Philo Narbonne est une manifestation annuelle de réflexion collective sur un thème philosophique, co-organisée avec la Médiathèque du Grand Narbonne.
Ont déjà été traités les thèmes suivants : quel rapport de l'homme à la nature ? (2012). Société de la communication et identité (2013). Histoire et mémoire (2014). Conviction et liberté d'expression (2015). Quel rôle peut jouer la philosophie dans la Cité ? (2016). 2017 avait pour thème "Prendre en considération l'animal". Sur la forme, les organisateurs empruntent aux nouvelles pratiques philosophiques : café philo, ateliers philo, ciné philo, et aussi à des formes plus classiques : conférence-débat, table ronde etc.
I) La problématique
A été abordée cette année (6e édition) la question de notre rapport à l'animal. Qu'est-ce qui a changé dans notre représentation ? Et comment penser philosophiquement ce rapport aujourd'hui? Notre problématique portait sur "la prise en considération de l'animal" : "L'animal en droit français n'est plus considéré comme une chose, un meuble, mais un "être doué de sensibilité". L'éthologie, étude du comportement animal, a par ailleurs réduit la distance entre l'homme et l'animal. Qu'est-ce que cela traduit et implique dans l'évolution de nos mentalités, dans la façon dont nous considérons l'animal de compagnie, l'animal domestiqué, l'animal sauvage, et dont nous devons les prendre davantage en considération ?". Et comment cette question de "l'éthique animale" est aujourd'hui prise en compte par les philosophes ?
Il s'agissait d'une approche non biologique (l'animal est un "être vivant capable de se déplacer, sans chlorophylle ni paroi cellulaire cellulosique, ni langage articulé"), ni historique (ex : les animaux momifiés en Egypte), ou sociologique (croyance au Moyen Âge selon laquelle le chat est un animal diabolique) ; mais philosophique, avec deux entrées spécifiques à la philosophie, ontologique et éthique.
II) Qu'est-ce qu'un animal ? Qu'est-ce qu'un homme ?
C'est le problème ontologique de la philosophie animale. Daniel Mercier animait un atelier sur : "Les hommes sont-ils des animaux comme les autres ?".
Cette formule volontiers provocatrice correspond cependant à un credo largement partagé, qui trouve sa légitimité dans une approche scientifique dominante aujourd'hui, celle de ce que philosophiquement on peut appeler le courant naturaliste (sciences biologiques, éthologie) : après avoir longtemps considéré l'homme comme une "exception" dans le règne naturel, il devient "un animal comme un autre", et les anciennes frontières qui étaient censées le séparer des autres animaux ont tendance à se brouiller sous l'effet des nouvelles découvertes concernant les animaux (présence d'une culture, apprentissage, transmission, langage, sentiments moraux... etc.). Schématiquement, nous sommes en présence de deux figures de l'humanité : la première, celle d'Aristote, est celle de "l'animal rationnel" : les hommes dans l'Antiquité sont définis par deux grandes oppositions. Au-dessus d'eux, il y avait les dieux ; au-dessous il y avait les animaux. Ce que les hommes avaient en commun avec les uns, les opposait aux autres : ils partageaient avec les dieux le fait d'être des êtres vivants rationnels (contrairement aux animaux), et avec les animaux d'êtres des êtres vivants mortels (contrairement aux dieux). Mais la frontière au-dessus d'eux a tendance à disparaître (avec Dieu ou les dieux), et la frontière en-dessous aussi avec cette offensive des sciences naturelles que nous venons d'évoquer. Cette deuxième figure, contemporaine, est celle de "l'animal comme les autres"....
Qu'en penser ? Y-a-t-il un "propre de l'homme" ? Si oui, lequel ? Est-il encore possible de définir l'être humain comme "animal rationnel" ? On voit immédiatement que la question posée dans cet atelier est d'ordre ontologique (qui concerne l'être, l'essence ou la nature de l'homme) ou gnoséologique (qui concerne la connaissance humaine) : elle questionne l'être de l'animal comme l'être de l'homme.... Certes, à partir de la réponse à cette question, arrivent les questions d'ordre éthique : quelles relations avec les animaux ? Faut-il être "antispéciste" (le concept de "spécisme" a été forgé à partir du début des années 1970 par analogie avec les notions de racisme et de sexisme)? Les animaux ont-ils des droits etc. ? Mais contrairement à l'autre atelier, celui-ci portait prioritairement sur la question ontologique.
