Revue

Maroc - L'examen national de philosophie au Maroc : quelles influences sur les pratiques d'enseignement au secondaire ?

Dans cette recherche, le doctorant définit d'abord le cadre conceptuel et la problématique de la recherche : ce qu'est un examen, la standardisation des examens nationaux, les fonctions des examens standardisés (politiques et pédagogiques), leurs effets sur les pratiques d'enseignement et leurs dérives (enseigner en fonction seulement des examens au détriment de l'apprentissage du philosopher), sur les comportements des élèves (focalisation sur l'examen, tricherie...). Puis, il en vient au cadre méthodologique...

I) Cadre méthodologique

1) Méthode et techniques de collecte de données

L'étude des pratiques d'enseignement implique une orientation qualitative, dans la mesure où l'approche qualitative se centre sur l'acteur social comme un être qui pense, parle, agit, interagit, et coopère. Elle se focalise sur les actions quotidiennes, répétitives, les routines, la créativité, les évolutions, les déplacements et les ruptures dans les pratiques d'enseignement-apprentissage. Elle consiste à répondre à des questions sur le comment et le pourquoi (Huberman & Miles, 2003).

La situation a une place centrale dans la présente recherche, qui consiste à expliquer et comprendre les comportements des acteurs (l'enseignant et les apprenants), leurs interactions dans la classe, et non pas à formuler des lois, car le monde extérieur n'est pas en soi une réalité sociale mais un ensemble de phénomènes sociaux éphémères et mouvants.

La méthode des cas constitue la méthode la plus appropriée pour saisir le particulier et le spécifique ainsi que l'investigation, l'analyse et la compréhension des caractéristiques des pratiques d'enseignement et d'apprentissage de l'enseignant (Albero, 2011, p. 2). L'utilisation de cette méthode génère deux techniques de récolte des données :

L'observation directe (comme technique principale), basée sur une grille d'observation, nous a permis de récolter des signes relatifs au sujet de recherche pour constater les pratiques effectives des enseignants en classe. Ensuite, l'établissement d'entretiens semi-directifs avec les mêmes enseignants, d'usage complémentaire, qui porte sur les pratiques déclarées afin de les comprendre en revenant sur leurs pratiques en classe et pour apporter des éléments de réponse sur des faits non observables en classe. La durée de chaque entretien varie entre 45 minutes et une heure.

La description des pratiques enseignantes par voie d'un questionnaire est une méthode peu fiable, car on risque d'obtenir un discours sur la pratique et non la pratique elle-même. Concernant les entretiens, l'enseignant n'est pas totalement conscient de ce qui se passe réellement dans sa classe et il cherche à rendre son discours cohérent (Arborio & Fournier, 2003). Pour cette raison, on a procédé à l'usage de l'observation directe comme technique principale pour observer les pratiques effectives des enseignants.

2) Population cible

Ce travail a ciblé les enseignants (e) de philosophie la 2ème année du secondaire qualifiant de deux lycées publics à Rabat. Avec un mode direct (face à face) dans la classe, avec tous les enseignants et les enseignantes. Les entretiens se sont faits avec les mêmes enseignants observés.

Profil des enseignants ciblés :

Khalid : âgé de 36 ans, 16 ans d'expérience professionnelle en enseignement (6 ans d'enseignement en primaire, 3 ans en secondaire collégial, et 7 ans en secondaire qualifiant), il prend en charge les cours à plein temps. Concernant son parcours académique il est doctorant en sciences sociales.

Ahmed : âgé de 55 ans, 25 ans d'expérience professionnelle d'enseignement au secondaire qualifiant, il a un DESA (diplôme des études supérieures approfondies).

Ahlam : âgée de 35 ans, 9 ans d'expérience d'enseignement au lycée, il n'a suivi aucune formation initiale avant d'accéder à l'enseignement (recrutement direct). Concernant sa formation académique, elle a un master en psychologie.

Hatime : âgé de 34 ans, 8 ans d'expérience professionnelle d'enseignement au secondaire qualifiant, il enseigne dans deux lycées publics, il n'a suivi aucune formation initiale avant d'accéder à l'enseignement (recrutement direct). Il a un master en sociologie.

