I) Véronique Dufauret, maîtresse d'école à Tarbes
La disposition spatiale (tous en cercle, hors de la salle de classe ordinaire...) et l'organisation au sein du groupe (rôles différents, enseignante animatrice dans le cercle qui ne donne pas son avis, règles démocratiques fixées...) offrent un cadre rassurant et bienveillant qui permet à chaque élève de s'exprimer dans un climat de confiance et de respect où la parole est libérée. Ainsi, certains gagnent en confiance en soi au sein du groupe en osant prendre la parole.
L'animateur est seulement là pour lancer ou relancer la discussion, ce qui donne la possibilité aux élèves d'une gestion autonome de la discussion et à l'enseignante d'une observation fine de l'attitude de chacun. Les élèves sont réellement acteurs dans cette pratique, ce qui accroît leur motivation.
Il ne s'agit pas pour les élèves de donner une simple opinion sur une question posée ou qu'ils se posent, mais d'argumenter leur réponse, la justifier, donner des exemples voire des contre exemples... Ils pensent par eux-mêmes, explorent leurs idées, écoutent celles développées par leurs pairs et les confrontent aux leurs... Ils apprennent également à structurer leur pensée.
Cette discussion implique que les élèves affinent leur écoute, exercent leur esprit critique avec respect, s'ouvrent aux idées des autres, les acceptent, voire fassent évoluer leurs opinions premières au gré des échanges. C'est aussi un bon moyen pour développer chez l'élève la réflexion par le prisme de l'intérêt collectif, et pas seulement de son intérêt particulier.
Cette activité participe à l'apport de connaissances et compétences dans des domaines tels que l'EMC (éducation morale et civique : culture du jugement, culture de la sensibilité, culture de l'engagement, culture de la règle et des valeurs), le langage oral et le langage écrit.
Enfin, la pratique de la philosophie sous des formes adaptées en fonction des âges peut s'inscrire parfaitement dans le parcours citoyen de la maternelle au collège, en assurant une cohérence et continuité entre les expériences vécues du cycle 1 au cycle 4.
Témoignages de mes élèves de CM2
- "Ca permet de partager des idées."
- "On peut dire ce que l'on pense : pas exemple, ça peut aider un enfant timide à oser s'exprimer."
- "En écoutant les autres, on apprend plein de choses intéressantes."
- " On peut connaître l'opinion des autres sur des sujets différents de ceux de la classe."
- "Tout le monde parle, chacun essaie de bien tenir son rôle pour que tout se passe bien."
- "On se voit tous en cercle, c'est mieux pour discuter tous ensemble."
- "Il n'y a pas de fausse idée, pas de mauvaise ou bonne réponse."
- "On peut discuter même sans être d'accord et chacun dit ce qu'il pense."
- "On peut résoudre des vrais problèmes de la vie en philosophant."
- "En écoutant les autres ça donne envie d'intervenir et de dire ce que l'on pense aussi."
- "Au début parfois, on ne sait pas quoi dire, mais dès qu'il y en a un qui parle ou qui donne des exemples, on trouve des idées pour dire si l'on est d'accord ou pas et pourquoi."
- "Beaucoup de choses différentes peuvent être dites et ça nous apporte beaucoup à chacun."
- "Quand on entend une idée opposée à la nôtre, soit on trouve un argument ou un contre exemple, soit on arrive à être convaincu par cette idée".
II) Eveline Clavier, enseignante en Ulis à Paris. La discussion à visée démocratique et philosophique : penser avec les autres en se confrontant au réel.
