Introduction: Qui a dit que le théâtre et la philosophie étaient des activités réservées à « l’élite » ?
En effet, à première vu, on aurait l’impression que le théâtre ne se résume qu’à ses pièces classiques, et qu’aller au théâtre, à en croire certaines études et fréquentations des salles, serait une pratique réservée à une certaine classe sociale. De la même manière, on donnerait à croire que la philosophie en tant que couronnement des études est réservée à la formation d’une élite, restreinte aux lycées généraux, présentée sous une forme magistrale où la parole du maitre s’impose, « les élèves ne sembleraient pas marqués par le désir de philosopher, au mieux souhaitent-ils réussir leur copie pour récolter quelques points au baccalauréat »[1].
Mais alors, si la plupart des Français boudent le théâtre autant qu’ils boudent la philosophie, comment démystifier ces deux pratiques ? Comment les remettre au goût du jour ? Comment donner envie ? Qu’est-ce que ça peut vouloir dire rendre la philosophie populaire ?
Etymologiquement, la philosophie, philosophia, c’est l’amour, le désir du savoir et de la sagesse. Il y a donc quelque chose qui est de l’ordre du désir et de l’amour dans la philosophie. » En ce sens, vouloir rendre la philosophie populaire pourrait vouloir dire la faire aimer, la faire désirer.[2]
Cette dimension se retrouve au théâtre : « le plaisir théâtral, c’est l’émotion, mais c’est aussi - surtout - l’excitation intellectuelle que l’on éprouve à réfléchir à plusieurs, la jouissance de la compréhension ou de l’apprentissage. Un théâtre qui pense, un théâtre où ça pense, un théâtre où l’on pense, ce n’est pas, forcément, comme on l’entend parfois, un théâtre rébarbatif, élitiste ou arrogant. Pourquoi ce malentendu ? […] la pensée est difficile, exigeante, violente, mais elle est joie. »[3]
Je vous propose dans cet article, un résumer de mon sujet d’écrit réflexif, intitulé Pourquoi et comment articuler les pratiques théâtrales aux pratiques philosophiques - qui fût mon sujet de fin d’année de la session 2019-2020, pour l’obtention du diplôme, sous la direction de Edwige CHIROUTER, de formation à l’animation d’ateliers de philosophie avec les enfants et adolescents à l’école et dans la cité.
Nous verrons alors dans un premier temps, les liens qui unissent le théâtre et la philosophie et comment ces deux disciplines se sont articulées à travers l’Histoire ; On développera alors les différents intérêts pédagogiques et éducatifs qu’impliquent les ateliers de théâtre-philosophie. La deuxième partie sera quant à elle plus orientée sur un retour de pratique ; accompagnée de retours d’expériences de séances menées, nous aborderons les possibles façons de construire une séance d’atelier de théâtre-philo avec les enfants et adolescents (mais pas que !).
Les liens entre philosophie et théâtre, un petit historique
Tout d’abord, si on remontait à l’origine du théâtre et de la philosophie, on se rendrait compte d’un même contexte car c’est à l’aube des civilisations, en Grèce antique au Ve siècle av J-C qu’apparaissent les plus grandes tragédies de l’histoire - les légendaires figures de l’Iliade et de l’Odyssée, héros directement empruntés des plus grands mythes de l’Histoire – et à cette même époque où de grands penseurs tels que Socrate, Platon, Démocrite ou Aristote vont faire connaitre leurs noms.
On pourrait alors se demander ; que ce soit dans un but d’éveiller les esprits du peuple par la discussion ou frapper l’imagination des spectateurs, la philosophie comme le théâtre ne viseraient-ils pas un même objectif ? Celui de permettre de penser la société et le monde ? D’interroger les Hommes et les qualités humaines ?
Jean-Pierre Sarrazac dira à ce propos « Le philosophe et l’Homme de théâtre sont cousins. Seulement, le premier est en quête de la vérité par la voie du raisonnement, tandis que le second choisit le chemin plus détourné de la fiction »[4].
