Introduction
Cette contribution vise à rapporter l'expérience d'une enseignante-chercheuse confrontée à une classe où les situations de "violence" sont devenues, au fil de la scolarité, fréquentes, voire quotidiennes.
Les ateliers de philosophie apparaissent alors comme un outil privilégié pour faire contracter aux élèves de nouvelles habitudes comportementales et langagières, qui se rapprochent de la communication non violente. Cet espace de discussion nous a semblé accroître l'efficacité d'autres dispositifs mis en place, dans une optique de gestion et de prévention de la violence.
Dans un premier temps, nous exposerons le contexte professionnel de cette expérience. Dans un deuxième temps, nous présenterons ce que nous avons pu mettre en place. Enfin, nous rapporterons les résultats que nous avons observés au cours de cette année scolaire.
I) Contexte
La classe de CM2 concernée compte 28 élèves. Elle est composée de 15 garçons et de 13 filles. L'école se trouve dans le centre-ville de Marseille.
Un questionnaire distribué en début d'année sur la violence a permis de mettre au jour que la quasi-totalité des élèves (filles et garçons) s'était déjà battus et que la quasi-totalité des garçons s'était même battue plusieurs fois. La cause de ces bagarres, quand elle est identifiée, est imputée aux insultes, aux moqueries et au football. En ce qui concerne le climat de classe, les moqueries reviennent "souvent" pour 11 des 28 élèves, les insultes également pour 15 des 28 élèves. 6 élèves ont déjà eu peur face à une menace.
Enfin, le questionnaire révèle que, d'après 21 élèves, les maîtres et maîtresses ne sanctionnent pas systématiquement les élèves qui se battent1, surtout lors de la pause méridienne (pour 21 élèves toujours). Pour seulement 7 élèves, les bagarres donnent lieu à un échange avec les parents.
A) Les élèves perturbateurs
Joseph a des troubles d'ordre psychologique. Les informations sur sa situation, étant soumises au secret médical, n'ont pas été mises à notre disposition. Au mois de décembre, l'orientation de Joseph en SEGPA a été proposée. La psychologue scolaire a fortement oeuvré en ce sens. Il se trouve que Joseph en a été informé, alors qu'il ne s'agissait que d'une proposition d'orientation, pas d'une décision finale. Dès lors, Joseph a complètement décroché scolairement. Le garçon croyait qu'il allait devoir aller "dans une école pour les fous".
Joseph fait partie des élèves les plus violents de la classe ; il recherche souvent le contact physique, bouscule dans les couloirs, lance des "blagues" et des moqueries. Mais il participe rarement aux bagarres et n'est quasiment jamais impliqué dans les conflits de la classe. Il semble bien intégré. Physiquement, Joseph fait partie des élèves les plus grands et les plus forts. À noter que son frère Ethan, qui est d'un an son cadet, est aussi dans la classe.
Tom et Simon présentent tout les deux des troubles de la lecture. Les deux sont bien suivis par les parents et rencontrent régulièrement une orthophoniste Tom arrive à suivre dans l'ensemble, mais a tendance à se disperser et à bavarder. Il n'est jamais impliqué dans les conflits de la classe.. Simon a de très grandes difficultés scolaires. Il n'a à ce jour pas atteint le palier 2 du socle commun de compétences et de connaissances. Toutefois, malgré ses difficultés, il adhère à la culture scolaire. Lorsque le cadre n'est pas assez clairement défini, il chahute. Dès que le cadre est fermement posé, il abandonne ce type de comportement, participe et suit les activités qui lui sont proposées. Simon est bien intégré dans la classe et n'a jamais été impliqué dans un conflit particulier.
Arthur a également une dyslexie pour laquelle il voit régulièrement une orthophoniste. Il manifeste son désir de surmonter ce handicap, adhère à la culture scolaire et participe volontiers aux activités proposées. Un retard de croissance le laisse paraître beaucoup plus jeune que les autres garçons. Il est régulièrement impliqué dans les conflits et les bagarres de la classe. Il a un tempérament que l'on peut qualifier d'"explosif". Ses parents sont inquiets car il a souvent des bleus. Mais Arthur ne témoigne jamais de persécutions ou de maltraitances de la part de ses camarades, même lorsqu'il est interrogé. Il paraît bien intégré et semble avoir de nombreux amis, autant chez les filles que chez les garçons. En classe, il a beaucoup de mal à se tenir tranquille et à respecter les règles de la classe. Il peut montrer des signes d'agressivité même face à la maîtresse.
