Revue

Une première DVDP dans un club de foot

Nous sommes deux étudiantes, Léa Pasqualetti et Sarah Rodier, en deuxième année de licence sciences de l'éducation à l'Université-Paul-Valéry de Montpellier. Lors du premier semestre de notre deuxième année de formation, nous avons pris connaissance du dispositif de discussion à visées démocratique et philosophique (DVDP), lors des cours dispensés par les professeurs Pierre Cieutat, Marie Reverdi et Sylvain Connac.

Afin d'évaluer cet enseignement, il nous a été demandé de réaliser nous-mêmes une DVDP. Pour ce faire, nous avons décidé d'organiser la nôtre dans un club de football, auprès d'une équipe de garçons âgés de quatorze ans. Après avoir pris contact, grâce à une connaissance, avec les responsables de l'Olympique d'Alès, ces derniers nous ont expliqué quels étaient leurs choix pédagogiques, et nous avons choisi le manque de respect comme thème. En effet, le club adhère à un programme d'éducation porté par la Fédération Française de Football, nommé PEF (programme d'éducation fédérale), qui a pour but de sensibiliser les jeunes joueurs aux règles de jeu et à la vie en collectivité.

Pour ce qui est de la réalisation, nous sommes intervenues à la fin d'une séance d'entraînement. Les responsables de l'équipe ont accepté de la prolonger afin de nous laisser une heure de discussion. Nous avons donc pu nous réunir dans un des vestiaires du complexe sportif. La disposition du local se prêtait particulièrement à la discussion puisque les bancs étaient disposés en demi-cercle, nous permettant ainsi, en ajoutant des chaises, de créer un cercle afin que tous les participants puissent se voir. De plus, le lieu étant connu des joueurs, il permettait d'établir un climat serein. Pour aborder le thème du respect, nous avons diffusé un extrait de journal télévisé. Il traite du cas d'un joueur africain ayant subi des insultes racistes lors d'un match de football entre Dijon et Amiens en avril 2019. Après visionnage, nous leur avons demandé quelle aurait été leur réaction s'ils s'étaient trouvés dans cette situation ? La visée de notre discussion était d'amener les adolescents à définir la notion de respect et d'évoquer les situations de son manque.

Lors de cette expérience, la première difficulté qui s'est présentée à nous a été la non-connaissance du dispositif des DVDP par les joueurs. En effet, un moment d'adaptation a été nécessaire pour comprendre certaines règles du dispositif, à savoir : le respect des rôles et de la prise de parole. Ayant pour habitude de se retrouver sur ce lieu pour pratiquer leur sport, il a été d'autant plus compliqué pour eux de comprendre l'enjeu de notre discussion. De ce fait, leur participation a été hésitante au début et la prise de parole se faisait aléatoirement. Les participants semblaient énormément réfléchir avant de prendre la parole de peur de ne pas donner une "bonne réponse".

De plus, nous avons pu remarquer un effet de groupe. Quelques participants, très présents dans la discussion, influençaient certains de leurs camarades qui n'osaient plus partager leur propre point de vue. Ainsi, certains avaient tendance à prendre le dessus sur les autres, pour imposer leur opinion. Quelques-uns ont d'ailleurs préféré garder le silence, de peur d'aller à l'encontre de l'avis général et d'être jugés. Nous nous attendions à ce que les adolescents se montrent un peu réticents et hésitants à l'idée de participer. Cependant, ce silence, ou tout du moins cette tendance à suivre l'avis des autres, nous a quelque peu pris au dépourvu. Nous pensions que les adolescents seraient peut-être un peu plus "matures". Or ils avaient tendance à rire de manière importante sans doute à cause de l'appréhension. Ces rires ont donc potentiellement pu être interprétés par certains garçons comme de la moquerie, et cela peut expliquer qu'ils n'aient pas osé participer.

Globalement, si l'on prend du recul sur la discussion, nous pouvons voir qu'avec le temps, la parole est devenue plus libre et les adolescents ont participé avec plus d'aisance et de conviction. Le temps a donc été une des difficultés auxquelles nous avons été confrontées, nous obligeant à nous adapter. Peut-être que si nous renouvelons l'exercice avec le même groupe, l'appréhension face à un dispositif inconnu s'effacera pour laisser plus de place à la réflexion et l'engagement dans la discussion.