Mais la fiction théâtrale aura, au regard de l’Histoire, une réputation mitigée. Déjà Platon, dans La République, décrira l’art théâtral comme un art de la représentation d’imitation de la réalité, et en cela dénoncera son pouvoir corrupteur sur le peuple. Selon lui, le théâtre maintient le spectateur dans une posture d’ignorance, de passivité en même temps qu’il ne cesse de le séduire par des apparences, des images, des ombres et des illusions crées par des comédien.nes et metteurs en scène. Le théâtre, selon lui, enferme le spectateur dans une sensibilité trompeuse et dans l’erreur, et au lieu de permettre de l’élever au monde des idées, au monde intelligible, l’art théâtral fait obstacle à la raison.
[ ci-joint – une petite illustration de l’allégorie de la caverne comme idée d’un théâtre d’ombre. Allégorie tirée de Platon. La République.]
Au contraire, un peu plus tard, Aristote, dans son ouvrage La poétique reconsidérera le théâtre comme porteur de vertus. Il instaurera un sens moral au pouvoir de la catharsis comme purgation des passions qui aurait un effet libérateur au niveau émotionnel et intellectuel. Selon sa vision du théâtre, éprouver des péripéties rencontrées par un héros inculque aux spectateurs des vertus morales et politiques. Le théâtre met en scène le monde pour mieux nous aider à le comprendre. Il serait un moyen de faire réfléchir le spectateur sur les grandes questions qui le concernent telles que la justice humaine et la loi, l’ordre et la démesure, la guerre et la paix, le destin et la liberté… soient des questionnements qui rejoignent ceux de la philosophie. En agissant sur sa sensibilité et en l’épargnant de toute souffrance que produiraient par exemple des assassinats ou les trahisons dans la vie réelle, le théâtre permet de le vivre de manière fictionnelle et éduque en cela le peuple en évitant toute violence véritable.
Un ou des théâtres ?
D’un théâtre prestigieux durant toute l’Antiquité, censuré sous l’autorité de l’Eglise dès le Moyen-âge, à un théâtre de cours largement apprécié sous le règne du Roi Soleil ou au contraire un théâtre de boulevard considéré comme « malfamé et insalubre», ou encore un théâtre luxueux au siège de velours, à un théâtre de rue sur tréteaux, de quel théâtre parlons-nous réellement ? Et comment penser un théâtre émancipateur ?
Des penseurs tels que Sartres et Camus s’appliqueront à donner une forme philosophique au théâtre. En mettant en scène le personnage central du philosophe, ils seront les initiateurs d’un théâtre d’idées, dit « théâtre philosophique ». Aujourd’hui, certaines figures du théâtre reprendront ce dispositif de mise en scène et de théâtralisation de la philosophie : pour exemple, le metteur en scène, Nicolas Bouchaud, et la comédienne Judith Henry, à travers un projet intitulé « projet luciole »[5] montent les textes de philosophie sur les scènes de théâtre parisiennes.
Aussi, Diderot offrira par le procédé de mise en abyme, un théâtre qui se pense lui- même. Il mêlera dans la pièce elle-même, la pièce à son commentaire, la théorie à la mise en pratique. Dans cette même idée, et dans une volonté de changer la dramaturgie pour en faire autre chose que de la représentation, viendra à naître au cours du XIXè et XXè siècle un théâtre dit « réformateur ». Brecht[6] refusera ainsi toute recherche d’illusion ou de spectaculaire dans son théâtre. Selon lui, « le théâtre doit avouer qu’il est théâtre ». Le théâtre est alors repensé au sens premier du terme dramatique : en tant qu’art de l’action. Brecht met en scène un théâtre qui abolit la division artistique du travail entre la scène et la salle, abolit la distinction entre le voir et le faire, entre le savant et l’ignorant. Dans son théâtre les changements de décor sont présentés à vue et sans levée de rideaux, des machines et projecteurs sont installés sur le plateau. Le spectateur est « un corps à mobiliser ». Le spectateur lui-même est donné en spectacle.
A travers ces différents choix esthétiques, on remarque que le théâtre révèle une portée philosophique – qu’est-ce qu’être acteur ? Spectateur ? Qu’est-ce que jouer sur scène ?
Aussi, de nombreuses figures du théâtre se demanderont : Comment faire pour ne plus considérer le spectateur comme exclusivement passif et en position de réceptacle ?
