Certains ajoutent un quatrième critère : une question philosophique doit aussi être CLAIRE (règle du quatrième C) : si un ou plusieurs concepts, ou le sens d’une question ne sont pas clairs, cela signifie que la question n’est pas compréhensible. Avant de l’aborder et d’y répondre, il faudra donc en préciser le sens en la reformulant.

Le modèle de Cam (Philosophe lipmanien australien), résumé par Marie Kerhom, doctorante.

« Philip Cam utilise un outil dans son ouvrage Thinking Tools : Collaboraztiver Inquiry for the classroom (2006). Cet outil, The quadrant question, peut être utilisé par les professeurs dans leurs classes afin de permettre aux élèves de savoir dans quel quart du tableau ils situent leur(s) question(s) et de pouvoir suivre les indications de leurs professeurs quand ceux-ci leurs demandent de changer de « quart ». Il se présente comme ci-dessous d’après un exemple de lecture. Il existe une grande variété de questions (impératives, provocantes, alternatives, suggestives, rhétorique…) suivant les contextes, séparées en deux catégories : les questions fermées qui n’admettent qu’une seule réponse et les questions ouvertes dont les possibilités sont multiples. Il y a aussi celles qui touchent à la compréhension du texte, celles qui demandent un apport de connaissances, celles qui font faire des hypothèses et celles qui demandent une « enquête ». Ainsi, The question quadrant se présente comme un schéma avec un axe vertical avec, vers le haut, les questions qui se réfèrent au texte lu (textuelles) et vers le bas les questions intellectuelles. Le schéma se complète avec un axe horizontal coupant le premier dans sa moitié avec vers la gauche les questions fermées et vers la droite les questions ouvertes.

Papier

Suivant la question posée, celle-ci peut être placée dans un quart du schéma.

  1. Dans le premier quart du schéma on trouve les questions « textuelles » fermées. Ce sont des questions de compréhension calquées sur celles qui sont généralement posées par le maître pour s’assurer de la compréhension de la lecture d’un texte : « Qui a ouvert la porte ? », « De combien de membres se compose la famille Dupuis ? » etc. Il n’y a qu’une seule réponse que l’on trouve dans le texte « ou à l’aide d’indices qui se trouvent dans le texte » (idem). Dans notre tableau elles correspondent au type 1.

  2. Suivant l’axe horizontal, on trouve dans le deuxième quart les questions textuelles ouvertes. Elles sont formulées comme « Pourquoi le héros n’écoute pas les conseils donnés ? », « Que se passerait-il si Johnny ouvrait le coffre ? » etc. Ces questions permettent de faire des hypothèses de lecture, d’imaginer une suite, d’interpréter un texte. Elles ouvrent à l’imagination et l’interprétation, elles utilisent les hypothèses, elles permettent le débat interprétatif ».

  3. Passant sous l’axe horizontal, nous rapprochant des questions intellectuelles, on trouve dans le quart gauche les questions intellectuelles fermées. Elles sont semblables à « Quel est l’auteur de ce récit ? », « Est-ce qu’en 1863 le travail des enfants était autorisé en France ? » etc. Répondre à ces questions nécessite de faire appel à ses connaissances ou avoir recours à des sources extérieures comme une encyclopédie, un manuel d’histoire…La seule lecture du texte ne permet pas de donner la réponse et il n’y a pas d’indices laissés dans le texte qui permettent de la trouver. Cependant il n’y a qu’une seule réponse possible. Alors, même si la démarche de recherche de documentation entre dans les critères de la pensée critique, ces questions intellectuelles fermées ne peuvent prétendre être source de délibération, à moins de les transformer en questions philosophiques ou du moins en questions ouvertes qui peuvent prétendre devenir des questions philosophiques.