Rachid : âgé de 32 ans, 8 ans d'expérience professionnelle d'enseignement au secondaire qualifiant, c'est sa première année de prise en charge des cours dans ce lycée. Il est titulaire d'une licence en psychologie.

Zineb : âgée de 54 ans, 26 ans d'expérience professionnelle d'enseignement de la philosophie en secondaire qualifiant. Elle a une licence en sociologie.

II) Présentation, analyse et discussion des résultats

1) Présentation des données

Cas 1 : Hatime

Les données récoltées par voie d'observation

Intitulé de la séance : Le droit et la justice

Durée d'observation : trois heures

Indices relatifs à l'examen national :

  • l'enseignant : "on va emprunter les heures des élèves du tronc commun et de la première année du baccalauréat pour vous ajouter des séances de soutien".
  • l'enseignant : "si, vous aviez une question à propos de ce fragment à l'examen national, vous devriez définir le concept d'État".
  • l'enseignant : "à l'examen national, vous devriez évoquer les thèses contradictoires dans la partie de la discussion dans la dissertation".

Intitulé de la séance : La morale

Durée d'observation : deux heures

Indices relatifs à l'examen national :

  • l'enseignant : "on va ajouter deux heures chaque semaine pour terminer le programme, car l'examen national est proche".
  • l'enseignant : "vous pourriez exploiter les cours précédents pour répondre à une question qui porte sur ce fragment à l'examen national".
  • l'enseignant : "la question suivante a été posée l'année dernière à l'examen national : "Est ce que le bonheur est une exigence communautaire ? "".

Les données collectées par voie d'entretien

Hatime organise les contenus à enseigner en fonction des exigences de l'examen national, mais il révèle que la pression du temps scolaire l'empêche de traiter profondément certains sujets du programme. Ainsi, cette pression empêche l'enseignant de développer chez les apprenants le processus du philosopher, qui est l'objectif central des cours de philosophie. "J'ai besoin de plus de temps pour améliorer ma performance et pour l'analyse des sujets". Il affirme la pertinence ou la correspondance entre le programme enseigné, l'évaluation en classe et l'examen national.

Mais, cet examen a des effets négatifs sur le processus d'enseignement, car il rend les cours plus normatifs, répétitifs, et il encourage les élèves à planifier et à chercher des stratégies pour tricher. Ainsi, la présence de cet examen oblige Hatime à terminer le programme des élèves de la 2e année du baccalauréat, car ils ont cette épreuve nationale ; en revanche il ne termine pas le programme du tronc commun et de la première année du baccalauréat.

Le souci de l'examen national est toujours présent dans les cours de cet enseignant (il attire l'attention des élèves sur les pièges de quelques questions de l'examen). La dimension relative à la formation de la personnalité des apprenants est prise en compte. De plus, l'examen motive cet enseignant à diversifier les méthodes d'enseignement en utilisant des histoires, des vidéos, de la musique à côté du manuel scolaire, afin de conduire tous les élèves à comprendre les sujets philosophiques abordés.

Cas 2 : Rachid

Les données récoltées par voie d'observation

Intitulé de la séance : Le savoir et la politique

Durée d'observation : six heures

Indices relatifs à l'examen national :

  • Aucun indice relatif à l'examen national

Les données collectées par voie d'entretien

La gestion du contenu à enseigner et l'évaluation en classe sont déterminées par les orientations pédagogiques du Ministère de l'Éducation nationale. "Mon rôle est technique : appliquer ce qui est prescrit", selon son expression. Même s'il y a une correspondance entre ce qui est enseignable et évaluable, il avoue que la pression du temps scolaire l'empêche d'approfondir l'analyse et la discussion de certains sujets philosophiques.

Pour Rachid, si l'examen national est supprimé, il ne termine pas le programme scolaire de la 2ème année du baccalauréat. Actuellement il ne termine pas le programme des élèves du tronc commun et de la première année du baccalauréat, car ils n'ont pas d'évaluation externe décisive.

