I) Une DVDP sur l'amitié (Anaïs Motte)
Selon Jean Piaget (1987, p. 59), "l'enfant, après sept ans, devient, en effet, capable de coopération, parce qu'il ne confond plus son point de vue propre et celui des autres, mais qu'il les dissocie pour les coordonner". C'est pourquoi j'ai effectué ma discussion à visées philosophique et démocratique (DVDP) dans une classe de CM2 (cycle 3), lors d'un stage de préprofessionnalisation. Le groupe d'élèves était constitué de 30 enfants. J'ai moi-même choisi de mettre en place la DVDP lors du dernier jour de stage (4 jours effectués), afin de connaitre au mieux les enfants, mais aussi l'établissement. L'heure à laquelle a été mise en place la DVDP, m'a été imposée pour une raison d'organisation. Ces enfants n'ont pas l'habitude de ce genre d'échanges. En effet, au vu du nombre d'élèves dans la classe, l'enseignante n'avait jamais eu l'occasion de mettre en place des discussions. J'ai appris que les élèves manquaient souvent d'arguments et de vocabulaire pour justifier certains de leurs choix. Parallèlement, ils ont une grande participation à l'écrit. C'est dans ce contexte que j'ai choisi de mettre en place cette discussion à visées philosophique et démocratique.
A/ La mise en place du dispositif
Comme le dit Edwige Chirouter (2010, p. 115), "la filiation, l'origine, la mort, les relations humaines, les sentiments sont des interrogations fondamentales et essentielles pour les enfants", j'ai choisi un sujet qui pourrait intéresser les enfants pour une première approche et qui permettrait de répondre à l'une de ces interrogations. J'ai longuement hésité entre trois thèmes : l'amitié, la liberté et la violence. C'est le thème de l'amitié qui a retenu mon attention. En effet, j'ai trouvé que ce sujet était en lien avec les questions que peuvent se poser les enfants. Il permettrait également de traiter des relations humaines. L'école étant un lieu de socialisation, les enfants participant à la DVDP sont âgés de 9 à 11 ans, le thème de l'amitié me paraissait propice.
La DVDP a eu lieu dans la salle polyvalente pour permettre aux élèves de changer d'environnement et de libérer leur parole. Les enfants se sont disposés en rectangle autour des tables. J'aurais préféré une disposition en cercle mais leur enseignante n'a pas souhaité faire de modification d'agencement. Cette disposition en cercle aurait pu favoriser les échanges et permettre à chaque enfant de se voir lorsque l'un d'entre eux prend la parole. J'ai utilisé un ancien bâton de parole datant d'une précédente année et se trouvant dans la classe en expliquant que seul l'enfant le détenant pouvait prendre la parole.
Au niveau du support, j'ai fait le choix de prendre le livre Amis-amies (T. Ungerer, 2007). Ce livre étant destiné à des enfants de 8 à 11 ans, cela correspondait à l'âge de ceux présents.
Après avoir lu plusieurs ouvrages sur la mise en place d'une DVDP, j'ai pu constater que la durée d'une discussion au cycle 3 est généralement entre 50 minutes et 1 heure 15. Je me suis imposé une limite d'1 heure 15, mais pas de durée minimale de manière à pouvoir déclencher le temps de réflexion. Je n'ai pas souhaité informer les enfants de ce temps de fin. Je voulais observer l'évolution et le déroulement de la discussion et me permettre d'y mettre fin si la DVDP n'évoluait pas dans l'argumentation.
J'ai fait le choix de ne laisser que les fonctions de synthétiseur et de reformulateur, afin de laisser aux enfants la possibilité de découvrir la DVDP sans les contraindre à participer à la discussion. Pour cette première fois, j'ai pris en charge le rôle du président pour être garant du bon déroulement de la séance et de la circulation de la parole du groupe.
B/ Le déroulement de la séance
- Introduction de la séance
Les élèves se sont installés autour des tables. J'ai ensuite expliqué le déroulement de la séance et ce qu'était une DVDP avec le rappel des exigences du philosopher : "On essaie de dire pourquoi on pense ce que l'on dit, de se poser des questions et d'en poser, et de trouver des définitions aux mots importants de la discussion". Par la suite, j'ai énoncé les 4 règles démocratiques : on ne se moque pas (bienveillance), on écoute celui qui parle, on essaie de prendre la parole et on a le droit de ne pas parler. J'ai ajouté quelques règles personnelles pour un bon déroulement de la discussion : on ne discute pas avec son voisin, on fait partager à tout le monde ce qu'on a à dire. Après trois remarques, l'élève se place en dehors du cercle. J'ai présenté le bâton de parole, en expliquant que l'on pouvait parler seulement lorsque l'on avait cet objet entre les mains.
