Un séminaire de recherche a lieu tous les ans fin juillet sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques (NPP) au Moulin du Chapitre, entre Revel et Sorèze (Tarn), dont Diotime rend compte. S'y expérimentent et s'y analysent de nouvelles pratiques philosophiques.
On trouvera ci-dessous la description et l'analyse des dispositifs abordés cette année : "Dispositif sur le dialogue philosophique" ; "La DVDP (Discussion à visée démocratique et philosophique)" ; "La rando Philo" ; "Le ciné philo" ; "La discussion à partir de textes en fermant les yeux" (avec en annexe les six textes).
Les deux thèmes à travailler dans ces dispositifs étaient cette année : "Le dialogue philosophique et ses conditions", et "La conversion philosophique".
I) Atelier sur "Le dialogue philosophique et ses conditions" (responsable : Francis Tolmer)
A) Description du dispositif
Question générale à traiter : "Quelles sont les conditions du dialogue philosophique ?".
Le dispositif comprend quatre phases :
- L'introduction (20mn).
- Une pratique de dialogue en sous-groupes de 4 personnes (20mn).
- Un temps pour élaborer la synthèse des idées à l'intérieur de chaque sous-groupe. (20mn).
- L'échange en groupe plénier comportant deux parties :
- collecte des synthèses rapportées par les rapporteurs (20mn);
- exercice de synthèse générale et débat (40mn).
Notons que le responsable d'activité a distribué des fiches-guides permettant à chaque participant de suivre pas à pas les consignes de son atelier.
Des sujets philosophiques ont été suggérés pour s'exercer à la pratique du dialogue philosophique.
B) Observation se rapportant au "format" du dispositif
L'organisation de l'atelier alternant travail en petits groupes puis en groupe de synthèse est généralement fort bien perçue. En petits groupes, les participants s'appliquent aux tâches proposés de façon dynamique et "semi-conflictuelle " : ils doivent se mettre d'accord entre eux, trouver des consensus, s'efforcer d'extraire un enseignement lors d'une expérience courte, et garder à l'esprit le fait d'avoir à rapporter le fruit de leur travail au groupe plénier. En fait, les participants sont invités à dépasser l'horizon de leur stricte individualité. Puis, lors de la phase de partage en groupe plénier, chacun peut découvrir ce que les autres groupes ont tiré de cet exercice. Le débat qui s'ensuivra pourra alors s'élaborer sur une base d'information déjà "réfléchie ", plus ou moins "consistante ", et tendre vers une plus grande synthèse.
C) Descriptif des fiches-guides
Les fiches-guides comprenaient un descriptif clair des rôles attribuant quatre fonctions : un rapporteur, deux observateurs, un animateur (leader ou questionneur) et une personne questionnée.
Les animateurs, les rapporteurs et les observateurs pouvaient lire des informations leur permettant de situer leurs actions sur quatre plans :
- Quelle était la posture de l'animateur ? (symétrique ou asymétrique par rapport au groupe...
- Quelle était son attitude ? (bienveillante, neutre, incitant à la controverse, voire à la confrontation...)
- Quelles étaient les techniques de communication utilisées (écoute active, reformulation, assertion...) ?
- A quels processus de pensée a-t-il recouru (clarification, définition, distinction, problématisation, réfutation...) ?
Les rapporteurs avaient pour consigne de noter sur des post-it (procurés par l'animateur) une réponse synthétique (en une phrase), ou encore de décrire des problèmes liés à la pratique d'un dialogue philosophique.
L'ensemble de ces consignes, en particulier celles qui s'adressaient aux rapporteurs, a grandement facilité la mise en commun des expériences. En somme, le travail de préparation a été remarquable, il a permis à chaque participant, et à l'ensemble du groupe, de profiter au mieux de l'expérience proposée.
D) Observation critique se rapportant à la pratique en petits groupes.
Concernant la phase de l'élaboration en petits groupes, les consignes invitaient l'animateur à se positionner comme "leader du dialogue ". Ce choix de "rôle " attribué à "l'animateur du dialogue " incitait à se tenir dans une posture qui pouvait être en contradiction avec une situation de "dialogue " ouverte, neutre, et mettant chaque protagoniste sur un pied d'égalité. En effet, "l'animateur " devait adopter une posture asymétrique avec le "questionné ". Il était dès lors celui qui guidait, orientait, questionnait, et cela le rapprochait de la posture d'un consultant, plutôt que d'un "dialoguant ".