Il sent aussi la pression du temps scolaire et il ne traite pas les sujets du programme comme il le faut, car il doit terminer tout le programme. Ainsi, l'examen national influence le processus d'apprentissage des élèves dans le sens où cette épreuve ne couvre pas tout le programme mais quelques axes ; c'est-à-dire que l'examen national offre trois modalités optionnelles d'évaluation (texte à analyser, question ouverte, ou citation), et chaque modalité porte sur un fragment : donc l'élève apprend seulement deux fragments (la moitié du programme) au lieu de quatre fragments (tout le programme).

La langue par laquelle les apprenants passent l'examen (l'arabe classique) influence leurs performances, car ils ont des problèmes linguistiques au niveau de l'expression écrite. En plus, les enseignants évitent la prise en charge des classes de la terminale, car les élèves de ce cycle ont l'examen national à la fin de l'année, ce qui demande plus d'efforts pour préparer les élèves à cette épreuve (terminer tout le programme avant la fin de l'année scolaire, et avant que les élèves ne quittent l'établissement scolaire).

L'examen national et les orientations pédagogiques rendent les leçons normatives, parce que le manuel est segmenté en quatre fragments, chaque fragment est constitué de trois concepts fondamentaux, et ce dernier est divisé en trois axes. Même si quelques thèmes n'acceptent pas cette division (exemple : le fragment "la morale", qui contient une seule problématique, mais est divisé comme les autres thèmes en trois concepts pour le conformer aux autres fragments.

Cas 3 : Zineb

Les données récoltées par voie d'observation

Intitulé de la séance : Le droit et la justice

Durée d'observation : quatre heures

Indices relatifs à l'examen national :

  • l'enseignante : "faites attention aux pièges des questions de l'EN (examen national), les questions ne sont pas toujours claires".
  • l'enseignante : "à l'EN il faudra lier la question à l'axe et au fragment".
  • l'enseignante : "rappelez-vous, à l'EN vous devrez donner une réponse à la question à la fin de la dissertation".
  • l'enseignante : "les questions suivantes pourront se présenter à l'EN : "Sur quoi se base le droit ? Sur ce qui est naturel ou civil ? Est-ce que les droits civils sont une continuation des droits naturels ?".
  • l'enseignante : "lisez le texte, et considérez-le comme il est posé à l'EN".
  • l'enseignante : "à l'EN, il faudra segmenter le texte en paragraphes, et extraire les concepts de chaque paragraphe".

Les données récoltées par voie d'entretien

Cette enseignante nous a décrit l'évolution historique de l'enseignement de la philosophie au Maroc, en expliquant que la valeur de l'examen national a pris de l'ampleur au fil du temps. Elle a identifié trois périodes :

Première période : l'objectif de l'enseignement de la philosophie est la formation des principes de cette discipline, et l'évaluation n'a pas grande valeur ; il y avait vraiment l'exercice de l'acte de se philosopher.

Cette époque est caractérisée par :

  • Le caractère très faible des notes (maximum 12 sur 20), et elles reflétaient le degré de l'admiration de la philosophie par l'apprenant.
  • La centration sur les aspects qualitatifs et non quantitatifs dans l'enseignement de la philosophie.
  • La domination de l'oral sur l'écrit (les discussions et les débats philosophiques au sein de la classe).

Deuxième période : le lancement des orientations pédagogiques de l'enseignement de la philosophie, qui portent sur la méthode de la rédaction de la dissertation philosophique, et le barème d'évaluation de cette dernière. Ce document officiel a été accompagné d'une élévation des notes des élèves, qui s'explique par la segmentation du sujet de la dissertation en des parties où le correcteur attribue une note à chaque partie indépendamment des autres, alors qu'avant ces orientations pédagogiques, le correcteur attribuait une note globale en termes de cohérence, d'homogénéité, de pertinence des idées et de la manière de penser de l'apprenant.

Troisième période : c'est la situation actuelle de l'enseignement de la philosophie, où ce dernier n'inculque plus les valeurs théoriques, ni les principes, ni comment penser. La philosophie est devenue une matière à enseigner comme les autres, où l'élève passe un examen pour obtenir une moyenne.

"La philosophie est devenue une matière vide. Elle est devenue une matière d'évaluation, et cette dernière l'a vidée de ses vrais objectifs ; pour élever les notes des élèves, elle est devenue une matière déformée et évaluable".