III) Quel rapport devons-nous avoir avec les animaux
C'est le problème moral de l'éthique animale. Michel Tozzi animait un atelier sur : "Les animaux ont-ils des droits ?".
Il y a aujourd'hui une percée de l'éthique animale : des philosophes "animalistes" plaident la prise en considération de l'animal. Avec des évolutions juridiques, qui suivent l'évolution de l'opinion : interdiction de la maltraitance, de l'abandon, règlementation des conditions d'élevage, de transport, d'abattage (étourdissement préalable), protection de la faune sauvage etc. Le droit civil français a créé une nouvelle catégorie juridique : entre la chose et la personne, il y a désormais l'animal, "être doué de sensibilité".
La représentation différente de l'animal interroge sur notre différence d'avec lui. Plus on découvre des points communs, plus on s'interroge sur notre spécificité. Plus la différence s'atténue, plus on se demande si les animaux, comme les hommes, ont des droits. La prise en considération de l'animal est de plus en plus considérée comme un devoir. L'éthique animale, qui se développe dans les années 1980 à Oxford, est l'étude du statut moral des animaux, de la responsabilité des hommes à leur égard. Il faut savoir évidemment de quels animaux on parle : de compagnie, domestique, sauvage ? Des animaux supérieurs, les singes, les chimpanzés ? Les mammifères ? Les vertébrés, qui ont un système nerveux. Mais quid des invertébrés ?
Le point commun de tous les philosophes animalistes, c'est l'antispécisme. Le spécisme est la discrimination d'un être en fonction de son espèce, comme le racisme discrimine selon la "race", l'ethnie, et le sexisme selon le sexe. L'antispécisme accorde la même considération morale aux différentes espèces. Le welfairisme prône le respect du "bien être animal", et cherche à éviter toute souffrance animale inutile : ex étourdir la bête avant son abattage, normer l'expérimentation animale. Le véganisme (distinct du végétarisme, refusant viande et poisson, et du végétalisme, refusant de consommer tout produit animal) va plus loin, avec le refus de toute exploitation de l'animal pour manger, s'habiller, se soigner. Il faut respecter les animaux, car ils sont sur terre pour eux-mêmes, et pas pour nous, qui ne pouvons donc pas les utiliser comme un moyen. Les véganes sont abolitionnistes de toute exploitation animale, et prônent la "libération animale" (Titre d'un ouvrage de P. Singer).
On justifie l'infériorité animale par son infériorité rationnelle par rapport à l'homme. Mais cette infériorité ne permet pas d'établir une distinction morale entre deux douleurs respectives. Le respect dû aux animaux vient de ce qu'ils sont des êtres sensibles. Il y a pertinence de la souffrance, et pas seulement de la raison, comme critère de la considération morale (on trouve déjà cette idée chez Bentham ou Rousseau). En fait, soutient le philosophe animaliste, nous dénigrons les animaux parce que nous les domestiquons.
IV) Conférence-débat sur "L'abeille, garante du lien entre la nature et l'humanité ?"
Elle fut donnée par François Tavoillot, apiculteur et philosophe, qui a écrit avec son frère, Pierre-Henri Tavoillot, philosophe, un ouvrage : L'abeille (et le) Philosophe, étonnant voyage dans la ruche des sages, (éd. Odile Jacob, mai 2015).
Il est assez fréquent de voir opposés la nature et l'homme, comme si le développement et l'épanouissement de celui-ci ne pouvait se faire que contre et au détriment de celle-là. Il est, pourtant, une bestiole, qui, dès la plus haute Antiquité, par sa simple existence, s'inscrivit en faux contre cette opposition et n'eut de cesse de la réfuter. Il s'agit de l'abeille.
Aucun animal n'a davantage fasciné les hommes. Les penseurs de toutes les époques et de toutes les civilisations ont cherché dans la ruche les secrets de la nature et les mystères de la culture, comme si elle était le miroir idéal de l'humanité et le baromètre de son destin. L'inquiétude, ressentie par bon nombre d'entre nous face aux phénomènes actuels de surmortalité des abeilles, comme s'ils préfiguraient notre propre avenir, est déjà présente dans la mythologie gréco-latine à travers l'histoire d'Aristée, ce demi-dieu apiculteur confronté lui aussi à la disparition de ses butineuses.
Comment comprendre la mise en place et le fonctionnement toujours présent dans notre imaginaire collectif, de ce rôle si singulier de l'abeille, médiatrice entre les hommes et la nature?