Revue

Bénin, Burkina Faso et Cameroun : La philosophie dès la classe de seconde dans trois pays d'Afrique

Résumé

L'enseignement de la philosophie connaît aujourd'hui des rénovations considérables, aussi bien du point de vue curriculaire que de celui de ses pratiques en classe. L'une des grandes mutations dans le secondaire est son enseignement dès la classe de seconde, dans les pays africains qui s'y mettent, tel que le Bénin, le Burkina Faso et le Cameroun. Le problème est de déterminer le cadre épistémologique qui fonde cette pratique nouvelle. Cet article a pour objectif d'une part de préciser ce qu'on entend par nouvelles pratiques philosophiques (NPP), d'autre part de parcourir quelques programmes de philosophie en seconde pour en évaluer la pertinence, et enfin de mettre en exergue le processus enseignement-apprentissage de cette discipline dans le sillage des NPP (Nouvelles Pratiques Philosophiques). Nous conviendrons dès lors que certains pays africains sont progressivement en train de s'arrimer aux nouvelles pratiques philosophiques, même si cela n'est encore qu'au stade embryonnaire.

Mots clés : Nouvelles pratiques philosophiques, philosophie en seconde, situations de vie, situation-problème.

Introduction

L'enseignement de la philosophie aujourd'hui a pris une tournure bien différente de celle qu'elle avait hier. Si la philosophie était réservée uniquement aux classes de terminale, cela n'est plus le cas aujourd'hui. On remarque que la philosophie s'enseigne déjà dès la maternelle ou l'école élémentaire, pour les Etats les plus avancés en la matière, comme les USA, le Brésil, le Québec, la Belgique, la France etc. Il s'agit là d'une perspective novatrice dénommée "Nouvelles Pratiques Philosophiques" (NPP). D'ailleurs, ces pratiques débordent largement le cadre de l'école, pour concerner même les apprenants non scolarisés, les jeunes en difficulté, les adultes ; bref le public ciblé est de plus en plus étendu. C'est justement dans le cadre de cette extension de la population concernée par l'enseignement de la philosophie, et surtout compte tenu de l'importance de la philosophie pour tout homme sans distinction, que certains Etats africains ont rénové leurs programmes scolaires en insérant la philosophie dès la classe de seconde. Il est question pour nous d'analyser la pertinence d'une telle initiative, et aussi de la mettre en rapport avec la rénovation plus globale que connaît l'enseignement-apprentissage de la philosophie dans certains pays occidentaux sous le nom de "nouvelles pratiques philosophiques".

I) Les nouvelles pratiques philosophiques

Les nouvelles pratiques philosophiques font référence à la philosophie telle qu'elle se se pratique depuis quelques temps dans certains pays, loin de la philosophie classique souvent réservée à une certaine tranche d'âge, à des initiés et avec des méthodes orthodoxes avérées. Il s'agit de pratiquer la philosophie avec n'importe qui, n'importe où et partant de n'importe quoi, avec des méthodes diversifiées.

- Avec n'importe qui implique que la philosophie se pratique désormais avec les enfants, les adultes, les jeunes scolarisés (à tous les niveaux y compris la maternelle) ou non, ceux qui sont en situation difficile, irrégulière et même en prison. Bref il s'agit de mettre à profit la réflexion philosophique pour toutes les tranches d'âges , dans l'objectif de la résolution des problèmes quotidiens des hommes : "Les jeunes devraient philosopher et les vieux ne devraient jamais cesser de philosopher" disait déjà Epicure dans l'Antiquité.

- N'importe où implique que le lieu de cette pratique importe peu. Elle peut se pratiquer à l'école comme il est de coutume, avec la particularité d'y associer les classes ou niveaux les plus bas possibles, maternelle y comprise ; elle peut aussi se faire "dans les cafés-philo, au sein des entreprises, en milieu carcéral..." (Claire de Chessé 2009).

