Revue

Atelier Dansephilo  : articuler la Danse-Contact-Improvisation (DCI) et la Discusion à Visée Démocratique et Philosophique (DVDP)

"Philosophie de la danse et danse de la philosophie.
Danser l'affect et le concept. Vivre sa danse et danser sa vie.
Danser les sens, penser le sens et l'essence de la danse.
Danser l'infra-intellectuel, le sensuel, et le supra-intellectuel, le spirituel.
En philosophe comme faune dansant" (Pastiche de Nietzsche et Roger Garaudy)

Un nouveau chantier a été ouvert dans le champ des Nouvelles Pratiques Philosophiques (NPP) aux Rencontres du Crap-Cahiers pédagogiques du 17 au 23 août 2016 à Lorient. Pendant une semaine, l'atelier a proposé de vivre des expériences en Danse Contact Improvisation, en groupe et souvent en duo, expériences qui, pour la plupart des participants, étaient une découverte. Chaque séance a été accompagnée de l'expression orale du vécu de la danse dans le rapport à soi, à ses partenaires, à la musique ainsi qu'à la consigne. Une tentative de théorisation de la Danse contact improvisation a été ensuite faite dans le cadre du dispositif de la Discussion à Visée Démocratique et Philosophique.

Voici la présentation de l'atelier :

"Il s'agira d'éprouver comment la pratique de la Danse Contact improvisation - dont Steve Paxton est un artisan depuis les années 1970 -, alliée à la Discussion à Visée Démocratique et Philosophique (DVDP) - peut devenir le lieu d'une possible prise de conscience de l'altérité vécue comme un enrichissement et non comme une menace. Le Contact improvisation qui privilégie "l'écoute de l'autre et de soi" et qui "naît d'un comportement démocratique où des personnes peuvent échanger sans qu'une prenne le pouvoir sur les autres"1, est proche de laDVDP dont l'objectif est d'apprendre à élaborer une pensée au contact exigeant des autres : "Il s'agit d'inventer une nouvelle pratique du débat philosophique collectif dont l'enjeupolitique est de contribuer à l'éducation d'une "citoyenneté réflexive" dans un "espace public de discussion", sur fond d'une "laïcité de confrontation" (Ricoeur), et non d'indifférence à la différence2.

Le Contact improvisation, qui amène à faire l'expérience sensible de l'autre et à percevoir par corps sa singularité et sa similarité ne peut-il pas contribuer à mettre en place une nouvelle éthique relationnelle où "le politique ne serait ni une substance, ni une forme mais d'abord un geste : le geste même de nouer et d'enchaîner, de chacun à chacun, nouant à chaque fois des unicités"3 ? En Contact improvisation, il s'agit en effet d'expérimenter appuis et contacts en jouant à la fois sur les lois physiques de la force de gravité et sur les relations établies entre les danseurs qui se soutiennent mutuellement au sens propre comme figuré et créent ainsi des solidarités à la fois intenses, fragiles et mouvantes, faites de remises en question et de tensions permanentes. Ces valeurs et savoirs véhiculés par les corps dansants contemporains comme " moyen d'accepter les différences sans trop de différends"4 ne sont- ils pas à même de donner vie à l'utopie démocratique et philosophique mise en oeuvre dans l'espace de parole deDVDP ?".

La salle avait été partagée en deux parties : la première comme espace vide appropriée à la danse, la seconde avec des tables en rond pour les DVDP. Une ligne symbolisait le passage de la danse à la réflexion, avec le rite des chaussures enlevées puis remises, maintenant l'unité de lieu dans des temps distincts, la verbalisation du vécu faisant sas entre la danse muette, la plupart du temps sans musique, et la recherche verbo-conceptuelle.

On trouvera ci-dessous quelques éléments de la théorisation opérée par les participants.

I) La Danse Contact Improvisation et Discussion à Visée Démocratique et Philosophique  : de quoi s'agit-il ?

A) La Danse Contact Improvisation

"On parle souvent de dialogue physique à partir d'un point de contact entre deux partenaires, de partage de poids, d'ouverture à l'espace sphérique et d'ouverture à l'inconnu, de capacité à communiquer par le toucher et d'improviser en intégrant le jeu des forces physiques sur les masses en mouvement, de capacité à offrir un support et à en recevoir un. L'autre, comme support de notre transformation, nous renvoie à un questionnement toujours renouvelé sur nous-même. L'improvisation ouvre le champ infini d'exploration des possibles. On amène la personne à observer son état interne sans la couper de la perception du monde extérieur et on joue à passer de l'un à l'autre. A travers la fluidité et le cheminement des points de contact des corps, s'installe un rapport de confiance mutuelle, renforcé par la sécurité des ancrages que l'on trouve en s'adressant à l'os. Nous explorons les forces qui régissent tout mouvement, et nous nous orientons dans des situations inhabituelles qui développent de nouvelles qualités de tonus."