J'ai demandé qui voulait être reformulateur et synthétiseur, en expliquant en quoi consistaient ces fonctions.
- La séance
J'ai lu l'intégralité de l'album, donné le thème et la question de départ.
Il y a d'abord eu un tour de départ (tous les enfants n'étaient pas obligés de participer). Les échanges ont débuté, plusieurs questions de relance ont été proposées : le synthétiseur a pris la parole 6 fois, le reformulateur 1 seule fois. Pour finir, j'ai proposé un tour final (comme pour le premier tour, tous les enfants n'étaient pas obligés de participer mais y étaient conviés).
- Conclusion de la séance
La synthèse a été énoncée par le synthétiseur, puis un bilan météo a été fait où chaque participant a pu exprimer son ressenti.
C/ Ressenti personnel
Avant de commencer la DVDP, j'ai eu des peurs, des appréhensions. Ce n'était pas la première fois que j'allais me retrouver devant un groupe d'enfants, mais celui-ci, je ne le connaissais que depuis trois jours. J'ai occupé différents postes dans l'animation, où j'ai pu acquérir plusieurs gestes : la façon de me comporter face aux enfants, d'adapter ma conduite, mon expression, mes réactions. Ici, ce qui me déstabilise, c'est la place que j'occupe au sein de cette classe, des savoirs liés à l'organisation, au fonctionnement de cette DVDP. Je craignais ne pas savoir les intéresser, ne pas savoir leur transmettre quelque chose, les attentes qu'ils pouvaient avoir du rôle de stagiaire que j'occupais. De plus, par la présence de la professeure, j'appréhendais les éventuelles remarques qui auraient déstabilisé mon intervention.
Avec cette prise de recul, je me rends compte que toutes ces appréhensions ont été légitimes. Cette séance m'a apporté des compétences entre la complémentarité de mon savoir et de mon savoir être, ce qui me conduira au savoir-faire.
Malgré quelques petits imprévus précédemment cités, j'ai su réajuster ma posture pour permettre à cette discussion de se dérouler. J'ai apprécié de la mettre en place et je n'hésiterai pas à reconduire ce type d'expérience.
Lors de cette discussion, j'ai pu observer que les enfants se respectaient les uns les autres ; en traitant le thème de l'amitié, j'appréhendais le fait qu'ils se coupent la parole entre eux, qu'ils ne respectent pas le temps de parole de chacun, ou d'autres choses encore. Mais lors de la DVDP, j'ai pu voir que chacun respectait l'avis des autres. Lorsqu'ils n'étaient pas d'accord, ils demandaient la parole et mettaient leur avis en avant en argumentant leur point de vue différent. J'ai été surprise aussi par le fait que sur les 30 élèves, il y en ait environ 20 qui prennent la parole, même si une dizaine ont été en retrait, je trouve que cela fait une bonne moyenne pour une première mise en place.
Il était intéressant d'observer que la confrontation des idées entre enfants a permis qu'ils fassent eux-mêmes émerger des questionnements et de faire évoluer leurs représentations. La discussion était active, les enfants se sont sentis davantage impliqués. J'ai dû intervenir pour recentrer la DVDP sur le thème de départ de manière à limiter l'éparpillement.
Même si certains justifiaient toujours leurs arguments, j'ai dû plusieurs fois répéter qu'il fallait argumenter et ne pas seulement répondre " oui " ou " non ".
Concernant les exigences du philosopher ou le développement de la pensée réflexive :
- Les enfants, dans la globalité, ont très bien argumenté en prenant surtout des exemples personnels, mais pas seulement, ils ont utilisé des arguments. L'argument est supérieur à l'exemple, il généralise et dépasse les faits de l'expérience.
- De plus, concernant la conceptualisation, les enfants n'ont pas su conceptualiser par eux-mêmes, généralement ils expliquaient leurs idées par des exemples. Je pense que le fait que cette discussion soit une première, ils n'arrivaient pas forcément à comprendre la méthodologie de la DVDP. Il aurait peut-être fallu, lors de l'énoncé des règles, que j'explique davantage ce que signifiait le terme conceptualiser.
- La problématisation est l'action que les enfants ont su le mieux mettre en place parmi les trois exigences. C'est principalement grâce aux questionnements de la discussion qu'elle se relançait automatiquement.
D/ Ce que je retire de cette discussion
Je garde un avis très positif de cette discussion et sur l'ouverture réflexive qu'elle permet. Remettre en place ce type d'activité au sein de cette classe ou d'autres, nécessiterait quelques petites modifications d'organisation, notamment sur le nombre d'élèves, d'agencement de la salle, de l'ajout et du retrait de quelques fonctions.