De plus, cet examen national a créé certaines conformités entre l'enseignable et l'évaluable, et la philosophie n'est plus une éducation aux valeurs théoriques et intellectuelles, n'est plus l'amour de la sagesse chez les apprenants, mais la préoccupation centrale de ces derniers est d'obtenir des notes à l'examen national.

De surcroît, la correction des copies de l'examen national "ne porte plus sur la logique de penser de l'apprenant, mais on évalue chaque paragraphe de la dissertation à part entière ; même si la dissertation n'est pas cohérente, on est obligé de donner la note au candidat. Les copies de l'examen national ne reflètent pas la démarche du philosopher". La collègue a ajouté que "la philosophie est devenue est une matière à consommer comme toutes les matières. Et il y a devant la valeur de l'examen national une dissolution des valeurs humaines qu'on souhaite inculquer aux apprenants".

Selon, l'expression de Zineb : "Aujourd'hui, l'enseignant a une liberté absolue en matière du choix de la méthode d'enseignement, de traitement des contenus du programme, à condition d'une planification préalable au niveaux théorique et méthodologique des cours". C'est-à-dire que l'enseignant peut commencer par n'importe quel fragment à condition d'avoir une véritable connaissance de la totalité du programme parce que l'essentiel est d'atteindre les objectifs du curriculum.

Elle enseigne pour mener tous ses élèves à assimiler les cours à travers la diversification des outils didactiques grâce aux technologies de l'information et de la communication, surtout par l'utilisation de films, photos, schémas... "L'apprenant doit sentir la différence entre la philosophie et les autres matières" selon, l'expression de Zineb. Les élèves scientifiques assimilent mieux les cours de philosophie, car ils ont des capacités d'abstraction et de symbolisation plus que les élèves littéraires.

Le programme scolaire est en adéquation avec les questions de l'examen national, mais ce dernier a rendu les thèmes philosophiques plus rigides, et inutiles à la vie des apprenants ; la répétitivité de certaines idées dans le manuel, la pression du temps scolaire et le souci de l'épreuve est toujours présent chez les apprenants.

Pour moi, "l'examen national est un tabou. Il influence mes pratiques au niveau quantitatif et qualitatif, et je respecte en même temps les règles de la matière. Et même si, l'examen national était supprimé, je ne changerai pas mes pratiques".

Cas 4 : Ahmed

Les données récoltées par voie d'observation

Intitulé de la séance : La théorie et l'expérimentation, le droit et la justice

Durée d'observation : trois heures

Indices relatifs à l'examen national :

  • l'enseignant a annoncé pas mal de fois le retard des cours et l'approche de l'EN ;
  • les élèves posent des questions relatives aux sujets ayant la probabilité de se tomber à l'EN "monsieur, quel est le fragment du programme scolaire qui pourra figurer à l'EN cette année ?" ;
  • l'enseignant donne des exemples de questions qui pourront être l'objet de l'examen national.
  • il a conseillé aux élèves d'utiliser des schémas pour mémoriser les thèses, et les garder en mémoire jusqu'à l'examen national.

Intitulé de la séance : La morale

Durée d'observation : trois heures

Indices relatifs à l'examen national

  • l'enseignant : "Dans ce fragment on va revenir à l'analyse des textes pour vous familiariserez et testerez vos compétences en analyse, car l'examen national est proche".
  • l'enseignant : "Testez vos compétences d'analyse d'un texte philosophique, et si vous n'arrivez pas à analyser ce texte, vous devrez opter pour la citation ou la question ouverte à l'examen national".
  • l'enseignant : "Vous devriez faire attention, ceux qui comptent tricher à l'EN, car le contrôle de la tricherie est très sévère" ;
  • l'enseignant : "À quoi sert la correction et les remarques quand l'EN est très proche" ;
  • "Le contrôle continu est programmé pour la séance prochaine, et il va porter sur le fragment de la politique : le droit et la justice".
  • l'enseignant : "Il y a plusieurs thèses sur cette problématique mais on n'a pas le temps de les exposer" ;
  • l'enseignant : "si une question de cet axe est posée à l'EN, vous devriez la choisir car cet axe est le plus facile".