Cotto

"Le Contact improvisation est une pratique issue de la Judson Church, un mouvement chorégraphique post-moderne américain des années 1970 qui utilise le mouvement ordinaire et les gestes du quotidien pour effacer la distinction entre danseurs et non danseurs et faire sortir la danse des lieux institutionnels. Il se refuse à "toutes les formes de domination sociale ou d'intimidation dans les pratiques de la danse."

Chourlin, 1999

Le Contact Improvisation est une forme de danse improvisée qui évolue à partir de contacts variés entre soi et ses partenaires. "L'accès aux sensations premières du corps, la gravité que l'on éprouve toujours, mais rarement de manière consciente, l'apprentissage de la chute, du support, de la prééminence de la communication par le toucher, ouvrent soudain la porte à la danse pour des tas de personnes qui en étaient privés". Ainsi, "sa pratique va s'étendre aux personnes handicapées physiques, mal voyantes et aveugles " (Kuypers, 1999) Une éthique ducare va donc de pair avec le Contact improvisation qui privilégie "l'écoute de l'autre et de soi" et qui "naît d'un comportement démocratique où des personnes peuvent échanger sans qu'une prenne le pouvoir sur les autres " (Guisgand, 2006)

Le Contact Improvisation se veut donc accessible à tous et ne demande aucune compétence technique au préalable, ni un corps particulièrement entraîné. Les figures acrobatiques auxquelles il peut donner lieu ne sont pas une fin. Il s'agit en premier lieu d'amener à une conscience de soi comme individu ayant un corps évoluant dans un espace-temps et nouant des relations avec d'autres corps.

Le Contact Improvisation se pratique en ateliers ou en jam. A Paris, tous les premiers lundis du mois, se déroule au Carreau du Temple une jam accessible aux personnes de toutes mobilités (http://www.carreaudutemple.eu/la-jam). Tous les vendredis, on peut participer à une jam au Palais de la femme (11)

http://quefaire.paris.fr/fiche/72748_culture_s_jam_au_palais" (Evelyne Clavier)

B) La Discussion à Visée Démocratique et Philosophique (DVDP)

"La DVDP est un dispositif pédagogique (qui donne une certaine "forme" au groupe-classe et à ses relations) et didactique (didactique de l'apprentissage du philosopher), avec une double visée :

1) démocratique, par :

  • ses règles de prise de parole (lever la main pour la demander, la donner par ordre d'inscription, priorité à ceux qui ne se sont pas encore exprimés, tendre la perche aux muets, droit de se taire) ;
  • sa répartition de diverses fonctions entre les élèves, inspirées de la pédagogie coopérative et institutionnelle (ex : maître-animateur, président de séance, reformulateur, synthétiseur, discutant, observateur...) ;

2) philosophique, par trois exigences intellectuelles sur lesquelles veille, par son type d'animation, le professeur :

  • le questionnement et l'autoquestionnement qui permettent la problématisation de notions (ex : la justice) et de questions ("La justice est-elle juste ?"), en se mettant en recherche, individuellement et collectivement ;
  • la conceptualisation, qui cherche à définir des termes-notions (Qu'est-ce que le bonheur ?), notamment à partir de distinctions notionnelles (plaisir, joie, bonheur), pour que la parole permette une pensée précise  ;
  • l' argumentation, qui implique de valider rationnellement son point de vue, quand on affirme quelque chose, de donner des objections justifiées ou de répondre à des objections quand on n'est pas d'accord, en vue d'une pensée consistante, non contradictoire, qui vise à penser le réel dans un rapport au sens et à la vérité" (Michel Tozzi).

II) La DCI comme contact-mouvement et type de langage corporel

A) Quel contact pour quel mouvement ?

