I) Quelques mots sur la pratique de la méditation de pleine conscience/présence
Cela fait une dizaine d'années que j'intègre dans ma pédagogie, en tant que professeure de lettres modernes, des méthodes parfois innovantes, telle que la méditation de pleine conscience/présence. Formée à la MBSR (Réduction du stress par la pleine conscience), puis, il y a quelques années, à la méditation laïque, par l'Association de Méditation dans l'Enseignement (AME), cette pratique se fait dans mes cours à plusieurs niveaux.
D'abord comme "outil" qui sert à faire revenir au calme, à installer la sérénité, un climat propice à l'écoute et à l'attention. Dans ce cadre, je mets en place chaque année un rituel en début de cours : cinq minutes de cohérence cardiaque1, dans la posture dite de la dignité ; ou bien trois grandes respirations, en pleine conscience, toujours dans cette posture. La respiration peut également intervenir à tout instant en classe, à partir du moment où je sens qu'il est nécessaire de faire une pause, ou bien que je demande un temps de concentration sur une activité bien précise.
Par ailleurs, un temps de méditation peut se faire en début, en milieu, en fin de cours, selon ce que je perçois des élèves (voire selon leurs demandes) : si les élèves sont agités, je vais choisir de pratiquer un moment de calme avec une attention sur le souffle et le corps par exemple ; si la classe est énervée, je choisirai une méditation sur les émotions désagréables pour ancrer ensuite une émotion agréable ; si la classe est amorphe, fatiguée, une séance de méditation sur la concentration et finir par un mouvement ; si la classe est triste, une séance de méditation sur la confiance en soi, etc.
Par ailleurs, avant chaque évaluation, je fais faire systématiquement une méditation - visualisation positive (ce qu'en sophrologie on appelle "futurisation"), qui consiste à installer la confiance, la réussite, et à visualiser tout en la ressentant dans son corps la réussite et donc la satisfaction et la joie.
Enfin, un programme à l'année est également abordé depuis quelques années, inspiré par celui de l'AME : PEACE (Présence - Écoute - Attention - Concentration - dans l'Enseignement). Si la progression me semble pertinente et juste, je l'ai néanmoins adapté à ce qu'il me semble plus pertinent face aux élèves et à ce que j'avais déjà l'habitude de faire. J'instaure ainsi des séances visant tout d'abord à prendre conscience du souffle et de son corps ; puis je travaille l'ancrage et l'équilibre ; pour ensuite développer les capacités de concentration ; très vite je travaille sur l'estime de soi et la confiance en soi au travers d'exercice de psychologie positive pour aborder les émotions (reconnaître, identifier, accueillir et accepter). Une dernière phase vise à développer l'empathie, la bienveillance, l'altruisme, l'écoute, la solidarité et la coopération.
Très vite, je constate que les classes que j'ai en charge et qui pratiquent ces différentes méditations, développent un esprit d'entraide, et la compétition, si elle existe encore, ne se fait plus qu'entre soi et soi-même. Un exemple flagrant : lors du confinement de mars 2020, et durant toute la préparation à l'épreuve anticipée de français, les élèves dont j'étais professeure principale et qui avaient déjà pratiqué certaines séances, ont été solidaires, se sont soutenus et n'ont pas été décrocheurs. Je constate que la bienveillance instaurée et la méditation ont un effet plutôt positif.