- Partant de n'importe quoi suppose la diversification des méthodes d'enseignement-apprentissage de la philosophie. Cependant, il existe au moins quatre méthodes de références sur lesquelles s'appuient les nouvelles pratiques philosophiques :

  1. La méthode de M. Lipman est historiquement la première. Celle-ci, par des romans spécialisés, favorise chez l'apprenant et l'enfant en particulier une pensée à la fois critique, créative et attentive. Elle s'appuie sur la mise en scène des questions existentielles ou sociales de la vie des enfants, qui les concernent. Elle repose "pédagogiquement sur les méthodes actives (J. Dewey), psychologiquement sur le développement de l'enfant (J. Piaget), philosophiquement sur les problématiques classiques du patrimoine réflexif occidental (exemples : la logique aristotélicienne, le cogito cartésien...)" (Tozzi, 2004).
  2. La méthode de M. Tozzi. Elle est basée initialement sur la "discussion à visée philosophique (DVP)" et par la suite cette base s'affine et se précise en termes de "discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP)", qui favorise le débat et l'écoute attentive de l'autre, l'apprentissage de la discussion dans l'espace public, avec la nécessité d'un cadre pour réglementer la parole et travailler l'écoute et le respect de la différence. Cela favorise aussi le développement des capacités de problématisation, de conceptualisation et d'argumentation.
  3. La méthode Agsas-Lévine. Elle favorise la libre expression de la pensée sans reprise corrective, utilisée en particulier pour des enfants en grande difficulté. Il est question pour l'enseignant de rester le plus silencieux possible, de façon à ce que chaque enfant ressente la motivation, la confiance en sa capacité de réfléchir. De ce point de vue, les ateliers sont organisés de manière à offrir à chaque enfant une façon d'être ensemble qui est différente de celle qu'il a dans une relation maître-élève ou enfant-adulte. Cette méthode a également la particularité d'autoriser l'enfant à oser se servir de son entendement "a` oser penser - a` tout âge - et a` relever le défi d'entrer dans l'espace des énigmes de la vie. Elle met en avant des enjeux fondamentaux qui nécessitent des efforts pour construire, naturellement, dans les interactions au sein du groupe, une pensée personnelle et autonome" (Tozzi, 2015).
  4. La méthode Brénifier, d'inspiration socratique, qui vise la cohérence et la précision du propos dans une expression concise et rigoureuse.
    Il s'agit d'une véritable promotion de la philosophie en tant qu'outil pédagogique pour ce qui est du milieu scolaire, mais aussi en tant que pratique quant à la société en général. Ce qui implique l'animation de discussions et ateliers philosophiques dans divers espaces comme les médiathèques, les centres culturels, les prisons, les établissements scolaires etc. et la formation des enseignants et animateurs à cette pratique.

Tout ceci démontre à suffisance que l'enseignement de la philosophie aujourd'hui est toute différente de celle qu'elle était hier, surtout en termes de pratiques et de méthodes didactiques, de publics cibles et même d'espaces dédiés à cela. C'est peut-être ce qui a conduit les pays africains sus mentionnés à intégrer dans leur programme l'enseignement de la philosophie dès la classe de seconde, et nous osons croire que cette réforme ira encore plus loin, dans le sillage des nouvelles pratiques philosophiques.

II) La pertinence des programmes de philosophie en classe de seconde

L'enseignement de la philosophie est effectif dès la classe de seconde, dans les pays africains tel que le Burkina Faso, le Bénin et le Cameroun.

1) Le Burkina Faso

Le Burkina Faso est engagé depuis au moins une décennie dans une réflexion profonde sur l'adaptation de l'école à son contexte. Ce qui n'était pas le cas jusque-là, dans la mesure où l'école était calquée sur le modèle occidental en général et français en particulier, cette dernière étant son ancienne colonisatrice. C'est donc dans la perspective de cette grande réforme du système scolaire que le Burkina Faso va se doter dès la rentrée scolaire 2010-2011 d'un nouveau programme de philosophie. "Cette version rénovée, outre le regroupement des notions qu'elle a permis, décide d'un enseignement "précoce" de la philosophie" (Zongo, 2012). La philosophie sera étendue à la classe de seconde, embrassant désormais tout le second cycle.

Le programme d'enseignement de la philosophie en seconde est essentiellement axé sur l'histoire de la philosophie. Il est question d'initier les jeunes adolescents dès ce niveau aux grandes pensées de façon à leur permettre par la suite de penser par eux-mêmes. Il s'agit de partir d'un enseignement des pensées pour aboutir à un enseignement à penser. Au sens ou Martial Guéroult pensait que l'esprit philosophique ne saurait se former que par le contact avec les philosophes, signifiant par-là que sans prérequis, aucune compétence ne peut être développée en philosophie. Autrement dit, que "la philosophie" précède "le philosopher" ou encore que pour mieux philosopher, il faut nécessairement connaître l'histoire de la philosophie.

