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Burkina Faso - L'évaluation dans l'enseignement de la philosophie au Burkina Faso : acquis et défis

Par enseignement, nous entendons dans ce texte un sens englobant non seulement l'activité de l'enseignant, mais aussi l'apprentissage de l'apprenant et l'évaluation qui en résulte.

Résumé

L'enseignement de la philosophie est réputé être un des lieux où l'évaluation est suspectée le plus de subjectivité. Dans le contexte du Burkina Faso, un certain nombre d'outils, essentiellement des grilles d'évaluation de la dissertation, du commentaire et de l'enseignant, ont été produits pour harmoniser les pratiques et les résultats des évaluations. Ces outils, conjugués avec la formation initiale et continue des enseignants et des encadreurs pédagogiques, ont permis d'améliorer l'évaluation de la philosophie. Cela est à mettre au compte de la didactisation de la philosophie en tant qu'effort de rationalisation de l'enseignement qui permet de proposer des solutions pour une meilleure évaluation des enseignements-apprentissages. Il s'agit de faire un compte rendu de ses acquis avec pour illustrations principales la grille d'évaluation de la dissertation et celle du cours et de l'enseignant. Il en ressort des défis comme le maintien et le renforcement des acquis et aussi des perspectives comme l'approfondissement de la recherche-action en didactique de la philosophie.

Introduction

Dans un contexte d'éparpillement des savoirs rationnels, il s'impose de rappeler quel contenu est ici donné à la philosophie, comme science et comme discipline enseignée. La philosophie comme science dans notre acception coïncide avec l'activité rationnelle dans sa totalité. Une rationalité consciente et systématique où les diverses sciences concourent à la recherche de la vérité par des méthodes variables selon leurs objets.

La philosophie comme discipline a pour contenu la somme des savoirs rationnels accumulés par la philosophie comme science avec pour méthode l'argumentation. Son enseignement vise la transmission des savoirs rationnels stabilisés comme moyen de développement de l'esprit philosophique lui-même, le philosopher, en tant que processus de pensée, aptitude à user soi-même de sa raison (Tozzi, 2008)1.

La philosophie est une discipline qui souffre d'une perception confuse de sa nature et des modalités de son enseignement, qu'un effort relativement récent de didactisation, comprise comme un processus de rationalisation, ambitionne de clarifier.

De l'évaluation dans le contexte des apprentissages scolaires, où elle tend à être critériée, rappelons ce point de vue de Meirieu P. (1996) :2"?L'évaluation c'est un moment, et ce n'est pas tous les moments ; c'est un moment pour permettre de tirer un bilan, de faire le point sur ce que l'on sait faire ; c'est un exercice dont il convient de dire aux élèves avec clarté qu'il ne permet pas de prendre en compte la totalité des modalités d'expression de la pensée philosophique ; c'est une étape dans un processus bien plus large et qui échappe à toute réduction techniciste : le processus d'apprentissage?".

Sa mise en oeuvre dans l'enseignement de la philosophie donne lieu à un débat dont Meirieu résume les enjeux dans les termes suivants : " l'évaluation me paraît être un acte pédagogiquement nécessaire et pourtant marqué du sceau de l'impossibilité philosophique?". L'évaluation des objectifs de formation de l'homme recherchés par la philosophie ne saurait être totalement effective à travers celle des exercices scolaires. Mais la philosophie en tant que discipline scolaire doit évaluer parce que, selon le mot si juste du même auteur, "?l'évaluation est une sorte d'hygiène minimale en ce qu'elle permet à l'élève de se repérer, de savoir ce qu'on attend de lui (...) une garantie contre les pièges de la sélection implicite qui guette celui qui ne se fierait qu'à son intuition3".