- "Je pense que la méditation permet de calmer les émotions mais pas seulement. Dans mon cas, elle a aussi permis de calmer des douleurs de dos très présentes qui, parfois, ne me permettaient pas d'être concentrée au maximum. J'ai appris en tant qu'élève que la méditation peut permettre à une classe agitée de se calmer et donc d'être plus productive, cela s'applique aussi à chaque élève personnellement. J'ai aussi appris que la relation que nous avons avec nos professeurs peut être bien plus que la relation simple élève-professeur, elle peut nous apporter dans la vie de tous les jours mais aussi avec les autres professeurs." C., jeune fille 1re (2019)
"Oui, cela m'a beaucoup apporté. En grande partie pour le stress, puisque je suis une grande stressée de la vie. Je me sers d'ailleurs encore de certains exercices de respiration avant des examens. Sur le plan vraiment personnel, il est vrai que j'ai appris à relativiser cette année-là et surtout à aller de l'avant, peu importe les difficultés rencontrées. La méditation m'a aidée à me concentrer et à mettre de côté le plan personnel, au moins durant les cours de Mme Lafont, je me sentais plus sereine, plus décontractée et donc plus en mesure de suivre de manière "efficace" le cours. J'ai appris que j'avais plus de capacités que ce que je pensais sur le plan scolaire et qu'il ne fallait pas se décourager puisque "le succès, c'est l'échec de l'échec". J'ai réussi à évoluer dans la matière plus facilement qu'avec la plupart de mes autres professeurs. Il y avait une véritable proximité qui me permettait d'être en confiance, je n'avais pas peur de me tromper, de ne pas avoir les bonnes réponses. La relation était fluide, saine et cela ne correspondait pas forcément aux professeurs/élèves habituels. Je me souviendrai toujours de cette expérience." A., jeune fille 1re (2017)
"Ce que je trouve admirable c'est qu'au fil de l'année nous avons eu droit chacun à notre développement personnel, toute la classe a commencé à avoir confiance en chacun et grâce à la méditation, nous arrivions à nous calmer durant des moments de stress ou des moments durs. Je pense que chacun devrait juste au moins tester la méditation et ensuite être libre de se faire un avis, mais les gens et les personnes ont souvent des a priori et donc une certaine hostilité à ce genre de choses. Pour ma part, je continue à utiliser les méthodes que vous nous avez enseignées !" R., jeune fille, 1re (2019)
"Je pense que la méditation est un moyen de calmer l'émotionnel afin de mieux apprendre et mieux réfléchir, car cela nous permet de nous concentrer seulement sur le cours et de mettre au second plan les tracas quotidiens." C. jeune fille, 2de (2016)
"Le fait de me concentrer à ce point m'a permis de faire abstraction de tout ce qui se passait autour de moi et de concentrer mon attention sur le texte. Pour moi, la méditation a donc été un moyen de calmer mes émotions et d'atteindre des capacités de concentration que je ne pouvais atteindre en général." T., jeune homme, 1re STMG (2019)
En mai 2019, j'ai été contactée par le service des formations innovantes au Rectorat, qui m'a demandé de créer une formation sur la méditation de pleine conscience/présence au Plan Académique de Formation. Alors que nous pensions faire une année de "test" avec une trentaine de stagiaires, quelle ne fut pas notre surprise en constatant qu'il y avait 240 inscrits ! C'est dire le besoin et l'intérêt porté par le personnel de l'Éducation nationale à l'égard de pratiques innovantes liées au bien-être du professeur et de l'élève ! Cette année, ce sont 170 candidat.e.s qui vont recevoir la formation sur deux jours, 12 heures au total. Je dois dire que c'est grâce aux avancées des neurosciences que j'ai pu asseoir une certaine légitimité et je remercie des personnes comme Catherine Gueguen, Antoine Lutz, ou encore Nicole Bouin qui ont partagé leurs recherches et savoirs.
II) Pour un nouveau dispositif : la méditation et la DVDP
Faisant partie du CRAP-Cahiers pédagogiques depuis trois ans, j'ai proposé l'année dernière à Michel Tozzi, dont j'admirais le travail et la sagesse, un atelier pour les Rencontres 2020. Je dois avouer que j'étais loin d'imaginer que cela prendrait une telle tournure ! En effet, étant "identifiée" au sein de l'association, mais aussi en soi, comme "celle qui défend la méditation et est du côté des émotions", je trouvais intéressant de coanimer un atelier qui associerait l'émotion et la raison. Michel Tozzi ayant accepté, nous avons donc travaillé ensemble à la réalisation d'un atelier qui mettait en corrélation la méditation et la DVDP, et visait à confronter l'émotion et la raison dans les apprentissages et la réflexion. La question de départ était de savoir si l'émotion était une entrave ou un levier à la réflexion.
Michel Tozzi a donc revu le "protocole" des DVDP en y introduisant une méditation guidée, dont je me chargeais. L'idée était de vivre les émotions (en commençant par la colère et la joie), puis de progressivement aller vers l'altruisme, en passant par l'ancrage, une meilleure connaissance de soi, pour mieux connaître l'autre. Nous avons donc expérimenté diverses méditations : seul.e avec soi, seul.e dans le groupe (composé de 14 participantes), mais aussi des méditations à deux. Si ces méditations étaient axées sur des valeurs (la bienveillance, la nature, autrui notamment), elles étaient à chaque fois suivies d'une DVDP portant sur une notion ou une question, afin de passer de l'émotion vécue à la réflexion conceptuelle et problématisante.