La philosophie dans ce sillage se présente comme la discipline capable de fournir aux apprenants les ressources nécessaires pour leur émancipation, le développement de leur sagesse, l'acquisition des règles et principes raisonnables de vie, bref de permettre de mener une "existence plus riche et plus pacifiée, plus significative et plus harmonieuse. (Robert Misrahi, 1997). C'est ce qui consacre en quelque sorte la pertinence d'une telle initiative en termes de finalité.

2) Le Bénin

Au Bénin les dispositions relatives à l'enseignement de la philosophie et leur mise en application dans le secondaire datent de 2009. L'intuition est la même, il est question d'initier les adolescents à la philosophie le plus tôt possible. Cela devrait leur éviter de n'avoir cette discipline qu'en classe de baccalauréat, et de profiter des bienfaits de cette discipline le plus longtemps possible avant l'entrée à l'université ou dans la vie active. Ce programme s'inscrit dans la logique de la nouvelle vision de la mission de l'Ecole telle que définie depuis 1990 lors des assises des Etats généraux de l'Education, qui mentionnent : "Il nous faut créer au Bénin une élite courageuse et dynamique, intellectuellement armée pour affronter les problèmes immenses de cette fin du XXe siècle, capable de proposer des modèles et d'incarner des exemples, capable d'exercer sur toute la population et en particulier sur les plus jeunes, un effet d'entraînement qui les porte vers l'avant, individuellement et collectivement. Il faut encourager l'effort, développer la créativité, promouvoir l'invention" (Actes... p.15).

Lorsqu'on analyse ce programme, on se rend compte qu'il est axé sur trois grands moments, en occurrence les orientations générales, les compétences et les situations d'apprentissages. Les orientations générales sont axées d'abord sur la détermination des valeurs. Il s'agit des valeurs intellectuelles, sociales, culturelles, morales, brefs humaines nécessaires à une meilleure insertion socio-professionnelle ainsi qu'à l'harmonie des rapports interpersonnels. La philosophie étant à la fois un discours et une éducation aux valeurs, celle-ci est reconnue comme capable de développer les valeurs suscitées chez les apprenants. Ces orientations s'appuient ensuite sur le fait que l'homme est le centre d'intérêt de la philosophie, et son enseignement est basé sur divers ordres, psychologique, social et économique, didactique et épistémologique. Enfin, ces orientations prônent des démarches d'enseignement-apprentissage, qui placent l'apprenant au centre du processus, et la critique comme méthode par excellence. De ce point de vue, le cours magistral au sens du "magister dixit" est mis à l'écart au profit d'une construction, mieux d'une co-construction du cours avec la participation active des apprenants. On comprend par là qu'il ne s'agit pas de se limiter à l'histoire de la philosophie, mais de permettre le déploiement du "philosopher" (Tozzi, 1993) chez les apprenants, ce qui nécessite une élaboration particulière des contenus didactiques nécessitant des compétences multiples et multiformes : c'est l'approche par compétences en philosophie.

Les compétences visées par ce programme sont aussi bien transversales, disciplinaires que transdisciplinaires. Du point de vue transversal, il est question de favoriser chez les apprenants des savoir-faire et surtout des savoir-être dont l'exploitation des informations disponibles et une meilleure communication, la résolution de situations-problèmes et l'exercice de la pensée critique et créatrice, la gestion de ses apprentissages et le travail en coopération en plus du sens de l'éthique... Les compétences disciplinaires visent l'appropriation par les apprenants de l'esprit philosophique, avec les attitudes que cela implique, d'où la production d'oeuvres conformes à cet esprit philosophique préalablement acquis, l'action se situant dans l'universalité en termes de citoyen du monde. Les compétences transdisciplinaires enfin sont basées sur le fait que la philosophie s'intéresse au réel dans sa totalité et pose que les apprenants à la suite des cours de philosophie devraient pouvoir être capables d'affirmer leur identité personnelle et culturelle au-delà de l'évolution constante du monde ; d'orienter leurs actions, leurs pratiques et leurs attitudes vers les valeurs spirituelles cardinales que sont le bien, la justice, la vertu, le beau...

