Résumé
Cet article s'interroge sur les facteurs de la démotivation des élèves à apprendre dans les cours de philosophie au Cameroun, à partir d'une compréhension de la manière dont les élèves vivent ces cours et les facteurs qu'ils rattachent à leur expérience. Sur la base de données collectées auprès de 12 élèves des classes de Terminale des établissements d'enseignement secondaire de la ville de Yaoundé et de l'arrondissement de Matomb,j selon la technique de l'échantillon de volontaires et analysées selon la méthode d'analyse des données de Giorgi, il ressort que de sérieux conflits intérieurs sont vécus par ces élèves quand ils sont en situation d'apprentissage. Ces conflits s'articulent autour de quatre moments : le découragement et l'angoisse face à ce qu'ils ne savent pas faire et ce qu'ils ne parviendront jamais à faire, le sentiment d'injustice vécu en classe, l'ennui en classe quand ils n'arrivent pas à faire ce qu'ils veulent faire ou ne perçoivent pas le sens de ce qui est enseigné, et l'anéantissement face au désespoir à cause de leur rang parmi les autres. Cette structure générale s'articule autour d'un facteur qui produit une telle démotivation : le professeur.
Mots-clés
Phénoménologie, philosophie, démotivation, expérience
Introduction
C'est après plusieurs années d'expérience dans l'enseignement secondaire général et comme enseignant de philosophie que nous avons pris l'initiative de mener des recherches sur l'enseignement de la philosophie. Tout simplement parce que nous avons constaté que les élèves ne s'intéressaient plus à la philosophie dans nos établissements. Pour juger de la véracité de ce constat, nous avons mené en début d'année scolaire 2018-2019 deux tests auprès des élèves des classes de Terminale de l'arrondissement de Makak. Le premier objectif de ces enquêtes était de comparer le niveau de motivation des élèves à la rentrée et après le premier trimestre ; le second, de comparer le niveau de motivation des élèves par séries. De façon générale, le but de ces enquêtes était de vérifier s'il existe des fluctuations des perceptions motivationnelles chez les élèves au cours de philosophie et de comparer ces perceptions motivationnelles selon les séries.
Nous avons élaboré un questionnaire. Destiné aux élèves, ce dernier portait sur un indicateur de la motivation : l'engagement général en philosophie. Le questionnaire destiné aux élèves ne variait pas. Ce questionnaire a été passé au mois d'octobre (c'est-à-dire en début d'année) et au mois de Janvier (début du deuxième trimestre). Cette période a été choisie car il s'agissait d'un moment où les élèves avaient déjà passé deux séquences. A ce moment de l'année scolaire, les enseignants sont à plus de 30% de la couverture horaire annuelle.
A l'aide de la méthode d'échantillonnage stratifiée, nous avons obtenu les tailles suivantes : 57 individus pour les voies littéraires, 24 individus pour les voies scientifiques, 20 et 19 pour les voies techniques. Nous avons enfin sélectionné le nombre d'élèves voulu dans chaque série par échantillonnage aléatoire simple.
L'échelle choisie ici a été tirée de l'adaptation faite par Ntamakiliro, Monnard et Gurtner (2000) sur "l'Echelle Multidimensionnelle de Motivation pour les Apprentissages Scolaires (E.M.M.A.S)". En effet, le projet d'E.M.M.A.S. a été conçu d'après le point de vue selon lequel "toutes les composantes contextuelles présentent des configurations variables en fonction des matières ou des contextes d'apprentissage." (Ntamakiliro, Monnard et Gurtner, 2000, p. 6). Cependant, tous les items n'ont pas été utilisés pour la simple raison qu'ils ne cadraient pas avec les objectifs de notre phase d'enquête épistémologique. De façon générale, sept variables ont été considérées : la série des élèves, l'ancienneté, la période de l'année, l'utilité perçue, le sentiment de compétence, la volonté d'apprendre et l'attrait pour la philosophie. Les résultats suivants ont été observés.