Dans le système éducatif burkinabè, la philosophie a eu une mauvaise renommée surtout dans son évaluation popularisée en particulier par les notes à l'examen du baccalauréat. Une expérience menée par l'Inspection de philosophie a confirmé effectivement un écart de 12 points sur la même copie4. La situation engendre certaines interrogations. La discipline philosophie est-elle, par essence, condamnée à des absurdités dans son enseignement/apprentissage et particulièrement dans son évaluation ? La subjectivité ici accusée n'a-t-elle pas pour fondement l'absence d'outils de rationalisation, normalisation et harmonisation dans l'enseignement/apprentissage et en particulier dans l'évaluation de la philosophie ? L'enseignement/apprentissage de la philosophie peut-il échapper à ce qui ressemble à une fatalité pour toute discipline enseignée ?

Ces questions ont été les plus embarrassantes pour le corps des encadreurs pédagogiques qui a commencé à se renforcer par le recrutement et la formation de conseillers et d'inspecteurs à partir des années 2000. Ils ont pris particulièrement en charge cette question de l'évaluation, et il y a lieu de considérer 20 ans après que l'enseignement de la philosophie a connu une amélioration dans ses pratiques d'évaluation.

Notre intention dans cette réflexion n'est pas de faire l'économie intégrale du processus, mais juste d'indexer certains aspects des modalités de l'évaluation des enseignants et des apprenants. Ce compte rendu en trois étapes rappellera d'abord l'évolution de l'enseignement de la philosophie d'un "?dilettantisme anarchique?" à une gestion rationalisée. Il précisera ensuite les acquis dans l'évaluation en philosophie au Burkina Faso avec la grille d'évaluation du cours pour la certification des enseignants et la grille de la dissertation pour les apprenants. Enfin, il pointera les principaux défis et les perspectives qui se présentent à cette étape pour la poursuite de l'amélioration des pratiques d'enseignement/apprentissage de la philosophie.

I) L'enseignement de la philosophie : du "dilettantisme anarchique" à une gestion rationalisé

A/ Du "Dilettantisme anarchique"

Pour caractériser la situation initiale de l'enseignement de la philosophie au Burkina Faso, nous empruntons à Émile Durkheim le qualificatif de "dilettantisme anarchique"5 qu'il a appliqué à l'état de l'enseignement de la philosophie en France après Victor Cousin. Ce dernier, selon lui, avait donné une âme, une mission sociale à la philosophie qui fédérait et harmonisait les efforts de tous les acteurs. "Cousin disparu, le faisceau s'est dénoué et désagrégé. Chacun tendit de plus en plus à s'orienter dans son sens propre. La philosophie produisit ainsi des résultats contraires à ceux qu'on attendait d'elle à l'origine.6" Le Burkina Faso a peut-être en partie hérité de cette mauvaise évolution de l'enseignement de la philosophie. En effet, la philosophie au Burkina a connu, dans son enseignement après les indépendances, une période d'errements, sans repères officiels. Les indicateurs de cette période de déréliction sont par exemple : un programme constitué de notions avec pour instructions celles de Monzie de 19257; l'absence de fiches pédagogiques ; une prétendue inadaptation de l'approche par objectif à la philosophie ; des enseignants sans formation professionnelle initiale ; un encadrement pédagogique insignifiant (deux inspecteurs pour l'ensemble du pays, submergés par les tâches administratives) ; absences de manuels ; des pratiques d'enseignement laissées au libre arbitre de chaque enseignant.

Rappelons en paraphrasant Bloom B. S. (1956)8 que les objectifs pédagogiques, en plus de permettre à chaque enseignant d'articuler le cours et d'avoir des critères de notation, sont des outils pour harmoniser les contenus des programmes pour tous les enseignants. En l'absence d'objectifs pédagogiques partagés, c'est le libre arbitre des enseignants qui prévaut et rend leur collaboration périlleuse. Les apprenants devaient accepter le principe que leurs performances avec un enseignant À pouvaient être totalement inversées chez un enseignant B. Ils n'étaient pas universellement forts ou faibles en philosophie. Il fallait s'en remettre au sort et avoir la chance que la copie au baccalauréat tombe sur le bon professeur.