La question suivante a été soulevée par l'un des participants : "Nous était-il demandé d'expérimenter des situations altérant le dialogue afin de faire ressortir celles qui favorisent le dialogue ? ".
E) Observation critique se rapportant à la synthèse en groupe plénier
La pratique de résumé par les rapporteurs s'est révélée très efficace. Chacun a pu coller sur un tableau ses post-it, ou y écrire sa phrase, ses mots-clés, ou des remarques portant sur les "conditions du dialogue philosophique ". Apparaissait, d'une certaine manière et dans le désordre, un ensemble assez exhaustif de tout ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire pour cerner les "conditions d'un dialogue philosophique ".
Toutefois, au cours du débat qui a suivi, le groupe ne semblait pas à même de rendre compte de façon claire et compréhensible des conditions requises pour un dialogue philosophique.
Certains participants ont regretté "ce manque " dans la synthèse finale.
Remarque personnelle. Il se peut que nous touchions là à une limite de l'exercice : lorsqu'il s'agit de rendre compte de façon instantanée d'un certain nombre de "remarques " récoltées à la suite d'une expérience, notre cerveau a sans nul doute besoin de temps pour repenser, réorganiser ses notes, et mettre en évidence les caractéristiques qui s'en dégagent.
F) Variante proposée :
- Proposer une question de départ identique pour chaque petit groupe qui va s'entraîner à la pratique du dialogue (gain de temps sur le choix de la question).
- Laisser au groupe le choix de définir librement les rôles (par exemple désigner ou ne pas désigner un leader et un "questionné ").
- Conserver les observateurs, les raporteurs, les post-it.
- Tenter de faire élaborer la synthèse générale par l'ensemble des participants.
- Pour la synthèse générale, essayer d'anticiper des catégories permettant de pré-classer les remarques et le contenu des post-it des participants pour faciliter le travail de synthèse.
G) Quelques avis partagés par un certain nombre de participants
- La position des observateurs peut être ressentie comme frustrante.
- Le temps imparti au dialogue en petits groupes a été perçu comme étant trop court. Notons, et le responsable l'a précisé, qu'il s'agissait de ne pas se laisser prendre par le thème du débat, mais de l'utiliser comme prétexte pour l'observation d'une situation de dialogue. Néanmoins, il est possible que le temps de l'exercice ait été trop court.
H) Quelques témoignages et clins d'oeil des participants :
- C'est une mise en miroir (sans tain) : les observateurs sont là, nous sommes exposés directement à leur regard. Une expérience riche sur mes idiosyncrasies.
- J'ai apprécié l'ambiance du partage des expériences durant le débat.
- j'ai dû expérimenter une posture inhabituelle du questionnement de l'autre, ce qui m'a conduit à revoir certains de mes préjugés.
- Dans notre groupe, le questionneur s'est retrouvé "questionné ".
- Dans notre groupe, "l'animateur " a fini par montrer que lorsque ce n'est ni le collectif qui "domine ", ni l'individu qui s'isole ou abdique, cela entraîne un cheminement dynamique, et évite les problèmes d'ego.
- J'ai essentiellement expérimenté les conditions de l'échec du dialogue philosophique.
II) Atelier sur "La discussion à visée Démocratique et Philosophique" (DVDP) (Responsable Michel Tozzi)
A) Description du dispositif
Le dispositif comprend cinq phases :
- Explication de la DVDP et des différentes fonctions des co-animateurs (30mn)
- Mise en oeuvre : sollicitation de volontaires pour exercer les divers rôles.
- Introduction du débat avec une question générale : "La différence, un problème ou une richesse ?".
- Débat (45 mn)
- Synthèse, et analyse des observateurs.
B) Objectif de l'atelier
Permettre aux participants d'expérimenter une DVDP en s'inspirant de la pratique mise en oeuvre tout au long de l'année scolaire par des professeurs d'école.
Préalable, la DVDP en résumé
La DVDP s'inspire essentiellement de la "Pédagogie Coopérative et Institutionnelle " (Freinet, Oury, Vasquez). Ce dispositif est expérimenté par des professeurs avec des enfants du cycle 3 (de 9/10 ans). Il peut être utilisé avec des enfants plus jeunes, à condition d'en alléger les rôles. Des cafés philo s'en inspirent pour encadrer leurs débats.