L'analyse des résultats nous montre que la motivation que les élèves avaient à l'égard de la philosophie au début de l'année diminuait au fil des semaines qu'ils passaient en classe. Finalement, l'engagement par rapport à la philosophie fluctue de façon significative d'une visite à l'autre. Les analyses montrent que l'engagement s'accroît entre septembre et la fin de la première séquence, puis il commence à diminuer. Cette diminution était systématique car elle apparaissait dans chaque spécialité.
Ces résultats nous ont conduits à penser que le problème n'est pas d'augmenter la motivation, mais de la maintenir. Ceci nous a amené à établir le constat que, lorsque les élèves entrent en classe de Terminale, ils sont pour la plupart somme toute motivés à apprendre la philosophie. Mais, au fil du temps, leur motivation diminue. Comment alors expliquer un tel phénomène ? Le présent article tente donc, dans une perspective phénoménologique, de mieux appréhender l'expérience des élèves démotivés dans les cours de philosophie et de comprendre les processus qui produisent chez eux cette démotivation, de façon à formuler des hypothèses explicatives.
I) La nécessité d'étudier l'expérience des élèves pour comprendre la démotivation à apprendre dans les cours de philosophie
Pour Charlot (1997), étudier l'expérience de l'élève et le sens qu'il lui donne, c'est étudier son rapport au savoir. Cette notion renvoie, selon Rochex (2004), à ce qui serait de l'ordre d'une disposition, d'un mode de relation, relativement stable, que le sujet entretient avec tout ce qui relève de l'apprendre et du savoir, et qui est le produit d'une histoire tout à la fois scolaire, personnelle et sociale. Selon Mangendie et Bouthier (2013), deux dimensions caractérisent ce mode de relation : la dimension identitaire et épistémique. La première renvoie "à ce qui pousse l'élève à savoir et/ou apprendre" (p. 318), tandis que la seconde renvoie "à ce qu'il sait et aux pouvoirs d'action qu'il peut mobiliser" (p. 318).
La thématique que nous abordons dans la présente étude nous amène à revenir sur les facteurs de la motivation, et à inscrire la question de la démotivation au coeur des pratiques quotidiennes des enseignants de philosophie. En effet, à travers la question de la démotivation des élèves dans les cours de philosophie, c'est d'abord le vécu de la discipline par les élèves des classes de Terminale qui est posé.
Cette recherche part de l'hypothèse que, pour rendre raison du phénomène aujourd'hui communément désigné par l'expression (fort vague) de "démotivation", il est judicieux de prendre en considération la manière dont les élèves vivent, au jour le jour, avec des sentiments divers, les interactions d'enseignement-apprentissage de contenus constitutifs des disciplines ou des composantes disciplinaires. Qu'on l'entende comme le fait d'être démobilisé dans les apprentissages, comme présence physique en classe sans implication cognitive, comme orientation forcée vers une filière d'étude, comme échec momentané ou définitif de la tentative de prendre place dans une, voire plusieurs disciplines, ou encore comme incompréhension temporaire empêchant de participer aux échanges, la "démotivation" est le symptôme majeur d'un mauvais fonctionnement, local ou global, circonstanciel ou structurel, de l'institution scolaire. Cette recherche vient donc rappeler l'ambivalence du vécu disciplinaire qui est chose bien différente de l'organisation des contenus par disciplines. Le vécu disciplinaire peut, certes, être un important facteur de "démotivation", mais il peut aussi bien avoir un effet inverse, contribuer à l'avènement d'un rapport positif à la discipline, aux savoirs, savoir-faire et savoir-être.
Ainsi, prendre en compte le vécu des élèves, c'est donner une part importante aux données subjectives. En effet, le vécu des disciplines scolaires conduit certains élèves à de la souffrance et pour certains à un rejet de l'école dont le décrochage constitue l'aspect le plus saillant (Reuter, 2016).
