En 2016, le Département de l'Instruction publique du Canton de Genève (DIP) décidait de financer 360 ateliers de dialogue philosophique pour des enfants âgés de 5 à 12 ans dans le cadre du projet "Vivre ensemble", en collaboration avec l'association proPhilo à Genève. Ce projet a été reconduit sur l'année scolaire 2017-2018.
I) L'association proPhilo
Active depuis 1999 en Suisse Romande, l'association proPhilo a pour objectifs de promouvoir, développer et soutenir la pratique du dialogue philosophique auprès d'un public étendu.
La mission de proPhilo couvre trois domaines d'activité :
- l'animation de dialogues philosophiques avec des enfants, dans des classes, des maisons de quartier ou encore des bibliothèques ;
- la formation à l'animation de dialogues philosophiques, ainsi que la formation à l'accompagnement d'animateurs ;
- l'accompagnement et le soutien des animateurs sur leurs lieux de pratique.
La pratique des animateurs de proPhilo s'inspire de la méthode développée par Mathew Lipman.
II) La pratique du dialogue philosophique à l'école primaire en Suisse Romande
Cette pratique à Genève est concomitante à la création de l'association proPhilo (1999). Dès sa fondation, celle-ci a compté parmi ses membres fondateurs une enseignante d'une école primaire privée du canton de Genève. Ainsi le dialogue philosophique s'est diffusé dans un premier temps auprès des écoles privées genevoises, si bien que l'Institut de Formation Pédagogique des enseignants des écoles privées du canton de Genève (IFP) propose des formations à l'animation depuis plus de 10 ans.
Dans les écoles primaires publiques, le dialogue philosophique a été introduit dès les années 2000 par des enseignant(e)s intéressé(e)s à cette modalité pédagogique. En 2010, le DIP du Canton de Genève a intégré une formation à l'animation dans son catalogue de formation continue à l'intention du corps enseignant.
Aujourd'hui, un grand nombre des écoles primaires privées genevoises proposent des ateliers philo à leurs élèves.
Pour ce qui est des écoles primaires publiques, cette pratique ne figure pas encore en tant que telle dans les cursus scolaires officiels. En revanche, elle répond à de nombreux objectifs du plan d'Etudes Romand en termes de Formation Générale, des domaines disciplinaires et des capacités transversales. Cependant, la pratique du dialogue philosophique fait régulièrement l'objet de projets d'école. C'est le cas pour les quatre établissements scolaires partenaires du projet financé par la Commission "Vivre ensemble" (Un établissement scolaire compte en général plusieurs écoles d'un même quartier).
III) L'origine du projet
La Commission "Vivre ensemble" du DIP du canton de Genève a pour vocation de soutenir des actions novatrices sortant de l'activité ordinaire des établissements scolaires, actions visant notamment le domaine de la promotion et du respect des droits humains, ou encore celui de la promotion de la citoyenneté. Les projets soutenus visent à renforcer certains aspects de l'enseignement et/ou la création d'un environnement favorable à l'étude. Ces projets sont initiés par les établissements scolaires avec le concours de partenaires externes.
En 2016, la commission a accédé à la demande de quatre établissements du primaire, dont un situé en réseau d'éducation prioritaire, à raison de 30 ateliers pour trois classes dans chacun des établissements.
Ce projet a été reconduit avec les mêmes établissements pour l'année scolaire 2017-2018.
IV) Un déploiement sur deux années scolaires
Sept animateurs-trices de proPhilo conduisent ces ateliers de dialogue philosophique. Les enseignants participent aux ateliers au même titre que leurs élèves. Les enseignants ont généralement opté pour un format de quinze ateliers hebdomadaires sur un semestre.
Les animateurs interviennent en général en binôme, l'un animant, l'autre observant et prenant note du déroulement de l'atelier. Cette modalité permet un retour réflexif à l'issue de chaque atelier. L'observateur de l'atelier est en charge de l'animation du suivant.
Le déroulement des ateliers s'inspire de la méthode proposée par M. Lipman :
- les élèves sont assis en cercle ;
- un texte ou un autre support leur est proposé ;
- ils formulent des questions qui sont notées au tableau ;
- une ou des questions sont choisies ;
- le dialogue est conduit par l'animateur ;
- un retour sur ce le contenu ou la forme de l'atelier clôt la séance.