  4. Dans le dernier quart, nous trouvons des questions intellectuelles ouvertes. Elles sont propices aux hypothèses et à la délibération. Elles se formulent comme : « La société a-t-elle besoin de morale ? », « L’inégalité hommes/femmes est-elle naturelle ? » etc. Ce sont des questions qui demandent un examen attentif et critique. Ce sont des questions-problèmes, pour lesquelles il faudra étudier les différentes facettes du problème, définir les concepts, évaluer les raisons, les arguments pour pouvoir se prononcer dans un contexte précis. Plusieurs réponses sont permises. Ce sont des questions philosophiques et elles permettent la discussion ».

Y a-t-il des questions philosophiques genrées ?

La posture rationaliste semble occulter le locuteur qui la pose. Certes, c’est le sujet de la raison, le sujet en tant qu’être de raison, dans toute son abstraction désincarnée qui la pose. Puisque chacun et tous peut se la poser, c’est quiconque, et non quelqu’un/quelqu’une (Personne ?). Et si la nature de la question, son choix, la façon de l’investir, de l’habiter, dépendait, au moins en partie de qui la pose ? Prenons la question : « En quoi la grossesse modifie ma façon d’être au monde ? ». Ce n’est pas seulement la réponse qui sera individuellement et subjectivement différente, mais le sens même de la question, selon que l’on est femme ou homme, car la grossesse modifie et oriente ma vie de femme.

Y a-t-il donc des questions « genrées » ? La question me semble nouvelle, et pertinente, comme une retombée du féminisme en philosophie. Qu’est-ce qu’une question genrée ? Une question posée du point de vue d’un sexe, d’un genre ? La philosophie rationaliste fait des questions philosophiques des questions universelles, indifférenciées, prétendument neutres. Mais l’histoire de la philosophie a été faite principalement par des hommes, et donc les questions philosophiques classiques ont été formulées par des hommes. Faut-il en conclure avec certaines féministes que ce sont des questions masculines, et non prétendument universelles, tant par le choix des questions posées — ou omises, que de la façon de les traiter ? Les hommes philosophes ont-ils fait l’impasse sur les questions que se posent les femmes, voire sur « une pensée féminine » (et non féministe) ? Les femmes poseraient-elles d’autres questions, ou les poseraient-elles différemment ? Par exemple les questions de la sexualité, de la maternité, de la ménopause, de l’invisibilisation de la femme vieillissante, du travail et de la vie multi-tâches, de la charge mentale de la famille etc. ? Même si elles peuvent être posées par des hommes, elles ne sont pas habitées de la même façon par les femmes, qui n’ont pas le même vécu, la même façon d’être-au-monde… La question qui suis-je en tant que femme, portant sur mon être et mon identité, est différente du qui suis-je ? cartésien, quand l’humain n’est plus un homme. Quel est le philosophe qui a posé la question : « Qui suis-je en tant que femme » ? Et qui dois-je être ? ». Une philosophe, mais femme, Simone de Beauvoir, et non un homme. Certains hommes aujourd’hui, bousculés par le féminisme, qui rend leur identité flottante voire incertaine, peuvent aussi se poser cette question : « Qui suis-je en tant qu’homme ? », et pas seulement en tant qu’être humain. Y a-t-il des questions masculines, comme celles de la paternité ou de la virilité ? La philosophie doit aujourd’hui examiner rationnellement ces hypothèses …

On dira que la mort, le sens d’une vie humaine posent question à tous et toutes, que son questionnement n’a pas de genre ! On se demandera aussi pourquoi ne poser que le caractère genré de la question philosophique : pourquoi ne pas interroger, avec les études décoloniales, la façon de choisir, poser et habiter une question selon que l’on est noir ou blanc (Un professeur de sciences politique au Mozambique refusait de poser la question « Qu’est-ce qu’un être humain ? », car la réponse avait été longtemps dans son pays : un blanc !) ? Et pourquoi ne pas encore la poser selon si on est ouvrier ou patron, riche ou pauvre, jeune ou vieux, immigré ou autochtone, occidental ou oriental etc. ? On voit là l’universalité supposée de la question philosophique se fragmenter.