II) Justification de l'utilisation de l'approche phénoménologique
Rappelons qu'une recherche phénoménologique vise l'élucidation du sens d'une expérience vécue. Elle porte son attention vers les vécus de la conscience et les sens qui s'y cachent, souvent de manière pré-réfléchie et inaperçue, pour ensuite dégager la structure fondamentale de cette expérience. La structure est l'articulation des sens de ce qui a été vécu et qui ont contribué à la déterminer dans ses dimensions sensible et signifiante. Sa méthode repose essentiellement sur une démarche descriptive et de réduction, tout d'abord phénoménologique et ensuite eidétique.
La contribution de la phénoménologie se situe dans la description de "l'apparaître du phénomène ainsi que l'auto-explicitation de sa signification" (Muralt, cité par Deschamps, 1993). C'est à partir du vécu et grâce à l'élucidation de son auto-explicitation qu'un phénomène humain se comprend et s'objective. C'est à travers l'explicitation de sa signification que se révèle l'être propre de ceux qui le vivent.
En effet, en raison de son orientation phénoménologique, cette étude ne s'inscrit pas dans un esprit de vérification ou de validation de la réalité, mais plutôt dans un esprit de découverte de la manière dont les élèves démotivés vivent la discipline philosophie. Son but n'est pas de vérifier des hypothèses ou de chercher des causes, mais plutôt de décrire le vécu telle qu'il a été éprouvé et rendu signifiant par les élèves qui l'ont vécu. La cible est la réalité éprouvée et signifiée, ce que les élèves portent en eux par rapport à leur expérience. Elle vise à retracer les différentes manières dont les élèves rencontrés ont été présents à leur expérience et à élucider la structure de la signification de leur expérience. Celle-ci renvoie à la manière dont l'expérience est vécue sous l'angle de ce qu'elle veut dire pour les élèves qui en ont fait l'expérience. Les résultats de la présente étude doivent ainsi être lus et compris en tant qu'expérience vécue de vérité des élèves ayant vécu la discipline philosophie et ayant été en situation de démotivation.
III) Méthodologie et outils
Pour effectuer ce travail, nous nous sommes intéressés à des élèves des classes de Terminale inscrits à la fois dans une zone rurale et dans une zone urbaine. L'objectif d'un tel choix était simplement d'enquêter sur des élèves d'horizon divers pour pouvoir circonscrire le problème à partir des élèves vivant des expériences diverses dans des contextes différents. Nous avons pris contact en cours d'année scolaire (fin Avril) avec des élèves inscrits dans un groupe d'étude créé par nous-même, dont l'objectif était de répondre aux sollicitations des élèves sur des questions de méthodologie et de compréhension des notions au programme. Les élèves inscrits dans ce groupe venaient pour certains des lycées d'enseignement secondaire et pour d'autres des collèges privés. Jusqu'à la fin du mois d'avril, le groupe comptait 53 élèves. Nous avons donc envoyé une lettre de sollicitation à participer à l'étude dans le groupe. Aucune relance directe n'a été faite auprès de ces élèves afin de préserver leur liberté de choix.
Nous les avons invités à nous contacter pour obtenir de plus amples informations sur la recherche. Quatorze élèves nous ont demandé des informations supplémentaires sur le but de la recherche. Parce que tous ces élèves répondaient aux critères opérationnels, et parce que ces derniers ont manifesté leur intérêt à participer à l'étude, ils ont été rencontrés pour une entrevue préliminaire d'environ une heure. En effet, neuf élèves venant de divers établissements de la ville de Yaoundé et cinq élèves inscrits en classe de Terminale dans deux lycées de l'arrondissement de Matomb ont répondu favorablement à l'invitation à participer.