Si le début fut quelque peu difficile pour certaines, surtout vis-à-vis de la méditation, seules deux personnes sont restées sceptiques à la fin de l'atelier. Au cours de la semaine, les différentes méditations ont pu susciter des émotions parfois en hyperbole (pleurs, remises en question, prises de conscience, etc.) : l'écoute, l'échange (verbal ou écrit) et la bienveillance ont pu aider lesdites personnes et nous ont permis de continuer sereinement l'atelier, toujours dans l'optique d'expérimenter jusqu'au bout l'interaction entre émotion et réflexion.
Nous avons proposé à la fin de la semaine de répondre par écrit, de façon individuelle et anonyme si souhaitée à quatre questions portant sur l'enjeu de l'atelier et son organisation.
1/ Que pensez-vous de l'articulation entre l'émotion et la raison dans la réflexion ?
Les réponses convergent vers le fait qu'il faille, sinon gérer, du moins reconnaître/identifier/accueillir et accepter ses émotions pour pouvoir ensuite les calmer et laisser place à la réflexion. L'émotion, en effet, peut parfois empêcher la réflexion si elle est niée.
13 participantes sur 14 estiment que l'émotion est un tremplin à la réflexion et lui semble donc utile, car fournissant des arguments et des exemples. L'idée à retenir étant qu'il faut un juste équilibre et qu'il y a bien interaction entre les deux.
2/ Que pensez-vous des exercices de méditation ?
Une personne évoque les "risques" de "jouer les apprentis sorciers". Une autre n'a pu entrer dans la méditation car ne parvenant pas à "débrancher le cerveau", mais elle regrette car "cela avait l'air bien agréable !".
En majorité : beaucoup de scepticisme au départ, puis adhésion et volonté soit de continuer personnellement, soit de le pratiquer en classe (soit les deux !). La méditation a été perçue finalement comme un vrai moyen d'apaiser, de faire de la place à la réflexion et de permettre d'installer un climat de confiance et de solidarité. Certaines évoquent "une aide précieuse dans la gestion des émotions". Elles ont également perçu la méditation comme un moyen de mieux se (re)connaître, et, de là, un possible épanouissement personnel et intellectuel. Enfin, la sensation de bien-être, de calme intérieur, a été évoquée à plusieurs reprises.
3/ Que pensez-vous du dispositif de la DVDP pour discuter d'une question ?
Le dispositif, selon les participantes, est très bien construit et permet à chacun de trouver une place et de prendre la parole. Ce qui a plu : une question qui amène à une autre, le fait de se "nourrir" de la pensée de l'autre. Il permet un réel questionnement, une réflexion approfondie. Il a été également souligné que la prise de parole différée permet justement de construire son argumentaire et évite la spontanéité émotionnelle. Toutes les participantes ont été convaincues par le dispositif.
4/ Que pensez-vous de l'articulation entre la méditation et la DVDP ?
Une personne trouve que c'est "beaucoup" pour les petits d'allier les deux.
En général, les participantes ont trouvé les deux exercices complémentaires. La méditation "ciblée" sur une valeur permettait ensuite d'étayer la réflexion sur la notion et de construire le concept. La méditation permet également de calmer l'émotionnel pour donner place à la réflexion. Elle favoriserait, selon certaines participantes, la réflexion. Pour une personne, la méditation ciblée induirait de fait la réflexion en occultant peut-être d'autres aspects auxquels on serait moins enclins à réfléchir car orienté par la méditation.
Le groupe a souligné à l'oral que le binôme des animateurs leur avait non seulement plu, mais également touché. La complémentarité, le montage de l'atelier avec l'alternance méditation - DVDP a été très appréciée.