Nathan est celui qui est le plus impliqué dans les faits de violence. Physiquement, il est fort et grand. Les élèves le désignent souvent comme étant un enfant violent, agressif, physiquement dominant. Dans les couloirs, il bouscule régulièrement ses camarades.
Ethan est un élève au comportement difficile. Souvent, "pour rire", il se moque des autres. Il est régulièrement impliqué dans les conflits et les bagarres, il a beaucoup de mal à respecter les règles de la classe et de l'école. En classe, il est bruyant et accepte mal les réprimandes. Il se voit souvent comme victime. De manière générale, il a du mal à contenir ses émotions. Lorsque j'ai rencontré ses parents, ceux-ci témoignaient de comportements similaires à la maison. À noter qu'Ethan est le cadet d'une fratrie de quatre garçons. Physiquement, il est comme son frère Joseph, plutôt grand et fort.
Enfin Mathias est un élève dont le comportement n'est que rarement violent dans les actes, mais dont les paroles peuvent être très blessantes. Il est bruyant et a du mal à respecter les règles de la classe. Il tente souvent de monopoliser la parole au détriment des autres et se moque fréquemment de ses camarades. Il peut tenir des propos relativement choquants. Sous ses airs d'indifférence, il paraît sensible : lorsqu'on le réprimande, il éprouve souvent un sentiment d'injustice, ce qui, a quelques reprises, a pu provoquer des larmes.
Parmi les élèves de ma classe, Joseph, Ethan, Mathias, Arthur et Nathan sont les cinq éléments qui perturbent le plus souvent le déroulement des cours. Ce sont des élèves qui sont fréquemment impliqués dans les altercations qui ont lieu lors des récréations.
B) L'équipe enseignante
En ce qui concerne l'équipe enseignante, quatre des dix enseignants partiront sous peu à la retraite. Cinq des enseignants de l'équipe ne travaillent qu'à temps partiel.
Des faits de violence sont régulièrement relevés, toutefois il semble que ceux-ci ne soient pas assez graves pour être pris au sérieux. L'école a le profil type de l'établissement "à violences banales". Ainsi, le règlement scolaire fait état de l'interdit de porter atteinte à l'intégrité physique et morale d'une personne : "chaque élève a l'obligation de n'user d'aucune violence et de respecter les règles de comportement et de civilité édictées par le règlement intérieur. Les élèves doivent, notamment, utiliser un langage approprié aux relations au sein d'une communauté éducative, respecter les locaux et le matériel mis à leur disposition, appliquer les règles d'hygiène et de sécurité qui leur ont été apprises". Toutefois, on notera qu'il n'y a aucune indication quant aux sanctions encourues. Il n'y a pas de système de sanctions clairement défini. Ce qui se pratique communément au sein de l'école, sont les sanctions suivantes : réprimandes, notes aux parents, punitions (recopier des lignes), privation d'une partie ou de la totalité de la récréation, exclusion de la classe, avertissement. L'avertissement représente la sanction la plus conséquente, d'autant que celle-ci peut être consignée dans le dossier scolaire qui suit l'élève au collège. Il y a donc bien une graduation dans l'échelle des sanctions, mais il y a un certain flou quant à leur application. Ce sont les enseignants qui décident des sanctions en fonction de leurs critères personnels ou de leur degré d'énervement. Le questionnaire rempli par les élèves témoigne d'ailleurs de leurs réserves quant à la justice scolaire : sur 23 élèves, il n'y a qu'un seul élève qui approuve les sanctions administrées.
Le fait que la moitié des enseignants occupe des postes à temps partiel est sans doute un facteur qui participe à l'absence de politique claire quant à la gestion de la violence. La conséquence directe est une perte de cohérence quant au traitement des situations problématiques et aux exigences face aux élèves.
II) Dispositifs
Pour faire face à cette situation de classe compliquée, plusieurs dispositifs ont été mis en place : les ateliers de philosophie, la communication non violente (CNV) ainsi que des règles de classe claires.
A) Les ateliers de philosophie
Dès le début d'année, des ateliers philosophiques en classe entière ont été instaurés dans le but de développer trois compétences : construire une réflexion autonome et apprendre à justifier ses propos, créer du lien entre l'enseignant et les élèves mais aussi entre les élèves eux-mêmes, apprendre à prendre la parole devant un groupe et gagner en confiance.