La double visée du dispositif : démocratique et philosophique.
La visée démocratique consiste à répartir un certain nombre de rôles/fonctions entre différents participants. Il s'agit de considérer que le pouvoir et les responsabilités se délèguent, se partagent, se transmettent.
La visée philosophique consiste à structurer la pensée en mettant en oeuvre un certain nombre d'exigences intellectuelles. Ces exigences sont au nombre de trois :
- apprendre à problématiser (mettre en question, exprimer le doute, confronter des hypothèses...);
- apprendre à conceptualiser (définir, nommer, distinguer...);
- apprendre à argumenter (expliquer la raison de sa pensée, souligner les rapports de cause, d'effet, de conséquence, préciser ses sources...).
On considère qu'il y a "une visée philosophique " dès lors que les participants s'efforcent de mettre en oeuvre ces trois exigences.
C) Introduction de l'activité
Après avoir décrit les rôles suivants : l'animateur, le président de séance, le reformulateur, le synthétiseur, les observateurs, Michel Tozzi a sollicité des volontaires pour les incarner, et ainsi pour co-animer la DVDP avec lui. Ces volontaires sont invités à se concentrer sur leur fonction, et à ne pas intervenir dans le débat. Il s'agit de contribuer à structurer une pensée collective en invitant chacun à tenir au mieux le rôle qu'il endosse. Les autres participants, nommés "discutants " sont invités à s'exprimer. En effet, plus un groupe est grand, plus la tâche est difficile. Il s'agit de rester centré sur le thème, de ne pas répéter ce qui a été dit. Lorsqu'on s'adresse à des enfants, on rappelle que certains comportements éthiques attendus : on ne discute pas avec son voisin, on écoute, on essaie de comprendre, on ne se moque pas de ses camarades. On ne juge pas les personnes.
D) Quelques observations concernant le débat
Les interventions des participants portaient bien sur la critique des idées, notamment sur les présupposés compris dans l'introduction, par exemple : "C'est comme si la différence était d'emblée une richesse, et le problème, d'emblée quelque chose de péjoratif. " Après chaque intervention, l'animateur reformulait le propos, mettait en contraste des nuances, questionnait des termes, soulignait la problématique de certains énoncés ; ou il invitait le reformulateur à jouer son rôle. Le reformulateur a été sollicité pour résumer trois ou quatre interventions, et les participants confirmaient bien le fait de retrouver le sens de leurs propos dans les reformulations.
Le climat était plutôt apaisé, le rythme des interventions était peut-être ralenti par l'effort de penser. Sur une douzaine de participants, huit se sont exprimés, soit les deux tiers. Huit autres étaient occupés à leurs fonctions d'encadrement et d'observation du débat.
E) Observation critique : quelques avis exprimés portant sur les fonctions exercées par les co-animateurs
- Il n'y a pas eu de "hors sujet ".
- Les reformulations aidaient à donner au débat un rythme pondéré.
- L'animateur a construit les problématiques, notamment dans son introduction (par exemple : la différence peut entrainer des conflits sous-tendus par des rapports d'inégalité, lesquels peuvent être corrigés par la loi).
- Les rôles entre le reformulateur et l'animateur semblent se recouper, l'animateur reformulant assez souvent les propos des participants.
- Le distributeur de la parole a oublié de tendre la main aux "moins-disants "
- Le synthétiseur a synthétisé ses propres idées sur le sujet, sans restituer la "mémoire " du débat.
- Le débat semblait ne pas évoluer réellement, en dépit de la bonne qualité des reformulations.
F) Regard critique, en partie sous forme de questions par rapport au dispositif
- Les fonctions semblent difficiles à tenir dans leur définition stricte. Aussi demandent-elles du temps pour qu'on se les approprie.
- Comment débuter l'instauration d'une DVDP avec des élèves ou des adultes "standard ", c'est-à-dire, des personnes n'ayant reçu aucune formation spécifique ?
- Comment articuler les spécificités des rôles d'animateur et de reformulateur ?
- Comment gérer les réticences des participants à endosser un rôle ? Y-a-t-il chaque fois assez de volontaires pour toutes les fonctions requises ?
- Les personnes (élèves ou adultes) qui prennent des responsabilités dans la co-animation du débat se forment-elles simplement par la pratique ?
- Comment utiliser ou valoriser les différents rôles, notamment celui des observateurs ?