Cette DVDP, a permis d'engager le respect d'autrui, ici mobilisé par le respect du temps de parole de chacun, l'utilisation du bâton de parole, et l'écoute des autres. La discussion à visées démocratique et philosophique peut être transférable aux cycles 1, 2 et 3. À travers chaque cycle, il existe des domaines d'apprentissages aux langages spécifiques du développement de la pensée et/ou de la communication, qui participent et développent la formation de la personne et du citoyen.
La DVDP semble avoir besoin d'être progressive selon les cycles, les niveaux concernés, le nombre de participants. Je pourrais distribuer de nouvelles fonctions, ou en supprimer, augmenter ou réduire la durée et la périodicité de la discussion, modifier et adapter le support, faire choisir ou imposer un thème. Il peut être également intéressant de s'appuyer sur des rencontres, des visites liées au projet de la classe, en faisant participer des partenaires extérieurs.
II) Deux DVDP en CM2 : sur le réel et sur les règles (Cléa Després et Camille Bousquet)
Nous sommes deux étudiantes en deuxième année de licence des sciences de l'éducation à l'université-Paul-Valéry-Montpellier-III. Nous nous destinons toutes deux à devenir professeures des écoles. Nous avons animé deux discussions à visées démocratique et philosophique dans le cadre d'un stage de préprofessionnalisation, dans une classe de CM2.
Lors de notre semestre 3, nous avons participé à un cours sur l'éducation civique dispensé par Sylvain Connac, Marie Reverdy et Pierre Cieutat. Ce cours nous a permis de voir comment mettre en place des discussions à visées démocratique et philosophique (DVDP). Nous avons pu en vivre plusieurs. Précédemment, nous avions toutes les deux déjà participé à des "café philo" durant nos années au lycée. Cependant, mettre en place une discussion était quelque chose que nous n'avions jamais fait. L'enthousiasme a été notre première réaction à cette information, mais s'en est suivi également de l'appréhension. En effet, nous devions tenir le rôle d'animateur, c'est-à-dire réussir à rebondir sur les remarques des enfants sans trop conduire leurs pensées. Ce qui nous a permis d'être plus à l'aise est que nous avons pu réaliser nos deux DVDP dans la classe où nous effectuions notre stage d'observation ; une classe de CM2 avec comme enseignant Monsieur Pascal Peytavin à l'école élémentaire Julie Daubié (Montpellier). Les enfants nous connaissaient donc déjà et nous avions participé à quelques activités de la classe.
La discussion à visées démocratique et philosophique est un espace d'échanges, qui doit cependant respecter certaines règles démocratiques et philosophiques. Ces dernières doivent être posées dès les premiers instants, quand l'adulte prend la parole. La première règle, qui est primordiale pour le bon déroulé de la séance, est : "on se respecte les uns et les autres, on ne se moque pas, on ne juge pas". Le respect est important pour que les élèves puissent se sentir libres d'exprimer leur pensée sans peur du jugement des autres. Les suivantes sont des règles de vie pour la discussion : "on lève la main pour parler", "on ne parle pas sans avoir été interrogé", "priorité au plus petit parleur et aux reformulateurs" ; ces règles permettent un bon déroulement de la discussion et une bonne écoute entre les enfants. Pour encadrer ces règles, des rôles (ou métiers) sont proposés aux participants. Nous avons sélectionné les rôles qui nous paraissaient les plus importants (dans ceux que nous avions vécus en cours) et ceux que l'on pouvait mettre en place tel que le président (distribue la parole aux autres enfants), deux reformulateurs (reformule les idées incomprises), deux journalistes (ou synthétiseurs) et un horloger (responsable du temps). Ces deux discussions se sont déroulées à une semaine d'intervalle.
Pour notre première DVDP, nous nous sommes installés à la bibliothèque de l'école et mis en cercle sur des tapis de sol. Ce lieu était parfait car les élèves sortaient de l'environnement de la classe. Pour cette première discussion, nous étions avec la classe entière, soit 22 élèves. Nous avons choisi le thème du réel en l'abordant par le sujet des jeux vidéo. Pour le support, nous avons pris le conte Olga, la guerrière de lumière, histoire thérapeutique d'un livre pour enfants ( Raconte-moi... 20 contes thérapeutiques, Gilles Diederichs). Nous avons coupé la fin de ce conte, car le dénouement de l'histoire était moralisateur et nous pensions que cela pouvait fermer le sujet de la discussion. Cette DVDP a duré 1 heure environ du début de l'installation à la synthèse.