Les données récoltées par voie d'entretien

L'examen national incite Ahmed à accélérer ses cours et le contenu à enseigner pour couvrir tout le programme avant la fin de l'année scolaire, et il rate le développement des compétences méthodologiques de ses apprenants. Il met l'accent plus sur les capacités cognitives au détriment des capacités méthodologiques des apprenants, parce que le programme est trop lourd, et le temps scolaire insuffisant.

La manière dont il aborde les fragments du manuel scolaire est très superficielle, car il doit terminer le programme et préparer les élèves à l'examen, même si le programme lui-même est une sorte de préparation à l'épreuve.

Ahmed a annoncé que l'examen national engendre la fatigue physique et psychique des élèves et des enseignants ; il encourage la tricherie et la violence, surtout avec l'absence de sécurité du corps professoral lors de la surveillance de l'examen.

Pour le changement de pratique, il a déclaré : "je vais changer mes pratiques, si l'examen national est supprimé, et si le programme scolaire est allégé, car l'examen m'oblige à utiliser une méthode d'enseignement normative".

Cas 5 : Khalid

Les données obtenues par voie d'observation

L'intitulé de la séance : La politique

Durée d'observation : huit heures

Indices relatifs à l'examen national :

  • L'enseignant : "ce deuxième semestre est un semestre d'accélération des cours".
  • "Pour le prochain fragment, on va consacrer une heure pour chaque axe".
  • La majorité des élèves n'ont pas la moyenne à l'examen.
  • L'enseignant expose l'exemple d'une question qui a été posée à l'EN l'année dernière : "Est-ce que l'existence de la loi est suffisante pour réaliser la justice ?".
  • "Si l'EN était absent, je n'aurais pas travaillé comme cela, car je veux que tout le monde réussisse. Et J'aurais consacré plus de temps à l'explication approfondie de chaque fragment sans stress et sans vitesse".

L'intitulé de la séance : La morale

Durée d'observation : sept heures

Indices relatifs à l'examen national :

  • L'enseignant attire l'attention sur le fait que les cours de soutien vont commencer dans trois jours (trois heures chaque semaine) ;
  • "Le contrôle continu de la séance prochaine portera sur trois axes (la violence, le droit, et la justice)".
  • Absence remarquable des élèves (cinq) à cette séance à cause de l'EN proche.
  • l'enseignant : "Il est possible qu'à l'EN vous trouviez une question qui relie trois concepts. Donc, il ne faut pas mémoriser chaque concept indépendamment des autres".
  • "on n'a pas suffisamment de temps pour expliquer profondément cette thèse de Nietzsche".
  • "La liste d'inscription pour le soutien scolaire est ouverte pour ceux qui veulent bénéficier des cours de soutien. Moi et monsieur Ahmed on va assurer les cours cette semaine".

Cas 6 : Ahlam

Les données récoltées par voie de l'entretien

Elle organise les cours durant l'année d'une façon normale en se référant aux orientations pédagogiques, et à tous les documents officiels qui organisent l'enseignement de la philosophie. Elle déclare qu'elle est peu préoccupée par l'examen, et qu'elle travaille pour développer les compétences des apprenants, en respectant les rythmes d'apprentissage de chacun.

En trouve que l'examen national tue l'esprit philosophique des apprenants, et affirme que ce "qui détermine mes pratiques est le manuel scolaire. J'ai envie de le jeter par la fenêtre". Ahlam essaye de guider tous ses élèves à l'appropriation du cours, mais l'épreuve nationale l'empêche de développer les compétences de ses élèves.

Celle-ci engendre le stress, l'inquiétude, encourage la restitution des connaissances, n'évalue ni l'esprit critique, ni la personnalité, ni la réflexion ; il rend le travail de l'enseignant routinier et mécanique. En un seul mot : "La présence de l'examen national tue l'esprit philosophique des apprenants, et encourage la tricherie".