- Comment mieux faire évoluer un débat ? Qu'est-ce que faire évoluer un débat ?
G) Variantes proposées :
- Ne pas trop développer la thématique du débat dans l'introduction
- Faire reformuler des interventions par d'autres participants du groupe, à la demande du président, ou sur une base volontaire.
- Proposer de formuler des problématiques à différents moments du débat.
- Souligner des liens entre les interventions de différents participants pour mettre en contraste leurs propositions.
III) Atelier sur ""La rando Philo" (R : Georges Dru pour le dispositif, Yves Pinel pour la logistique)
A) Description du dispositif
Question générale à traiter : "Conversion philosophique et dialogue philosophique".
Le dispositif comprend trois phases :
- Les consignes transmises au départ de la promenade.
- La balade philosophique par équipe de deux personnes.
- Le débat en groupe plénier.
B) Les consignes
Les participants sont invités à marcher par paires et, sur le chemin de l'aller, l'un jouera le rôle du "philosophe " et l'autre celui de son disciple. Sur le chemin du retour, les rôles seront inversés, le disciple sera "philosophe ", et le philosophe, disciple.
C) Observations se rapportant au "format " du dispositif
Il y a eu un "flottement " dans l'organisation, mais cela n'a pas empêché un bon déroulement de l'atelier qui fut, par ailleurs, fort apprécié. Raisons de ce flottement : le texte préliminaire (une correspondance email) semblait "obscur".
Il y a eu des hésitations concernant le cadre horaire, l'animateur suggérant qu'il peut "bouger ", mais sans qu'il ait pris en compte l'horaire des autres activités. Concernant le débat en groupe plénier, on relève que l'animateur n'est guère intervenu.
D) Effet de la marche sur le dialogue
Il y a un effet relaxant apporté par la marche et par la nature environnante, tous deux invitant au dialogue et à une réflexion apaisée. C'est comme si marcher devant un horizon ouvert disposait également la pensée à s'ouvrir, alors que dialoguer face à face focalise l'attention de chaque interlocuteur sur l'autre, sur ses réactions, sur l'intérêt qu'il manifeste. Les rapports d'opposition ou de rivalité sont plus naturellement écartés par le fait de ne pas soutenir le regard de l'autre.
E) L'appréciation des rôles proposés
Lors de l'explication des consignes, le responsable a élargi la palette des rôles du philosophe : chacun pouvait s'identifier au "sage ", au "maître ", à la figure de Socrate, et à tout autre style de "philosophe ". Par ailleurs, un rapport de symétrie entre les participants était respecté, puisque sur le chemin du retour, les rôles ont été inversés.
Malgré cela, il y a eu une nette dichotomie entre les participants ayant apprécié ces jeux de rôle, et ceux les ayant moins appréciés. Un participant a demandé : Comment aurais-je pu être "le maître " sur un thème dont j'ignore tout ? Et un autre a précisé : l'ambiguïté du rôle de "maître " pouvait lui permettre de se positionner comme un "accompagnant " de son partenaire de marche, lequel, en tant que disciple, pouvait adopter la position d'une recherche philosophique.
L'appréciation des rôles |
---|
Pourquoi on a aimé |
Cela a permis d'approfondir, de pousser son questionnement assez loin |
Cela a permis de mieux connaître l'autre |
Cela a permis une créativité dans la relation |
Il y a obligation de mieux écouter lorsqu'on est à deux |
On pouvait s'essayer à une posture inhabituelle dans le rapport à l'autre |
Autres témoignages |
Nous avons préféré marcher à trois, comme les années précédentes |
Nous n'avons pas tenu compte des rôles proposés |
Les rôles maître-disciple s'effaçaient au gré de la promenade |
F) Observation critique portant sur l'échange en groupe plénier
L'animateur a rappelé quelques règles afin que le débat soit "démocratique " et "philosophique ", puis il a invité les participants qui s'estimaient être les "moins bavards ", et les moins formés en philosophie, à s'exprimer en priorité, soit durant la première partie du débat. Les plus bavards et les plus philosophes, eux, étaient invités à s'exprimer en dernier. Ensuite, l'animateur a laissé le débat se dérouler sans intervenir, rappelant simplement que le thème portait sur la conversion. Les participants ont alors évoqué ce qu'ils ont vécu lors de leur promenade.