Erwin Piscator[7] développera l’idée d’une école du spectateur dans le sens où devenir spectateur s’apprendrait. Dans la même lignée, Jacques Rancière se concentrera, non pas tant sur changer le théâtre, mais sur changer notre regard sur le spectateur. Il nous invite à repenser une positivité dans la posture de spectateur et nous encourage à cesser de voir la réception comme foncièrement passive. Pour lui, il n’y a pas tant à vouloir faire émanciper absolument le spectateur, « La véritable émancipation commence quand on comprend que regarder est aussi une action »[8].
Rancière nous invite en cela à reconsidérer une capacité active du spectateur ; Malgré les apparences et son absolue discrétion, face à une œuvre comme face à une représentation théâtrale, le spectateur mobilise son activité intellectuelle propre, son esprit critique ainsi que sa liberté de ressentir. Il observe, sélectionne, compare, interprète, fait des liens et des analogies avec ses expériences, se réapproprie ce qui se présente à lui. Face à une œuvre, le spectateur serait en tout cela déjà à considérer comme actif et créateur. Jean Sarrazac développera aussi cette pensée qu’assister à une pièce de théâtre c’est déjà « le rejouer, le refaire en imagination […] », car « un bon spectacle n’en finit jamais de s’achever dans la conscience du spectateur », oui, le spectacle continue de s’immiscer dans les pensées.
Qu’on ait d’un côté un concentré du monde, une image présentée sous forme d’un huit clos et d’un microcosme dramatique ou au contraire une vision plus généralisée et étendue du monde en philosophie, le théâtre comme la philosophie proposent des dimensions différentes
du monde mais qui n’en restent pas moins complémentaires ; « A cet endroit, en ce moment, l’humanité c’est nous, que ça nous plaise ou non. Profitons-en, avant qu’il ne soit trop tard ! » rajouterait Vladimir[9].
Quoiqu’il en soit, on peut constater que l’Homme, depuis tout temps et en tout lieu a besoin fondamentalement de comprendre le sens de son existence sur Terre, de l’éprouver, d’en rire ou d’en pleurer. L’homme a besoin de faire appelle à l’étendue de ses facultés à la fois son intelligence, mais aussi sa sensibilité, son imaginaire.
Philosophie et théâtre, comment les articuler dans une séance ?
Philosopher à partir du théâtre spectacle, ou le théâtre comme médiation culturelle d’une discussion à visée philosophique (DVP).
Un premier dispositif consiste à envisager le spectacle théâtral comme contenu donnant à penser. Dans cette démarche de spectacle-discussion on pourrait compter cinq principales étapes :
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une première phase spectacle dans laquelle une œuvre est donnée à voir, à penser et à ressentir aux spectateurs (qu’il s’agisse d’un théâtre incarné, ou bien un théâtre d’objet, d’ombre, d’image…)
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un moment de reformulation et de restitution : les participants partagent ce qu’ils ont vu, ce qui les ont
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marqué ; ils partagent ce qu’on appelle le sens explicite de la pièce soit principalement les personnages et leurs actions : Qu’est ce que raconte cette histoire ? Ici on peut d’ailleurs demander aux participants de rejouer l’histoire, une scène qui les a le plus marqué.
- une phase d’interprétation dans laquelle les participants partagent le sens implicite ou symbolique de l’histoire. A quoi cette histoire vous a fait penser ? Quelles émotions ou interrogations vous a suscitée la pièce ? Quelles questions pose cette histoire ? A noter que plusieurs interprétations d’une même pièce sont possibles et pourront être complémentaires ou contradictoires mais toujours devront trouver une cohérence avec le sens explicite de la pièce.
Déjà, la discussion d’interprétation invite les participants à des habilités de pensée qui soient propres à la philosophie : clarifier et argumenter un point de vue, comprendre celui d’autrui dans un souci d’intersubjectivité, faire des liens, comparer et se décentrer, se poser des questions de généralisation et de contextualisation.
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Le moment de la cueillette des questions est celui où l’on va dégager, à partir de ce qui a été partagé en amont, des concepts et formulations de question philosophique. A noter : une question philosophique gagne à être une question ouverte au sens où elle ouvre le champ de la discussion
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et ne peut être refermée par une réponse rapide et simple ; c’est une question universelle, qui interroge les Hommes en tout temps et en tout lieu.
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Le temps de sélection d’une des questions afin d’en discuter, et engager ainsi une DVP.
Pourquoi philosopher à partir d’une histoire ? Quels enjeux pédagogiques ?