Le troisième axe de l'enseignement de la philosophie en seconde au Bénin porte sur les situations d'apprentissage. Lesquelles précisent davantage ce qu'on est en droit d'enseigner en termes de contenus didactiques, de façon à déployer les valeurs et les fondements, aussi bien que les compétences mentionnées plus haut. Il est question de deux situations d'apprentissage dont la première est intitulée "Du mythe à la philosophie ou l'éveil de la philosophie". Cette situation dont les éléments de planification sont mentionnés dans le programme est une sorte d'initiation à la philosophie, partant de l'histoire ou plus précisément de son origine intellectuelle. De ce point de vue, en amenant les apprenant à comprendre comment à l'origine on est passé du mythe à la philosophie, on veut du même coup leur permettre de passer de leur façon de penser, de leur attitude dans le raisonnement et la résolution des problèmes quotidiens, de leur manière de gérer les informations et de rechercher les explications des phénomènes environnants, à l'utilisation de l'esprit critique philosophique dans toutes ces pratiques. La deuxième situation d'apprentissage est une "Introduction aux droits de l'homme". Il est question de tabler sur la dignité de la personne humaine, en invitant les apprenants à connaître, comprendre le bien fondé et surtout à revendiquer au besoin les droits qui leur sont dûs en tant que citoyen d'un Etat, d'une société, du monde, mais surtout en tant qu'être humain. Il s'agit dans une certaine mesure de mettre en rapport philosophie et citoyenneté.

3) Le Cameroun

Le Cameroun est le dernier en date à s'être arrimé à la réforme visant l'enseignement-apprentissage de la philosophie dès la classe de seconde. Dans ce pays, la note a été rendue publique en août 2018 (Arrété N° 226/18) pour son application dès la rentrée scolaire 2018-2019 dans tous les établissements d'enseignement secondaire général. Le texte de loi promulgué à cet effet précise à la fois le mobile et l'orientation de cette initiative réformatrice. Il s'agit pour le gouvernement du Cameroun de l'aboutissement d'une réflexion profonde aux fins de réformer le système éducatif, ayant conduit à la mise en oeuvre de nouveaux programmes du premier et du second cycle. Cette réforme est entreprise depuis plus d'une vingtaine d'année, en vue d'arrimer le système éducatif aux standards internationaux, tout en mettant à la disposition des camerounais les outils nécessaires pour leur insertion sociale, et aussi en vue d'améliorer quantitativement et qualitativement l'éducation proposée aux jeunes camerounais, fondé sur l'Approche par Compétences (APC).

De ce point de vue, les programmes des classes de seconde dans lesquels sont désormais inclus l'enseignement de la philosophie, répondent à un certain nombre d'impératifs soulignés en ces termes : "Poursuivre les enseignements selon l'Approche Par les Compétences, avec le souci de continuer à offrir à un maximum de jeunes Camerounais une formation de qualité ; participer activement à l'ouverture des jeunes du secondaire à la citoyenneté mondiale, aux nouvelles technologies, à l'insertion sociale et à la possibilité de poursuivre, plus tard, des études supérieures.". Il est donc désormais question de l'enseignement de toutes les disciplines selon l'APC, y compris l'enseignement de la philosophie. Ce qui n'est pas sans impact majeur sur les méthodes d'enseignement de cette discipline, qu'il s'agit désormais de réformer, dans la mesure où elles étaient fondées, pour les classes de terminale, sur la Pédagogique Par Objectifs (PPO).

En ce qui concerne la présentation du programme de philosophie en seconde, il faut noter que celui-ci repose sur l'idée selon laquelle la philosophie serait une discipline intellectuelle qui forme à l'esprit critique et au bon usage de la raison, en vue d'une amélioration véritable des conditions de vie des hommes, c'est-à-dire au-delà des vicissitudes existentielles qu'elle se charge de surmonter. C'est ce qui justifie la mise en exergue dans ce programme de la pertinence du rapport de la philosophie avec ce niveau curriculaire, où les apprenants sont des adolescents pour la plupart ; mais aussi la contribution de ce programme de philosophie dans le processus d'apprentissage et les domaines ou cadres de vie des adolescents.

Du point de vue curriculaire, la philosophie à ce niveau concerne l'adolescence, qui est un stade de développement de l'enfant délicat. Âge où l'enfant sort peu à peu de l'anonymat et s'intéresse davantage aux questions essentielles de la vie, notamment celles liées à l'existence humaine, aux normes de conduites en termes de relations interpersonnelles, à la finalité des connaissances et des apprentissages en général.

Pour ce qui est du domaine d'apprentissage, le programme permet à ces jeunes adolescents de mieux organiser leur pensée en vue d'une action réfléchie et orientée vers le bien. Autrement dit, cela leur permettra de bien penser pour mieux agir, mais aussi de pouvoir questionner les fondements, les enjeux, les perspectives et la valeur des connaissances acquises dans d'autres domaines d'apprentissage, étant entendu que la philosophie est la mère des sciences. D'où le déploiement de l'esprit critique, de la faculté de jugement et de la culture philosophique.