E. Badinter, philosophe femme, objecterait peut-être qu’une question philosophique est universelle en ce qu’elle concerne le genre humain, et non le genre sexué ; et que pour les questions qui ne sont pas à hauteur d’humanité, leur tonalité communautaire et identitaire les éloigne de l’universel. Mais peut-il y avoir des questions non universelles et néanmoins philosophiques, comme les questions genrées ? La question mérite d’être posée.

La formulation de la question

Elle est essentielle, car cette formulation va déterminer « l’attaque » de la discussion.

  • Entraîner les élèves à la formulation et la reformulation de questions est important pour les faire entrer dans un processus de problématisation, et attirer leur attention sur des distinctions ou précisions conceptuelles. D’où un travail formateur sur la comparaison entre questions.

    Si on a comme questions « Qu’est-ce que le courage ? », et « Le courage est-il une vertu morale ? », la seconde propose une réponse à la première à discuter. Si la question est « Faut-il avoir du courage face à la vie ? », celle-ci présuppose d’avoir répondu à la première, car on ne peut la traiter sans définir le courage. Dans les deux cas, on peut les regrouper.

    Mais si j’ai comme questions « L’inconscience des risques diminue-t-elle la valeur du courage ? », et « Le courage implique-t-il la connaissance des risques ? », elles ont l’air de se ressembler, mais la première pose la question des conditions auxquelles le courage est une valeur, et la seconde les conditions de possibilité du courage. De plus non connaissance des risques (ignorance) et inconscience ne sont pas synonymes : un examen comparatif attentif montre donc ce ne sont donc pas les mêmes questions.

  • Il est plus simple de n’avoir qu’une notion dans la question. S’il y en a deux, cela fait deux notions à conceptualiser, avec plusieurs articulations possibles, c’est plus compliqué : ex. « La liberté et la sécurité (ou l’égalité et la liberté) sont-­elles conciliables ? ». « L’égalité est-elle inéquitable (ou l’équité est-elle inégalitaire ?) ? ». A fortiori quand il y en a trois : « La fraternité peut-elle faire un lien entre la liberté et l’égalité ? », « La non-violence est-elle courage ou lâcheté ? ».

  • La question ne doit pas être sous forme interro-négative (« Ne pensez-vous pas que tout pouvoir risque de dériver en abus de pouvoir ? »), car la question induit la réponse.

  • Elle doit aussi être formulée (ou reformulée par l’animateur) en fonction des objectifs didactiques poursuivis. Si l’on veut directement entraîner à la conceptualisation, il faut centrer la question sur une définition (« Qu’est-ce que grandir ? L’imagination ? Un humain ? L’intelligence ? Etc.) ». Si c’est l’argumentation qui est visée, on peut avoir comme embrayeur de la question le « pourquoi », qui induit un « parce que » (« Pourquoi les humains sont-ils violents ? Pourquoi revendique-t-on l’égalité entre homme et femmes ?). Ou la formulation peut suggérer une alternative (« Faut-il rétablir la peine de mort ? », « Faut-il parfois mentir ? »), ce qui oblige à se positionner (dire oui ou non) et à dire pourquoi. Ou présenter explicitement une alternative, ce qui oblige à justifier rationnellement sa thèse, et contester l’autre (« L’humain est-il supérieur ou pas aux animaux ? »).

  • Le choix des mots est important : dire dans une question l’homme et non pas l’humain, maintient la confusion langagière entre l’homme comme espèce animale et l’homme comme sexe, dénoncée par les féministes.

  • Si l’on prend un corpus de questions du bac, on constatera qu’elles sont de facture courte, syntaxiquement simples, avec dans leur intitulé le plus souvent une, ou au plus deux notions (au programme), et dans des domaines spécifiquement philosophiques (métaphysique, épistémologie, éthique, politique, esthétique). On a là le canon scolaire d’une « bonne question philosophique », posée par des experts en philosophie. Courte et simple sur la forme, construite autour d’une notion (parfois deux), idée générale et abstraite peu définie (non configurée dirait Deleuze), et portant sur les champs traditionnels de l’histoire de la philosophie.