1) Contact et toucher

Comme son nom l'indique, on parle dans ce type de danse de "contact". Il s'agit de s'approcher du corps de l'autre et d'entrer en contact avec lui sous des formes variées, de manière à impulser ou/et recevoir un mouvement corporel, qui instaure un dialogue gestuel entre les partenaires. Cette manière d'entrer en contact avec les autres par la gestuelle court-circuite les codes sociaux d'interaction, même si ceux-ci ne sont pas annulés.

"Lors de notre précédente discussion, était apparue la nécessité de faire la distinction entre toucher et contact. Si on se réfère au sens biologique du terme, le toucher met en jeu des récepteurs et des émetteurs. Il y a donc un agent actif et un agent passif. Il permet la prise d'information, l'exploration (à la manière d'un aveugle). Le toucher ne se réalise qu'avec la peau, alors que le contact peut s'établir aussi avec la voix, le regard... Le contact serait un acte engageant la réciprocité, il implique une réponse, voire le mouvement, car le contact est le rapprochement mené à son terme : un point de passage entre deux mouvements. La distinction entre ces deux termes aurait aussi une dimension temporelle : le toucher serait plus du côté de la durée, alors que le contact semble plus furtif, borné, ponctuel (Une distinction comparée à celle qui s'opère en français entre l'imparfait et le passé simple)...".

Patricia Gérot

2) Un contact désexualisé ?

La rencontre entre deux corps n'est jamais neutre : on entre dans la bulle de l'autre jusqu'à contacter la surface de son corps. La question de la plus ou moins grande sympathie, de l'attirance voire du désir peut se poser, notamment s'il y a choix du partenaire. Mais souvent la consigne fait changer de duo en "institutionnalisant" l'ouverture à l'autre, rendant la rencontre plus hasardeuse, et du coup surprenante..

On peut dire que le contact est ici toujours sensoriel, parfois sensuel, et dans une pratique régulière assez peu sexuel : on rencontre un corps avant un sexe ou un genre, ce qui ne les annulent pas totalement, mais relativise l'impact. Un participant parlait de contact plus "froid" par apport aux émotions...

"Quelle est la place du sexe dans la DCI ? Le corps que nous rencontrons est-il désexualisé ? Il semble que le temps et la pratique jouent un rôle, qu'on s'habitue au corps des autres et que la gêne lié au genre disparaisse. Certains disent ne pas danser de la même manière avec une personne de sexe différent, même quand la gêne a disparu. Pour d'autre, le corps est désexualisé, tout en ayant un genre. Il semble intéressant de faire l'expérience de l'absence de la dimension sexuelle dans le rapprochement des corps".

B) Un type de langage corporel

Il y a dans le langage de l'expression de soi et de la communication avec l'autre, ce que l'on retrouve dans la DCI. Mais il s'agit ici d'un langage non verbal, qui utilise certes les sens à distance (vue, ouie), mais surtout celui du toucher, à base de contacts.

Nous avons expérimenté quelques gestes de DCI : impulser versus recevoir un mouvement par contact ; se retirer d'un contact par un mouvement suivi d'un mouvement qu'on impulse ; chercher à remplir le vide que l'autre en bougeant laisse ou propose. Il y en a bien d'autres, par exemple les porter-supporter. Puis nous avons essayé de communiquer en dansant par combinaison de ces trois gestes, à la recherche d'une improbable syntaxe laissant libre cours à l'invention, ne sachant plus in fine qui est quand proposant... Il y a une "qualité réflexive" du toucher, des possibilités de communiquer, à l'écoute de soi et de l'autre.

III) Les dimensions éthique et politique de la DCI

La DCI peut avoir, sans que ce soit une finalité recherchée, une dimension esthétique, par la forme visée dans le mouvement propre de chacun, et surtout la recherche d'une complémentarité et d'une harmonie dans la danse entre duos. C'est en tout cas l'impression qu'eurent ceux qui, par alternance, avant de danser ou après, contemplaient cet ensemble de mouvances, en particulier au moment où le duo devait chercher et trouver une fin provisoire. Mais c'est de deux autres dimensions dont nous voulons parler...

A) Une dimension éthique

La DCI fait appel dans sa pratique à un certain nombre de valeurs : le respect de l'autre, de son corps, de sa liberté de se mouvoir.