Pour ce qui est de la dissertation en particulier, dans les Instructions officielles de 1925, qui ont régi l'enseignement au Burkina Faso jusqu'en 20109, il y a des consignes sur comment mener une interrogation, sur ce qu'est une dissertation en tant que "forme la plus personnelle et la plus élaborée du travail de l'élève de philosophie". Mais ces instructions ne donnent pas de consignes assez précises pour harmoniser les pratiques d'enseignement et d'évaluation. Dans les faits "il n'y a pas de congruence entre les pratiques d'enseignement/apprentissage de la philosophie telles qu'elles sont expérimentées dans les classes de nos établissements secondaires et les exigences de la dissertation philosophique", constate Ouédraogo (2009, p. 91).

En l'absence de normes, de critères, d'objectifs clairement prédéfinis, l'errance dans le "dilettantisme anarchique" est inévitable. Se refuser à adopter une démarche rationnelle et professionnelle, pour dispenser le cours de philosophie et évaluer les exercices complexes de dissertation et de commentaire de texte, c'est choisir de travailler en amateur et installer l'anarchie dans la discipline.

B) La rationalisation/normalisation de l'enseignement de la philosophie

La formation des enseignants et des encadreurs pédagogiques est une variable fondamentale de la qualité de l'éducation, l'expérience que nous avons vécue dans l'évolution de l'enseignement au Burkina Faso le confirme. L'enseignement/apprentissage de la philosophie au Burkina Faso a connu une amélioration par le fait du recrutement et de la formation des enseignants et des encadreurs pédagogiques qui a commencé à partir des années 199010. La formation des enseignants a permis de construire un socle commun de compétences, une connaissance et une vision commune du programme, des démarches concertées dans la conduite du cours et dans les pratiques d'évaluation.

La formation des enseignants est le lieu même de la confrontation à la problématique de la didactisation disciplinaire. Répondre à la question : que doit savoir et savoir-faire un futur enseignant nanti seulement de connaissances académiques pour enseigner efficacement ? C'est s'engager résolument dans une perspective didactique, se contraindre à réfléchir sur la discipline, ses modalités d'enseignement et d'évaluation. C'est la formation qui donne aux enseignants un socle commun de compétences, une connaissance et une vision commune du programme, des démarches concertées dans la conduite du cours, des pratiques d'évaluation harmonisées.

C'est à partir à partir de la formation initiale des enseignants que la conception et la mise en oeuvre d'une fiche pédagogique11 ou plan de séance dans l'enseignement de la philosophie a été initié pour devenir, à partir de 2018, une prescription à partir des instructions de l'Inspection de Philosophie. La grille d'observation de cours et d'évaluation/certification de l'enseignant a été aussi un impératif pour la formation initiale des encadreurs pédagogiques. Les encadreurs pédagogiques ont pour rôle de superviser l'harmonisation de la mise en oeuvre des pratiques d'enseignement. Ils sont regroupés dans des inspections par disciplines ou regroupement de disciplines. Il fallait trouver des outils pour observer, conseiller les enseignants et réaliser leur certification en situation de classe. La grille d'évaluation du cours est l'instrument principal de l'encadreur pédagogique. Les encadreurs pédagogiques ont pour rôle de superviser cette harmonisation de la mise en oeuvre des pratiques d'enseignement. Dans un contexte où le responsable hiérarchique direct de l'enseignant n'est pas de sa discipline où quand bien même il l'est, son grade ne l'autorise pas sur le plan académique à superviser l'enseignant, c'est l'inspection qui assure le véritable leadership au niveau disciplinaire.

