Revue

Le conflit cognitif au sein d'une pensée critique collective

Comparaison France, Canada, Maroc de scènes de pensée mettant en jeu les représentations sociales de la liberté chez des adolescents

Cet article aborde le conflit cognitif lorsqu’il alimente la pensée critique, en se penchant sur des groupes de discussion d’adolescents de 14-16 ans en France, au Québec et au Maroc. Il se centre sur les affects qui saisissent ces adolescents de milieux culturels différents alors qu’ils échangent leurs représentations sociales à propos de la liberté. Sont retracées les réactions des jeunes aux affects qui sont susceptibles d’amorcer un conflit cognitif poussant à réfléchir collectivement. Pour ce faire, est déployée une méthode d’analyse qui jette un pont entre l’affectivité présente au sein des représentations sociales et le conflit cognitif alimentant la réflexion : la scène de pensée. Conflit cognitif et questionnement peinent à opérer pleinement dans les groupes français et québécois, tandis qu’ils s’actionnent au Maroc, à la faveur du contraste qui saisit les élèves marocains, entre leurs représentations idéales de la liberté et leurs expériences vécues.

Depuis Dewey (2018/1916) voire Rousseau (cf. Baillargeon, 2001), s’est développée l'idée que l’enfant pense par lui-même, réfléchit et apprend le mieux à partir d’une question qui l’intéresse (Molina, 2019). Cette question s’ancre dans un ressenti et comporte un certain inconfort, ce qui pousse à réfléchir (Molina, 2016 ; Rancière, 1987). Le sujet vit un conflit cognitif interne (Festinger, 1957 ; Dewey, 2010) si bien que questionnement et réflexion s'emboîtent.

La littérature sur le dialogue philosophique avec/pour enfants/adolescents (Lipman, 1980, 1988, 2003) confirme l’actualité de ce courant. Activer et nourrir le processus de pensée critique requiert le conflit cognitif et/ou affectif (Bertrand, 2018). Un problème (Nepton, 2020), une question qui rend vulnérable (Hawken, 2019), un dilemme moral sensible-affectif qui interpelle l'identité de l’enfant au-delà du plan notionnel (Tozzi, 2018) peuvent amorcer le cycle conflit et réflexion.

Or, ce conflit cognitif considéré comme intrinsèque à la pensée critique reste peu étudié de manière empirique dans les groupes de discussions philosophiques. L’article étudie ce qui nourrit ou sclérose ce conflit propice à penser, en analysant des représentations sociales d’adolescents lors de discussions, avec un accent mis sur les affects et réactions des élèves. Autrement dit, il examine des « scènes de pensée » (Molina, Daniel et Belghiti, 2019, 2020 ; Molina 2017a/b/c; 2016; 2015). L’environnement socio-culturel des élèves est considéré comme une variable environnementale encourageant ou décourageant le conflit cognitif, sachant que le conflit socio cognitif (CSC, Vygotsky, 1985) irrigue la théorie de la pensée critique en éducation. Questionner ces rouages sous l’effet de l’environnement culturel (Jovchelovitch et al., 2013) est au centre de cette étude France-Canada-Maroc menée auprès de jeunes âgées de 14 à 16 ans.

Cadre théorique

Raviver la notion de conflit cognitif pour étudier la pensée critique collective

Le conflit cognitif réfère à des tensions, des contradictions, des incompatibilités entre les représentations, entre les pratiques ou entre les représentations et les pratiques (Festinger, 1957 ; Astolfi et al., 2008) : souhaiter quelque chose considéré bon et ne pas agir ou ne pas le vivre pour d’autres raisons en est un exemple. En psychologie, le conflit cognitif mène le sujet à essayer de restaurer la cohérence affective qui a été ébranlée (Festinger, 1957, Dewey, 1910), enclenche un processus d’équilibration (Piaget, 1969 ; Allaire-Dagenais, 1983). Sur le plan philosophique, il interpelle, réveille, dérange, pousse au questionnement (Molina, 2016).

La pensée critique intervient alors comme un processus d’enquête visant des tentatives de réponse, jamais définitives, susceptibles d’atteindre un plein potentiel si elles émanent d’un questionnement collectif mobilisant expression de soi et écoute de l’autre. Basée sur la théorie ancrée, une équipe internationale réunie autour de Marie France Daniel a proposé dans les 15 dernières années un modèle développemental de pensée critique dialogique valorisant décentrement de soi, empathie, écoute, évaluation des propos, construction collective à partir de ce qui pose problème (Daniel, 2018 ; Daniel et Gagnon, 2013), tout en contenant progressivement le relativisme (Daniel, 2013). Le conflit cognitif n’est pas le seul affluant de cette pensée critique dialogique, et il n’alimente pas que ce type de pensée, mais il participe de ce qui avive l’attention, l’élan interrogatif et la discussion (Hawken, 2019 ; Lipman et al. 1980).

Comment ce conflit cognitif aidant à penser se forme-t-il dans le détail ? Qu’est-ce qui le stimule et à l’inverse l’éteint ? Qu’est-ce qui pousse à l’investir ou le déserter ? Des auteurs ont entamé ces questions (Bourgeois & Nizet, 1997 ; Buchs et al. 2008 ; Doise & Mugny, 1981, 1997) sans jamais à notre connaissance se pencher sur des groupes d’adolescents en discussion, ni tenir compte de l’influence socio-culturelle.

Le rôle des représentations sociales dans le conflit cognitif et les études à cet effet chez les adolescents

Ce qu’on exprime et écoute dans une discussion, ce qui entre en conflit, ce que l’on remodèle via la mobilisation de la pensée critique passe, de manière générique, par le filtre de nos représentations sociales. Depuis Durkheim et plus tard Moscovici (1976), le terme désigne les conceptions et interprétations du monde, « façons de voir », qui « guident », « orientent », « influencent » nos « *comportements *», « attitudes » et « pratiques » (Abric, 1994 ; Jodelet, 1987; Martínez-Sierra et al., 2016 ; Miguel, Pires et Carugati, 2013; Seca, 2010). Les représentations sociales mettent en jeu la subjectivité et la collectivité, les cognitions et les affects (Jodelet, 1989, 2008 ; Gonzalez-Rey, 2002 ; Mannoni, 2010). À ce titre, en tant qu’amalgame socio-cognitivo-affectif, elles constituent le matériau du questionnement et de la pensée critique. Savoir pratique manié par les locuteurs, les représentations sociales circulent dans la communication, ce qui mène à les étudier dans les discours produits : manuels scolaires, énoncés médiatiques, entrevues, conversations, etc. (Anderson, 2012; Cardoso, Santiago et Sarrico, 2012 ; Hermann-W et Ryan, 2016 ; Räty, Monomen et Pykäläinen, 2017).

La méta-analyse de Aim et al. (2017) souligne que les études sur les représentations sociales chez les enfants/adolescents portent en général sur ce que ces derniers se représentent à un moment donné précis, à propos d’enjeux de santé publique (préservatif, tabac, nourriture) ou de société (guerre, paix, démocratie). Bertrand (2018) ouvre l’horizon d’étude quant à la transformation des représentations sociales chez les jeunes, par le biais du questionnement et de la réflexion, en soulignant l’importance du conflit cognitif qui stimule empathie et interrogation. Il donne l’exemple des représentations des enfants concernant les handicapés. Pour stimuler un travail conscient sur celles-ci, il expérimente en France le « handi-sport », privant momentanément de leur vision ou de leurs jambes des enfants de classes régulières. Faire advenir malaise, incongruité, dissonance, conflit entre représentations a priori et expérience sensible est l’objectif pour vérifier si cette « mise en vulnérabilité contrôlée » crée empathie et questionnement.