Dans de nombreuses recherches sur la philosophie avec les enfants, la médiation littéraire est bien souvent considérée comme un support privilégié pour apprendre à philosopher. Pourquoi ? Selon Paul Ricœur, la littérature offre des « expériences de pensée ». Dans la même démarche, Edwige Chirouter expliquera que : « La littérature établit un pont entre l’expérience singulière – qui par son caractère trop intime empêche la prise de recul et l’analyse – et le concept - qui, lui, à l’autre extrême et de par sa froideur, peut nuire à l’implication personnelle. »[^10] Le détour par la fiction facilite ainsi l’apprentissage de la pensée critique. François Galichet, en plus des compétences propres à la philosophie que sont - argumenter, problématiser, conceptualiser - mettra l’accent sur la dimension interprétative et culturelle du philosopher. Pour lui, « philosopher consiste désormais non à démontrer une thèse mais à contempler, observer, déchiffrer, analyser et interpréter les œuvres de l’esprit […] La tâche de la philosophie […] est dès lors d’expliciter ce qui est implicite, clarifier ce qui est perçu sans être encore trop réfléchi, d’interpréter ce qui se donne comme un texte brut. » [^11] Mais alors, pourquoi préférer le théâtre plutôt que le livre ?
Déjà présente dans la lecture, l’identification au personnage est renforcée par l’activité théâtrale, et par le travail de mise en corps de l’histoire. Alors, cette incarnation permet d’éprouver des péripéties rencontrées par un héros, éprouver les conflits les passions qui l’anime, soulève des questionnements. L’activité du théâtre, parce que petit à petit à ce pouvoir de se détacher du texte écrit, permettrait une plus grande flexibilité et liberté dans l’exercice du raconter. Raconter une histoire de façon théâtral permet de se réapproprier l’histoire, avec ses propres mots, avec notre propre gestuelle, il permet de rendre visible nos représentations, nos imaginaires et nos interprétations et invite cette expression libre et sincère que visent tant nos ateliers de philosophie. Plusieurs dramaturges, dont Edward bond[^10], insisteront sur l’appréciation du théâtre en tant qu’espace d’utopie sociétale, un espace de réinvention du monde et d’émancipation des peuples.
Philosopher à partir du jeu ludique
Il s’agit dans ce deuxième dispositif, d’amener la discussion philosophique à partir de l’expérience ludique du jeu.
Déjà, à travers le jeu, les participants expérimentent des règles, la coopération et la liberté.
Le risque dans un atelier de philosophie de proposer un jeu, serait de perdre de vue les enjeux philosophiques de celui-ci ; Alors l’animateur se devra de réfléchir au jeu qu’il propose et quel sens du monde ce jeu implique pour lui et pour les participants.
Par exemple, des jeux, par leurs thématiques, impliquent et sous-entendent parfois des concepts philosophiques. A titre d’exemple, le jeu du chef d’orchestre dont l’enjeu est d’interroger la place et le rôle d’un chef, de celui qu’il « faut suivre », pourra déboucher sur des pistes de réflexions comme : Est-ce que dans un groupe, il faut absolument qu’il y ait un chef ? Peut-on avoir envie d’être chef ? Ou pas ? Ou encore, le jeu du portrait chinois si bien connu pourrait amener des questionnements comme Apprendre à se connaitre ca veut dire quoi ? – Le jeu du miroir gestuel peut nous amener à nous demander Copier les autres c’est bien ou pas bien ? Faut-il toujours chercher à être original ? Etcetera…
A noter : si l’animateur peut choisir préalablement la question philosophique, il a aussi la possibilité de formuler la question philosophique au cours de l’atelier, par et avec les enfants, en partant de leurs interventions sur comment ils ont vécu l’expérience et leurs ressentis.
Des jeux peuvent tout simplement être complémentaires à l’atelier de philosophie pour ouvrir la séance et installer l’atelier en tant que rituel.
En suivant les pas de Frédéric Lenoir[10], il s’agira là essentiellement de rituel théâtral afin en tant qu’ « activité brise-glace » afin d’œuvrer à la convivialité, la coopération, permettre une entrée dans l’atelier, soit, fixer l’attention des enfants, permettre aux participants d’être plus attentifs à l’instant présent pour une meilleure concentration, écoute, présence et disposition aux exigences du philosopher.