Là aussi, on constate une dichotomie entre ceux qui ont apprécié, et ceux qui ont moins apprécié. En voici les raisons :
Pour :
- la restitution assez détaillée de ce que chacun a vécu avec la possibilité de réagir aux propos de l'interlocuteur;
- la richesse de la diversité des questions, des témoignages;
- la bonne qualité d'écoute;
- le sentiment d'un échange authentique.
Contre :
- la mise en commun de ce qui s'apparente à une énumération des expériences;
- l'absence de débat en tant que tel. La notion de conversion ne pose-t-elle que des problèmes de définition ?
- Les enjeux que posaient les problèmes de la "conversion " n'ont pas été vraiment abordés, discutés, précisés.
G) Quelques réponses à la question : "En savez-vous davantage sur la notion de "conversion " ?"
- J'aurais eu besoin de connaissances préalables sur la conversion
- La notion de conversion révèle toute sa complexité grâce aux nombreux exemples évoqués.
- En somme, on constate des oppositions tranchées dans l'approche de la notion de "conversion ", qui impliquerait :
- soit un bouleversement soudain, soit une démarche progressive;
- soit sous l'égide d'un maître, soit dans un cheminement autonome;
- soit sous l'emprise de la passion, soit dans le sillage de la raison.
H) Variante proposée :
- Que le moment d'échange plénier ne se limite pas à un moment de partage d'expériences, mais qu'il soit le lieu où l'on tente de problématiser la notion et les enjeux d'une conversion.
- Faire une synthèse des expériences, et prolonger le travail dans un atelier suivant.
I) Quelques témoignages et clins d'oeil des participants :
- Puisque le parcours est aisé, appelons cela une "promenade-philo " plutôt qu'une "rando-philo ".
- Notre dialogue, lors de la promenade, s'est centré sur un questionnement partagé, et non sur une relation asymétrique, ni sur l'apport de savoirs.
- Lors de la marche, j'avais parfois envie de me taire et de laisser l'environnement agir sur moi.
- Y-a-t-il des convertis philosophiques parmi nous ? La question me taraude.
IV) Atelier sur "Le Ciné Philo" (R. : Philippe Barbereau)
Le film choisi comme support du Ciné Philo était un film de guerre.
A) Description du dispositif
Un film choisi par le responsable d'activité est visionné en soirée. Il sert de support au débat qui a lieu le lendemain matin. Le dispositif du débat comprend deux grandes parties.
1) Formation de sous-groupes composés de 5/6 personnes auxquels sont transmis ces consignes :
- Partagez vos impressions (5 à 10 mn).
- Recherchez la thèse centrale du film qui est en rapport avec l'une des thématiques centrales du weekend, soit : les conditions du dialogue philosophique, soit la conversion (10 à 15 mn).
- Faire consensus pour présenter en une/deux phrases l'une des thématiques du film. (10 à 15 mn).
Autres précisions apportées :
- Choisissez dans votre groupe un gardien du temps qui veillera à l'accomplissement des tâches.
- Rédigez ou exprimez oralement votre synthèse personnelle puis, recherchez ensuite le consensus d'une synthèse générale.
- Votre thèse doit être accompagnée d'un ou de deux arguments précisant ce qui de la scène, du dialogue, ou de la voix off vous incline à penser qu'il s'agit là de la thèse essentielle de l'auteur ?
Durée totale de la partie en sous-groupe, environ 40mn.
2) Débat en groupe plénier structuré en plusieurs temps.
- Récolte des 4 thèses écrite sur le tableau
- Vote de la thèse qui semble la plus appropriée par rapport au film et à notre thème général.
- Débat avec un distributeur de la parole, et les modérations du responsable d'activité qui cherche à mettre en relation les interventions, à leur faire préciser leur pensée, à les questionner.
Durée totale du débat en groupe plénier, environ 1h00.
B) Retour critique du dispositif
On n'a pas aimé, voire on n'a pas pu supporter ce film en raison de ses scènes de guerre, de violence, et en raison de la durée du film.
On a aimé le film pour le rapport peu évident avec les thématiques du week end, mais qui se révèlent dans un second temps, après une analyse de l'évolution des personnages, de façon fine et profonde.