L’impact du milieu culturel sur les représentations sociales et le conflit cognitif

Aim et al. (2017) soulignent également une forte tendance à n’étudier que les représentations sociales d’enfants et d’adolescents de pays occidentaux. Un appel explicite est fait à ouvrir le champ d’étude à d’autres pays. Les travaux de Jovchelovitch et ses collègues (2013) comptent parmi les rares se focalisant sur les représentations d’enfants de pays non-occidentaux. Ils soulignent l’impact significatif du milieu socio-culturel sur la constitution, le déploiement et l’évolution de celles-ci, notamment une différence entre des sociétés dites à tendance collectiviste et à tendance individualiste. L’analyse de dessins d’enfants mène à discerner, par exemple, que les jeunes de sociétés à tendance individualiste (de milieux plutôt favorisés) auraient des représentations sociales d’eux-mêmes plutôt isolées. Ils se représenteraient en général en bulle familiale close, extérieure au monde, dans une maison fermée. Alors que les enfants de sociétés à tendance collectiviste (de milieux plutôt défavorisés) tendraient à se représenter en interaction avec le milieu de vie. Il se représenteraient en général très tôt dans le monde, en relation avec les gens dans la rue, le quartier, et en activant des référents à d’autres pays.

L’impact du milieu socio-culturel sur les représentations sociales concerne probablement aussi le processus du conflit cognitif qui, d’une part, émerge des représentations (exprimées, entendues, confrontées) et, d’autre part, stimule leur questionnement et transformation au fil du déploiement d’une pensée critique. Ainsi, dans l’examen de ce qui nourrit ou étouffe le conflit cognitif, il est utile, selon nous, de disposer de résultats issus de milieux socio-culturels différents. En ce sens, nous comparons ici des discussions menées avec des adolescents vivant dans des sociétés marquées par l’individualisme, cas de la France et du Québec (Mohanna, 2021 ; Pastinelli, 2005), et vivant dans des sociétés moins marquées par ce trait, cas du Maroc (Mohanna, 2021) (voir §. Méthodologie).

L’approche de la scène de pensée pour étudier les représentations sociales et la dynamique du conflit cognitif en discussion

Quand on parle de représentations sociales, autant dans la littérature savante que dans le langage courant, on réfère souvent à des « images du monde », des « visions du monde », des « façons de voir », des « scénarios » (Räty, Mononen & Pykäläinen, 2017 ; Omelchenko et al., 2016 ; Mannoni, 2010 ; Seca, 2010 ; Rouquette & Rateau; Abric, 2005; Gonzales-Rey, 2002; Jodelet, 1989; Flament, 1989). Ces formulations évoquent sans la conceptualiser l’une des caractéristiques majeures de la représentation : elle est à la fois cognitivo-langagière et sensorielle-affective (Jodelet, 2008 ; Doutey, 2010 ; Kirkkopelto, 2010). Autrement dit, toute représentation amalgame la cognition et la sensation. On la « comprend » et on la « sent » (la voit) en même temps. Dans la phénoménologie kantienne, le « schème » réfère à ce composite (Kant, 1987 [1781] ; Molina, 2016) ; alors que chez les grecs anciens, c’est la « phantasia » qui y renvoie (Richard et Molina, 2019). Dans notre perspective, la notion de scène (Molina, Daniel et Belghiti, 2019, 2020 ; Richard et Molina 2021) rend compte de cette dimension fondamentale. La représentation sociale est une scène en tant qu’image mentale (amalgame sensoriel-cognitif) qui se déploie « dans notre tête » ; on « la regarde » ou on « se voit » jouer dedans. Cette scène est composée d’une action se déroulant dans un espace-temps déterminé, un cadre, et elle est chargée d’affects (Spinoza, 1954 [1677]). C’est l’ensemble de cette scène « vue » qui façonne les attitudes, pratiques, comportements humains.

L’approche que nous déployons ici pour interroger le processus du conflit cognitif pouvant émaner des représentations et les transformer par la pensée critique s’inspire plus particulièrement de la théorie de la « scène de pensée » (Molina, 2017 a, b, c, 2016, 2015). Dans cette approche, le plus important n’est pas ce qui est représenté (c’est-à-dire la scène qui est vue et affecte). Le plus important ce sont les réactions aux affects en tension qui émanent de la scène, les réactions aux affects en conflit. La théorie de la scène de pensée scrute ce qui attire le plus l’attention du spectateur ou de l’acteur dans la scène, en traquant les affects qui demeurent en tension au sein de la représentation sociale, qui peuvent, par leur non-dénouement, enclencher un questionnement. Les travaux de Molina (2016) cherchent à rendre compte du processus d’interrogation susceptible d’être amorcé par les affects ressentis, sans chercher l’harmonisation et l’arrêt des tensions, ce que d’aucuns considèrent être la tâche ultime du spectateur interprétant une scène (Iser, 1976 ; Eco, 1985 ; Thérien, 2007 ; Jauss, 1978).

En ouvrant l’horizon de saisie et de traitement de la part affective des représentations sociales, Molina donne accès à la relation intime qui existe entre celles-ci et le conflit cognitif participant de la pensée. L’approche par la scène répond à l’une des principales critiques (Gonzales-Rey, 2002, Jodelet, 2008) faites aux approches plus formelles des représentations sociales qui tendent à les désincarner (Abric, 2005 ; Rouquette & Rateau, 1998). Elle répond aussi aux recommandations d’Aim et al. (2017) qui soulignent l’intérêt de développer de nouveaux angles et méthodes d’analyse des représentations chez les enfants et adolescents.

Méthodologie

Protocole et sujets

Dans le cadre d’une recherche quinquennale financée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada[1], des discussions avec des groupes-classe d’adolescents ont été menées en France, au Québec et au Maroc. Les résultats présentés ici proviennent exclusivement des groupes de 14-15 ans et de 15-16 ans dans chaque pays. Deux discussions d’environ une heure, espacées de quelques jours, ont été menées avec chaque groupe. Elles ont été enregistrées, transcrites et traduites en français dans le cas du Maroc. Elles portaient sur la liberté, proposaient à la réflexion des élèves une liste d’énoncés tirés de l’UNICEF (voir Annexe 1). Les discussions étaient animées par un adulte ayant pour mandat de poser des questions, de relancer continuellement les élèves pour stimuler le conflit cognitif et ainsi favoriser une pensée critique collective. L’adulte demandait, par exemple : « *Qu’est-ce que la liberté selon vous ? Pouvez-vous clarifier, en dire plus ? Qui est en accord ? Qui est en désaccord ? *».

Mode de codage en double aveugle

Les verbatim ont été analysés sur deux plans dans une perspective qualitative et interprétative (Savoie-Zajc, 2011 ; Van der Maren, 2006).