2) Analyse et discussion des résultats

Tous les enseignants (e) interviewés ont une vision presque unanime sur les objectifs de l'examen national comme un test qui vise à évaluer les compétences cognitives et méthodologiques des élèves, à certifier les élèves, et à assurer le passage de l'enseignement secondaire à l'enseignement supérieur. Sauf, une enseignante (Zineb), qui met l'accent sur le développement historique de l'examen national où elle a évoqué que l'enseignement de cette discipline a connu une dégradation au fil des années avec de plus en plus de valeur accordée à cet examen. Le Ministère segmente la pensée des apprenants par cette évaluation, car celle-ci porte sur chacune des parties de la dissertation philosophique au lieu de l'évaluation du raisonnement philosophique des apprenants.

Tous les enseignants (e) sans exception ont estimé que l'examen national encourage la tricherie, soit dans le contrôle continu, soit à l'examen national. De plus, la normativité des cours ne permet pas de couvrir tout le programme scolaire, il encourage la mémorisation, et rend le travail de l'enseignant mécanique. Sur le plan psychologique, deux enseignants (Ahmed et Ahlam), attirent l'attention sur les effets de l'EN sur l'état psychologique des apprenants, spécifiquement le stress et l'inquiétude. La focalisation d'une enseignante sur les retentissements négatifs de l'examen sur l'état psychique des apprenants est peut-être dû à la nature de sa formation académique (master en psychologie).

De plus, l'examen national engendre des comportements antisociaux chez les apprenants, notamment la tricherie dont ont souffert quelques enseignants dans le système d'évaluation. Cette orientation commune des enseignants a été constatée durant mon observation de quelques séances d'évaluation des élèves où il y avait beaucoup de formes de tricherie : utilisation des téléphones et discussions interindividuelles (chez Rachid), ainsi cette incitation à provoquer de la violence et des insultes en classe (chez Khalid).

La pression du temps scolaire est une variable commune entre tous les enseignants interviewés. Ceux-ci doivent terminer le programme scolaire avant la fin de l'année. Cette déclaration se manifeste dans leurs pratiques en classe où ils exposent un maximum de thèses dans une durée courte.

Tableau 1 : nombres de thèses exposées par chaque enseignant dans chaque séance

Les enseignants Nombre d'heures Nombre de thèses
Hatime - une heure
- une heure
- une heure
- une heure
- 3 thèses
- 3 thèses
- 4 thèses
- 3 thèses
Rachid - une heure
- une heure
- une heure
- une heure
- 2 thèses
- 3 thèses
- 4 thèses
- 5 thèses
Zineb - une heure
- une heure
- 2 thèses
- 1 thèse
Ahmed - deux heures
- une heure
- une heure
- une heure
- une heure
- 5 thèses
- 3 thèses
- 1 thèse
-1 thèse
- 5 thèses
Khalid - deux heures
- deux heures
- trois heures
- deux heures
- une heure
- deux heures
- deux heures
- deux heures
- une heure
- 4 thèses
- 4 thèses
- 6 thèses
- 4 thèses
-2 thèses
- 6 thèses
- 6 thèses
- 5 thèses
- 3 thèses

Il ressort que les enseignants exposent un nombre important de thèses à chaque séance, surtout à la fin de l'année scolaire avec la proximité de l'EN, où certains enseignants présentent jusqu'à 5 thèses en une seule heure (Ahmed et Rachid).

Cette pression du temps rend le travail de l'enseignant mécanique et répétitif avec un modèle d'enseignement transmissif et traditionnel qui consiste à transmettre les connaissances philosophiques aux élèves sans traitement profond de certains thèmes philosophiques. Tous les enseignants (e) s'appuient sur le manuel scolaire, à part deux enseignants qui improvisent (Ahmed et Rachid), car leurs expériences dans le domaine de l'enseignement leur a permis de s'approprier les cours. Khalid utilise en parallèle du manuel scolaire un polycop pour couvrir les autres thèses qui ne sont pas dans le manuel.

Ce caractère transmissif et magistral des méthodes d'enseignement, est clair dans la dictée des cours, après l'explication des thèses. Tous les enseignants sans exception procèdent à la dictée des thèses expliquées afin que les apprenants puissent mémoriser les cours pour les restituer à l'EN.

Les orientations pédagogiques de l'enseignement de la philosophie, l'examen national et le manuel scolaire déterminent les pratiques d'enseignement des enseignants et rendent leur travail technique et mécanique (réduction de la liberté pédagogique), à part une enseignante (Zineb), qui voit une liberté et une autonomie dans son travail. Ces différences de perception de leur travail sont dues aux interprétations divergentes des documents officiels, qui organisent et orientent le travail d'enseignement.