  • Généralité, abstraction, décontextualisation de la question. On constate, lorsque l’on part d’un support, que nombre de questions portent sur le(s) personnage(s), ce qui empêche une certaine généralisation du propos :

    « Pourquoi Yacouba doit-il tuer un lion pour devenir guerrier ? », « Que va-t-il décider au petit matin ? », « Est-il lâche ou courageux ? ».

    « Pourquoi l’anneau de Gygès lui permet-il de séduire la reine et de tuer le roi ? », « Pourquoi le pouvoir de l’anneau de se rendre invisible fait de Gygès un assassin ? ».

    Les questions deviennent par contre philosophiques si tout en ayant compris le sens de l’histoire, on pose des questions dont le récit n’est qu’une exemplification, parce que l’on est monté en généralisation et abstraction :

    « Faut-il tuer pour devenir un homme ? », « Qu’est-ce qui amène à se décider par rapport à deux solutions contradictoires ? », « Qu’est-ce que le courage ? » ;

    « L’absence du regard d’autrui supprime-t-il la conscience morale ? », « L’exercice du pouvoir rend-il mauvais ? ».

    Si l’aspect narratif d’une histoire peut faire prendre conscience d’un problème posé au(x) personnage(s), une décontextualisation s’impose pour formuler de façon philosophique, c’est-à-dire plus générale et abstraite, ce problème. Sinon on reste trop englué dans le texte…

  • La structure logique de la formulation
    En analysant un corpus important d’annales des sujets tombés au bac, j’ai étudié, sur l’ensemble de ces sujets, quelles structures logiques de pensée sont convoquées à propos d’une notion ou de la comparaison entre deux notions. Exemples de modalités : est-ce évident, nécessaire, possible, souhaitable, probable, pensable que… ; ou bien ces deux notions sont-elles synonymes, différentes, articulables, complémentaires, contradictoires etc. On trouvera en annexe un aperçu de ces structures, qui vont déterminer l’allure de la discussion.

La réponse en philosophie

Qu’est-ce qui caractérise une réponse philosophique ?

Elle n’est pas immédiate, du tac au tac, spontanée, sinon on a toutes les chances d’être dans l’émotion, les idées reçues, les stéréotypes, l’opinion commune… Elle a demandé une pause, de la réflexion, du temps, une maturation. Le contraire d’un jeu télévisé où l’on se précipite car répondre vite la réponse attendue permet de gagner (Versus pas de précipitation dit Descartes). Souvent d’ailleurs on a une/la réponse sans s’être explicitement posé la question à laquelle elle répond, et y avoir séjourné : cela s’appelle un pré-jugé, une idée non examinée, qui prend la forme d’une affirmation évidente qui n’a pas même pas conscience d’être une thèse qui a tranché sur une question implicite, non formulée, alors qu’il peut y en avoir d’autres aussi légitimement défendables.

Elle n’est pas non plus La réponse à la question, la seule et la vraie, définitive, un dogme (La philosophie laisse celui-ci à la religion), mais est une des réponses possibles, et se sait telle. Elle reste ouverte en droit et en fait à la discussion, discutable, et peut être éventuellement reprise, révisée, améliorée. Présentée comme une thèse, elle garde un parfum d’hypothèse pour un esprit avisé.

Elle est ensuite rationnellement fondée, solidement argumentée, elle fait l’administration de la preuve, et s’est préparée aux objections.

Elle est aussi contextualisée, par rapport à une problématique précise, et chez un philosophe en cohérence avec sa doctrine propre, son réseau conceptuel.