Dans le cadre de cette étude, nous explorons en décrivant. Nous nous intéressons à l'expérience des élèves que nous décrivons et, nous la décrivons sans a priori. En décrivant, nous sommes dans une sorte d'aveuglement. "Je marche, obscur, mais je marche et je sais qu'il y a un chemin." Cette phrase de Morais (2013, p. 504) situe notre méthode de collecte des données. Dans cette affirmation, le contenu théorique qui entoure l'expérience des élèves est précisé à savoir, l'acte d'explorer qui en effet consiste à maintenir suspendues les idées préconçues pour se retourner vers le vécu de leur expérience. Concrètement, à ce stade de l'exploration, les élèves décrivent en laissant venir les idées et les mots. Il s'agit d'explorer l'expérience des élèves en la décrivant le plus directement possible, telle qu'elle leur apparaît, sans explication ni jugement.
Au regard de ce qui vient d'être précisé, deux méthodes de collecte de données ont été utilisées : le témoignage personnel et l'entretien d'explicitation. Comme mentionné au début de ce chapitre, la collecte de données descriptives concrètes et détaillées constitue une étape cruciale dans une étude phénoménologique. Elle repose sur un choix judicieux de moyens qui doivent faciliter l'accès et l'expression de l'expérience vécue des sujets. Ces deux méthodes de collecte de données ont été privilégiées parce qu'elles favorisent l'accès au vécu telle qu'éprouvé et la progression du processus de clarification de leur vécu. Elles permettent de soutenir le sujet dans son retour à son expérience concrète, de le maintenir relié le plus près possible au fait vécu et d'approfondir la connaissance de son vécu (Picard, 2009).
La méthode d'analyse des données utilisée est celle de Giorgi (1997). Rappelons qu'elle constitue une méthode qui respecte la logique de la phénoménologie, une logique qui cadre avec les objectifs de notre étude. Elle a été également opérationnalisée en continuité avec la pensée phénoménologique, particulièrement celle de Husserl. Tout d'abord, le matériel analysé dans cette étude provient de douze descriptions écrites et de douze entretiens d'explicitation. Nous avons interrogé les élèves sur la façon dont ils vivent et interprètent les situations et activités scolaires.
IV) Résultats et discussions
Les résultats de cette étude qui se veut phénoménologique sont présentés à partir de la description de la structure générale de l'expérience du cours de philosophie chez les élèves des classes de Terminale. La présente description de la structure générale constitue la synthèse des douze structures typiques. Elle émerge de l'analyse des similitudes et des différences de l'ensemble de ces structures typiques. Elle vise à offrir une description à un niveau de généralité qui dépasse le niveau descriptif spécifique de chaque sujet tout en conservant intact le sens de l'expérience (Deschamps, 1993).
Ainsi, elle s'est articulée autour de quatre moments de la signification qui se révèlent similaires pour les douze élèves démotivés rencontrés : être découragé et angoissé face à ce qu'ils ne savent pas faire et ce qu'ils ne parviendront jamais à faire, être victime d'injustice en classe, être ennuyé en classe quand ils n'arrivent pas à faire ce qu'ils veulent faire ou ne perçoivent pas le sens de ce qui est enseigné, être anéanti par le désespoir à cause de leur rang parmi les autres. De même, cette structure générale s'est articulée autour d'un facteur qui produit chez ces élèves une telle démotivation à savoir : le professeur.
Rappelons que la compréhension phénoménologique de leur expérience est présentée en trois parties. Ces parties correspondent aux conflits auxquels ces élèves sont confrontés dans le cours. Elle s'appuie en effet sur cinq composantes du rapport au savoir : le rapport aux autres, le rapport à soi-même, le rapport aux savoirs, le rapport aux apprentissages et le rapport aux activités proposées.
V) Le rapport à soi-même et aux tâches proposées
Les résultats obtenus montrent que si les élèves ne parviennent pas à se motiver en philosophie, c'est en premier lieu parce qu'ils s'en sentent incapables et qu'ils n'envisagent pas qu'il puisse en être autrement. Ils n'ont pas, selon eux, les aptitudes requises. Ainsi, ces résultats nous permettent de formuler l'hypothèse que les difficultés que les élèves démotivés rencontrent en philosophie et le sentiment qu'ils ont de ne pouvoir réussir diminuent leur investissement dans les activités. Ceci parce que ces sentiments sont source de découragement. Nos résultats montrent, en premier lieu, que les échecs répétés et incontrôlables des élèves en philosophie dans la réalisation des activités les ont conduits à considérer qu'il leur était impossible de réussir. Persuadés de leur incompétence, ils savent qu'ils ne peuvent faire ce qui est demandé, d'autant qu'ils n'ont pas les capacités requises.