Dans le contexte du Burkina, la question de l'évaluation a été la première difficulté prise en charge par les encadreurs pédagogiques à travers l'inspection de philosophie, avec le premier national de 2000.12 Sous la supervision des encadreurs pédagogiques, une grille d'observation du cours et d'évaluation de l'enseignant et des grilles d'évaluation de la dissertation et du commentaire ont été conçues, expérimentées puis validées au cours d'ateliers d'analyse collective des pratiques professionnelles. Elles consignent des consensus sur le minimum exigible dans les différents cas. Il est possible de dire qu'aujourd'hui au Burkina Faso, l'enseignement de la philosophie est un enseignement normalisé, au sens d'un enseignement comparable aux autres disciplines. Les enseignants de philosophie ne sont plus des amateurs qui déroulent le cours selon leur seule inspiration, et qui évaluent les copies sans avoir à en rendre compte.

II) Les acquis dans l'évaluation en philosophie au Burkina Faso

Les acquis dans l'enseignement de la philosophie à partir de l'évolution qui a été décrite vont au-delà du seul domaine de l'évaluation comme moment du processus d'enseignement/apprentissage. Mais la perspective de l'évaluation paraît être particulièrement propice pour faire une synthèse des acquis. Les deux aspects qui seront mentionnés sont d'abord la grille d'observation du cours et d'évaluation de l'enseignant qui illustre l'amélioration dans la conduite même du cours de philosophie. Et ensuite la grille d'évaluation de la dissertation pour illustrer les normes imposées aux enseignants pour harmoniser l'évaluation des exercices.

A) La grille d'observation du cours et d'évaluation de l'enseignant de philosophie

La grille d'observation du cours et d'évaluation de l'enseignant de philosophie s'est imposée comme outil indispensable aux encadreurs pédagogiques, elle est un outil multifonction comme son appellation même l'indique. En priorité et pour l'encadreur pédagogique, elle sert à la formation continue des enseignants. Elle permet d'abord d'observer le cours du professeur et de recueillir les données sur la prestation de l'enseignant. Elle sert ensuite pendant l'entretien avec l'enseignant à harmoniser les points de vue des acteurs enseignants et encadreurs pédagogiques sur les activités menées en classe et de partager leurs observations avec cohérence et objectivité. La grille contribue à harmoniser les pratiques pédagogiques des enseignants. Pour l'encadreur pédagogique elle est le médium de la réflexivité individuelle ou collective. En situation de formation, les élèves professeurs sont entraînées à utiliser la grille pour s'auto évaluer et évaluer leurs camarades au cours de séances de simulation de cours. L'existence de la grille est en soi un élément de professionnalisation. Les acteurs de l'enseignement de la philosophie au Burkina Faso s'inscrivent dans le schéma du praticien réflexif (Schön 199413).

Dans sa forme, la grille d'observation du cours et d'évaluation de l'enseignant de philosophie est structurée en trois parties : identification de l'enseignant, éléments d'observation du cours, entretien. Nous nous intéresserons ici à la deuxième partie qui condense les différents aspects didactiques.

Elle comporte quatre rubriques : 1- le comportement et l'attitude de l'enseignant ; 2- l'animation et la communication ; 3- la méthodologie et la démarche, ; 4- le contenu. Chacune de ces rubriques contient des indicateurs assortis d'une échelle et d'un barème de notation graduée de 0 à 4.

>Document (format PDF) : Grille d'observation de cours et d'évaluation de l'enseignant

B) La grille d'évaluation de la dissertation

La grille de la dissertation a été conçue en même temps que celle du commentaire à partir de 2000, expérimentée, puis validée. Elle a été revue en 2018.

Avant cette modification, elle n'indiquait que les parties de la dissertation (introduction, développement, conclusion) et sommairement leurs contenus. Ainsi du développement, il ne ressortait que le contenu et la forme. Avec la grille de 2018, des types de plans sont indiqués dans le contenu du développement avec des précisions sur les sous-parties. Cela permet de pousser plus avant l'harmonisation de la compréhension des objectifs de l'enseignement de la philosophie et par là même des modalités d'évaluation. L'application de ces grilles est exigée à la correction du baccalauréat et des encadreurs pédagogiques veillent au respect de leur application. Les copies corrigées par les enseignants sont passées en revue et ils doivent rendre des comptes s'ils sont suspectés d'avoir manqué de rigueur dans leur notation, et en cas de plainte d'un apprenant par rapport à sa note, la copie peut être recorrigée sur la base de la grille.

