Revue

Etre normal, ça veut dire quoi ?

L'atelier-démonstration que j'ai animé jeudi 15 novembre 2018 à l'Unesco a été mené avec une classe de 29 enfants de CM2 (10 ans) qui n'avaient jamais pratiqué la philosophie à l'école. Le thème était : Être normal, ça veut dire quoi ?

Pendant l'atelier, j'ai suivi l'approche holistique1, qui combine la pratique artistique avec la pratique philosophique. En réalité l'art est utilisé ici comme moyen d'exploration conceptuelle, dans la mesure où il permet de travailler sur des compétences multiples : définir une notion, faire des distinctions conceptuelles, dégager une problématique, donner un argument… Donc, la pratique artistique se révèle ici philosophique au même titre que la discussion.

La méthode holistique a permis de faire émerger, à partir d'une pratique artistique de dessin, un questionnement autour de la notion de "normalité".

Les remarques et les questions posées par les enfants ont donc été utilisées non pas pour choisir le thème, comme le recommande par exemple la méthode Lipman, mais pour problématiser le thème proposé et enclencher une discussion. Contrairement à Lipman aussi, la pratique artistique a remplacé la lecture partagée dans le déroulement de l'atelier, même si notre démarche demeure fortement inspirée par le père fondateur de la Philosophy for Children.

En général, voici les différentes étapes d'un atelier complet selon la méthode holistique :

  • Pratique artistique.
  • Cueillette de questions et analyse de ces dernières.
  • Discussion pour le choix de la question ;
  • ou bien vote ou tirage au sort de la question (s'il n'y a pas accord entre les enfants sur une même question).
  • Discussion de la question choisie.

Evidemment, les questions qui n'ont pas été choisies peuvent être gardées et abordées lors de séances ultérieures.

Dans le cadre de l'atelier mené à l'Unesco, nous avons réalisé les deux premières étapes.

En voici le déroulement un peu plus en détail :

Pratique artistique : dessin

La question de la "normalité" a été conceptualisée et problématisée à partir d'une pratique de dessin (2 temps) :

Temps 1. Anormal (5 minutes)

Après avoir plié une feuille A3 en deux, les participants ont été invités à dessiner sur la moitié de gauche quelque chose d' "anormal" et à penser à un argument pour justifier leur choix.

Nous avons travaillé ici donc sur la compétence de conceptualisation (les enfants ont représenté le concept d' "anormal", ils ont essayé de le cerner par le dessin) et d'argumentation (ils ont dû trouver un argument qui liait le concept au dessin).

Ils avaient à disposition des feutres, des crayons ou des stylos.

Temps 2. Normal (5 minutes)

Sur la moitié de droite, les participants ont été invités à transformer le dessin réalisé précédemment en quelque chose de "normal" et à penser à un argument pour justifier leur choix.

Nous avons travaillé ici sur la compétence de conceptualisation (les enfants ont représenté le concept de "normal", ils ont essayé de le cerner par le dessin) et d'argumentation (ils ont dû trouver un argument qui liait le concept au dessin).

Ils avaient toujours à disposition des feutres, des crayons ou des stylos.

Cueillette de questions et analyse de ces dernières

Ensuite, les participants ont été invités à tour de rôle à décrire leurs deux dessins, à justifier leur démarche et, accompagnés par l'intervenante, à trouver la problématique (sous forme de question) qui lie les deux dessins : "anormal" et "normal".

Il s'agissait donc ici de travailler l'argumentation et la problématisation.

Au début, quand les enfants n'ont pas l'habitude de pratiquer la philosophie (comme c'était le cas), le rôle de l'intervenant est fondamental pour les accompagner, à partir de la comparaison entre les deux dessins, en les encourageant à formuler une question philosophique, le défi étant double : il s'agit d'identifier une bonne problématique et de le faire en termes philosophiques.

Voici quelques exemples concrets de réalisations :

Dessin de Simane

Anormal : les gens se moquent d'une fille qui a une jambe plâtrée.

Normal : les gens essaient d'aider une fille qui a une jambe plâtrée.

Question problématisante : Est-ce normal de se moquer de quelqu'un qui est différent ?

Dessin de Léo

Anormal : un ciel orange avec un soleil bleu

Normal : un ciel bleu avec un soleil orange

Question problématisante : Pourquoi une chose qui est normale dans l'imagination ne l'est pas dans la réalité ?

Dessin de Sarah

Anormal : un oiseau dans une cage

Normal : un oiseau en liberté

Question problématisante : Est-ce normal de priver les animaux de leur liberté ?

Dessin de Térence

Anormal : des morceaux de vélo accrochés au plafond avec un lampadaire et un distributeur de bonbons.

Normal : un vélo bien construit avec tous les morceaux à leur place.

Question problématisante : la normalité est-elle construite ?

A noter que j'ai proposé aux enfants de dessiner notamment pour des raisons logistiques (cette pratique est très facile à mettre en place), mais nous aurions pu tout aussi bien passer par la peinture, le modelage, l'expression corporelle…

Remerciements : un grand merci aux élèves de CM2a de l'école Béranger (Paris 3e) et à leur institutrice, Mme Fabienne Bouteleux, à l'équipe technique de l'Unesco et à tous les organisateurs qui ont su rendre ces trois journées extrêmement riches et intéressantes.


(1) Pour une définition plus détaillée de la méthode holistique : C. Pastorini, "Les petites Lumières, une découverte ludique du monde des idées", Diotime n° 72 (avril 2017).

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