De ce fait, les élèves sont dans un état où ils se sous-estiment en développant des blocages. C'est cela qui entraine un découragement rapide car, ils ne perçoivent plus la nécessité de s'engager. Cela s'est manifesté par le fait qu'ils fuient certaines questions que les enseignants posent en classe. Une telle approche est exposée dans les conclusions de Decy et Ryan (1991) sur la théorie de l'auto-détermination.
Nous formulons donc, au regard des résultats précédents, l'hypothèse selon laquelle les élèves démotivés dans les cours de philosophie, parce qu'ils ne perçoivent pas leur compétence à réaliser les activités, ne sont pas motivés intrinsèquement. A cause de leur sentiment très bas de compétence qui est associé à la contrainte (il y a des activités qu'ils doivent faire et qu'ils ne savent pas faire, des activités qu'ils ne veulent pas faire mais qu'ils ne peuvent s'empêcher de faire), il se produit chez eux une résignation apprise. Parmi ces activités, on peut citer la réponse aux questions que l'enseignant pose régulièrement, la lecture des textes, et la rédaction d'un commentaire de texte philosophique. Cela nous amène également à formuler l'hypothèse que les élèves démotivés pendant les cours de philosophie ont un sentiment très bas de compétence parce qu'ils ne perçoivent pas la valeur des activités.
VI) Le rapport aux autres
Le discours des élèves révèle qu'ils ne supportent pas le jugement que leurs enseignants et leurs camarades ont sur leurs compétences. Ce qui fait qu'ils s'efforcent de ne pas intervenir devant leurs camarades en classe pour éviter les réactions de ceux qui se croient plus performants. Il est vrai qu'ils voudraient être acceptés, mieux encore, appréciés, mais ils font tout pour se replier sur eux-mêmes. Comme si, honteux de leur incompétence, ils ne parvenaient pas à s'estimer suffisamment pour être appréciés par leurs enseignants et par leurs camarades. Les résultats montrent ainsi que les enseignants ne suivent pas individuellement les élèves car, les plus démotivés sont ceux qui perçoivent moins le soutien de leurs enseignants. Ils ne retiennent et n'enrichissent pas leurs idées, car convaincus qu'elles sont vides de sens, ils n'encouragent pas leurs initiatives, ne les félicitent pas pour leurs progrès, leurs efforts.
Il existe donc pour les élèves démotivés dans les cours de philosophie, un sentiment aigu, quasi permanent et malheureux, d'être des victimes potentielles d'un jugement injuste souvent manifesté, selon eux, dans le mépris de leurs professeurs à leur égard. Ce sont sans doute les notes, les prises de parole et la considération de ce qui est dit en classe qui illustrent le mieux cette obsession. On voit d'ailleurs certains qui estiment avoir fait les mêmes choses que leurs camarades, mais que les notes de leurs camarades sont toujours au-dessus des leurs. Cela montre que pour ces élèves, les notes des enseignants sont plutôt attribuées de façon subjective, sentimentale, donc injuste. Elles manquent d'objectivité et d'équité, car l'enseignant semble avoir de l'avis de ces élèves un schéma déjà bien tracé comportant les élèves compétents en philosophie. La conséquence logique pour eux d'une telle injustice, c'est la démotivation. Le sentiment d'injustice a donc un coût : il expose les élèves à des déceptions, les épuise lorsqu'ils ne sont pas reconnus et peut à long terme les décourager, jusqu'à la démotivation. Nous formulons ainsi l'hypothèse que les élèves qui ne perçoivent pas un soutien de leurs enseignants rapporteraient un plus faible degré de concentration et d'effort en philosophie et auraient moins de motivation. Ceci dit, le manque de soutien des enseignants à l'endroit des élèves démotivés crée non seulement chez eux le découragement, mais a également une influence sur leur compétence. Nous pouvons donc conclure que l'enseignant de philosophie par ses interactions et le soutien qu'il apporte à ses élèves, a une influence sur leur compétence perçue et sur leur progression.