Dégager les scènes principales

Dans un premier temps, les scènes principales de la liberté telles que mobilisées par les adolescents de chaque groupe ont été dégagées. Une analyse de contenu assurée par deux chercheuses, en double aveugle, repère les composantes scéniques récurrentes : les actions, les espaces, les temps et les affects mentionnés. Ces composantes sont discutées jusqu’à l’obtention d’un accord inter-juges entre chercheuses[2]. Par exemple, les deux chercheuses repèrent que les lieux où se déroule la liberté (l’espace de la scène) comportent « l’école », « le travail », « la rue », mais une seule chercheuse repère aussi l’espace privée de « la maison ». Après vérification dans les verbatim et discussion, si la seconde chercheuse voit aussi à l’œuvre la maison, celle-ci sera ajouté aux espaces de la scène. Cette démarche repose sur le fait que la représentation en tant que scène est à la fois l’objet d’étude (ce que l’on cherche) ET l’outil méthodologique (ce avec quoi l’on cherche) (Molina, Daniel et Belghiti, 2019; Molina, 2017 d, 2016 a et b). Ont ainsi été cernées les scènes principales de la liberté mobilisées dans chaque groupe-classe, c’est-à-dire les scènes mentionnées fréquemment par plusieurs élèves et particulièrement chargées d’affects.

Analyser les réactions des élèves aux tensions dans les scènes

Dans un deuxième temps, en croisant des principes d’analyse énonciative (Benveniste 1966 ; 1970), structuro-fonctionnelle (Roulet et al., 1987) et pragmatique (Austin, 1962), les réactions des élèves aux tensions scéniques susceptibles d’enclencher un conflit cognitif et un questionnement ont été examinées. Cela, en interprétant l’activité discursive, les actes de langages et les interactions. Les verbatim de chaque groupe sont alors repris pour extraire, dans chaque scène, ce qui attire le plus l’attention des élèves, les fait davantage discuter, semble leur causer problème. Des épisodes d’interaction mettant en évidence une négociation discursive avec des marqueurs linguistiques ad hoc – pronominalisation, modalisations, etc. (Kerbrat-Orecchioni, 1984 a/b, 1990/1992 ; 2005) – indiquent des affects en tension dans la scène (Molina, 2016). Par exemple, dans un groupe, l’opposition entre ce que « tu peux faire » et ce que « tu as le droit de faire » marque un épisode où les élèves s’opposent sans parvenir à privilégier l’un des deux pôles pour définir la liberté. Les points de vue divergent, une tension se forme et les élèves interagissent.

Sur la base de ces épisodes indiquant des affects en tension qui captent les élèves, avec un conflit cognitif naissant, ont été repérés trois types de réactions : (1) vouloir participer ou s’abstenir ; (2) essayer d’aplanir le conflit cognitif naissant ou s’investir en lui, l’alimenter ; (3) tenter d’aller plus loin que l’opposition, en posant des questions, en renouvelant les idées, les scènes, en transformant les scènes. Par exemple, dans un groupe, alors que des tensions explicites émanent d’une scène (tensions marquées par les affirmations « je suis d’accord », « je ne suis pas d’accord »), les élèves enchaînent en fermant le conflit cognitif naissant. Ils l’aplanissent par des « actes réactifs » (« ben oui », « ben non », « c’est ton opinion », « c’est comme ça » (Austin, 1962 ; Roulet et al., 1985 ; Kerbrat-Orrechioni, 1984). Dans un autre groupe, l’investissement dans le conflit cognitif et les tentatives de dépasser la simple opposition sont marqués par le chevauchement des tours de parole (Traverso, 1999 ; Trognon 2003) et la reprise des énoncés d’autrui. Les élèves questionnent et remodèlent interactivement les scènes esquissées de prime abord.

Résultats

Nos résultats sont exposés successivement par ensemble culturel (France, Québec, Maroc). Pour chaque groupe d’adolescents (14-15 et 15-16 ans), nous présentons d’abord une synthèse de la principale scène de liberté exprimée durant les discussions. Par la suite, nous présentons les réactions des jeunes aux tensions émanant de cette scène, susceptibles de forger un conflit cognitif alimentant la pensée critique.

France

Synthèse de la principale scène de liberté mobilisée par les adolescents français de 14-15 ans

La principale scène de liberté dans ce groupe se déroule dans la vie de tous les jours, à l’école, au travail, dans la rue et dans la famille. Dans ces contextes, la liberté consiste à faire ce qu’on veut de sa vie sans dépasser les lois, à faire ce qu’on veut en assumant les conséquences de ses actes ; la liberté c’est avoir des droits, mais aussi des devoirs. Ce faisant, elle est marquée par deux temps, présent et futur, où chacun subit les conséquences de ce qu’il fait. Les lois évitent les dérives, protègent les « gens ». Cette scène se démarque de toutes les autres de l’échantillon par l’absence notoire de référence explicite à « la société » et par une seule référence à un autre pays – les États-Unis – où, « si tu tues quelqu’un », les lois sont dites « plus sévères » qu’en France.

Le premier affect de la scène oppose pagaille à sécurité. Si tout le monde faisait ce qu’il voulait sans bornes, il y aurait « abus », « tuerie », « mauvaise actions », non-respect de la liberté des autres. À l’inverse, les lois qui limitent assurent la sécurité.

Le second affect est un sentiment de normalité, de suffisance de la liberté que les élèves estiment avoir, ainsi que des lois qui la contraignent. C’est « normal », ça « va de soi », c’est « évident ». « Il faut respecter, être normal quoi […] c'est quand même normal [que la loi nous contraigne un peu] sinon tout le monde dépasserait des limites » (f16[3]).

Enfin, la liberté étant toujours contrainte par des lois ou des conséquences, le troisième affect relève d’un certain fatalisme : au fond, la liberté pleine et entière n’existe pas et donc la liberté ne signifie rien. « […] on est libre, enfin des fois ça ne veut rien dire. […] Il y aura toujours des contraintes » (f6); « Je pense qu’être libre c'est… ça veut pas vraiment dire quelque chose » (m8). Un aquabonisme quant à la réflexion sur la liberté se fait sentir dans l’expression conclusive d’un élève : « Pourquoi on se pose la question ? » (m2).

Synthèse des réactions des élèves français de 14-15 ans aux tensions susceptibles d’enclencher conflit cognitif et questionnement

Ce qui attire le plus l’attention des élèves dans cette scène de liberté, c’est la tension entre la capacité et le droit de faire quelque chose. D’un côté, il y a un sentiment de puissance (« je peux faire ce que je veux », « je suis puissant »), et de l’autre, il faut bien se soumettre aux lois, c’est normal, ou assumer les conséquences de ne pas le faire. « […] vous avez le droit de tuer, enfin vous n’avez pas le droit, vous pouvez tuer » (m3); « oui mais si tu te fais attraper […] il y en a qui s’en fout pas… » (f6) ; « Si tu t’en fous, si tu t’en fous pas, on est libre de choisir entre les deux… » (m24). Dans ce groupe-classe, sur les 13 élèves participant aux discussions, 8 sont interpellés par cette tension.

Les réactions sont vives, les élèves investissent le conflit cognitif naissant, réitérant plusieurs fois accords ou désaccords. Toutefois, il y a peu de développement, d’apports d’idées ou de composantes scéniques nouvelles. Les interactions répètent les prises de position contraires, et les échanges se soldent souvent par « ben oui… ben non! »; « si… ben non… si! », « bah si… ben non »; « et alors? », « ben voilà », actes réactifs (cf. Roulet et al., 1985) qui ferment la discussion.