C) Observation concernant l'organisation des sous-groupes
Le nombre de personnes par sous-groupe, de 5 à 6, correspond à un optimum tant pour la capacité et la diversité des échanges au sein du sous-groupe en question, que pour le nombre de synthèses à collecter lors de l'échange plénier. Les étapes bien définies ont guidé les participants dans l'organisation de leur échange, durant lequel ils ont pu structurer leur pensée, la faire évoluer. Les sous-groupes ont respecté la consigne de rédiger en une phrase la thèse centrale du film qui mettait en évidence l'une des thématiques du week end. "La conversion " fut le choix de tous les participants, plutôt que celui des "conditions du dialogue philosophique".
D) Le débat en groupe plénier
La récolte des quatre ou cinq thèses principales rédigées au tableau, et leur lecture répétée, a permis à chaque participant de s'approprier leur contenu, et de choisir par la procédure d'un vote, celle qui se prêtait au mieux au débat que le groupe allait partager. Par ailleurs, en évitant une restitution des "impressions " de chacun, la dispersion des énergies (temps/échanges) fut contenue, et le groupe a pu se concentrer sur les enjeux soulevés lors du débat.
E) Variantes et suggestions
- Inclure une femme dans le choix du film.
- Proposer plusieurs films et voter pour celui qui retient l'intérêt du groupe.
- Expliquer le choix du film, et l'intention qui motive ce choix.
- Travailler à partir des contradictions dans les thèses que défend le film.
- Travailler davantage l'argumentation à partir du film, et non à partir des idées et des théories.
F) Nouveauté dans le débat
Il fallait discuter à partir de l'affirmation d'une thèse, et non à partir d'une question. Souvent la pratique consiste à chercher la question à laquelle le film tente de répondre, afin de la mettre en débat. Mais là, il s'agissait de questionner les postulats d'une thèse philosophique soutenue par le film. Nous ne l'avons jamais fait jusqu'à présent ici. Une autre possibilité consiste à lancer un débat à partir des "notions " que nous inspire le film (la peur, la guerre, l'engagement...), et à repérer les façons dont l'auteur problématise, argumente, construit cette notion.
G) Quelques témoignages et clins d'oeil
- Les échanges en petits groupes ont fait évoluer mon appréciation du film.
- Les opinions que nous avions au départ ont évolué vers des idées plus abstraites, jusqu'au concept de "l'être-au-monde ", et vers les notions du bien et du mal.
- Nous n'étions pas d'accord avec la thèse dans notre sous-groupe, mais la démarche de recherche de consensus m'a paru importante à faire.
- Les critères qui ont présidé au choix de ce film (dont l'étalage de violence m'a saoulé) resteront une énigme.
- Le thème de ce film était la mort et la guerre (un/e participant-e en colère)
H) Une réflexion
L'hyper-structure et la conduite de cet atelier, loin de "brimer " les consciences ou les libertés a, en fait, offert des cadres stimulant pour la pensée. Il y a ici une réflexion à mener entre créer un dispositif qui invite :
- à s'exercer à une liberté de pensée, à des échanges éthiques, à des formes de démocratie;
- et celui qui contraint la liberté de pensée à s'ordonner, et canalise les énergies vers le maintien du dialogue, vers une réflexivité qui se structure.
V) Atelier sur " La discussion à partir de textes, en fermant les yeux"(R. : Gunter Gorhan)
A) Descriptif du dispositif
Thème : Discussion à partir de six textes sur le thème de la conversion philosophique (voir ces textes en annexe). Question posée : "La conversion philosophique : réalité, expérience, illusion, aliénation, mystification ?".
L'atelier comprend cinq phases :
- Un mois avant l'atelier, des extraits de textes sélectionnés par le responsable ont été envoyés aux participants afin qu'ils puissent les lire.
- Au jour de l'activité, chaque participant est invité à rédiger en quelques phrases (voire en image, en poésie) ce que l'idée de "conversion philosophique " lui évoque. Durée 10 mn.
- Echange plénier. Durant le débat, il est demandé de ne pas lire sa rédaction, de la garder pour soi, et de parler les yeux fermés. Durée 50 mn.
- Retour à la phase "pour soi ". Les participants rédigent à nouveau un petit texte en prenant en compte ce qui a été dit dans le débat. Durée 10 mn.
- Echange plénier. Mot de la fin pour partager sa synthèse.
Animation : Le responsable se propose de jouer tous les rôles : animateur, gardien du temps, reformulateur.