J’entends souvent : il n’y a pas de « bonne réponse » en philosophie. J’en suis d’accord si l’on veut dire par là qu’il n’y a pas de réponse unique, absolue, définitive à une question, que toute réponse n’est que provisoirement définitive ou définitivement provisoire, parce qu’elle peut toujours être réinterrogée. Mais cela n’implique nullement une position relativiste, où toutes les réponses se vaudraient, donc s’annulent les unes les autres, ce qui perd tout sens quand elles sont contradictoires. Il y a des réponses rationnelles, conceptuellement étayées et solidement argumentées, et des réponses trop rapides, peu fondées. On ne peut pas les mettre sur le même plan quand on a une exigence intellectuelle de rigueur, portée par le maître ou l’animateur.

Qu’est-ce que traiter philosophiquement une question ?

On ne parle plus alors de « question philosophique », mais de « traitement philosophique d’une question ». C’est ce traitement qui importe dans les ateliers philo, une fois choisie une question.

Le traitement philosophique scolaire classique d’une question est la dissertation : chercher derrière la question quel est le problème à analyser. Ce qui fait le sens philosophique d’une question, c’est le problème qu’elle soulève, et ce processus de découvrir/élaborer un problème est sa problématisation. Nombre de problèmes philosophiques ont déjà été inventoriés et abordés dans l’histoire de la philosophie. Exemples : celui de l’identité (Qui suis-je ? Opposer la réponse de Descartes : une pensée, à celle de Nietzsche : une illusion langagière) ; celui du suicide, dans sa dimension existentielle chez Camus ou Cioran, ou morale (Comparer l’opposition de principe de Kant à la position de Sénèque ou de Rousseau) ; celui de la connaissance (Voir la maïeutique de Platon ou le doute systématique de Descartes) etc. il s’agit alors de repérer dans sa culture philosophique le problème soulevé. Sinon, il faut rechercher dans la question une difficulté à y répondre, qui fait problème pour la pensée.

Avant de se précipiter sur une réponse, on peut commencer par examiner la question elle-même, la façon dont elle est formulée. On peut par exemple expliciter ses présupposés et les questionner, car sans eux, la question ne tient plus : par exemple se demander « Comment Dieu peut-il à la fois punir et pardonner ? » implique que Dieu existe, ce qui peut être contesté.

On peut aussi analyser les notions qu’elle contient, et les définir dans la perspective de traiter la question, sinon on reste dans un flou favorisant la confusion. Ex. La question « L’amour est-il une illusion ? » ne peut être traitée que si je précise de quel amour je parle : de Dieu, de l’argent, d’un ami (philia), de mon amoureuse (eros), du prochain (agapé) ? Et s’il s’agit de mon amoureux, est-ce que je parle de l’amour-passion, du coup de foudre, intense, parfois ravageur, souvent éphémère ; ou du projet de deux êtres de vivre ensemble dans la durée, fonder une famille, avoir des enfants etc. ? De la même façon, est-ce que j’entends par illusion une apparence forte mais trompeuse (une illusion d’optique qui se dissipe quand j’avance) ; ou une croyance forte mais fausse qui subsiste même quand je sais que c’est une illusion (voir le soleil tourner autour de la terre) ? La réponse ne sera pas la même selon le sens accordé aux mots : le coup de foudre dont je ne sais que c’était une illusion que lorsque j’en suis sorti, versus le projet durable d’un couple à l’épreuve du temps …

Conclusion Comment questionner philosophiquement ?

Notre préoccupation, dans cet article, était de tenter de définir, à la demande des enseignants ou animateurs de séances philosophiques, ce qu’est une question philosophique. Cet essai visait donc à chercher à conceptualiser la notion de « question philosophique », plutôt qu’à cerner le processus de questionnement lui-même. Or cette préoccupation est fondamentale pour le praticien amené à faire philosopher les enfants, adolescents ou adultes. Faute de place, nous renvoyons ici à une fiche méthodologique de Philocité, s’appuyant sur les travaux didactiques de Matthieu Gagnon (Guide pratique pour l'animation d'une communauté de recherche philosophique, Presses de l'Université de Laval, 2005) …

Voir aussi « Le questionnement » : https://www.philocite.eu/blog/wp-content/uploads/2017/11/PhiloCite_Le_questionnement_2.pdf

Annexe - Typologie des questions

Par Michel Dubé, Lise Leclerc et Jean-François Michaud, conseillers pédagogiques au CSSDA, Québec, avril 2021.)