Les négociations interactionnelles des tensions de la scène sont également contrecarrées par une tendance au relativisme qui clôt les discussions. Sur le plan assertif, ces adolescents affirment et répètent que la liberté dépend de perspectives singulières, qu’on ne peut pas s’entendre. En soi, le propos n’explicite pas le relativisme, avec une valeur différentielle non évaluable. Les élèves mettent simplement l’accent sur l’impossibilité d’arriver à une définition satisfaisante pour tout le monde. Or, sans affirmer le relativisme des valeurs, ce type d’intervention met fin à l’interaction collective. Les échanges se ferment avec mention d’une impossibilité de définition universelle, et de facto les évaluations des propos des pairs s’arrêtent : « on ne peut pas se mettre d'accord […] on a tous un point de vue différents de la liberté, donc c'est impossible de faire une définition universelle. » (m2); « "Donc comment on fait alors?", demande l’animatrice… On ne fait pas. » (m2); « "C’est quoi finalement notre définition de la liberté ?", poursuit l’animatrice. Il n’y en a pas (ensemble des élèves) ; "Donc, je note quoi comme définitions ?", relance l’animatrice… rien, rien » (ensemble des élèves)[4].

Synthèse de la principale scène de liberté mobilisée par les adolescents français de 15-16 ans

Dans ce groupe, l’action de la scène est similaire à la précédente : pouvoir faire des choix, avoir le droit de faire des choses, penser des choses, mais dans le respect des limites, naturelles et construites. Ce qui change, c’est le contexte ; on ne se trouve plus que dans la vie de tous les jours. L’espace s’élargit à la communauté, la société, voire l’humanité entière. Le temps s’élargit aussi. S’il est toujours question du présent et d’un futur proche où se révèlent les conséquences des actes (« aller en prison si tu tues quelqu’un », « avoir les cheveux abîmés si tu les raidies »), surgit aussi un passé lointain. La liberté révèle ses origines archaïques, en tant que construction sociale qui remonte pour chaque groupe d’humains à des temps immémoriaux. Qu’il s’agisse de maintenant, de plus tard ou des origines, le contraire de la liberté c’est l’anarchie, le « foutoir », un monde sans loi ou avec la loi du plus fort.

Le premier affect renvoie au respect des autres : ne pas leur faire du mal, ne pas porter atteinte à leur liberté. « Il faut respecter les autres » (f1) ; « Déjà notre liberté s'arrête là où commence celle des autres » (m3)

Le deuxième affect implique un plus grand degré d’abstraction que chez les élèves français de 14-15 ans (la liberté est une « notion », un « état d’esprit », une « idée ») qui résulte toutefois à un certain fatalisme aussi (« ce n’est pas vraiment réel », « ce n’est pas défini », « ce n’est rien »). Ces élèves accentuent cet ethos dès le début de la première discussion et y reviennent tout au long des deux rencontres. « La liberté c'est une sorte d'idéal […] c'est quelque chose qui est inaccessible et qu'on a inventé […] je sais pas trop comment expliquer parce que la liberté, en fait, c'est même pas défini, c'est, c'est rien […] on ne sait pas du tout ce que c’est » (f20)

Le troisième affect renvoie au relativisme qui, sans soutenir vertement l’équivalence des postures, sous-tend et clôt la négociation. « […] chacun a sa vision de la liberté et voilà » (f1). Dans ce groupe-ci, les élèves s’accordent particulièrement, sans disparité, pour dire que la liberté dépend de chacun et qu’on peut difficilement aller plus loin. C’est sans doute l’affect le plus important de la scène : « la liberté elle est vachement subjective » (m3); « beaucoup de personnes veulent de la liberté, mais c'est la liberté selon la société qu'on a construit » (f18).

Synthèse des réactions des élèves français de 15-16 ans aux tensions susceptibles d’enclencher conflit cognitif et questionnement

Dans cette scène, il n’y a pas vraiment de tensions. Les élèves sont plutôt unanimes, mettent uniformément en scène la liberté. Il est alors intéressant de remarquer que la tendance au relativisme ne joue pas le même rôle chez eux que chez leurs cadets. En effet, chez les élèves français de 14-15 ans, la tendance au relativisme est une réaction aux tensions de la scène – il s’agit de fermer les interactions tendues en disant « tu as ton opinion et moi la mienne, c’est tout ». Ici, chez les élèves français de 15-16 ans, on s’entend d’emblée sur le fait que la liberté est plutôt une idée, une notion, un idéal qui dépend de chacun, des croyances de sa société. Puis l’échange bascule sans soubresauts à ceci : « la liberté n’est rien; c’est pas réel; on ne sait pas du tout ce que c’est ». La tendance au relativisme n’est donc pas une réaction à chaud aux affects qui mettraient mal à l’aise, susceptibles d’enclencher un conflit cognitif. C’est plutôt un affect en soi de la scène qui se déploie d’emblée, sans emportement, avec calme, toutes et tous étant en accord sur ce plan.

Canada

Synthèse de la principale scène de liberté mobilisée par les adolescents québécois de 14-15 ans

La liberté se joue ici sur une scène où l’essentiel est de pouvoir faire ce que tu veux de ta vie, pouvoir choisir et décider. On est dans un pays libre, par opposition à d’autres pays (des dictatures), mais à y regarder de plus près le contexte est plus circonscrit. Il s’agit de faire ce qu’on veut de notre vie principalement sur le plan socio-professionnel : choisir un métier qui nous correspond, qu’on aime, devenir « enseignante de français », « infirmière en salle d’accouchement », « critique de journal », etc. À l’action de faire des choses s’ajoute celle de « penser », parce qu’il faut penser pour bien choisir son avenir, et parce que la liberté de penser est celle qui ne peut être enlevée. Enfin, qu’il s’agisse de penser ou faire, les choix ont toujours des conséquences futures : ne pas obtenir un boulot, ne pas pouvoir voyager, perdre des amis, aller en prison. Au fil du temps, tu peux évoluer, changer ou régresser, soit obtenir plus ou moins de liberté.

Le premier affect se détache toutefois du contexte socio-professionnel pour revenir sur l’image générale des dangers, vols, peurs, si les libertés n’avaient pas de limites. Les contraintes sont là pour nous protéger. « Ça serait trop dangereux… s’il n’y a aucune contrainte, tout le monde pourrait aller voler chez n'importe qui, tout le monde pourrait tuer n'importe qui. » (f2)

Le second affect concerne la liberté de penser. Les élèves québécois de 14-15 ans affirment qu’on ne peut empêcher quelqu’un de penser. Et ils y tiennent. On peut empêcher d’agir, voire de dire, mais pas de penser. Cela, même dans les pays « qui ne sont pas libres ». « On peut jamais empêcher quelqu'un de penser parce qu’on sait pas à quoi il pense… personne a un pouvoir psychique pour voir à quoi il pense… on peut pas empêcher quelqu'un de faire ce qu'on sait même pas qu’il fait. » (m1)

Synthèse des réactions des élèves québécois de 14-15 ans aux tensions susceptibles d’enclencher conflit cognitif et questionnement

Ici, l’enjeu de la scène qui fait le plus réagir les élèves, sur lequel ils se relancent et déclarent leurs différences d’opinion concerne le lien entre liberté et bonheur. Peut-on être heureux sans être libre et *vice versa *? D’un côté, on tient à distinguer liberté et bonheur, de l’autre, on souligne une relation entre les deux : « c'est pas du tout la même chose, donc on peut être libre et malheureux » (m4) ; « Il faut quand même que tu aies du bonheur parce que tu ne peux pas être libre si t’es malheureux.… » (m5).