En début d'année, l'enseignante ignorait que ce qu'elle proposait pouvait s'appeler "ateliers philosophiques" et n'avait pas vraiment réfléchi à la forme qu'ils devaient prendre. Il s'agissait, dans le cadre de l'instruction civique et morale, d'essayer de mettre les élèves face à un dilemme moral afin de les pousser à développer leur pensée et leur argumentation, l'objectif premier étant de faire connaître et comprendre les principes de la République.
C'est au contact de ses directeurs de mémoire à l'ESPE d'AMU2, que l'enseignante a pu étudier cette pratique et la faire évoluer vers une forme plus ritualisée. L'intérêt de ces ateliers a fait l'objet d'une réflexion collective au sein de la classe. Des règles propres à ces ateliers définissant la prise de parole, les thèmes retenus et les exigences ont également été mises en place. Au départ, l'objectif était de faire réfléchir les élèves sur des notions telles que le droit et les devoirs. Au fur et à mesure de l'année, les thèmes abordés ont également évolué : il ne s'agissait plus uniquement de transmettre des connaissances propres à la citoyenneté mais de réellement développer des compétences citoyennes.
Ainsi, l'enseignante s'est montrée de plus en plus exigeante face aux propos tenus par les élèves en leur demandant systématiquement de les justifier. Cela signifiait également être plus exigeante envers soi-même : l'enseignante s'est aperçue qu'elle monopolisait fréquemment la parole, elle était dans la transmission. Or, le but étant d'amener l'élève à construire des valeurs dont la validité n'est certifiée ni par le groupe, ni par l'adulte, mais par lui-même, il est apparu important de susciter davantage la parole des élèves.
À cet égard, nous pouvons nous référer à la théorie morale de Kohlberg. Selon lui, "la morale conventionnelle est la forme la plus courante de raisonnement moral chez l'adulte" (Richoz, 2015, p. 156). Cette morale conventionnelle correspond au stade 3 et 4 du développement moral. Elle est décrite comme "conventionnelle" car ce n'est pas l'individu mais le groupe social qui est vu comme détenteur du pouvoir. Ainsi, au stade 3, le respect des règles n'est plus uniquement motivé par la peur de la punition mais par le désir de satisfaire aux attentes de son groupe d'appartenance (stade aussi appelé stade du "gentil garçon" et de la "gentille fille"). Au stade 4, stade de la conscience du système social (de la loi et de l'ordre), le sujet accorde plus d'importance au système social dans son entier. Il admet la légitimité de l'assentiment des autres. Seul un faible pourcentage des adultes atteignent les deux derniers stades de la morale décrits par Kohlberg qui sont les stades de la morale "post-conventionnelle". Ces stades supposent une possible remise en question des lois et des principes en vigueur admis par la société : "Le sujet adopte ici un ensemble de valeurs et de principes éthiques supérieurs et librement choisis. Comme les lois respectent normalement ces principes, elles doivent être respectées. Mais si une contradiction apparaît entre la loi et la conscience, c'est la conscience qui prédomine" (Richoz, 2015, p. 155). Des expériences telles celles menées par le psychologue américain Stanley Milgram confirment le fait que peu de gens atteignent le stade "post-conventionnel" de la morale. L'objectif de Milgram était de vérifier le degré d'obéissance d'un individu devant une autorité qu'il juge légitime et d'analyser le processus de soumission à l'autorité, notamment lorsqu'elle induit des actions qui posent des problèmes de conscience. Seul 10 % des participants ne se sont pas soumis aux injonctions de l'autorité, alors même que celles-ci provoquaient un malaise chez les sujets. Seul 10 % des gens atteindraient donc le stade 6 de la morale.
En entraînant les élèves à exercer leur pensée à travers des ateliers philosophiques pratiqués régulièrement sur une période longue, il devrait être possible d'amener plus de personnes vers les stades post-conventionnels de la morale qui fait état de réelles compétences civiques. Pourquoi ? Parce qu'un principe construit est bien plus résistant qu'un principe admis. Or, l'atelier de philosophie suppose justement qu'un principe, une valeur ne se base pas uniquement sur une opinion, mais sur une réflexion qui prend en compte des arguments contre et des arguments pour. Lorsqu'on adopte un principe après l'avoir passé au crible de l'examen critique, il acquiert plus de consistance.
D'autre part, il semble que les ateliers philosophiques permettent aux élèves de gagner en confiance, en eux et en leur pensée. Les élèves s'habituent à exprimer leur pensée, même si celle-ci va à l'encontre de l'avis général. Ils gagnent donc en autonomie face au groupe, ce qui laisse supposer, à long terme, une capacité accrue à exprimer une remise en question de l'autorité, notamment lorsque celle-ci va à l'encontre de leurs propres principes.