Les divers types de formulation proposés dans l’ouvrage de Michel Tozzi, Penser par soi-même (P. 63-64), offrent un point de départ intéressant pour préparer des questions de relance en vue d’un atelier de philosophie avec les enfants. Les deux premières colonnes sont tirées directement du livre de Tozzi alors que la 3e colonne est un exemple élaboré par les auteurs afin d’illustrer une possible préparation pour un atelier sur la question philosophique (éthique) : pourquoi des règles ?

Types de formulation envisageables
Types de formulation sur une notion Exemples tirés du livre de Tozzi Exemples sur une question : Pourquoi des règles ?
Très générales, avec le moins de présupposés possibles, et qui ouvrent implicitement sur plusieurs réponses.

Dieu existe-t-il?

R : oui, non, peut-être, sais pas, etc.

Qu’est-ce qu’une règle?

Pourquoi y a-t-il des règles?

Ouvrant sur plusieurs réponses explicites Dieu existe-t-il dans la réalité ou seulement dans la tête des hommes?

Est-ce que les règles s’appliquent de la même façon aux enfants et aux adultes?

Est-ce que les règles sont imposées ou choisies?

Est-ce que les règles sont les mêmes à la maison et à l’école?

Avec des présupposés Dieu est-il amour ou justice? Est-ce que les règles sont toujours justes?
Portant sur l’existence de la notion La liberté existe-t-elle? Est-ce que les règles existent partout, en tout le temps?
Portant sur l’essence de la notion

Qu’est-ce que, ou qui est Dieu?

Que recouvre le nom de Dieu?

Qu’est-ce qu’une règle?

Essayant de comprendre

  • Par les causes (raisons)

  • Par les fins (objectifs)

  • Par le sens (raison d’être, ce qui le justifie et l’explique)

Pourquoi Dieu a permis le mal?

  • Si Dieu est la cause du monde, qui a causé Dieu?

  • Dans quel but Dieu a créé l’homme libre? À quoi sert la religion?

  • Quel peut-être le sens de l’athéisme pour un croyant?

Par les causes

Que se passerait-il s’il n’y avait pas de règle?

Qu’est-ce que ça change d’avoir des règles?

D’où viennent les règles?

Qu’est-ce qui a fait qu’on s’est donné des règles?

Par les fins

À quoi servent les règles?

Par le sens

Quel est le sens des règles pour un contestataire?

Est-ce que tout le monde interprète les règles de la même façon?

Est-ce qu’avoir des règles ça améliore la vie en société?

À partir de modalités

  • Conditions nécessaires (Est-ce nécessaire…)

  • Conditions facilitantes (Est-ce que ça permet de …)

  • Conditions suffisantes (Suffit-il…)

  • Probabilité (Est-il probable…)

  • Prévision (Qu’est-ce qui pourrait arriver si…)

  • Possibilité (Est-il possible…)

  • Temporalité (Quand peut-on agir de cette façon?)

  • Degré et limite (dans quelle mesure… Jusqu’où peut-on…)

  • Est-il nécessaire que Dieu existe pour que la vie ait un sens?

  • L’athéisme méthodique permet-il de purifier sa foi?

  • Suffit-il que Dieu n’existe pas pour s’évanouisse la culpabilité du péché?

  • La pérennité des religions est-elle probable?

  • La fin des religions est-elle prévisible?

  • Est-il possible que Dieu ne soit pas parfait?

  • Dieu est-il déjà mort?