La tension qui se construit interpelle 5 élèves sur les 11 qui interviennent dans ce groupe. Le conflit cognitif naissant est investi en affirmant accords et désaccords. Certaines interactions, comme interroger un pair ou se référer à ce qu’il dit, donnent des indices d’un début de recherche pour désenclaver les positions simplement contraires : « j'ai une question pour m4, quand il dit que tu peux avoir le bonheur en n’étant pas libre, tu peux donner un exemple ?  […] Je ne suis pas d’accord » (m5) ; « Je suis pas d'accord, m4, […] moi je dis que… » (f6). Toutefois, un seul élève essaie de développer les idées, d’apporter de nouveaux personnages, lieux, temps et affects à la scène. Et avec son intervention, les interactions autour de la tension se terminent :

« On peut être heureux en ayant des libertés brimées […] si elles sont petites […] on peut être malheureux en ayant, en étant très libre […] exemple y a plein de gens riches, plein d'argent, puissants, influents, mais qui sont pas nécessairement heureux non plus […] [Prends] quelqu'un qui est en prison pis qui revient … je sais pas moi d'un pays en guerre, pis là il revient en disant "yé, et tout, ah, moi, je suis bien ici à comparer de là-bas !". Il est heureux, mais il a des libertés brimées et un paquet.… » (m4)

Synthèse de la principale scène de liberté mobilisée par les adolescents québécois de 15-16 ans

Cette scène de liberté est très similaire à celle esquissée par les élèves québécois de 14-15 ans. L’action consiste à faire ce que tu veux, faire des choix, prendre des décisions, penser ce que tu veux, mais dans le respect des règles, des droits. Le contexte principal est encore une fois socio-professionnel : la pression de devenir « médecin » si c’est ce que tes parents veulent ; la possibilité de devenir « pilote », « astronaute », « militaire », « joueur de soccer », « *comptable » *; la nécessité de faire des choix selon ce que tu aimes et ce dans quoi t’excelles ; l’enjeu d’aller à l’école ou de travailler – de ne pas « te ramasser à la rue ». Ici aussi, on accentue les conséquences individuelles des actions : « perdre ta job », « perdre un privilège », « avoir des problèmes », « te ruiner si tu fais n’importe quoi ; n’arriver à rien ».

Le premier affect ne correspond toutefois pas aux soucis de carrière, mais plutôt à des restrictions aux libertés justifiées par empathie pour autrui ou intérêt personnel d’éviter des problèmes. « Tu peux toujours dire ce que tu veux pis ce que tu penses, mais c'est pas toujours bien parce que ça peut blesser des gens » (f12) ; « … ça peut amener à des problèmes, tu peux avoir des conséquences si tu fais ça » (f2).

Le second affect concerne la liberté de penser. Comme leurs cadets, les élèves québécois de 15-16 ans sont plutôt convaincus qu’on ne peut empêcher quelqu’un de penser ce qu’il veut. Il s’agit en quelque sorte d’un retranchement qu’ils défendent bec et ongles en employant des modalisations intensives tels que « jamais » et « toujours » à l’appui de positions définitives. « On ne pourra jamais vraiment contrôler tes pensées, t'auras toujours… les moyens de contrôler ça… » (f11).

Synthèse des réactions des élèves québécois de 15-16 ans aux tensions susceptibles d’enclencher conflit cognitif et questionnement

Ce qui interpelle le plus les élèves, ici, ce sont les perspectives de carrière. Les adolescents se demandent à quel point ils sont libres de devenir ce qu’ils veulent. Qui veut peut, ou non ? « […] admettons que je veux aller faire le cent mètres aux Jeux olympiques, même si je pouvais m'entraîner toute ma vie, je serais peut-être pas capable » (m8) ; « La même chose que m8… Si tu veux aller dans l'armée, on va dire que t'as une jambe plus courte que l'autre, tu pourras pas » (m17) ; « Je suis en désaccord avec ce que f2 a dit, je pense que si vous voulez vraiment faire quelque chose, vous pouvez transformer toute votre vie […] » (m9) ; « par exemple le monsieur dans les Olympiques, amputé des deux jambes, il voulait faire les Olympiques, mais à cause de ça il fallait qu’il le fasse d'une manière différente… » (f3).

Dans ce groupe, 15 élèves interviennent et 8 sont interpellés par la tension, affirmant en toutes lettres accord ou désaccord, relayant les propos des pairs, ajoutant des exemples. Néanmoins, un seul élève apporte un élément scénique nouveau au bout des échanges, en ouvrant en quelque sorte une voie mitoyenne : prendre une autre voie que celle souhaitée au départ demeure de la liberté. « On aura toujours nos limites […] on est obligé de l'accepter que ça soit notre choix ou non, mais ça reste quand même de la liberté que d’aller dans un autre chemin (…) » (m6)

Maroc

Synthèse de la principale scène de liberté mobilisée par les adolescents marocains de 14-15 ans

La première scène qu’esquissent les élèves marocains de 14-15 ans quand on leur demande ce qu’est la liberté est une scène de liberté souhaitée, rêvée, voulue, idéale. L’action consiste à sortir de chez soi, se promener sans problèmes, s’habiller sans contraintes – essentiellement chez les filles --, faire des choses, vouloir des choses, « vivre ». On se trouve dans la sphère privée et publique à la fois : à la maison et en famille, mais aussi dans la rue, sur le terrain de foot, puis en société, dans le pays, au Maroc. Le temps scénique est prospectif ; le tableau souhaité est à venir, pas encore là. Les élèves emploient le futur et le conditionnel, introduisent les énoncés par la condition (« s’il y avait », « si c’était possible », « il doit y avoir »). Ils comparent le Maroc à d’autres pays, accentuant le « développement », la « modernité » de ces derniers, qui se déploient dans le temps.

Les affects de la liberté souhaitée sont variés. Ils se complètent les uns les autres dans le même registre : « paix », « coexistence », « amour », « compassion », « respect », « tolérance », « confiance », « communication », « compréhension », « entente ». « La liberté c’est l’absence de la rancune, la haine et la violence […] c’est la présence de la tolérance et le respect » (m4); « Professeur, [parmi les choses qui ont été dites], j’ai aimé… la vie et la paix en coexistence » (m28) ».

Synthèse des réactions des élèves marocains de 14-15 ans aux tensions susceptibles d’enclencher conflit cognitif et questionnement

Ce qui attire le plus l’attention de ces élèves, ce qui les fait le plus intervenir et interagir survient quand l’animateur leur demande de développer la scène de liberté mentionnée au début des discussions. À ce moment-là, un changement se produit dans les représentations et les élèves esquissent en détail une tout autre scène principale, chargée d’affects : la scène de leurs situations vécues, de leur quotidien. Elle contient une grande quantité de tensions, d’inconforts. Par son contraste avec la liberté souhaitée, la scène des situations vécues porte en elle un haut potentiel de conflit cognitif faisant penser collectivement.