Généralement, les enseignants estiment que l'examen national les empêche de traiter profondément certains sujets philosophiques, et de développer les compétences cognitives et méthodologiques des apprenants, car ces compétences exigeraient plus de temps et d'effort. Ils doivent terminer le programme de la 2ème année secondaire ; mais à l'inverse ils ne terminent pas les programmes des autres niveaux (le tronc commun et la première année du baccalauréat car il n'y pas d'examen national). Un enseignant (Hatime) utilise même des heures de ces deux niveaux d'enseignement pour organiser des cours de soutien, des révisions, et pour terminer le programme de la terminale.

Dans les pratiques d'enseignement, on remarque une sorte de préparation des apprenants à l'EN à travers la présentation d'exemples de questions anciennes de cet examen, des stratégies pour garder les connaissances en mémoire jusqu'au jour de l'évaluation, et des conseils pour détecter les pièges des questions de cet examen. Bref, les enseignants placent les apprenants dans des situations similaires à l'examen.

Le processus des variables qui influencent les pratiques des enseignants observés

Les pratiques pédagogiques des enseignants sont confrontées à des difficultés majeures en situation d'enseignement, dans la mesure où le programme est trop chargé, le temps d'enseignement limité, les élèves hétérogènes, les classes surchargées, variant entre 38 et 41 élèves. En conséquence, ils optent pour un modèle d'enseignement basé sur l'exposition des thèses afin de couvrir tout le programme. Ce qui rend le travail des enseignants mécanique et superficiel en matière de traitement des problématiques philosophiques est la présence de l'examen national à la fin de l'année scolaire. Donc ils accélèrent les cours pour couvrir tout le programme, négligent les élèves faibles et excellents, et optent pour une méthode transmissive en fonction des exigences de l'examen national.

En effet, cette épreuve accélère la cadence des cours et fait du rapport de l'enseignant et de l'élève au savoir un rapport utilitaire et pragmatique. Ainsi, dans le cycle des cours des enseignants, ils ne font pas un véritable travail de problématisation philosophique des concepts traités, mais plutôt ils recopient les questions philosophiques existantes dans le manuel ou dans le polycop, ainsi que la définition des concepts, des thèses et des antithèses. Enfin, ils dictent le cours.

Il est clair que l'examen national occupe une place importante dans le discours et les pratiques des enseignants, dans la mesure où le succès de leurs élèves à l'examen reflète les efforts consentis par les enseignants durant l'année, à côté de l'effort des apprenants. Ainsi, la présence de l'examen national influence le choix de la méthode d'enseignement et la nature des connaissances transmises aux apprenants.

Dans ce sens, une recherche menée dans le contexte français a révélé que les enseignants du secondaire voyaient certaines déconnections entre les enjeux globaux et locaux des évaluations nationales, et la multifonctionnalité de ces évaluations : le croisement entre le pédagogique et le politique (Harle $ Perrochaud, 2013). Autrement dit, les objectifs des évaluations externes sont mélangés entre ce qui est relatif à l'évaluation des acquis des élèves pour remédier à leurs difficultés, et l'évaluation qui a des finalités de contrôle et de reddition de compte des acteurs locaux de l'éducation.

Cela se manifeste dans les tensions qui traversent les pratiques, les valeurs, et les questions que les enseignants posent : quels sont les objectifs de la publication des résultats de l'évaluation ? Et comment les évaluations légitiment le curriculum ?

Force est de constater que les examens standardisés entrainent des comportements stratégiques de la part des enseignants : gonflement artificiel des notes, l'entraînement des élèves aux tests, accent mis sur les matières à tester (le rétrécissement du curriculum), mémorisation, négligence du développement de la pensée critique, la de la créativité et de l'innovation. Les enseignants négligent les élèves qui ont moins de chance de réussir et ceux qui ont de fortes chances, et ils se concentrent sur les élèves à moyen niveau (Froese-Germain, 1999).