Les domaines de vie concernés par ce programme sont également déterminés. Il s'agit notamment de la vie familiale et sociale, mais aussi des médias et de la communication. La pertinence de cette réforme à ce niveau est fondée sur son ambition de transformer qualitativement le jeune adolescent dans son être et sa mentalité, de l'humaniser davantage, dans la perspective d'une intégration sociale réussie, via une communication saine et un dialogue constructif avec les autres, gage du savoir-vivre-ensemble.

Par ailleurs, lorsqu'on s'intéresse à la philosophie du point de vue de son épistémologie ou son origine en tant que science, on se rend compte qu'elle est entreprise initialement dans le but de résoudre les problèmes concrets des hommes. Il faut dire qu'avec le temps, la philosophie s'est tellement intellectualisée qu'elle s'est quelque peu éloignée de cet épistémologie en se limitant souvent au "savoir pour connaitre et connaitre pour savoir" dont parlait Aristote. Il s'agit donc de revenir à une philosophie pratique, laquelle est suggérée par les préoccupations concrètes des hommes, au sens où "L'initiative philosophique est indissociable des préoccupations pratiques" (Njoh Mouelle, 1998). Une telle initiative ne peut alors se déployer que dans la mesure où l'enseignement de la philosophie se rapporte au contexte dans lequel il est mis en branle. Les pratiques de classe se trouvent modelées à cet effet, nécessitant à chaque fois de partir des situations de vie concrètes, auxquelles il convient désormais de s'intéresser.

III) Les pratiques de classes dans la perspective des NPP

La réforme préalablement mentionnée au sujet de l'enseignement de la philosophie dès la seconde, dont la pertinence a été relevée, est à saluer par sa nature à la fois pratique et pragmatique. En effet, il n'est pas question d'enseigner aux adolescents une "philosophie purement philosophique", nous entendons par-là une philosophie dont l'essentiel tourne autour de la profondeur conceptuelle et d'un style linguistique de raisonnement particulier, au sens ou philosopher serait savoir ce que parler veut dire. Bien au-delà, les pratiques liées à l'enseignement de la philosophie dans les classes de seconde ont pour finalité de ramener le langage conceptuel philosophique au niveau de l'adolescent, en plus de son utilité dans le cadre de la résolution des problèmes concrets auxquels il fait face au quotidien. Il s'agit d'un véritable pragmatisme à la Williams James, développer une philosophie efficace dans la résolution des problèmes. C'est ce à quoi faisait référence Karl Marx lorsqu'il affirmait que "Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de diverses manières, il s'agit maintenant de le transformer." (Marx, 1979).

L'enseignement de la philosophie dès la classe de seconde s'inscrit ainsi dans la perspective des nouvelles pratiques philosophiques. Ce qui se justifie à travers les modalités concernées, dont il convient d'évoquer quelques-unes. Nous nous attarderons sur la pratique au Cameroun, qui est la plus récente.

Pour la classe de seconde qui nous intéresse particulièrement, le programme couvre des familles de situations précises relevant des domaines de vie ciblés. Nous avons donc les familles de situation que sont "l'esprit critique" et "le jugement" concernant les domaines de la "vie familiale et sociale", puis "la culture philosophique" se rapportant aux "médias et communication". La mise en oeuvre de ces paramètres se décline en trois modules dont "la philosophie", "la logique" et "la méthodologie". Ceux-ci sont en fait des préalables sans lesquels l'adolescent ne saurait accéder à la philosophie ou mieux ne saurait philosopher. Chaque module est orienté par une finalité à la fois théorique et pratique. Le premier vise à amener l'apprenant à s'approprier l'esprit critique et scientifique, ce qui devrait contribuer à créer entre les individus des rapports fondés sur la raison et l'objectivité. Le second veut amener l'apprenant à maîtriser les règles et les principes élémentaires du raisonnement logique, pour placer la logique au coeur des rapports sociaux et familiaux pour les rendre harmonieux. Le troisième est orienté de façon à familiariser l'apprenant avec la pensée et les stratégies discursives des grands auteurs, d'où la contribution à une lecture pertinente des messages en circulation dans l'univers des médias et de la communication.