Débattre n'est pas se battre et convaincre n'est pas vaincre, ne cesse de répéter inlassablement Michel Tozzi1, introducteur de la DVDP en France (Discussion à Visées Démocratique et Philosophique)2. La DVDP est conçue comme un espace où l'on apprend à s'écouter et reconnaître l'autre comme un interlocuteur valable. A l'école, elle est également un lieu où on apprend à problématiser, à conceptualiser, à argumenter en s'appuyant sur la parole et la pensée des autres considérés non pas comme des adversaires mais comme des alliés. La DVDP est donc aux antipodes du débat politique médiatique. Elle permet pourtant aux participants de faire une expérience profondément démocratique dans la mesure où personne n'y est assigné à une place fixe. Au fil des différentes discussions, on peut être, tour à tour, président, maître du temps, discutant, observateur, synthétiseur, animateur. La DVDP a des exigences de sérieux et de rigueur dans la prise de parole, qui l'éloigne de la discussion de comptoir de café, et le cadre rassurant, à la fois ferme et souple qu'elle propose, permet à chaque élève de s'exprimer ou non et de participer à la construction d'une pensée collective qui ne passe pas nécessairement par des joutes oratoires et par une rhétorique bien huilée.
J'y ai recours régulièrement avec mes élèves, qui ont des troubles des fonctions cognitives, dans le dispositif Ulis où je suis enseignante coordinatrice. La dernière question discutée "Pensez-vous que tous les enfants soient égaux à l'école et devant l'école ?" a été mise en relation avec le concours des Ecrits pour de la fraternité de la Ligue des droits de l'Homme qui cette porte année sur la question de l'égalité déclinée ainsi : "L'égalité mes frères / N'existe que dans les rêves / Mais je n'abdique pas pour autant"3.
Voici la synthèse réalisée de cette DVDP :
"Pour répondre à cette question, un exemple est d'abord donné : celui du moyen de transport pour se rendre à l'école. Certains enfants et certains adolescents en situation de handicap qui ne sont pas autonomes et qui habitent loin de l'école peuvent bénéficier d'un taxi. Ils peuvent aussi bénéficier d'un dispositif d'aide comme le dispositif Ulis (Unité localisée pour l'inclusion scolaire), d'un ou d'une AESH (Accompagnant d'élèves en situation de handicap) qui leur permettent d'avoir des chances égales de réussir à l'école. C'est le principe d'équité. Mais certains pensent que ces dispositifs d'aide mettent les enfants à l'écart des autres élèves qui ne les considèrent pas bien. Ils aimeraient sortir de l'Ulis et se retrouver dans une classe ordinaire sans dispositif d'aide."
A l'issue de cette synthèse et pour aller plus loin dans la réflexion, j'ai proposé ces quatre schémas à mes dix élèves et je leur ai demandé dans lequel il ou elle se retrouvait le plus :
Chaque élève a coché d'emblée le schéma 4, celui de l' "inclusion". Après une nouvelle discussion, on a fini par considérer que l'inclusion était un rêve et que l'exclusion, la ségrégation, l'intégration existaient encore dans l'Ecole de la République, si on examinait attentivement les situations particulières de chacun.e d'entre eux.
Ca sert aussi à ça les DVDP : penser avec les autres en confrontant les principes de l'école au réel !
III) Témoignages d'élèves de la classe d'Alexandra Ibanes, en CM2 à Narbonne
Mila : Si je n'ai pas aimé tous les débats philos, j'ai adoré en faire car on apprend plein de choses des autres.
Merlin : La philo ça sert à mieux comprendre dans le monde dans lequel on vit. J'adore ça.
Mathias : On peut exprimer ce qu'on ressent et les autres peuvent comprendre ce qu'on pense.
Lise : Les débats philo me libèrent de tous mes mauvais sentiments. J'ai appris que tout le monde ne pense pas comme moi et qu'on peut donc avoir des avis différents.
Léopold : J'ai découvert des choses qu'on n'apprend pas forcément en classe et j'ai aimé. On a tous des idées différentes.
Juliette : En trois mots, c'est très enrichissant. J'ai aimé apprendre de nouvelles choses continuellement, je suis heureuse.
Alexandre : La philo m'a appris à mieux comprendre la tolérance et le respect des autres.