Enfin, nous avons été confrontées à une autre difficulté : celle de la gestion de la discussion. Bien qu'ayant préparé un certain nombre de ressources et de questions potentielles, il s'est avéré difficile de réellement prendre du recul sur le moment. En effet, cette DVDP était pour nous deux une première expérience. Par conséquent, nous avions nous aussi une certaine appréhension, une peur que personne ne participe ou que le sujet ne les intéresse pas. Ainsi peut-être n'avons-nous pas su totalement nous détacher du côté formel du dispositif, délaissant alors l'aspect philosophique. Durant la discussion, nous gardions pour objectif principal la définition du respect. Cependant, il s'est avéré impossible pour les joueurs de la formuler clairement. C'est seulement lors de l'analyse de notre discussion que nous nous sommes rendu compte que la définition que nous leur demandions était trop complexe, car elle exigeait de bien se connaître soi-même et de savoir où se trouvent nos propres limites.

Si les garçons ont mis du temps à rentrer dans la discussion, de nombreux avantages sont perceptibles. Tout d'abord, nous avons finalement pu observer des réactions très différentes. Les réponses apportées par les participants étaient variées : certains voulaient quitter le terrain tandis que d'autres souhaitaient continuer à jouer comme si de rien n'était. De même, la question du respect du groupe et de l'influence de ses choix a été évoquée. Cette divergence des points de vue a obligé les adolescents à justifier leurs propos. Le fait que nous ayons choisi un thème lié au sport permet une justification plus facile. Grâce à ce sujet, nous avons réussi à éveiller leur intérêt. En effet, au cours de la discussion, plusieurs participants ont évoqué des faits de jeu, des situations auxquelles ils avaient déjà été confrontés tous ensemble. De même, quelques garçons ont convoqué des connaissances footballistiques. Ainsi, l'exercice est devenu plus concret pour eux.

De plus, en tenant compte de l'âge des participants, nous voulions traiter un sujet assez complexe pour les pousser à utiliser toute leur capacité de réflexion. Nous souhaitions choisir une question dont la réponse pouvait à première vue paraître évidente mais qui en réalité était beaucoup plus complexe. Dans un même temps, nous voulions qu'ils perçoivent l'utilité de cet entretien afin qu'ils puissent appliquer facilement ce qu'ils en ont retenu, dans leur vie quotidienne mais également lors de leurs futurs matchs. Il y a quelques jours par exemple, lors d'un match au Portugal, un joueur Franco Malien a été la cible de cris racistes. Ce dernier a pris la décision de quitter le terrain, bien que ses partenaires de jeu aient tenté de le faire rester sur la pelouse. Nous retrouvons ici le même cas que la vidéo que nous avons visionnée avec les jeunes joueurs. Ainsi, nous espérons que désormais les adolescents analyseront cette situation en prenant en compte toutes les remarques que leurs camarades ont pu faire.

Par ailleurs, nous avons pu noter la nécessité de renouveler ce type d'expérience, afin qu'il ait une réelle répercussion sur l'attitude des joueurs. Cette première DVDP a été pour eux l'occasion de découvrir ce dispositif ainsi que son fonctionnement. En tant qu'équipe, il est essentiel qu'ils apprennent à s'écouter, à tolérer les avis et les comportements de leurs camarades sans les juger. Les entraîneurs, quant à eux, s'en sont servis de point de départ pour un travail de sensibilisation aux effets que peuvent avoir l'attitude des joueurs sur les terrains mais aussi en dehors.

Quant à nous, la mise en place de cette première discussion en dehors du cadre scolaire nous a été bénéfique. Nous avons ainsi pu nous confronter à ce que représentait d'organiser réellement une DVDP. Nous avons pris conscience qu'en plus de toute la préparation en amont, que ce soit tant au niveau matériel que réflexif, il est nécessaire de pouvoir prendre du recul sur la discussion. Si l'échange peine à avancer, il faut être en mesure de le relancer, mais il faut en plus, et c'est ce que nous avons trouvé de plus difficile, parvenir à anticiper le fil de la discussion afin de pouvoir, si nécessaire, "rectifier le tir".

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