Dans la scène des situations vécues, les élèves racontent ne pas pouvoir sortir, ne pas pouvoir s’habiller librement, être harcelé(e)s, accusé(e)s, jugé(e)s, recevoir sans cesse des commentaires, ne pas pouvoir s’exprimer ; vivre dans un monde sans cohabitation ni respect. « ["Peux-tu donner un exemple de la liberté comme étant vivre en paix, et compassion et coexistence et respect ?", demande l’animateur] Comme… Les gens qui ne cohabitent pas […] ils ne respectent pas […] » (f21) ; « C’est par exemple une fille qui sort dans la rue, elle est harcelée… ["Pourquoi as-tu vu la liberté dans le harcèlement ? ", demande l’animateur] Parce qu’on le voit chaque jour. » (f26); « ["Qui peut compléter cette idée? " animateur] […] Du côté du respect des religions par exemple […] il y a quelques-uns qui sont par exemple musulmans et ils détestent les juifs […] Ça devient du mépris […] ils ne se tolèrent plus […] » (f8). Les lieux de cette autre scène sont les mêmes que dans la scène précédente : maison, famille, rue, extérieurs, terrain de foot, société, pays, le Maroc. Toutefois, l’« étranger », les « autres pays », l’ « ailleurs » apparaissent davantage, comme endroits où les choses se passeraient différemment. En ce qui concerne le temps, la scène des situations vécues est au présent, se déroule « aujourd’hui », « actuellement », « de nos jours ».

Les affects sont difficiles. Les élèves commencent en racontant qu’ils se sentent menacés par la police durant les matchs de foot, puis l’expression d’un sentiment plus global emboîte le pas : ils sont menacés par le jugement constant d’une société « impitoyable ». « Pour moi la liberté c’est aller encourager l’équipe de foot quand je veux et que personne ne m’ennuie ["Qui va t’ennuyer par exemple?", demande l’animateur] la police » (m15). Les propos décrivent, exposent : « ["Pourquoi tu as vu la liberté comme ça ?", demande l’animateur…] Parce que […] notre société croit que la fille qui part au terrain de foot elle n'est pas bien élevée, elle n'a pas d'honneur… [Quand tu ne peux pas aller voir le match, tu perds ta liberté ? animateur ] Oui, je perds ma liberté … Je peux même perdre mon équilibre […] notre société est impitoyable » (f16). Ces adolescents parlent d’ « insultes », d’ « irrespect », d’ « accusations », d’être « complexés », « non-écoutés », « moqués » :  « Ils t'insultent » (f21); « ils ne respectent personne […] ils ne la laissent pas sortir à l'aise qu'elle habille décemment ou indécemment » (f7); « ils t'accusent avec des choses […] ils te complexent avec leurs paroles […] les commentaires affectent ta psychologie » (f1); « La société ne te donne pas la chance de parler […] ils ne veulent pas t’écouter » (f20); « La société c’est une jungle, le fort mange le faible […] une personne va certainement se moquer des actes que tu fais » (m4).

Dans ce groupe, un plus grand nombre d’élèves participent : 23 adolescents prennent la parole, dont 17 sont interpellés par le contraste entre la liberté souhaitée et les situations vécues. Les observateurs des rencontres avec ce groupe (l’animateur et un chercheur sur place, le transcripteur, le traducteur des verbatim) ont remarqué l’agitation particulière de la classe : les élèves de 14-15 ans au Maroc s’enthousiasment, superposent leurs tours de parole, veulent parler.

Les discussions menées avec eux se caractérisent en fait par une recherche énactive de ce qu’est la liberté. Ces adolescents réfèrent au départ à des affects de liberté (paix, coexistence, respect) et, questionnés par l’animateur, ils reviennent à leurs expériences vécues et renvoient à des affects contraires (se sentir menacé et harcelé, insulté, non respecté, non écouté). Dans ce mouvement pouvant paraître contradictoire, il y a une recherche : les élèves approfondissent leurs intuitions sur la liberté en soulignant les axes inverses qu’ils connaissent en propre – on pourrait appeler cela une recherche par la différence. Élan, recherche inaboutie mais amorcée, cette prise d’envol appelle une suite. Ce qu’une élève cristallise en demandant à la fin : « Est-ce qu'on ne peut pas reprendre le tout ? ». En amont de ce mouvement de la pensée qui s’amorce se trouve un conflit cognitif issu de la rencontre entre ce que l’on souhaiterait (ou ce que l’on estime que la liberté devrait être) et ce que l’on vit en pratique[5].

Synthèse de la principale scène de liberté mobilisée par les adolescents marocains de 15-16 ans

Les élèves marocains de 15-16 ans, comme ceux de 14-15 ans, tiennent à une scène de liberté où ils peuvent sortir, aller voir un match, s’habiller et faire comme ils et elles veulent. Ce à s’ajoutent des actions clés : la liberté c’est exprimer ses opinions, pouvoir faire des choses « appropriées à son âge » sans que les lois ne s’ingèrent dans nos vies, les lois devant plutôt garantir nos libertés. La différence entre la protection apportée par les lois et leur ingérence indue dans la vie des gens devient capitale. Les contextes demeurent la famille, l’école, la rue, le terrain de foot, la société, le pays, le Maroc, mais s’y ajoute une référence explicite à la communauté internationale. Car la liberté, ce sont « tous les droits individuels et collectifs que m'octroient la constitution et les lois internationales sans que je touche la liberté de l'autre » (m38). Enfin, le temps de cette scène-ci est évolutif : la liberté est un processus, n’est pas garantie avec la naissance. Il faut la travailler, ce qui exige de progresser, d’apprendre, notamment des plus âgés que soi (voir Molina et al., 2020). Puis elle requiert un effort collectif, le « développement » du pays, ce que les élèves marocains de 14-15 ans avaient déjà évoqué.

Le premier affect qui émerge rappelle ceux d’autres scènes : on se soucie de l’autre pour ne pas lui nuire. « Tu dois faire ce que tu veux, mais sans faire quelque chose avec laquelle tu vas nuire aux autres » (f7). Cependant, l’affect le plus saillant en est un de résistance ; il consiste à défendre la liberté devant des figures d’oppression. L’animateur donne le coup d’envoi en demandant aux élèves si l’on doit obéir aux lois du tyran : « dans ce cas, on peut confronter ces lois […] on exprime notre opinion pour essayer de les changer » (f39). Plus près de leur quotidien, les élèves résistent aux interventions policières qu’ils estiment abusives dans les matchs de foot. « Si on ne fait pas ça on restera toute notre vie réprimés. » (m23). Dans la même veine, il faut dénoncer le dirigeant corrompu : « Je vais dire qu'il nuit aux gens […] par exemple il prend un pot-de-vin […] la liberté c’est exprimer mon opinion sans avoir peur des réactions des responsables » (f non identifiée). L’oppression devant laquelle il faut résister vient enfin de la société marocaine elle-même. Et là, ce sont en particulier les filles qui résistent : « La liberté c'est que nous devons vivre dans un pays où […] la mentalité des gens ne doit pas rester… les filles en souffrent plus que les garçons en souffrent […] » (f28).