Montaigne qui "préconisait d'entraîner les élèves à pratiquer la philosophie dès le plus jeune âge" (Agostini, 2010), se soumettait lui-même à cette exigence. Dans chacun de ses Essais, il développe les arguments susceptibles de soutenir son opinion, mais s'oblige également à tenter de comprendre la pertinence de l'opinion contraire à la sienne (Foglia, 2005). De sorte que, à l'issue de ce travail de recherche, il puisse faire le choix qui lui semble certes être le meilleur, mais surtout un choix conscient de ses propres limites. Bref, dans chacun de ses essais, Montaigne s'essaye à la philosophie (Conche, 2004). Les ateliers philosophiques permettent donc aux élèves de former leur jugement, mais aussi de mieux comprendre ceux qui défendent des points de vue différents.
Ce dispositif s'est vu complété par le recours à la mise en place d'une communication non violente, ainsi que l'élaboration de règles de classe claires par et pour toute la classe.
B) La communication non violente et les règles de la classe
La communication non violente désigne un processus de communication élaboré par Rosenberg (2005, 2007) dont l'objectif est d'établir une communication harmonieuse et bienveillante axée sur la notion d'empathie. L'enseignante a suivi deux formations en CNV. La dernière qui s'est déroulée d'octobre 2014 à mars 2015, intitulée "La CNV au service de l'éducation" était animée par Catherine Schmieder qui a collaboré avec la délégation ministérielle pour la prévention et la lutte contre les violences en milieu scolaire. Cette formation a permis de comprendre et de commencer à intégrer les bases de la communication non violente. Il s'agit d'être attentif à la manière dont on s'exprime en tenant compte de ses propres besoins et des besoins de l'autre car ceux-ci conditionnent nos comportements. La CNV incite à sortir du jugement, qui restreint la relation à l'autre, et incite à l'empathie afin de comprendre les motivations de l'autre et les siennes propres pour tenter de trouver ensemble une solution adaptée. Cette méthode permet de gérer les conflits de classe de manière constructive, de mettre en place une ambiance de classe plus sereine et participe à la construction d'une relation plus harmonieuse entre et avec les élèves.
De plus, la mise en place de règles clairement définies fait partie des recommandations officielles destinées à améliorer le climat scolaire. Nous avons pu expérimenter nous-mêmes ce que pouvait induire le fait de ne pas avoir de règles précises en classe : chahut, sentiment d'injustice, énervement, etc. Lorsque le cadre n'est pas clair, les élèves peuvent subir un sentiment d'insécurité. Ce sentiment est dû au fait que la menace peut émaner de l'enseignant, qui tout d'un coup va "sortir de ses gonds" et s'en prendre à un élève en particulier. Poussé à l'extrême, un tel contexte laisse place à la loi du plus fort, l'arbitraire, le sentiment d'injustice et à une escalade de l'agressivité. Les règles organisent les relations au sein de la classe et l'élève sait à quoi s'attendre. Et ce n'est que dans ce cadre qu'il peut être élève et se consacrer aux apprentissages. Aussi, des règles accompagnées d'un système graduel de sanctions en cas de manquement au règlement ont-ils été élaborées. Cela a permis d'être juste face à l'ensemble des élèves et de consacrer moins de temps aux remontrances. Les règles de la classe sont accompagnées d'un système de droits. Plus l'élève respecte les règles, plus il a de droits "exceptionnels". Ce contrat s'appuie sur une relation de confiance avec l'élève.
Notons que si l'établissement de règles claires est un fondamental, c'est bien leur discussion par la classe dans l'atelier de philosophie qui leur donne du sens et permet à chaque fois de les éprouver comme de les faire évoluer. Le cadre est nécessaire à la gestion de la violence mais pas suffisant. De même, la CNV est un outil appréciable mais le recours à la parole dans les seuls moments de conflits est trop ponctuel et toujours axé sur les mêmes enjeux. Les ateliers de philosophie permettent d'avoir recours à une CNV sur des sujets plus vastes, bien que tout aussi personnels, au sein d'un collectif plus nombreux et dans une durée qui maintient l'effort dans la CNV au-delà de quelques minutes. En d'autres termes, les ateliers de philosophie sont le véritable lieu d'exercice à la CNV. De notre point de vue, c'est l'espace discursif aménagé lors des ateliers de philosophie qui confère à ces deux dispositifs toute l'efficacité dont ils sont porteurs.