On peut donc clairement apprécier, à travers ces modalités, la transposition de la philosophie dans le quotidien des adolescents, lesquels pourront à terme se servir de la philosophie pour surmonter certaines vicissitudes existentielles liées à leur environnement. Il est surtout question d'une véritable approche par compétence en philosophie, condition de réalisation des nouvelles pratiques philosophiques. C'est justement dans cette perspective que du point de vue des pratiques de classes, il est recommandé aux enseignants de toujours introduire leurs leçons en partant des exemples de situations et d'actions tirées du vécu, de la vie concrète. Ce sont des situations-problèmes auxquelles on doit proposer des exemples d'action afin de résoudre le problème soulevé dans la situation. Cette exigence une fois réalisée permet également de coconstruire (c'est-à-dire l'enseignant avec les apprenants) et formuler la justification de chaque leçon. C'est cette dernière qui stimulera les apprenants et leur motivation.

À titre illustratif, relevons quelques exemples de formulation de la justification des leçons ci-après :

1) Leçon : le rôle du philosophe dans la cité

Construction de la justification : vous constatez que dans la société actuelle, les gens, à cause de la quête effrénée d'un matérialisme exacerbé, affichent un mépris pour les disciplines théoriques comme la philosophie qui prône des valeurs spirituelles, préférent plutôt les domaines permettant d'acquérir le pouvoir, l'argent et autres biens matériels. Vous êtes convié à revaloriser le rôle du philosophe dans la cité en tant qu'un modèle de la vertu.

Formulation de la justification : cette leçon doit vous permette de cultiver l'éthique et les valeurs philosophiques pour vivre en sage et en bon citoyen, condition d'un développement social humaniste.

2) Leçon : la philosophie antique : thématiques et problématiques

Construction de la justification : la société aujourd'hui regorge des philosophes d'un nouveau genre en termes de thématiques et de problématiques. Ils ne sont donc pas intéressés par les mêmes raisonnements que par le passé. Il vous revient de repenser la philosophie dans son historicité et notamment dans l'Antiquité.

Formulation de la justification : cette leçon doit vous permette de cultiver du point de vue philosophique l'historicité et la scientificité pour mieux analyser et comprendre le passé afin de bien vivre le présent et même d'anticiper le futur dans la perspective du bien-être et du mieux-vivre-ensemble.

3) Leçon : définition et importance de la logique

Construction de la justification : vous vous rendez compte qu'autour de vous, les gens commettent beaucoup d'erreurs et d'ambiguïtés dans les raisonnements à travers des discours contradictoires et parfois vide de sens, ce qui rend la compréhension mutuelle difficile. Vous êtes urgemment interpelé à penser la revalorisation de l'importance de la logique dans la société en tant que condition du bon usage de la raison.

Formulation de la justification : cette leçon doit vous permettre de comprendre la valeur de la logique pour favoriser son emploi dans vos discours quotidiens aussi bien en famille qu'en société.

L'enjeu à ce niveau réside non seulement dans l'utilisation concrète de l'esprit philosophique et de ses autres caractéristiques pour résoudre les problèmes quotidiens réels, mais aussi de développer chez l'apprenant de véritables compétences, des capacités de mobilisation des ressources nécessaires pour surmonter les difficultés qui se posent à lui dans son environnement. C'est aussi la raison pour laquelle la fiche pédagogique dans laquelle l'enseignant prépare sa leçon et avec laquelle il se sert pour la dérouler en classe, doit intégrer des éléments sur les ressources internes (savoirs, savoir-faire et savoir-être) et externes (supports didactiques), avec des séquences didactiques, des activités d'enseignement et d'apprentissage, de l'évaluation formative et du timing réservé à chaque séquence.

Conclusion

En somme, il convient de retenir que l'enseignement de la philosophie connaît une véritable réforme qui ne laisse pas indifférents les praticiens. L'instauration de la philosophie dès la classe de seconde, mais surtout les modalités, méthodes et techniques recommandées le prouvent. Encore faut-il que des spécialistes s'en emparent, afin de toucher le plus grand nombre, car la didactique de la philosophie n'est pas très courrue par les penseurs sur notre continent (Kalla, 2018). Cependant on peut saluer l'initiative qui fait désormais de la philosophie une activité mise à la disposition d'un plus large public, et dont la pertinence des programmes proposés pour la classe de seconde dans les pays mentionnés n'est plus à démontrer. Il faut désormais se mettre à l'école des nouvelles pratiques philosophiques (NPP), qui se situent dans la perspective de l'UNESCO qui en fait la promotion.

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