Certains effets sont observables pour les pratiques des enseignants observés, qui ajoutent des notes à tous les élèves en contrôle continu, optent pour un canal de communication unidirectionnelle (peu d'interactions entre l'enseignant et l'enseigné), absence de débat philosophique, négligence du développement de la pensée philosophique au détriment de l'entassement et de l'entraînement à l'examen national à travers la présentation d'exemples de questions anciennes de cet examen et les pièges des questions.

Les effets de l'examen national sur l'état psychologique des enseignants et des enseignés, qui ont été évoqués par les enseignants interviewés dans notre recherche, rejoignent l'ensemble de la revue de littérature portant sur le même sujet, notamment celle menée à la fin des années quatre-vingt, où les médecins spécialisés ont compté le nombre important d'enfants qui sont venus consulter pour des maladies de ventre et de problèmes de sommeil, surtout chez les adolescents de 17 ans à20 ; avec en 2008/2009, plus de collégiens de 11 ans à 13 ans. Les parents pour leur part sont aussi touchés par le stress lié à la réussite scolaire ou "la tyrannie des notes" (Hadji, 2012).

Dans cette même direction, une étude comparative de 2006 entre les jeunes Danois et les jeunes Français, où les premiers n'ont pas de redoublement, ni de sélection, montrent qu'ils ont moins de stress et 60% d'entre eux estiment que leur avenir personnel est porteur, contre 26% des élèves français (Hadji, 2012).

Les systèmes éducatifs des pays scandinaves qui n'adoptent pas le système de notation ont mis en place une école unique qui s'est accompagnée d'une baisse très sensible des inégalités de destin entre les enfants (Maurin, 2007, cité par Hadji, 2012). À cet effet, pour éviter la compétition inégale entre les établissements et les dérives de l'évaluation, cette dernière doit refuser l'idéologie de la réussite.

Conclusion

Les résultats de ce travail montrent que les enseignants de philosophie partagent relativement une même vision des objectifs de l'examen national comme étant une évaluation des compétences cognitives et méthodologiques des apprenants de la terminale. Cette épreuve constitue un pont intermédiaire entre les cycles d'enseignement secondaire et supérieur, et il consiste à certifier les apprenants. Cela montre que ces enseignants attribuent à l'examen national une fonction à la fois pédagogique et administrative, dans le sens où il a une visée éducative de vérification de l'atteinte des objectifs du système d'éducation et de formation en termes de développement des compétences philosophiques des apprenants, et une visée administrative de classement des apprenants, et de certification. Ce qui pose une question relative aux véritables finalités de l'examen national : est-ce qu'il a une finalité pédagogique, administrative, politique, ou assure-t-il ces trois fonctions ?

L'insuffisance du temps scolaire pour assurer l'enseignement de la totalité du programme scolaire incite les enseignants à accélérer les cours afin de couvrir tout le programme avant l'examen national, en s'appuyant sur une pédagogie basée sur l'exposition des connaissances pour présenter le maximum de connaissances aux élèves sur lesquelles ils seront évalués. Les pratiques d'enseignement au sein des classes de philosophie sont une sorte d'orientation des élèves vers la mémorisation des connaissances philosophiques et méthodologiques afin de les présenter le jour de l'examen. Ainsi, les attitudes des enseignants envers les épreuves externes sont caractérisées par l'ambivalence, dans le sens où ils ont relevé les multiples fonctions de ces évaluations, qui sont parfois contradictoires, mélangeant le pédagogique et l'administratif.

Les pratiques des enseignants au cours du processus d'enseignement-apprentissage sont influencées par la présence de cette évaluation certificative, surtout à la fin de l'année scolaire, parce qu'ils doivent amener tous les apprenants à obtenir le baccalauréat. Ce qui rend cette mission plus difficile est l'hétérogénéité de la classe, le souci de terminer un programme scolaire surchargé avant l'avènement de l'évaluation nationale. En conséquence, ils recourent à une méthode d'enseignement basée sur la transmission des connaissances philosophiques, un survol superficiel de la thèse de chaque philosophe, sans susciter la curiosité des apprenants, ni développer chez eux l'esprit critique. En conséquence, le travail de l'enseignant devient mécanique et répétitif, car il est limité à la transmission d'un contenu prescrit par le manuel scolaire.

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