III) Expérimentation avec des lycéens
Partant de cette expérience estivale, j'ai donc décidé, avec l'accord de la Direction de mon établissement, de développer en classe, avec mes lycéens, à chaque séquence de cours, ce dispositif co-pensé avec Michel Tozzi. Aussi l'ai-je mis en place en guise de bilan de séquence portant sur un thème précis à partir d'une méditation sur une valeur, et suivie d'une DVDP sur la notion philosophique correspondante.
Ainsi, dans mes classes de 1re, nous avons travaillé en ce début d'année sur les Essais de Montaigne, plus précisément sur les livres Des Cannibales et Des Coches. Depuis la réforme du lycée, il nous est imposé de travailler sur un parcours associé qui thématise en quelque sorte l'approche de l'oeuvre intégrale et des textes complémentaires. Ici, il s'agissait d'une citation de Montaigne "Notre monde vient d'en ddécouvrir un autre", qui reprend en filigrane la découverte de l'Autre, mais aussi, en contrepoint, la (re)découverte de soi. Après l'étude de l'oeuvre, d'un texte de Jean de Léry et d'un autre de Bougainville ; mais aussi la lecture du conte philosophique de Voltaire, Candide et d'un roman plus récent de Laurent Gounelle, Et tu trouveras le trésor qui dort en toi, nous avons organisé une séance de conclusion, sur deux heures, pendant laquelle nous avons fait une méditation, suivie d'une DVDP. La méditation se faisait à deux : après alternance de silence intériorisé les yeux fermés, et regard de l'autre face à soi, il s'agissait d'écrire deux qualités qu'on voyait en celui qui était assis face à soi. Ensuite, chacun prenait connaissance desdites qualités qui lui étaient attribuées pendant que son binôme observait ses réactions. Au-delà de l'exercice de méditation sur "l'Autre" qui permet de développer la bienveillance, mais également la confiance en soi, il permettait à chacun de porter un regard sur l'autre de façon positive (écriture de qualités) dans un contexte de début d'année (séance pratiquée à la rentrée des vacances de la Toussaint), où les élèves ne se connaissent peut-être pas encore très bien.
La DVDP portait ensuite sur la notion d'Autrui, avec pour question de départ : Est-ce que l'Autre peut m'aider à mieux me connaitre ? Comment peut-il me permettre de mieux me connaître ?
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L'autre permet de nous apporter un regard extérieur à notre propre personne. Les points communs avec une tierce personne nous permettent de créer un lien. Parler d'un complexe avec l'autre, cela nous permet d'extérioriser et de soulager notre conscience. Cela a une certaine influence sur notre vie car nous vivons constamment avec le regard de l'autre.
Cependant, lorsque nous avons notre conviction, l'influence générée par les autres est inefficace. Le jugement ne peut venir altérer tant que la confiance en soi règne. La confiance peut être synonyme d'élévation.
"L'autre peut-il à la fois nous aider et être un obstacle ?"
L'expérience nous permet de construire notre propre conviction. Et au fil des rencontres, notre remise en question peut être de plus en plus pertinente pour nous et pour les autres.
La vie favorise la connaissance de son être. Le déroulement d'une vie est chargé en expériences, en bons et mauvais souvenirs, en rencontres... Cela nous permet de forger notre personnalité, qui ne cessera point d'évoluer avec le temps. Ainsi, les bonnes et les mauvaises rencontres déterminent notre confiance. Par conséquent, certaines expériences passées peuvent nous donner une mauvaise image de nous-même. Grâce à l'autre, on peut réapprendre à se connaître.
L'expérience et le parcours de vie sont les facteurs déterminants de la construction et de la connaissance de notre être.
"Est-il possible de vivre sans connaître l'autre ?"
Vivre sans connaître l'autre ne nous permet pas de nous confronter. Nous avons deux faces (comme le bien et le mal). Nous ne sommes pas formatés à la naissance. L'éducation des parents déterminent en partie notre futur nous. On est toujours soi-même que lorsque nous sommes seuls. Toutefois, nous sommes toujours confrontés aux autres, la société l'impose. L'autre peut ainsi formater notre façon d'être. On va alors donner une image de nous qui n'est pas la bonne, pour plaire. Il peut arriver aussi que notre propre personne, notre véritable personne, ne nous convient pas. C'est pourquoi nous portons un masque pour changer d'identité.
Trop être avec les autres et ne pas savoir être seul, empêche de nous retrouver. Notre amour propre est alors déterminé en fonction des autres.