"Le mot contact contient le mot tact. Quel tact y aurait-il dans la danse contact improvisation. Pourrait-on définir une éthique de la DCI ? La danse contact nécessite l'adaptation au partenaire, l'acceptation de ses limites ou de ses envies. Il ne suffit que de quelques contacts pour cerner celles-ci et être capable d'y répondre, en ressentant les tensions ou la détente de notre partenaire (Néanmoins on peut éprouver plus ou moins de satisfaction selon les partenaires). L'éthique de la DCI pourrait se rapprocher de celle du care : on ne peut entrer en contact avec l'autre que si on a bien conscience de soi (ses limites, ses possibilités). Le soin envers l'autre passe par l'écoute, la douceur, l'attention portée à son bien-être. Il faudrait aussi prêter attention à sa vulnérabilité, entraînée notamment par les déséquilibres. Cela ne peut se faire que dans l'empathie, la prise en compte de l'autre. La confiance a aussi une grande place à prendre dans cette relation réciproque, il faut savoir accepter l'autre et tenir compte de ce qu'il propose en acceptant aussi d'être soi-même surpris. Il est important de savoir qu'on peut dire non".

Synthèse de Patricia Gérot

Ethique du care disions-nous, qui prend soin de l'autre dans sa vulnérabilité en lui prêtant attention, mais aussi de soi, en évitant par exemple le déséquilibre, la trop grande prise de risque par rapport au poids, à la gravité, en anticipant au sein de l'improvisation l'inconfort de mouvements et de positions, dans le miracle de l'harmonieux rétabli. On sent là une éthique de l'obligation, de la règle d'or, ne pas nuire à autrui, à son partenaire. La DCI étend au corps entier ce que Lévinas dit du visage, et implique l'idée de sollicitude de P. Ricoeur.

Mais aussi éthique de la vie bonne (Aristote), car l'autre me donne et je lui donne des possibilités indéfinies de se mouvoir différemment, d'accroître son amélioration kinesthésique, de perfectionner sa mouvance.

B) Une dimension démocratique

La DCI a aussi dès son origine historique une dimension politique. Il s'agit notamment de rompre avec la danse académique, de postuler démocratiquement la "dansabilité" de chacun sans technique préalable, de permettre à tous de danser sous la forme du contact-improvisation, de déconstruire le rapport d'intimidation et de domination sociale homme/femme, danseur professionnel expert/débutant. C'est la raison pour laquelle la DCI est utilisée avec les personnes en situation de handicap. Ici aussi on trouve comme valeurs mises en avant l'égalité et la réciprocité. Il s'agit de vivre une aventure collective qui intègre les notions de soutien mutuel, de support, de coopération. On parle même dans la DCI de "démocratie corporelle", au sens où des parties du corps non habituelles sont sollicitées pour le contact (la hanche, le pied, le genou, la cuisse, la nuque etc.).

"Mon hypothèse est que cette cartographie de la sensation articulée autour du toucher et du poids enveloppe une proposition micro-politique de redéfinition de la relation à soi et aux autres. Les sujets y sont en effet appelés à se concentrer sur la sensation plutôt que sur les objets du monde : plutôt que de danser en fonction des corps des autres, ou de la salle, il s'agit de se rapporter directement à leur effet sensible sur moi. Au lieu du jugement, le contact improvisation propose une forme de rapport intersubjectif fondé sur le sentir, modèle micro-politique du corps en mouvement contestataire."

Bigé, 2015

"En quoi la danse contact improvisation (DCI) est-elle égalitaire ? L'égalité dans la DCI réside dans la réciprocité : personne ne domine l'autre, car l'initiative tourne. De plus, l'improvisation fait qu'on ne sait pas ce qui va se passer. Il faut donc être à l'écoute de l'autre, mais ça ne suffit pas pour que ce soit égalitaire, il faut aussi qu'il n'y ait pas d'obligation de répondre de telle manière, que ce soit par la force physique ou par la volonté. Au fond, on peut dire que l'égalité est liée à une complémentarité entre les partenaires. Chaque binôme produit une création originale, où chacun apporte quelque chose de différent. Si on compare : dans la danse de salon, c'est toujours l'homme qui mène et la femme occupe la place qu'il veut bien lui laisser. Dans la DCI, il n'y a pas de rôle assigné : on peut expérimenter le fait de guider et d'être guidé(e). Or faire de la place à quelqu'un et occuper une place sont aussi des actes constitutifs de la démocratie. De même, dans la danse de salon, l'improvisation est limitée car elle puise ses figures dans un code précis. Dans la DCI, il n'y a pas de savoir pré-existant, même si l'expérience compte. Tout se crée dans l'ici et maintenant. Mais s'il n'y a pas de code, il ne devrait pas y avoir d'experts. La DCI interroge la place des experts en démocratie. Toutefois, ne peut-on pas observer dans la DCI pratiquée dans l'atelier une certaine soumission à la consigne qui fait que l'on accepte de "jouer le jeu" d'un certain rythme qui ne correspond pas à la créativité de tout le monde ? Il semble en effet que la DCI atténue les différences, voire supprime la possibilité du dissensus. Il s'agirait alors d'une démocratie "bisounours", privilégiant l'harmonie par rapport à la confrontation".