  • Jusqu’où faut-il obéir à Dieu?

Conditions nécessaires:

Est-il nécessaire d’avoir des règles dans la société?

Y a-t-il des situations où on n’a pas besoin de règles?

Conditions facilitantes:

Les règles permettent-elles de mieux fonctionner?

Conditions suffisantes:

Est-ce que les règles sont suffisantes pour que tout fonctionne bien?

Probabilité:

Est-il probable qu’une société fonctionne sans règle?

Prévision:

Qu’arriverait-il si nous n’avions pas de règles?

Possibilité:

Est-il possible que les règles ne soient pas parfaites?

Temporalité:

Quand doit-on appliquer les règles?

Y a-t-il des règles qui s’appliquent à des moments spécifiques?

Degré et limite:

Y a-t-il des situations où l’on peut ne pas respecter les règles? ...où l’on ne doit pas respecter les règles?

Qui sème le soupçon Dieu n’est-il rien d’autre qu’une illusion? Dieu est-il vraiment tout puissant? Toujours juste? À jamais éternel? L’unique fondement de la transcendance des valeurs?

A-t-on vraiment besoin des règles?

Les règles sont-elles toujours justes?

Portant sur la légitimité (peut-on dans le sens de « doit-on? »)

Faut-il tuer le Dieu de son enfance?

Doit-on devenir son propre Dieu?

Doit-on respecter toutes les règles? Partout? Tout le temps?

Est-ce que toutes les règles doivent évoluer dans le temps?

Types de formulation sur plusieurs notions (ayant des relations entre elles) Exemples tirés du livre de Tozzi Exemple : Pourquoi des règles ?
Relation au sens large Comment concevez-vous les relations entre l’État et l’individu?

Comment concevez-vous les relations entre les règles et la justice ?

Est-ce que toutes les règles sont justes?

Identité Peut-on identifier plaisir, joie et bonheur? Peur et angoisse? Besoin et désir? Quelles différences y a-t-il entre : Règles, lois, consignes, commandement, protocole, principe… ?
Analogie Le regret est-il à notre vie psychologique ce que le remord est à notre vie morale? Les règles sont-elles à notre vie scolaire ce que les lois sont à la vie civile?
Différence

En quoi peut-on différencier l’erreur et le mensonge?

Le désir et les passions?

Le devoir et l’intérêt?

Quelle différence peux-tu faire entre une règle et une demande?

Quelle différence entre une règle et un souhait?

Contrariété, contradiction, opposition

La passion est-elle contraire à la sagesse? (Épictète)

La croyance est-elle contradictoire avec la raison?

Le corps s’oppose-t-il à l’élévation de l’âme? (Socrate)

Contrariété:

Les règles sont-elles contraires au bien-être?

Contradiction:

Les règles sont-elles en contradiction avec la liberté?

Opposition:

Les règles s’opposent-elles aux droits?

Complémentarité Justice et charité peuvent-ils être complémentaires? Règle et valeur sont-elles complémentaires?
Conciliation (réconciliation)

Liberté et égalité sont-ils conciliables dans la vie sociale?

Peut-on réconcilier la technique et la nature?

Règles et liberté sont-elles conciliables?

Peut-on réconcilier les règles et les punitions?

Origine La motivation s’enracine-t-elle dans le désir ou la volonté?

Les règles découlent-elles des excès ou des abus de certaines personnes?

Les règles découlent-elles des inégalités sociales?

D’où viennent les règles?

Qui invente les règles?

Antériorité (chronologique, logique ou métaphysique)

L’existence chez l’homme précède-t-elle l’essence? (Sartre)

La pensée précède-t-elle le langage?

Est-ce qu’il y a de l’harmonie entre les personnes parce qu’il y a des règles ou faut-il qu’il y ait des règles pour bien s’entendre?
Dépendance, influence, causalité linéaire ou réciproque

Dépendance:

La science pourrait-elle exister sans la croyance en la raison?