"Comment avoir confiance en soi ?"
Certaines personnes ne se connaissent pas encore. C'est pour cela qu'il est nécessaire de s'ouvrir à tout pour se découvrir. On apprend plus en écoutant qu'en parlant. S'accepter revient à être confiant. Il faut connaître ses capacités et en être fier.
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Le débat entre les élèves traitait des relations avec l'autre que nous. L'autre que nous est une autre personne qui est d'une culture, religion, nationalité... différentes.
Il a été rapporté que si une relation entretenue avec les autres est saine, celle-ci peut aider la personne à prendre conscience de ses défauts et de ses qualités, de qui elle est réellement et alors une acceptation d'elle-même peut être réalisée. De plus il a été dit que si la personne s'accepte cela peut alors renforcer les liens avec l'entourage et lui donner du courage pour réaliser des choses qu'elle n'osait pas faire auparavant. Ces relations avec l'autre permettent d'avoir une vie sociale puisque chaque personne est toujours confrontée aux autres. Outre cela il a été ajouté que lorsqu'une personne connaît un échec dans une relation amicale, cela peut lui permettre d'évoluer mentalement et changer sa vision des choses puisqu'elle va tirer des leçons de cet échec et forger son caractère. Il a donc été dit que c'est grâce à l'entourage et aux expériences, qu'elles soient positives ou négatives, que l'on gagne en maturité et qu'on change. Pour finir il a été ajouté que les relations entre des personnes différentes permettaient d'avoir une autre vision du monde et d'ouvrir son esprit.
Cependant certains élèves ont aussi fait remarquer que ce contact avec les autres pouvait aussi avoir des côtés négatifs, car lorsqu'une personne a des amis toxiques, cela va être un frein au développement de cette personne, de plus celle-ci peut perdre confiance en elle. Il a été souligné qu'il faut aussi savoir garder sa propre opinion ainsi que son libre arbitre et savoir dire stop sinon une personne va finir par ne plus avoir sa propre personnalité.
Dans ma classe de seconde, la séquence portait sur l'initiation du héros dans un conte philosophique voltairien, Zadig ou la destinée, et une lecture cursive du roman d'initiation de Paulo Coelho, L'Alchimiste. En fin de séquence, une méditation sur le corps et le souffle suivie d'une DVDP sur la notion du bonheur a eu lieu.
Tout d'abord, nous avons répondu à la question "Qu'est-ce que le bonheur ?". De là sont sorties deux idées majoritaires, une partie de la classe pensait que le bonheur était propre à chaque individu, que chacun connaissait son propre bonheur et en avait une définition différente, tandis que l'autre partie pensait que le bonheur pouvait être partagé ou venir d'une personne autre que soi. Mais nous étions tous d'accord pour dire que c'est plus un sentiment, une sensation de satisfaction qu'une réflexion et que c'est quelque chose de concret. Nous avions aussi dit que parfois la recherche du bonheur est en fait le véritable bonheur, comme dans L'Alchimiste de Paulo Coelho.
Ensuite, nous avons débattu sur la différence entre le plaisir et le véritable bonheur. Nous étions majoritairement d'accord pour dire que le plaisir est quelque chose de bref, alors que le bonheur reste dans le temps. De plus, plusieurs plaisirs peuvent amener le bonheur.
Puis, à la question sur un bonheur permanent, là aussi la classe s'est séparée en deux grandes parties. Certains pensaient que ce n'était pas possible, car la vie est une suite de hauts et bas. Mais d'autres personnes pensaient qu'il était possible d'atteindre un bonheur permanent, que c'est un mode de vie. Par exemple en rendant quelqu'un heureux, en se remémorant les moments joyeux ou en essayant de voir le côté positif en chaque chose.
Pour finir, nous avons discuté de la différence entre le bonheur extérieur et intérieur et de ce qui nous semblait le mieux. Premièrement, le bonheur est en nous mais il peut aussi venir par la suite de l'extérieur. Beaucoup pensaient que le bonheur intérieur était plus important et plus sûr car plus stable. Il était aussi ressorti qu'il est plus important de compter sur soi-même que sur un bonheur qui viendrait de l'extérieur. Un petit groupe de personnes dans la classe avait aussi dit que les deux types de bonheur sont importants, car les deux dépendent l'un de l'autre et, qu'enfin, cela dépendait de la personne.