V) Une première évaluation
A l'issue de l'année scolaire 2016-2017, les animateurs de proPhilo ont recueilli les réactions des élèves et des enseignants, afin d'améliorer la conduite des ateliers et de répondre à la demande de la Commission "Vivre ensemble" de disposer d'informations sur la satisfaction des partenaires du projet.
Les animateurs-trices de proPhilo se sont entretenus avec vingt enseignants des quatre établissements scolaires concernés. Les élèves ont également eu l'occasion de faire part de leur opinion sur ces ateliers. Bien que cette évaluation ait été conduite avec le plus d'objectivité possible, elle ne peut être qualifiée d'indépendante.
A) Tous les enseignant(e)s ont relevé l'apport positif de ces moments de dialogues philosophiques avec leur classe, notamment la capacité à prendre la parole, à s'écouter, à se respecter et à prendre en compte l'avis de l'autre.
Trois enseignants regrettent de n'avoir pu organiser ces ateliers sur une base hebdomadaire plutôt qu'une fois par quinzaine :
"Je trouve que c'est un bon moyen de donner la parole à l'enfant, de favoriser le dialogue et les discussions entre pairs, permettre aux élèves de se confronter dans des débats d'idées tout en respectant l'avis et les opinions des autres."
Les enseignants relèvent l'apport pour les élèves en termes d'estime de soi, d'écoute, de respect et de tolérance aux idées divergentes, d'argumentation, ou encore de sens critique :
"Cela permet à l'élève de structurer ses idées/développer sa pensée/ses réflexions, de prendre confiance en lui pour s'exprimer en public sans avoir honte/de développer sa curiosité, d'essayer de comprendre le monde qui nous entoure."
Les enseignants disent avoir apprécié la possibilité d'observer et d'écouter leurs élèves et initié une dynamique d'échanges offrant l'occasion de mieux les connaître. Plusieurs sont incités à laisser encore plus de place aux propos des élèves :
"Permet de plus prendre le temps. C'est un moment suspendu, on est vraiment avec les élèves. Permet aussi de mieux les connaître. On met une autre casquette et ça fait du bien."
Au terme de cette première année d'atelier, 70% des enseignants souhaitent poursuivre cette pratique avec leur classe. Plusieurs ne se sentent pas en mesure de le faire soit par faute de temps, soit parce qu'ils ne se sentent pas à l'aise avec la posture de l'animateur.
Dix-huit enseignants sur les vingt ayant répondu à notre questionnaire recommandent les ateliers de dialogue philosophique à leurs collègues :
"Absolument, c'est bénéfique pour l'enseignant et les élèves."
B) Les élèves sont en général satisfaits de ces ateliers, un moment durant lequel ils ont la parole et qui n'a pas d'enjeu de programme scolaire. Lorsque l'on demande aux élèves ce qu'ils ont appris, ou si ces ateliers leurs ont été utiles, les réponses sont plus nuancées. Pour 30% peu d'apprentissages et/ou d'utilité perçus. Parmi les apprentissages énumérés :
"A s'entraider à poser des questions"
"A discuter sans se crier dessus"
"A partager notre opinion"
"A s'écouter"
"A penser sur le même sujet"
"On apprend à mieux se connaitre"
"On devient plus intelligent quand on travaille en groupe"
"On apprend à collaborer"
"On apprend à parler devant tout le monde"
Parmi ce qui est apprécié, les élèves indiquent le fait de pouvoir dire ce qu'ils pensent sans s'exposer à un jugement, d'évoquer des thèmes de la vie, ou encore entendre l'avis des autres. Cependant plusieurs font état de la frustration de devoir attendre leur tour de parole ou de ne pas pouvoir terminer le thème traité.
VI) Quels effets ?
Bien que le projet soit encore en cours d'exercice, nous pouvons d'ores et déjà énoncer les premiers effets de cette expérience.
La directrice de l'un des établissements partenaire a organisé la formation à l'animation de dialogue philosophique de l'ensemble du corps enseignant de l'établissement, soit près de 35 personnes, ceci dans un but de poursuivre les ateliers à l'issue du projet. Cinq enseignants qui bénéficiaient des ateliers de dialogue philosophique l'an passé animent désormais seuls des ateliers, soit sur une base hebdomadaire, soit deux fois par mois.
VII) Quelle suite pour proPhilo ?
Afin de soutenir les efforts des enseignants et animateurs socioculturels qui se lancent dans la pratique d'animation de dialogue philosophique, l'association proPhilo souhaite poursuivre et renforcer la mise en place de formations, d'accompagnement et de moments d'échange de pratique.