Document (format PDF) : Grille validée de la dissertation pour enseignement general (2018)

À la suite de la validation des grilles de correction de la dissertation et du commentaire en 2005, l'Inspection de philosophie a recommandé une procédure de correction avec les grilles. Il faut annoter d'abord chaque partie de la dissertation ou du commentaire (introduction, développement, conclusion) en portant une note chiffrée et ensuite faire l'appréciation d'ensemble de la copie qui justifiera la note finale (somme des notes partielles). Cette procédure permet de tirer de la grille le maximum d'avantages et aide les apprenants dans l'auto-évaluation.

Il est légitime de douter, avec P. Meirieu14 parlant des travaux de M. Tozzi, que tous ces dispositifs didactiques du professeur de philosophie produisent la pensée philosophique, mais il est indéniable que pour le processus d'enseignement, une harmonisation des pratiques est une condition minimale pour espérer construire les bases didactiques du philosopher, qui en dernier ressort dépend du libre arbitre du sujet apprenant. La grille d'évaluation de la dissertation, du fait de son existence, participe à la création d'un dispositif minimum d'organisation des dispositifs didactiques dans le contexte du Burkina Faso, qui permettent aux enseignants d'enseigner et d'évaluer la dissertation, de s'auto-évaluer et de rendre compte de cette activité, et en somme d'agir en professionnel qui peut se défendre du caractère arbitraire de sa pratique.

III) Leçons, défis et perspectives actuelles

À ce stade de notre compte rendu, la situation initiale ayant été décrite et les outils mis en oeuvre présentés, il s'agit de tirer des leçons, indiquer les défis du moment et les perspectives pour l'enseignement de la philosophie au Burkina Faso.

A) Des leçons tirées de l'application de la grille d'évaluation de la dissertation

Les leçons à tirer par rapport à des innovations qui demandent un changement de comportement chez des acteurs sont à rechercher dans les représentations des acteurs. Nous insisterons seulement sur la grille d'évaluation de la dissertation qui est utilisée directement par les enseignants en interactions avec les apprenants. Au cours de l'expérimentation des grilles et pour s'assurer que les enseignants eux-mêmes certifient leur impact effectif dans l'amélioration de la pratique de l'évaluation, une enquête a été faite auprès des enseignants.

Il ressort que pour les enseignants, l'utilisation de la grille d'évaluation a des avantages certains. Sur le plan individuel, l'évaluation ou la correction est plus facile et rigoureuse, elle réduit la subjectivité et permet l'auto-évaluation aisée du professeur. La gestion du temps de correction est plus rationnelle et il y a une amélioration du rendement des élèves. Il y a moins d'hésitation et plus de sérénité dans la détermination de la note finale. Les enseignants ont reconnu avoir eu des difficultés au départ et notamment une impression de perte de temps qui s'est muée en gain de temps dès que les habitudes se sont installées15. Entre enseignants, il y a une réduction de la disparité des notes et une harmonisation des pratiques d'évaluation, le climat de travail est plus serein avec un sentiment de confiance réciproque qui renforce la bonne collaboration.

Avec les élèves, le climat de confiance s'est amélioré entre eux-mêmes et avec les professeurs, puisqu'ils peuvent s'auto-évaluer et s'évaluer les uns les autres, l'amélioration des notes les motive et réhabilite la philosophie à leurs yeux, le sentiment d'arbitraire a disparu puisque l'esprit de la notation est transparent. Il y a une prise de conscience des exigences de rigueur de la philosophie.