Ces résultats corroborent la conclusion d'Allain, Deriaz, Voizard et Kaestner (2016), lorsqu'ils déclaraient que "La perception du soutien de l'enseignant est une variable influente dans le processus d'apprentissage." (p. 75).
VII) Le rapport aux savoirs et aux apprentissages
Lorsque nous avons interrogé ces élèves sur leur projection des attendus des cours de philosophie et sur l'importance qu'ils lui accordaient, les réponses des élèves démotivés ne différaient pas réellement des réponses des élèves motivés. L'on constate, qu'en ce qui concerne le sens que ces élèves confèrent à la philosophie, les réponses se tournent toutes (élèves démotivés et motivés) vers l'éducation sur le plan cognitif et moral. Ces élèves donnent un sens positif à la philosophie en elle-même et à la fonction utilitaire de celle-ci pour eux.
Cela nous amène donc à formuler l'hypothèse que la démotivation des élèves dans les cours de philosophie n'a pas d'influence sur le sens qu'ils accordent à la philosophie. Par contre, les élèves démotivés distinguent dans le programme de philosophie certains cours qui n'ont pas de valeur. Ils accordent du sens à la discipline philosophie en elle-même. Elle leur est indispensable pour le développement personnel. C'est ce qui devrait les pousser vers cette matière. Mais non, car ils soulignent que certains cours sont inutiles et ennuyeux : non seulement ils soulèvent des problèmes qui ne peuvent apporter des solutions définitives, mais ils n'ont aucun rapport avec les questions actuelles. Cela montre qu'il y a quelque chose dans ces cours qui les ennuie. La démotivation et le désintérêt dans ces cours apparaissent comme une force de résistance. Ils montrent que de tels cours ne les concernent pas, qu'ils n'y trouvent pas un rapport avec ce qu'ils vivent au quotidien. Ceci revient à dire que leur désengagement dans de tels cours est une réaction positive pour eux.
De tels résultats nous conduisent à formuler l'hypothèse que la démotivation des élèves dans un cours de philosophie serait liée au rapport d'utilité. Ceci parce que, les élèves veulent que le sacrifice engagé pour les apprentissages soit payant (Dubet, 2006). Si nous partons du postulat selon lequel une séquence d'enseignement n'est faite que d'activités (Viau, 1994), et que le manque de perception de valeur d'une activité influe sur la motivation à apprendre des élèves (Viau, 1994), nous pouvons au regard des résultats obtenus postuler que les élèves démotivés dans un cours sont ceux qui ne perçoivent pas la valeur du cours dispensé.
Conclusion
La compréhension phénoménologique qui émerge de cette étude permet de dégager une connaissance signifiante de l'expérience psychoaffective des élèves démotivés dans les cours de philosophie, connaissance qui s'avérait inexistante jusqu'à maintenant. Cette étude phénoménologique a permis tout d'abord de mettre en relief la présence d'un découragement et d'une angoisse face à ce qu'ils ne savent pas faire et ce qu'ils ne parviendront jamais à faire, d'un sentiment d'injustice en classe, d'un ennui en classe quand ils n'arrivent pas à faire ce qu'ils veulent faire ou ne perçoivent pas le sens de ce qui est enseigné, d'un anéantissement par la honte à cause de leur rang parmi les autres. Elle révèle en quoi ce vécu qui apparait au moment de la démotivation est éprouvé comme une souffrance dans laquelle ces élèves sont plongés dans les cours de philosophie. Celle-ci s'avère donc déterminante dans la connaissance de l'expérience de ces élèves en classe et dans la connaissance des processus qui produisent chez ces élèves cette démotivation.