III) Résultats observés
L'enseignante a constaté que les actes de violence avaient diminué tout au long de l'année. Elle a également eu l'impression que les conflits se désamorçaient plus facilement.
À la fin de l'année scolaire, le nombre d'élèves participants activement aux ateliers philosophiques a considérablement augmenté. Les élèves s'exprimaient plus facilement, même les plus introvertis. Les ateliers ont permis à l'enseignante de mieux connaître ses élèves (être informée de la mort d'une grand-mère ou encore du divorce des parents). Ces informations lui ont permis de mieux comprendre ses élèves et d'adapter son comportement.
Tout au long de l'année, l'enseignante a appris à être plus exigeante : demander systématiquement aux élèves de définir les notions abordées. Par exemple, la définition du mot "respect" leur a demandé un gros effort de conceptualisation, celui-ci étant confondu avec la notion de peur. L'enseignante veille également à ne pas être dans le jugement afin de garantir la libre expression des idées et de la parole. Elle ne commet plus la même erreur qu'en début d'année qui consistait à accorder beaucoup de temps à un élève dont les propos étaient, au final, destinés à attirer l'attention sur lui. Ainsi, lorsqu'un élève a déclaré, en parlant du statut de la femme sous Napoléon : "C'est normal, il faut bien des dominants et des dominés !", l'enseignante s'est tournée vers la classe pour leur demander ce que les autres en pensaient. Les contre-arguments ont rapidement été mis au jour par les élèves.
Il est difficile de mesurer exactement l'impact de la CNV. Toutefois, l'enseignante pense être plus attentive à la manière dont elle réagit lorsqu'il y a un conflit. Elle écoute attentivement l'ensemble des partis concernés, tout en veillant à ne pas avoir de jugement préconçu. Ils l'enseignante et les élèves concernés essayent de mettre en lumière les motivations de chacun et elle leur demande s'ils pensent avoir atteint leur but. Généralement ce n'est pas le cas et ils cherchent ensemble une solution acceptable. Cette manière de régler les conflits porte ses fruits. Les élèves ne gardent pas un sentiment de frustration, de colère ou d'injustice et cela permet également de rétablir une relation harmonieuse entre les élèves impliqués dans le conflit.
Cette façon de faire demande toutefois beaucoup de temps, temps qu'il n'est pas toujours facile de dégager. Cependant l'enseignante constate que les élèves lui font confiance, ce qui n'est pas le cas pour les autres adultes de l'école. Les élèves se plaignent fréquemment du fait que les enseignants de service ne les écoutent pas ou qu'ils n'interviennent pas de manière systématique.
Par ailleurs, le comportement de Nathan en classe s'est amélioré. Il a encore tendance à se moquer de ses camarades "pour rire", mais beaucoup moins qu'auparavant.
Enfin, même si la violence n'a pas été éradiquée du quotidien scolaire, l'enseignante a le sentiment d'avoir amélioré ses compétences professionnelles concernant la gestion de la classe et d'avoir créé un climat scolaire plus favorable aux apprentissages.
Conclusion
Dans un contexte scolaire difficile, et de notre point de vue, les ateliers de philosophie se sont révélés être un outil efficace pour la gestion et la prévention de la violence. Ce pour de multiples raisons qui impliquent autant les comportements physiques que langagiers des élèves, ainsi que la gestion de leurs émotions. Les élèves apprennent petit à petit à mettre en mots ce qu'ils ressentent et à se mettre à la place d'autrui. Si la violence ne disparaît pas complètement, le climat de classe s'en trouve grandement amélioré.
À cet égard, l'enseignante projette de faire évoluer ce dispositif vers une théâtralisation de l'atelier de philosophie : faire travailler les élèves en groupes, chaque groupe devant trouver des arguments pour ou contre une proposition. Ensuite, deux élèves de groupes opposés confronteront leurs idées. Cette théâtralisation devrait permettre d'aller encore plus loin dans la compréhension de l'autre, en obligeant les élèves à réfléchir aux divers arguments qu'il est possible de présenter pour soutenir un point de vue qui n'est pas le leur.
(1) Les raisons données par les élèves quant à l'absence de sanction sont, entre autres : le manque de temps, les élèves préférés ne sont pas sanctionnés, l'acte n'est pas jugé assez grave, et même la lassitude de l'enseignant.
(2) Marie Agostini (philosophie de l'éducation) et Christophe Vilagines (didactique des sciences).