Il peut s’agir de jeux d’expression, car, si le langage verbal est l’atmosphère de la philosophie, le théâtre le développe d’une manière complémentaire : par ses jeux de voix, de tonalité, de respiration ou d’articulation, le jeu théâtral peut ainsi permettre chez le participants d’explorer ses potentialités en terme d’éloquence. Aussi, par des jeux de gestuels le théâtre permet le développement d’un langage corporel, et permet aux participants à apprendre à occuper un espace, se situer par rapport au groupe.
le théâtre forum
Un troisième dispositif est celui de la pratique du théâtre forum.
Alors que les deux premières parties présentaient le théâtre en tant qu’activité ludique ou encore en tant que spectacle, dans cette partie nous abordons le théâtre en tant que pratique de théâtre forum et nous allons voir en quoi le théâtre forum se rapproche des principes même de la philosophie.
Tout d’abord, qu’est-ce que le théâtre forum ?
Dans son ouvrage[11], Yves Guerre en expose les principes fondamentaux. Le théâtre forum se joue à partir d’une maquette situation conflictuelle de la vie quotidienne au sein d’une institution quelconque (que ce soit la famille, l’école, le travail, les administrations…). Elle se doit d’être claire et précise et inciter à la mobilisation. La scénette est jouée une première fois par un groupe de recherche, qui a été préparé en amont avec l’animateur. L’animateur dans un premier temps, invite les participants spectateurs à verbaliser le conflit qu’ils viennent de voir, puis dans un second temps, les spectateurs sont invités à venir sur scène incarner à leur tour un personnage de leur choix - ou un nouveau personnage - dans le but de résoudre le conflit posé par la scénette. Une maquette pourra ainsi être rejouée autant de fois que l’animateur-intervenant en verra la nécessité. Les spectateurs sont dans une posture de possibilité d’action (jouer la scène, prendre la parole), mais en aucun cas forcé de le faire.
En quoi le théâtre forum serait à rapprocher de la philosophie ?
A travers le théâtre forum se crée une réflexion sur les causes, les enjeux et les conséquences d’une situation, tout autant que la philosophie vise un apprentissage ou éveil de la pensée complexe. Comme en atelier de philosophie ou en théâtre forum, tous les points de vue seront intéressants à aborder, exemplifier, expliciter. Le théâtre forum comme l’atelier de philosophie priorisent une démarche d’expérimentation, et mettront l’accent sur une posture de recherche plutôt que le résultat obtenu. Autre point, la posture de l’animateur d’un théâtre forum rappellera la posture d’un animateur-philosophe qui est entre autres celui qui rappelle le cadre de l’atelier et celui qui fait lien tel un medium qui accompagne et par lequel transite l’énergie, le savoir du groupe.
Philosopher le théâtre ou théâtraliser la philosophie
Une quatrième manière d’articuler les deux pratiques est que la discussion philosophique se tienne avant la pratique théâtrale afin travailler les concepts, ouvrir le sens, dégager les enjeux qui seront par la suite joués sur scène.
Le théâtre pourrait ici se penser en termes d’illustration, de continuité de la discussion philosophique. Monter les textes de philosophie sur les scènes de théâtre, jouer avec les concepts, explorer les métaphores des textes philosophiques, mettre en scène la pensée, ou encore inventer des matchs d’impro dans la peau d’un philosophe, cela peut être un exercice intéressant à mener avec un groupe ; une manière d’approfondir, autant pour les participants que pour l’animateur, une culture philosophique de manière ludique ! [une activité qu’on retrouve sous forme de « Match philo » proposée par le pôle philo15]
Les ateliers de philo-théâtre peuvent aussi être un support à privilégier pour interroger le concept même d’expression. Une pièce de théâtrale est en soit un dialogue serré entre vérité et mensonge, réel et apparence, illusion et certitude. « C’est parce que vrai et faux vont presque toujours ensemble que les hommes se posent des questions »[12]. Dans l’univers de la fiction littéraire, que ce soit un livre, un film ou une pièce de théâtre, on se raconte des histoires, et des histoires qui ne se sont pas toujours vraies. Les hommes inventent, créent des personnages, et alors on peut se demander, pourquoi les hommes passent-ils autant de temps à fabriquer du faux ? Est-ce que les histoires disent la vérité ? Est-ce que l’art en général dit la vérité ? Est-ce qu’il faut toujours dire la vérité ? Est- ce qu’il faut parfois mentir ?