IV) Analyse
À la lecture des synthèses sur la méditation/DVDP sur l'Autre, il apparaît deux idées diamétralement opposées : l'Autre est nécessaire à la bonne construction du moi (c'est dans la différence, la confrontation et la découverte de l'autre que JE peux évoluer, changer, me construire) : mais l'Autre, dans sa dimension néfaste, peut aussi être un frein à mon plein épanouissement, surtout en matière d'estime et de confiance.
Sans avoir travaillé sur des courants philosophiques, les élèves ont ainsi construit la notion de l' alter ego (l'autre comme un autre moi et autre que moi), et ont abordé l'idée selon laquelle les malentendus et les conflits qui surgissent entre les hommes ne résulteraient que de l'ignorance mutuelle de ce qui les rassemble et les unit (Rousseau2). Les notions d'existence et de conscience ont également été abordées : la reconnaissance de soi par l'autre et de l'autre par soi est à la fois nécessaire et conflictuelle. Hegel présente le premier moment de cette reconnaissance comme celui de la lutte rivale de deux consciences qui s'affirment d'abord dans leur négation réciproque. Chacune en effet veut être reconnue par l'autre, parce qu'enfermée dans la simple certitude subjective d'elle-même, elle est encore privée de vérité objective. La vérité implique en effet une relation à un objet et la conscience ne peut être objet que pour un sujet, à savoir pour une autre conscience. Autrement dit, seule la reconnaissance de son existence comme conscience de soi par une autre conscience de soi peut transformer la certitude subjective en vérité3. La question de l'épreuve du regard a été également abordée : pour Hegel, le conflit est un moment, qui, comme tel, est appelé à être dépassé. Sartre y verra au contraire le fondement constitutif de toute relation à autrui. "L'enfer, c'est les autres", conclut-il dans Huit clos. Par le regard qu'autrui pose sur moi, je suis destitué de ma liberté originelle et transformé en objet4. Même absent, autrui habite ma solitude, parce qu'il est ce par quoi se constitue indéfiniment mon rapport à moi-même et au monde5. Enfin, la prise de conscience de l'autre a permis à certains élèves d'évoquer la notion de respect d'autrui, de l'altruisme, et, finalement, de l'humanisme. Kant fait passer le devoir envers autrui du domaine du sentiment ou de la foi à celui de la morale qui m'enjoint au double respect de soi et des autres6.
C'est donc évoquer des notions et des idées, sans avoir eu recours pour l'instant à tous ces philosophes, qu'ils rencontreront, pour certains, cette année, pour d'autres, l'année prochaine, en terminale.
En ce qui concerne la classe de 2de, il est apparu de façon bien distincte que les élèves faisaient la part entre le plaisir et le bonheur. Aussi reprenaient-ils l'idée de Sénèque qui montrait que le plaisir, aussi intense soit-il, se révèle tout à la fois inconsistant et éphémère. Inconsistant car l'être désiré ou l'objet consommé perdent les qualités que l'imagination leur conférait, et éphémère car le plaisir est une sensation qui perd en durée ce qu'elle gagne en intensité, érodant par là-même la représentation d'un bonheur que chacun voudrait indéfini7.
Je constate alors que la DVDP est nourrie bien entendu du contenu des cours faits en amont, mais certaines idées ne figuraient cependant pas dans les devoirs des élèves, réalisés avant cette conclusion. Il serait donc à supposer que la DVDP est également nourrie de l'expérience méditative vécue en amont. La réflexion se fait alors dans le calme, l'écoute de chacun, la prise de parole de tout le monde.
Retours des élèves et statistiques
Un sondage a été réalisé auprès de mes trois classes de première (sur un panel de 89 élèves).
À la question : avez-vous apprécié ce dispositif (méditation/DVDP) ?98,5 % de réponses positives contre 1,5 % de réponses négatives.
À la question : est-ce que la méditation sur l'Autre vous a aidé.e pour la réflexion à la DVDP ?60,5 % de réponses positives, contre 39,5 % de réponses négatives.