Synthèse des réactions des élèves marocains de 15-16 ans aux tensions susceptibles d’enclencher confit cognitif et questionnement

Quoique de manière moins fréquente que dans le groupe-classe de 14-15 ans au Maroc, on retrouve ici la tension entre des affects de liberté souhaitée (sécurité, justice, égalité, amour, paix) et des affects contraires qui émergent quand l’animateur questionne les élèves. Nonobstant, des thèmes plus précis captent davantage l’attention des élèves marocains de 15-16 ans, dont les matchs de foot et la liberté des filles. Les interventions policières durant les matchs font dialoguer pendant environ un tiers des discussions. Très interpellés par cette représentation, les élèves sont loin d’être tous d’accord. Plusieurs soulignent l’atteinte à la liberté si la police réprime tout le monde, alors qu’ils ne sont pas tous des émeutiers, mais plusieurs rétorquent que le cas du foot ne conduit pas à une définition générale de la liberté.

La liberté des filles (habillement, sorties, harcèlement) fait également interagir les élèves.  Les filles racontent leurs vécus, se relaient et se relancent : « Je suis avec f28 à propos de son idée qu'elle a dit […] comme ce que f32 a dit […] comme ce que f2 a dit […] plusieurs choses, plusieurs fois, ça nous arrive. » (f non identifiée). Au fil des interactions, plusieurs se demandent où mettre la limite. Qu’est-ce qui est acceptable et inacceptable ? « Cette question des vêtements est un peu problématique parce que maintenant il y a des vêtements… qui enfreignent la religion islamique, c'est pour ça qu'on trouve plusieurs contradictions, mais si c'est […] des vêtements ordinaires, il y a ceux qui te critiquent juste pour les couleurs […] dans certains cas ils peuvent s'ingérer, mais dans d'autres cas… » (f38).

Dans ce groupe, 12 élèves interviennent et 10 sont interpellés par les tensions autour du foot et de la liberté des filles. Les discussions semblent survoltées, comme celles menées avec le groupe de 14-15 ans. Les verbatim témoignent d’intervention répétées de l’animateur qui essaie de calmer les élèves en leur demandant de « respecter ». Les propos se chevauchent, les élèves font du bruit, les oppositions verbales sont parfois très nettes, véhémentes : « il s'est fâché contre moi d'une façon qui n'est pas bonne » (f38), « il a le droit de dire l'idée ; laisse-le avoir son opinion » (f non identifiée).

Au fil de ces interactions animées, les élèves marocains de 15-16 ans, comme les élèves français on s’en souviendra, en viennent à dire que chacun dispose de sa définition de la liberté. En revanche, ils ne s’arrêtent pas là, ne clôturent pas la négociation avec cela. Ils continuent, approfondissent les positions, soulignant que l’opinion adverse n’est pas un point d’arrivée, fermant la discussion, mais un point de départ pour réfléchir : « Selon mon point de vue, on doit tout exprimer pour qu'on puisse progresser et avancer.… qui sait, peut-être que chacun de nous va donner un avis, peut-être que cet avis va nous être utile en quelque chose. » (f4)

Discussion et conclusion

L’objectif de cet article était de voir si et comment le milieu culturel d’adolescents de trois pays différents (France, Canada, Maroc) a un impact sur les représentations sociales de la liberté et influence le mécanisme du conflit cognitif participant de la pensée critique collective. Il ressort des scènes de pensée analysée que la liberté mobilisée par les jeunes et les réactions des adolescents aux tensions affectives dans ces scènes contrastent les pays. Nous développerons et discuterons quatre constats issus de nos résultats.

Des acteurs individuels sur les scènes de liberté en France et au Québec

Nos résultats semblent corroborer la thèse centrale de Jovchelovitch et al. (2013): les tendances individualiste ou collectiviste (et mixtes) de la société influent sur le développement représentationnel des jeunes. Cela se traduit, dans le traitement scénique des représentations sociales que nous avons mené, par le fait qu’en France et au Québec, les acteurs qui jouent dans les scènes de liberté dépeintes sont résolument individuels. Les élèves parlent au « je », « moi », « tu », mettent en scène envies, décisions et choix individuels ; conséquences individuelles ; carrière, bonheur, problèmes et défis individuels (cf. § 3.1. et 3.2.). Un décentrement s’opère par la référence au voisin x, à l’enseignante y, à l’autre en général, à un personnage différent de soi, non connu en personne, tel un migrant qui arrive d’un pays en guerre, un riche, un pauvre, etc., et par l’emploi du « il/elle » abstrait, indéfini (cf. Daniel et al., 2012). Le décentrement est requis pour représenter des réalités sociales, penser collectivement, dans le cadre d’une pensée critique dialogique (cf. Daniel et Gagnon, 2011). Or, fait intéressant, dans les scènes de liberté racontées en France et Québec, l’autre vers lequel les adolescents se décentrent reste un (autre) acteur individuel.

Des conflits cognitifs qui ont maille à partir ou que les élèves délaissent vite

En France et au Québec, le processus du conflit cognitif alimentant la pensée critique et étant alimenté par celle-ci semble en général délicat à établir, ou délaissé par les adolescents après les premières étincelles. Soit qu’il n’y a pas de tension émanant de la scène (rien ne pose problème, ne taraude ; on est tous d’accord) ; soit que les interactions s’arrêtent rapidement après l’affirmation ou la réitération stérile des accords/désaccords, et cela, malgré un ton de débat simulant la contradiction. Les échanges se butent sur des actes réactifs (ben oui/ben non/c’est ça, cf. §. 2.2.2. et 3.1.2.), ou sur des énoncés soulignant la singularité qu’il est vain de creuser. Ou encore, un participant à la suite d’oppositions déclarées et des premières questions posées clôt avec une idée mitoyenne, résolvant la tension en coupant la poire en deux (cf. cf. §. 3.1.2.). Le conflit cognitif nourrissant la pensée critique collective trouve là un mur.

Une explication serait que le thème de la liberté ne saisit pas suffisamment les adolescents français et québécois rencontrés, ne constitue pas un problème sensible, n’enclenche pas un malaise pour eux. Il n’y aurait pas de mise en vulnérabilité suffisante (cf. Hawken, 2019 ; Bertrand, 2018) pour se questionner profondément, l’écoute de l’autre restant une impasse. Chez les élèves français, la liberté semble acquise, normale, évidente et l’interroger active des réponse-réflexes (droits et devoirs ; ma liberté arrête là où commence celle de l’autre ; le chaos de l’état de nature par opposition à la sécurité des lois). Ces réponses d’une certaine façon convenues comportent parfois un degré d’abstraction et d’historicité plus grand que chez les autres adolescents. Toutefois, au-delà de ces principes régaliens, et du ton du débat, pointe un certain désintérêt, peu de recherche collective, d’interrogation sentie et de mouvements de pensée. L’intégration de dilemmes affectifs et non seulement notionnels à l’enseignement civique et moral en France (cf. Tozzi, 2018) est selon nous une voie à explorer pour stimuler, au-delà de l’apprentissage de certains principes régaliens, le questionnement vivant issu de problématiques sensibles, actuelles, quotidiennes, qui interpelleraient les adolescents français.