B) Regard critique sur l'intérêt des textes proposés
A la question : "Le choix des texte, leur lecture, vous ont-ils permis de saisir les enjeux de la notion "conversion philosophique ?", les avis sont partagés. Des participants pensaient que les textes seraient lus en groupe, et donc ils ne les ont pas lu. D'autres estiment que les textes les ont éclairés en partie. D'autres soulignent l'inégale complexité des six textes proposés.
Peut-être pouvons-nous demander au responsable les raisons qui ont présidé au choix de ces textes ? Etaient-ils porteurs des convictions du responsable, étaient-ils destinés à partager son questionnement ? Ces textes avaient-ils un objectif pédagogique ? Si oui, lequel ? Par exemple, permettre aux participants de s'initier à la notion de conversion ? Présenter un ensemble de problématiques liées à la notion de conversion ? Mettre en perspective synchronique ou diachronique cette notion ?
C) Parler les yeux fermés en groupe en formulant des propositions
L'expérience, ou l'effet créé sur les participants ont été diversement appréciés.
Voici trois témoignages :
- "Parler les yeux fermés m'a recentré sur mon ressenti, et je me suis sensiblement écarté de mon écrit. "
- "Je n'ai pas parlé, mais j'ai mieux écouté. J'ai constaté l'omniprésence de la notion de "Dieu ", de "maître " et les enjeux que les autres participants associaient au thème de la conversion. "
- "Je n'ai pas entendu de propositions mais des propos subjectifs, des narrations intellectuelles, psychologiques, poétiques ".
De fait, il n'y a pas eu de débat durant l'échange plénier mais une succession de témoignages de ce qu'évoquait pour le participant l'idée de conversion. Cet effet est-il dû au fait de parler les yeux fermés ? C'est une hypothèse que l'on peut risquer : en fermant les yeux, c'est soi que l'on ressent, et c'est à partir de son expérience que l'on est tenté de parler, on oublie d'inscrire son propos dans un débat, et dans un questionnement partagé avec autrui.
D) Le statut du témoignage en philosophie
A la suite de cette expérience se pose la question du statut du témoignage en philosophie. Comment tel ou tel témoignage peut-il ouvrir sur un questionnement philosophique, et conduire à un débat qui se dégage du cas personnel pour tendre vers une recherche de principes généraux, vers l'élaboration d'une herméneutique ? Pour le formuler autrement, le témoignage peut-il être réflexif et laisser percevoir les visions du monde qui le sous-tendent ? Quelles sont les conditions éthiques d'un échange philosophique où les participants sont conduits à révéler des aspects de leur vie privée ?
E) La synthèse dans la suite d'un processus en plusieurs étapes de l'atelier
Une grande majorité des participants fait le constat d'une prise de distance à l'égard de leur pensée tout au long du déroulement des étapes de l'atelier : réflexion écrite, échange plénier, réflexion écrite qui prend en compte ce qui a été dit, et échange plénier à nouveau. La "matérialisation " par l'écrit en deux étapes objective les déplacements de la pensée. L'alternance écrit/échange en quatre temps est donc très intéressante au titre du mouvement qu'il invite à faire entre différents points, et au fait d'aider le participant à en prendre conscience. De nombreux participants expriment leur reconnaissance à l'égard du responsable, en raison des découvertes qui ont été les leur durant cet atelier.
F) Suggestions
- A partir des témoignages, rechercher les visions du monde qu'il peut sous entendre.
- Ajouter un temps de lecture partagé avant la rédaction du premier texte.
- Durant le débat, faire la différence entre commenter, reformuler et discuter la pensée des participants.
- Rechercher des liens entre les différentes propositions des participants, en souligner les contrastes, et rechercher les questions que posent les contradictions.
- Poser une question de départ avec plus de précision.
Annexe : les textes sur la conversion philosophique
1)
C'est le moment du suspens où ce qui est à dire sonne comme en creux, le déja dit ayant épuisé ses normes. Mais ce creux n'est pas rien. S'inscrire dans cet écart qui s'ouvre entre ce qui ne peut plus s'effectuer et ne peut encore d'effectuer, prendre en charge cet écart, l'affirmer comme la connexion vivante, qui rassemble ce que je ne veux plus être et ce que je cherche à pouvoir être, c'est en cela que consiste l'exercice en acte et le sérieux du penser. Un fois dans la vie au moins cet état doit advenir, à peine de vivre absent de sa propre pensée, quand bien même on aurait entassé savoir sur savoir, et machiné méthodiquement les plus malignes stratégies. C'est là une donnée d'expérience traditionnelle, qui nous porte, nous qui lisons des philosophes, à reconnaître de la philosophie et à dire : "Oui, ici, quelqu'un a pensé". "Il" a pensé. C'est à dire quelqu'un qu'un nom propre désigne a vécu et exprimé cet écart entre un "il faut" qu'il lui advient et un "je peux" dont il s'inquiète.