En somme la qualité de l'enseignement de la philosophie peut être améliorée si les acteurs font l'effort d'identifier les difficultés liées aux pratiques et aux dispositifs et suggèrent des outils adaptés à chaque situation. Cette préoccupation didactique ne garantit pas la certitude que les apprenants philosopheront effectivement, mais elle permet de réunir les conditions optimales pour les encourager dans la bonne direction. Cette quête de l'efficacité didactique à l'instar de celle de la quête de la vérité ne saurait se complaire dans des conquêtes d'étapes. C'est pourquoi il nous faut indiquer quelques défis du moment.

B) Défis et perspectives pour l'enseignement de la philosophie au Burkina Faso

Si les efforts des acteurs à travers la formation initiale et continue, la conception et la mise en oeuvre d'outils didactiques ont contribué à sortir la philosophie d'une situation moyenâgeuse, il est impératif de veiller à pérenniser les acquis, mais aussi à poursuivre les efforts. Le domaine de définition de cette activité, l'éducation, a pour essence la transmission. Il faut que les acquis soient transmis pour survivre aux acteurs actuels. Ensuite l'existence des outils n'implique pas leur utilisation effective par les enseignants. Ainsi pour le cas de la fiche pédagogique que nous n'avons pas particulièrement analysée ici, il ressort que "la proportion des enseignants de philosophie qui utilisent régulièrement des fiches pédagogiques est de 41,66 %".16 Pour toutes les grilles, il existe des réticences ou des relâchements quand il n'y a aucun contrôle sur les enseignants. Des enseignants qui parfois prétextent l'absence ou l'insuffisance de formation pour justifier leur laisser-aller pédagogique.

La formation initiale et continue des enseignants doit être maintenue et renforcer avec l'évolution du contexte. La perspective nationale d'aller vers une approche par compétence est à la fois stimulante, mais demandera à la philosophie des efforts particuliers par rapport aux autres disciplines. À la formation, il faut ajouter une supervision et un contrôle bienveillants pour vaincre les réticences de certains enseignants.

Et comme les outils actuels, notamment les grilles de la dissertation et du commentaire, indiquent des minimas consensuels, ils peuvent être améliorés progressivement pour aller vers des maximas. À titre d'illustration, si nous nous en tenons toujours au cas de la dissertation, l'exercice "canonique" avec le plan dialectique, il est possible d'affiner la grille sans changer les barèmes. La structure de l'introduction peut-être mieux précisée. De même, dans le développement, cela aidera les enseignants et les apprenants qui sont en difficulté particulièrement avec la synthèse d'avoir un canevas qui puisse les guider. Il en est de même de la nature et de la structure de tout argument, qui à défaut d'être systématiquement dans la forme du syllogisme (majeure, mineure et conclusion) ou de l'enthymème (antécédent et conséquent) peut tendre à s'en rapprocher, parce que la logique et l'argumentation sont des racines nourricières pour la pensée philosophique, et cesser d'être "un art mystérieux et héroïque"17, comme illustré dans l'extrait de la grille affinée ci-dessous.

Document (format PDF) : Grille affinée de la dissertation à plan dialectique (extrait)

Conclusion

D'une situation initiale où l'enseignement de la philosophie avait, consciemment ou non, réuni toutes les conditions pour amener les apprenants à désespérer de réussir dans leur apprentissage, il faut dire aujourd'hui, en considérant les acquis en matière d'évaluation, que la philosophie a été réhabilitée. La grille d'observation du cours et d'évaluation de l'enseignant et les grilles d'évaluation des exercices, en particulier celle de la dissertation qui a été ici ciblée, ont démystifié la philosophie. Ces efforts didactiques ont créé les conditions pour une initiation sereine à la pensée philosophique. Il convient de ne pas relâcher l'effort pour d'une part maintenir et pérenniser les acquis et d'autre part continuer de progresser dans le processus de didactisation par la recherche-action. La formation initiale et continue des enseignants et des encadreurs pédagogiques doit se poursuivre tout comme l'amélioration des outils et dispositifs actuels. Les nouvelles pratiques philosophiques et les crises incitent à l'innovation et comme l'expérience ici le démontre, les progrès se font, même si c'est à petits pas. L'éducation est le lieu par excellence où l'effort doit être maintenu sous peine d'une régression vers des pratiques néfastes pour la philosophie et les apprenants.