Influence:

La publicité influence-t-elle illégitimement notre inconscient?

Causalité linéaire:

L’homme est-il déterminé par son passé? (Freud)

Causalité réciproque:

Quelles sont les influences mutuelles entre la structure économique d’une société et son idéologie dominante? (Marx)

Dépendance:

Pourrait-on avoir des règles sans encadrement?

Influence:

Est-ce que la peur des conséquences influence le respect des règles?

Respectes-tu les règles seulement parce qu’il y a des conséquences négatives, ou des pénalités?

Causalité linéaire:

Les règles existent-elles à cause de l’abus de certaines personnes?

Causalité réciproque:

Est-ce que les règles et les droits de la personne s’influencent mutuellement?

But poursuivi, finalité

Le désir ne tend-il pas vers l’absolu?

Les sens ne sont-ils pas faits pour connaitre? (Empirisme)

Les règles nous apportent-elles la sécurité?

Les règles nous permettent-elles d’être libres?

Les règles améliorent-elles le vivre-ensemble?

Inclusion L’art est-il un langage (une espèce de communication incluse dans le genre « langage »?)

Les règles font-elles partie de l’organisation de toute société?

Les règles sont-elles présentes partout dans l’univers?

Exclusion

L’irrationnel exclut-il le sens?

L’existence de l’inconscient supprime-t-elle la notion de responsabilité morale?

Les règles excluent-elles la liberté?

Est-ce qu’il y aurait certaines situations où il serait légitime de ne pas suivre les règles?

Condition facilitante ou nécessaire

La raison permet-elle l’accès à l’universel? (Rationalisme)

La connaissance de soi est-elle nécessaire pour accéder à la sagesse?

(Philosophie antique)

Conditions facilitantes:

Les règles permettent-elles de mieux vivre ensemble?

Nécessaire:

Sont-elles nécessaires?

Qu’est-ce que ça prend pour créer des règles?

Le dialogue est-il nécessaire pour créer des règles?

Doit-on vivre dans une démocratie pour avoir des règles justes?

Condition suffisante Suffit-il de paraitre ou d’avoir pour être?

Suffit-il de suivre les règles pour être un bon citoyen?

Suffit-il de bien connaître les règles pour bien agir?

Possibilité L’objectivité est-elle possible en histoire?

Est-il possible d’avoir des règles différentes pour chaque personne?

L’objectivité est-elle possible dans l’application des règles?

L’objectivité est-elle possible dans l’interprétation des règles?

Degré, mesure (Dans quelle mesure, jusqu’où, à partir de quand, …)

Peut-on évaluer la valeur d’une civilisation au degré de développement de sa technique?

Jusqu’à quel point l’illusion aide-t-elle à supporter l’existence?

Dans quelle mesure doit-on suivre les règles?

Peut-on mesurer l’évolution d’une société par la qualité de ses règles?

Dans quelle mesure nos règles sont-elles adaptées à notre réalité?

À partir de quand une règle devient-elle dépassée ou désuète?

Limite

La folie est-elle la limite de l’imagination?

Dans quelles limites l’amour peut-il satisfaire l’homme?

Dans quelle limite peut-on faire fi des règles?

En situation d’urgence, peut-on enfreindre les règles?

Hiérarchie de valeurs

La matière est-elle inférieure à l’esprit?

(Spiritualisme)

Le noir au blanc? (Racisme)

La femme à l’homme? (Machisme)

Les règles sont-elles plus importantes que notre liberté?

Les règles de la classe sont-elles plus importantes que les règles de l’école?

  • Prunot, A. & Depont, P. (1995). Les sciences de la terre. Tome 2 Centrédition, coll. « Terre ».

  • Rabuteau, I. (1991). Mémoire sur la faune. Bulletin de la Société Géologique de France, sér .3, vol. 2, n° 258 (La faune en question), 25 mai, p. 157-180.

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