Jean-Toussaint Desanti, Un destin philosophique, Hachette Littératures 2008, p.131.2)
Je crois cependant pouvoir dire sans trop me tromper : qui n'a pas fait l'épreuve de la cassure, qui n'a pas subi l'effondrement du sens reçu, qui ne cherche pas, à partir de cet état de retrait, à recouvrer le sens perdu, demeurera toujours au bord de la philosophie, quand bien même il deviendrait expert en fait de "lecture de textes" - un expert de plus, on n'en manque pas.
Ibid. p. 145 et p. 146.3)
Appelons philosophie la forme de la pensée qui s'interroge sur ce qui permet au sujet d'avoir accès à la vérité, la forme de pensée qui tente de déterminer les conditions et les limites de l'accès du sujet à la vérité (voir Kant). Eh bien .....on pourrait appelerspiritualité la recherche ,la pratique ,l'expérience par lesquelles le sujet opère sur lui-même les transformations nécessaires pour avoir accès à la vérité.
La spiritualité postule que la vérité n'est jamais donnée au sujet de plein droit .. par un simple acte de connaissance ( Descartes).Elle postule qu'il faut que le sujet se modifie, se transforme .. devienne autre que lui-même pour avoir droit à l'accès à la vérité. .....Car tel qu'il est , il n'est pas capable de vérité Il ne peut avoir de vérité sans conversion ou sans transformation du sujet.
4)
La philosophie médite peu la conversion; elle semble la considérer comm l'expression d'une fois singulière, étrangère comme telle au souci théorique, à visée universelle, qui l'anime. [...]
Or ce manque d'attention pour la conversion par la philosophie relève d'une exclusion plus décisive : celle de la spiritualité. Souvent suspects de pactiser avec l'imaginaire ou l'irrationnel, les penseurs qui osent encore l'accueillir manqueraient au pacte scientifique qu'un travail philosophique se devrait d'honorer quand il s'efforce de réfléchir aux conditions à remplir pour départager les opinions relatives et hasardeuses d'une pensée rigoureuse, précise et argumentée. Pourtant, si l'on entend par "spiritualité" "la recherche, la pratique, l'expérience par lesquelles le sujet opère sur lui-même les transformations nécessaires pour avoir accès à la vérité" (Michel Foucault, cité supra), la philosophie doit-elle entretenir une réelle méfiance à son égard ?
La spiritualité, dans cette optique en effet, enseigne que celui qui cherche la vérité doit lui-même se trannsformer pour l'approcher. "Il ne peut pas y avoir de vérité sans une conversion ou une transformation du sujet" (M. Foucault, ibid.). Or, si pour devenir capapble de vérité, un long et difficile travail sur soi-même s'avère indispensable, il ne sufit pas de disqulaifier la spiritualité pour être quitte avec ce qu'elle demande de soi. Les philosophes de l'Antiquité le savaient qui, quant à eux, n'ont pas vu dans la conversion une revanche de l'obscurité de la raison, mais bien une exigence philosophique. Chercher la vérité impliquait de changer de vie et, en retour, entrevoir la vérité transformer le sujet [...] Une conversion était requise de quiconque voulait devenir philosophe.
5)
C'est certainement là l'explication de la "difficulté" de la philosophie : il faut que celui à qui on s'adresse fasse un travail, ou bien manifeste un travail, dont en effet le questionnement socratique est en partie responsable, puisque c'est Socrate, et personne d'autre, qui est capabe de faire découvrir qu'une nouvelle signifcation d' erôs existe. Mais les dialogues [platoniciens, G.G.] montrent aussi les limites de cette transmission possible (tel est le destin de Socrate). Mais c'est cependant à cette seule condition que la philosophie peut procéder à une critique du sens, à des mocifications de sens, et c'est là la seule condition de la conversion du discours philosophique. C'est donc à une transformation de soi que le discours philosophique doit conduire.
Jérôme Jardy, La conversion philosophique, éditions Le Manuscrit, p. 130 et p. 131.