Pour la seconde DVDP, nous nous sommes répartis en 2 groupes, l'un de 10 élèves et l'autre de 9 et nous étions dans deux salles de classe de l'école. Le professeur était principalement avec le groupe qui n'était pas dans sa classe, mais il se déplaçait régulièrement entre les deux classes. Nous avons choisi le thème des règles, car les élèves les avaient beaucoup évoquées lors de la première discussion. Cette DVDP a duré 45 minutes environ du début de l'installation à la synthèse. Nous avons décidé de conserver les métiers installés pendant la discussion précédente. Cependant, nous nous sommes rapprochés du président pour l'aider à bien remarquer quels élèves parlaient le moins. Nous avons également précisé aux journalistes qu'ils n'étaient pas censés tout noter, mais seulement ce qu'ils pensaient être important.
Lors de notre première discussion nous avons eu des comportements différents venant des élèves, certains parlaient entre eux, d'autre rigolaient, etc. Notre ressenti sur ce point est que les élèves, trop nombreux lors de cet exercice, ont vite dévié et n'ont pas tout suivi. À la suite de cette discussion, nous avons échangé avec l'enseignant qui nous a également fait part de ce ressenti par rapport au trop grand nombre d'élèves dans le groupe. De plus, lors de cette discussion, dès le début, il y a eu une séparation entre les filles et les garçons, ce qui n'a pas été le cas lors de la deuxième séance.
La seconde discussion s'est déroulée beaucoup plus calmement et tous les élèves ont participé, contrairement à la première discussion. Les élèves avaient assimilé le côté démocratique des échanges, mais pas vraiment le côté philosophique, qui est selon nous le plus difficile à assimiler et demande plus de temps. Ils avaient tendance à répondre à la question posée par l'adulte, mais avaient des difficultés à se répondre entre eux et à vraiment lancer une discussion. Ils attendaient les relances de l'animateur (nous-mêmes) et y répondaient, puis attendaient la suivante ; les réponses tournaient donc en rond rendant l'exercice de la discussion plus délicat. Lors de la deuxième DVDP, nous avons remarqué une amélioration sur leur façon d'argumenter. En plus petit groupe, ils osaient davantage parler et expliciter leurs points de vue et leurs idées.
Pour répondre à cette problématique du manque de philosopher, nous nous sommes inspirées d'un système que nous pourrions mettre en place : le système des "ceintures de philosophe". Le but de ces ceintures est de faire évoluer chaque enfant en lui proposant un objectif bien défini pour passer à un philosopher mieux maîtrisé. Ces ceintures pourraient permettre de mettre en place des ateliers pour apprendre à argumenter, conceptualiser ou problématiser sa pensée, dans lesquels les élèves ayant des ceintures plus foncées aideraient les élèves ayant les ceintures les plus claires (moins élevées).
Ce que nous apporte cette expérience de DVDP est la manière de gérer un groupe. En effet, le principe de déléguer les rôles peut être réutilisé dans d'autres contextes, durant le temps de classe par exemple. Les enfants aiment avoir un rôle et ce partage des tâches nous permet, en tant qu'adulte, d'être attentifs à d'autres choses ou d'être plus présent auprès de certains enfants. Cette expérience nous a aussi permis d'apprendre à rebondir, à avoir l'esprit vif pour problématiser ou alors conceptualiser. Cela nécessite d'être réactif, car on remarque que la majorité des enfants conceptualise sans s'en rendre compte ; c'est notre rôle en tant qu'animateurs de la discussion d'être alertes, mais aussi de se montrer à l'écoute. Ce qui peut également être transférable est la communication entre les élèves ainsi que celle avec l'enseignant, notamment le fait de pouvoir donner son avis sans jugement et sans moquerie.
En préparant et en réalisant ces deux discussions, nous avons pu comprendre leur fonctionnement mais aussi mieux les appréhender et pouvoir proposer aux élèves des discussions dans lesquelles ils se sentent à l'aise de participer. Nous avons également remarqué que les enfants répondent souvent avec des exemples et des contre-exemples, et s'appuient principalement sur les idées de leurs camarades, ce qui fait tourner la discussion en rond. En fait, nous avons eu du mal à poser une dimension philosophique, car les enfants rencontraient des difficultés à sortir de leur seul vécu. La dimension démocratique a en revanche été assez bien respectée : les règles ont été assimilées et les élèves se sont bien approprié les rôles.
Pour conclure, mettre en place ces deux DVDP nous a permis d'observer que philosopher chez l'enfant ne vient pas naturellement durant la première discussion. Les DVDP sont à mettre en place sur le long terme, pour pouvoir observer une évolution dans les processus de pensée. De plus, c'est un projet qui nous a permis un travail d'observation par rapport aux sujets qui pourraient plaire et intéresser les enfants, mais également un travail de recherche et de préparation pour pouvoir mener à bien cette discussion. Enfin, nous avons encore besoin d'entraînement pour gérer ces discussions et pour nous sentir tout à fait à l'aise, mais c'est un exercice que nous réaliserons à nouveau quand l'occasion se présentera.