Si au théâtre, on peut rire « pour de faux », mourir « pour de faux » les expressions « mais c’était pas pour de vrai », « c’était pour rigoler », « c’était pour jouer », reviendra sans cesse dans le langage enfantin. On pourrait alors fondamentalement se questionner : Est-ce que le faux peut être dangereux ? Peut-on se perdre dans le faux ? [ ci-joint des conseils de lecture des goûters philo[13] ] :
Conclusion
Si en explorant la multiplicité des entrées possible d’une animation d’atelier de théâtre et de philosophie j’ai pu constater que des pistes me restent encore à explorer, une entrée me tient tout particulièrement à cœur : étendre une philosophie hors les murs,
L’Etre et l’apparence, (2002), collection les goûters philo, ed. milan.
D’ailleurs Johanna Hawken explique : « La philosophie ne cesse de briser les murs, explorant des territoires qui s’affranchissent amplement des frontières liées aux âges, aux institutions ou aux traditions [… ] De nombreux acteurs de la cité s’en sont emparés pour la faire vivre “hors les murs” : hors les murs de l’école, de l’université et des voies de l’éducation traditionnelle. La philosophie s’invite dans les cafés, au théâtre, au cinéma, sur les ondes, dans les prisons. Ces nouvelles pratiques témoignent d’une demande sociétale de vulgarisation de la philosophie dans l’éducation populaire des citoyens ».[14]
Et quoi de mieux qu’une école populaire, sinon la rue ?
La rue comme scène de théâtre de la philosophie, pour « installer dans une quotidienneté la rencontre avec l’art et le débat. »[15]
* Sources : Certaines illustrations de cet article ont été directement tirées de l’œuvre de SARRAZZAC JEAN-PIERRE (2008). Je vais au théâtre voir le monde. Gallimard Jeunesse, coll : « chouette penser !».
Moussion Alexandra.
Quelques illustrations d’intervention de philo-théâtre dans le cadre des philo-parc (été 2020) :
Bouchet Laurence, L’enseignement de la philosophie aide-t-il à philosopher ? Diotime. ↩︎
Tozzi Michel. (2001). Démocratiser la philosophie. Site Philotozzi : https://www.philotozzi.com/2001/10/democratiser-la-philosophie/ ↩︎
Site de l’émission de France culture : https://www.franceculture.fr/emissions/les-mercredis-du-theatre-10- 11/le-theatre-sait-il-philosopher ↩︎
Jean-pierre Sarrazac. (2008). Je vais au théâtre voir le monde. Gallimard Jeunesse, coll : « chouette penser ! », p15-16. ↩︎
Emission de France culture – comment faire de la philosophie eau théâtre ? https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/comment-faire-de-la-philosophie-au-theatre ↩︎
Bertolt BRECHT (1898-1956), romancier, dramaturge et théoricien du théâtre allemand. ↩︎
Erwin Piscator (1893- 1966), metteur en scène et producteur de théâtre allemand. ↩︎
Jacques Rancière (2008). Le spectateur émancipé. Paris, La Fabrique. ↩︎
Paroles de Vladimir, personnage de En attendant Godot, de Samuel Beckett (1952). ↩︎
Frédéric Lenoir, https://asso.seve.org/cest-quoi-un-atelier-philo/ ↩︎
Yves Guerre (2014). Jouer le conflit, pratiques de théâtre forum. L’Harmatan. ↩︎
Pour de vrai et pour de faux, (2008), collection les goûters philo, ed. milan / p37. ↩︎
Pour de vrai et pour de faux, (2008), collection les goûters philo, ed. milan. ↩︎
http://www.educ-revues.fr/DIOTIME/AffichageDocument.aspx?iddoc=113506&pos=0%22&%20HYPERLINK%22http://www.educrevues.fr/DIOTIME/AffichageDocument.aspx?iddoc=113506&pos=0%22pos=0 ↩︎
Propos tirés du projet « philo-parc ». , porté par les associations des Ethern’elles (association de « théâtre clochard », c’est-à-dire théâtre de rue) et des Francas (mouvement d’éducation populaire). ↩︎