Chez les élèves québécois, la question de la liberté n’enclenche pas non plus de conflit cognitif que l’on tienne longtemps, qui ouvre et maintienne des avenues réflexives pour l’ensemble du groupe. Pourtant, à certains égards, ces adolescents investissent la question à l’aune de vécus, d’inquiétudes, avec sensibilité. Les scènes principales dans les deux groupes s’enracinent dans la sphère socio-professionnelle (cf. § 4.2.1. et 4.2.3.), ce qui dénote une connexion avec les soucis vécus par ces jeunes. En effet, ces élèves se situent à un moment clé du système d’éducation québécois qui les pousse à déterminer leur avenir professionnel, et socio-économique. Il y a lieu de se demander pourquoi, bien qu’engageant l’expérience et l’incertitude (cf. Bourgeault, 1999), la question de la liberté sous cet angle ne les conduit pas à un conflit cognitif plus fécond. Une perspective d’approfondissement serait d’explorer la conviction de ces adolescents concernant l’irréductibilité de la libre pensée individuelle. Dans les deux groupes, l’un des affects majeurs des scènes réside en cette certitude que l’on ne peut empêcher quelqu’un de penser ce qu’il veut – c’est là le retranchement ultime de la liberté. Il semble nécessaire d’étudier cette conviction, en explorant le rôle des influences sociales, historiques, médiatiques, idéologiques, dogmatiques sur la pensée d’un individu (voir Laurens, 2011, par exemple). Et il semble pertinent de questionner le lien possible entre cette représentation individuelle et la friabilité du conflit cognitif menant à penser collectivement. Se mettre en vulnérabilité réelle lors d’une discussion (cf. Hawken, 2019), chercher en commun, se laisser influencer par l’autre menace-t-il aux yeux de ces adolescents la liberté de pensée individuelle, inviolable et indomptable ?

Des acteurs collectifs sur les scènes de liberté au Maroc

Les scènes de liberté esquissées par les jeunes marocains à la fois recoupent celles des jeunes français et québécois et s’en distinguent. Elles les recoupent avec des références aux droits, aux lois, à la liberté de l’un qui finit là où commence celle de l’autre, au désordre d’une société chaotique sans lois et, donc, sans liberté. Elles s’en différencient notamment par le fait que les acteurs de la liberté déployés sont collectifs. Les expressions nous les filles, nous les enfants (par opposition aux parents), nous le Maroc, nous le public d’un match de foot énoncent cet ancrage collectif. Ces nous résistent contre les lois du tyran, les répressions policières durant les matchs, les ingérences de la société. Non par intérêt individuel, mais pour tout le monde/ les gens. Ces résultats semblent coïncider avec ceux de Jovchelovitch et al. (2013) soulignant qu’une société à tendance collectiviste, comme peut l’être la société marocaine (cf. Mohanna, 2021), influence probablement la teneur et le déploiement des représentations sociales chez les adolescents.

À l’origine de mouvements de pensée, des conflits cognitifs s’enracinant dans l’expérience

Le conflit cognitif semble prendre dans les discussions menées au Maroc. Probablement en raison d’un vif contraste entre la liberté souhaitée et les situations vécues. Quand on expose les adolescents marocains au thème de la liberté, ils partent, comme tout un chacun, de leurs représentations a priori. Questionnés, ils changent l’angle et plongent dans leur quotidien ; puis les capture alors la dissemblance affective entre les deux. Représentations d’emblée et vécus se trouvent aux antipodes d’un ressenti qui devient mobilisateur. Au sein de ce contraste affectif, les adolescents enquêtent (cf. Dewey, 2010) et modulent leurs représentations. Ils construisent la représentation d’une chose qui n’est pas là (la liberté future, définitionnelle, possible) à partir d’une représentation présente (Tavani et al., 2014). D’une certaine manière, la question de la liberté aura d’elle-même placé les adolescents marocains dans une situation de vulnérabilité (cf. Bertrand, 2018), la disjonction entre la représentation idéale et la vie au quotidien faisant le travail. Le conflit cognitif qui s’active, accompagné d’une participation dynamique, voire d’agitation, a un impact sur les tours de parole, le temps alloué à discuter, la vivacité des affects pendant la discussion et autres problématiques de gestion de groupe. Des études complémentaires pourraient permettre de voir si et comment le mouvement de pensée adossée à un conflit cognitif qui s’enracine dans le contraste entre représentations idéales et vécu quotidien évolue au fil de discussions de plus longue haleine, ce que le protocole présent ne pouvait approcher.

CONCLUSION

Pour conclure, si le thème de la liberté mène davantage les élèves marocains à des conflits cognitifs ouvrant la réflexion collective, c’est sans doute parce que ce thème les intéresse dans le sens que donne à ce terme Dewey (2018 [1975]). Ce qui intéresse est ce qui le lie au monde vécu ; ce qui, par l’expérience, éveille (Molina 2019) Si la liberté éveille conjoncturellement les adolescents marocains, à l’inverse, l’absence de conflit cognitif provoqué par ce thème chez les élèves français et québécois invite à réfléchir. La liberté leur semble acquise et normale, ou intouchable, ou purement idéelle et donc fumeuse. Elle ne les saisit pas. Sans jeter la pierre à ces jeunes, qui réfléchissent la liberté avec leurs influences culturelles, interpeller les éducateurs sur le choix des thématiques d’intérêt est crucial, à la lumière de nos résultats sur cet échantillon. Intéresser, toucher au ventre, saisir, puis inciter, motiver à penser, telle reste l’idée pour dégager un cercle vertueux entre représentations sociales, conflit cognitif et pensée critique. L’enracinement dans le vécu, la corporéité des ressentis s’est illustrée dans notre étude. Fasse que les chercheurs et les enseignants trouvent, avec les élèves, des voies pour intéresser et penser collectivement de façon critique ; ce qui ne peut se faire sans fragilité partagée, telle qu’aperçue en d’autres contextes culturels.

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Annexe 1. Liste d'énoncés présentés au tableau dans chaque classe pour amorcer les discussions sur la liberté

ÊTRE LIBRE, C'EST...

. Faire ce qui me plait (Laetitia)

. Vivre sans loi (Rachid)

. Voler dans les supermarchés sans se faire prendre (Vincent)

. Avoir de quoi manger, s'habiller, habiter une maison (Rachida)

. Ne pas être en prison (Élodie)

. Voyager quand on en a envie (Dominique)

. Penser et pouvoir dire ce qu'on pense (Habiba)

. Acheter des habits de marques, jouer à la console, regarder la télé quand on veut (Richard)

. Vivre dans la nature comme les animaux sauvages (Sofiane)

. Vivre comme les gitans, voyager dans des caravanes, sans jamais aller à l'école (Chloé)

. S'aimer, être heureux ensemble (Élodie)

. Faire ce qu'on veut de sa vie (Hannane)

ET TOI, QU'EN PENSES-TU ?

QU'EST-CE QUE C'EST POUR TOI, « ÊTRE LIBRE » ?

Notes
  1. Numéro 435-2013-0212. Certificat d’éthique numéro CPER 13-030-D. ↩︎

  2. Aucun logiciel lexicologique n’a été utilisé. ↩︎

  3. Les lettres et chiffres renvoient au code anonyme du sujet qui s’exprime. ↩︎

  4. Par comparaison, une seule élève du groupe de 14-15 ans québécois affirme qu’« il y a différentes définitions de la liberté selon les personnes ». ↩︎

  5. Par-delà la tension entre le souhaité et le vécu, des thèmes précis font réagir ces élèves. L’un d’eux concerne la différence de liberté entre garçons et filles, et l’appel à plus d’égalité. Il y a là certainement matière à un conflit cognitif susceptible de nourrir la pensée critique collective. Nous ne pouvons toutefois aborder ce matériau foisonnant ici, faute d’espace. ↩︎

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