Anissa : On apprend énormément lors des débats. Pour la tolérance par exemple, j'en ai appris davantage que sur un cours "Qu'est-ce que la tolérance ?". Au début, je me posais plein de questions sur les débats et au fur et à mesure, j'ai apprécié de plus en plus car on peut dire ce que l'on pense et avoir des réponses en retour. C'est important.
Lily Marie : C'est bien que chacun donne son avis sans que les autres se moquent. On apprend beaucoup. Je n'aime pas trop dire ce que je pense, car j'ai souvent peur de l'avis des autres. Là, on peut oser parler devant la classe.
Tasnîm : J'ai beaucoup aimé et j'ai trouvé ça amusant. On peut dire ce qu'on pense et on apprend des choses sur les autres élèves, ça apporte de la joie et de la tristesse.
Raphaël : Même si je ne participais pas tout le temps, j'ai appris à écouter tout le monde. Ça m'a beaucoup apporté.
Nina : Les débats m'ont permis de voir les opinions des autres et leurs ressentis sur différents sujets. Pour moi, c'est important de savoir ce que pensent les autres, ça apporte aussi de nouvelles choses à la classe. On apprend à mieux se connaître.
Rebecca : En apprenant des autres, j'ai appris sur moi, c'était super. J'ai vraiment tout adoré !
Lucas : ça m'a apporté de la culture et de la curiosité. J'ai adoré car chacun à le droit de s'exprimer, c'est super enrichissant.
Maya : J'aime bien les débats, j'ai appris à participer même si c'est dur.
Kaïs : Les débats philos m'ont fait comprendre beaucoup de choses de la vie.
Lucie : J'ai aimé ces débats où on peut s'exprimer librement et débattre sans être jugé.
Jade : La philo ça sert à s'exprimer, à s'écouter et à apprendre.
Iris : On respecte l'opinion des autres sans juger. C'est aussi un moyen de se cultiver en groupe en apprenant des uns et des autres. On apprend la tolérance, à rebondir sur ce que disent les autres en se respectant. J'aime beaucoup ce moment où ceux qui veulent ont leur mot à dire.
Victoire : ça m'a enrichie et j'ai aimé dire ce que je pense sans mentir, en donnant mon avis.
Charlotte : On va très loin sur les sujets et j'ai adoré participé en dessinant.
Océane : J'ai appris qu'on peut avoir des avis différents, ne pas être d'accord et se compléter. J'ai aimé donné mon avis sur certains sujets.
Léni : Grâce à la philo, j'ai appris à respecter les autres et avec un sujet comme l'art, j'ai compris ce que c'était.
Margaux : On a des avis différents et grâce aux questions, on apprend à réfléchir et à écouter tous les avis.
Adam : J'ai aimé faire des dessins lors des débats philos et à écouter les autres.
Zoé : J'adore les débats philo, car on peut s'exprimer, parler et dessiner nos pensées.
Meyli : J'ai appris beaucoup de choses, mais surtout j'ai écouté les autres et je m'en suis servie pour comparer mes réponses aux leurs. Je prenais souvent la parole et donc je devais bien comprendre et écouter tout ce qui se disait. J'adore les débats philo.
(1) Michel Tozzi est professeur de philosophie émérite en sciences de l'éducation à l'Université Paul Valéry de Montpellier. Il est militant au SGEN de 1972 et a été permanent à la CFDT Languedoc Roussillon de 1976 à 1995. Il a écrit notamment écrit Militer autrement paru en 1985 aux éditions la Chronique sociale (Lyon).
(2) Pour en savoir plus sur la discussion à visée démocratique et philosophique voir le site de Michel Tozzi : http://www.philotozzi.com/2011/03/439/
(3) Voir le site de la Ligue des droits de l'Homme : https://www.ldh-france.org/sujet/concours-ecrits-pour-la-fraternite/