Les arguments positifs évoquaient : l'amorce de la réflexion ; une meilleure concentration ; des idées plus claires ; une meilleure compréhension de soi et meilleure appréhension de l'autre ; plus "calme, relaxé", pour mieux réfléchir ; une meilleure prise de recul quant aux textes et au parcours associé ; prise de confiance en soi pour l'oral ; empathie ("je me suis mis à la place de l'autre, sans le juger") ; rapprochement du voisin de classe et sa découverte "d'une autre manière".
Les arguments négatifs évoquaient : une concentration difficile car malaise ; certains élèves savaient ce qu'ils voulaient dire ; un élève explique n'avoir "pas compris le rapport".
À la question : "En un mot, que vous apporte la méditation en cours ?", les deux réponses majoritaires sont : la concentration et le calme.
Dans ma classe de 2de, 32 élèves ont répondu à la question "Est-ce que la méditation t'a aidé.e pour la réflexion à la DVDP ?" : 66 % ont répondu par l'affirmative ; 34 % par la négative.
- "La méditation sur l'autre m'a aidé pour la réflexion à la DVDP, tout d'abord car j'ai pu comprendre comment avoir confiance en soi, comment se contrôler en cas de stress ou d'autres choses. Cela sert à mieux se connaître."
- "La réflexion sur l'autre m'a personnellement aidé à me forger une vision et une opinion vis-à-vis des autres et du regard porté. Cette séance m'a permis de m'apporter plusieurs connaissances de façon inhabituelle et efficace."
- "La méditation sur l'autre m'a aidée pour la réflexion à la DVDP car cela m'a permis de découvrir mon binôme et à enclencher ma découverte de l'autre d'une autre manière."
Apports positifs et perspectives
Par rapport à ce que je pouvais faire jusqu'à maintenant, le dispositif "méditation/DVDP" est plus qu'enrichissant à mon sens. En effet, la méditation telle qu'elle est pratiquée dans ce dispositif permet d'articuler des valeurs, que l'on retrouve dans la pratique de la méditation laïque (tolérance, altruisme, coopération, respect, liberté, etc.), et les notions philosophiques (autre, bonheur, travail, etc.). Au-delà de l'initiation en philosophie que cela représente, les élèves pratiquent l'écoute positive et bienveillante ; sont conduits naturellement vers l'élaboration d'un véritable esprit critique ; prennent confiance en eux ; sont calmes et construisent leur pensée avec plus de clarté.
J'envisage donc de continuer ce dispositif, tout en maintenant la pratique de la méditation telle que je la mets en place depuis une dizaine d'années maintenant.
Une perspective serait de voir la différence si je place la méditation à la suite de la DVDP.
Conclusion
Ce dispositif permettrait donc d'allier deux objectifs qu'en tant que professeure il nous incombe d'accomplir, selon le référentiel des compétences du corps enseignant : d'une part, faire en sorte que l'élève puisse recevoir l'instruction qui lui est due, les moyens de penser seul en acquérant un esprit critique ; et, d'autre part, intérioriser certaines valeurs qui lui permettront de s'accomplir et de pleinement s'épanouir en tant qu'être humain et citoyen. L'alliance de la méditation et de la DVDP seraient la clé de cette réussite.
(1) Je me sers et je conseille, les cinq minutes de cohérence cardiaque de Florence Servan-Schreiber : 5 minutes de cohérence cardiaque - YouTube
(2) Rousseau J.-J., Essai sur l'origine des langues (1781), Éd. Hatier, 1983, p. 64-65.
(3) Hegel, Propédeutique philosophique (1808), traduction de M. de Gandillac, Deuxième cours : "Phénoménologie de l'Esprit", I, 2e degré B, § 31 à 34, Éd. Denoël-Gonthier, 1963, p. 79-80.
(4) Sartre J.-P., L'Être ou le néant, Éd. Gallimard, collection "Tel", 1943, p. 316-317.
(5) Merleau-Ponty M., La phénoménologie de la perception, Éd. Gallimard, 1945, p. 414-415.
(6) Kant, Métaphysique des Moeurs (1797), "La Doctrine de la Vertu", traduction de A. Philonenko, Éd. Vrin, 1985, p. 147-149.
(7) Sénèque, "De la vie heureuse", traduction de E. Bréhier, in Les Stoïciens, Bibliothèque de la Pléiade, Éd. Gallimard, 1962, p. 729-730.