(1) Tozzi Michel : De la question des compétences en philosophie | Philotozzi, janvier 2008.

(2) Meirieu Philippe, L'impossible évaluation, conférence au département de philosophie de Québec, 26 avril 1996.

(3) Ibid.

(4) Inspection de philosophie (2001), Journée pédagogique au profit des professeurs de philosophie de Ouagadougou sur le thème : "Comment concilier l'exécution des programmes avec l'entraînement des élèves aux exercices de la dissertation et du commentaire ?".

(5) Durkheim Émile, "L'enseignement philosophique et l'agrégation de philosophie", Texte extrait de la Revue philosophique, 1895, n° 39, p. 121 à 147.

(6) Ibid.

(7) De Monzie Anatole, Les instructions officielles de l'enseignement de la philosophie en France de 1925, Anatole de MONZIE - Instructions du 2 septembre 1925 | Revue Skhole.fr.

(8) Voir Bloom Benjamin S. et al., (1956), Taxonomy of Educational Objectives : the Classification of Educational Goals ; Handbook I: Cognitive Domain [Taxonomie des objectifs éducatifs : la classification des objectifs éducatifs ; Manuel I : Domaine cognitif] (en anglais). New York : Longmans, Green.

(9) En 2010, un texte portant sur les Instructions Officielles a été signé par les autorités Burkinabè en remplacement des Instructions Officielles de 1925. DGIFPE-MESS, Inspection de Philosophie, Les Instructions Officielles de l'enseignement de la philosophie au secondaire au Burkina Faso d'octobre 2010.

(10) Ces aspects ont été développés dans "Problématique philosophique africaine et dynamique culturelle" Bayama, Paul-Marie. (2011) Thèse de doctorat unique en philosophie, Université de Ouagadougou, p. 272-274.

(11) Voir l'article que j'ai proposé en 2020, "Instruments pour la professionnalisation des professeurs de philosophie : la fiche pédagogique", RAIFFET. En ligne : professionnalisation des enseignants - RAIFFET.

(12) Voir les Actes du 1er séminaire national de philosophie: "La pratique de l'évaluation en philosophie", Inspection de philosophie, DIFPE, MESSRS, 2000.

(13) La référence emblématique reste Schön, D., Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l'agir professionnel, Montréal, Les Éditions Logiques, 1994. Mais des auteurs comme Philippe Perrenoud ou Marguerite Altet peuvent aussi être convoqués sur la question de la réflexivité dans la formation enseignante. Voir Perrenoud, Ph. (1996), "Le travail sur l'habitus dans la formation des enseignants. Analyse des pratiques et prise de conscience", in Paquay, L., Altet, M., Charlier, É. et Perrenoud, Ph. (dir.) Former des enseignants professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ?Bruxelles, de Boeck, p. 181-208.

(14) Il s'agit du même texte de Meirieu Philippe, L'impossible évaluation, op cité note 2.

(15) Les habitudes des enseignants ne changent pas aisément. Voir Perrenoud, Ph. (1996), op. cité note 13.

(16) Badiel Yaya (2019), La fiche pédagogique dans l'enseignement/apprentissage de la philosophie au secondaire au Burkina Faso : niveau d'acceptation et réticences, Mémoire de fin de formation, ENSK. p. 90.

(17) Cosperec Serge, "La place de la logique et de l'argumentation dans l'enseignement secondaire de philosophie" Diotime, n° 49 (07/2011) critiquant l'anti-pédagogisme de certains philosophes.

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