Synthèse d'Agnès Berthe

IV) Comparaison entre DCI et DVDP

Au fur et à mesure que nous pratiquions alternativement DCI et DVDP, nous avons été frappés, par-delà des différences flagrantes, par des ressemblances profondes que nous avons voulu répertorier.

A) Les ressemblances

Il est apparu que les deux dispositifs fondés sur la communication et les interactions se déroulent dans un cadre sécurisant qui permet d'échanger avec les autres sur un mode verbal ou non verbal et de mettre en oeuvre un travail de recherche et d'exploration.

La Danse Contact Improvisation et la Discussion à Visée Démocratique et Philosophique subvertissent toutes les deux les codes sociaux dans une finalité démocratique qui s'appuie sur des valeurs d'égalité, de liberté et de respect. Elles demandent toutes les deux un engagement militant.

La Danse Contact Improvisation a été présentée, par ceux qui l'ont conçue aux USA dans les années 1970, comme une "révolution contre la tyrannie du non-toucher" (Nelson, 1996), une "expérience de la désorientation" (Lepkoff, 1975) qui visent à "modifier l'être ensemble social" (Nelson, 1996).

La Discussion à visée démocratique et philosophique subvertit quant à elle les codes du débat traditionnel, celui du débat politique télévisuel qui donne lieu à des joutes verbales, où débattre se confond avec combattre. Dans la DVDP, les discutants ne sont pas des adversaires mais des partenaires qui travaillent à la construction d'une pensée collective.

B) Les différences

La DCI apparaît plus centrée sur les personnes dans leur globalité que la DVDP, qui s'appuie sur des idées. Le cadre de la DVDP semble moins souple que celui de la Danse Contact improvisation où les consignes peuvent être davantage transgressées sans impacter le groupe. Les redondances et répétitions sont possibles en DCI alors qu'elles doivent être évitées dans le cadre de la DVDP où il s'agit de faire progresser la pensée.

Le dissensus, le désaccord peuvent être davantage travaillés dans la DVDP que dans la DCI où le consensus et l'harmonie des relations sont recherchés.

Conclusion : des retombées pédagogiques ?

Ces expériences vécues et plus ou moins formalisées par des enseignants dans leur usage personnel peuvent-elles se transférer dans leurs pratiques pédagogiques ? C'était l'une des hypothèses dans cet atelier du Crap, mouvement pédagogique innovant depuis sa création. Elle était fondée sur l'expérience d'une animatrice de l'atelier, qui a pratiqué dans un dispositif Ulis (Unité localisée pour l'inclusion scolaire) avec des élèves en situation de handicap ayant des troubles des fonctions cognitives en 2015-2016 l'articulation de la DCI et de la DVDP et a conçu l'association des deux dispositifs comme une alternative à la violence et à l'exclusion. Considérer chaque élève comme un interlocuteur valable comme le fait la DVDP et comme un danseur potentiel comme le postule la DCI permet de travailler l'estime de soi, de panser certaines blessures narcissiques, et dans une certaine mesure de se réconcilier avec les autres et avec l'école. La pratique en classe pourrait être ainsi un des premiers champs d'application de cette nouvelle pratique philosophique, articulant art et philosophie, danse et philosophie, DCI et DVDP.


(1) GUISGAND Philippe, "L'improvisation: corps démocratique/corps citoyen" in Approche philosophique du geste dansé : de l'improvisation à la performanceSous la direction de BOISSSIERE Anne et de KINTZLER Catherine, Villeneuve d'Asc, Presses Universitaires du Septentrion, 2006

(2) TOZZI Michel, Animer une discussion à visée philosophique, article en page d'accueil du site gratuit : www.philotozi.com

(3) NANCY Jean-Luc, Le sens du monde, Gallilée, collection La philosophie en effet, Paris, 1993.

(4) HUESCA Roland, Danse, art et modernité. Au mépris des usages, Paris PUF, collection: Lignes D'art, 2012.

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