Un "café théo" fonctionne depuis 3 ans à Narbonne. Nous avons voulu cerner le sens de cette initiative originale, et la comparer au café philo.
Michel Tozzi - Pourquoi cet intitulé : la parole vous est donnée ?
Michel Jas, pasteur : Parce que cet intitulé est lié, fait allusion à un présupposé très protestant, la Parole résonne pour nous comme une référence divine (Jean 1) et le salut est pour nous compris comme un don (don, grâce, illumination qui vient à nous (Galates 2/16). On a dit que le protestantisme était la religion de la Parole, et pas seulement formulée, inventée, mais reçue et donc partagée.
Georges d'Humières, président du Conseil Presbytéral de Narbonne : Il a été choisi par Michel, nous l'avons accepté tel quel en conseil presbytéral. Récemment lors de notre dernier conseil, nous avons proposé une nouvelle dénomination : "Les jeudis du temple" avec en sous-titre : "La parole vous est donnée". Pour ma part, je ne parlerais pas de café-théo. Nous ne sommes pas au café, même si nous partageons un verre de l'amitié en fin de séance.
Sylvie Queval : L'intitulé a été choisi, à ma connaissance, par Michel Jas qui peut expliquer ce choix. Je le trouve un peu gênant dans la mesure où il est long et d'emploi peu commode. On ne dit pas : "je vais à la parole vous est donnée", c'est un bon sous-titre mais ce n'est pas le nom d'une activité. Je fais l'hypothèse que la désignation "café théo" s'est imposée parce qu'on avait besoin d'un nom pour cette pratique.
Jean-Francis Garros : Il s'agit d' un moment privilégié où la parole peut circuler librement, les deux seules contraintes étant l'heure (18h30-20h) et la demande de la parole (avec priorité à ceux qui ne se sont pas encore exprimés). En effet pendant le culte du dimanche, la parole n'est pas donnée aux fidèles. Ils suivent le rituel, chantent ce qu'on leur propose, et écoutent le prédicateur.
MT - Quelles différences (et ressemblances) avec vos autres moments d'échanges dans la communauté protestante ?
SQ : Je ne vois pas de ressemblance. C'est un moment original, nouveau dans nos pratiques. C'est tout son intérêt !
GD'H : Il n'y a pas vraiment de ressemblance. C'est un lieu de parole ouvert à tous, croyants et incroyants, qu'ils soient agnostiques ou athées. La parole y est libre.
JFG : Il existe trois autres moments d'échange, mais avec des objectifs spécifiques : 1- Le Conseil Presbytéral, pour le fonctionnement matériel et spirituel de la paroisse. 2- Les Etudes bibliques, pour analyser des textes, 3- L'Entraide protestante, pour le soutien aux plus défavorisés en situation de solitude.
MJ : Les protestants minoritaires, même dans le Midi de la France, en raison de la joie de pouvoir se retrouver, ont beaucoup parlé et échangé de façon spontanée et non structurée avant et après les cultes. Ce temps de parole fut important aussi lors des veillées cévenoles et lors des assemblées de secteurs ou de consistoires. Les protestants vivent leurs rencontres avec une structuration républicaine de type fédératif. Les Assemblée Synodales reprennent les sujets d'Eglise et de société de façon bi annuelles, et les communautés protestantes se sont appropriées les associations 1905, même au niveau des plus petites assemblées locales. L'esprit de 68 souffla aussi assez fortement sur les groupes ecclésiaux issus de la réforme (huguenote ou luthérienne). Certaines communautés ont proposé une parole libre après chaque prédication, d'autres des cultes débats, ou cultes partages. En fait cette pratique existait dans les groupes piétistes du XIXe siècle Quakers, Darbystes ou Méthodistes.
MT - Quelles ressemblances et différences avec un café philo ?
JFG :Même fonctionnement pour les prises de parole (animateur et secrétaire de séance), mais pour le café théo, choix des thèmes en fonction de la spiritualité et du vivre-ensemble.
SQ : La grosse différence est le lieu. Se réunir dans une salle dédiée au culte ou dans un café change tout. Au café, on peut boire tout en participant à la discussion ; dans le cas de "La parole vous est donnée"on boit un verre après l'activité. C'est nécessairement moins décontracté.
GD'H : Les séances sont au temple, dans un lieu donc connoté mais pas sacré. Ceci veut quand même signifier que les personnes qui viennent comprennent l'ouverture de la communauté protestante et que le lieu et l'initiative d'origine protestante ne les rebutent pas.
MJ : La théologie étant souvent très proche de la philosophie, je ne vois pas de différence substantielle entre les deux approches quant au fond.
MT - Quel est la spécificité de ce moment ?
SQ : A mes yeux, c'est l'ouverture du lieu de culte sur la cité, le brassage du public. Tout l'intérêt me semble la mise en débat des questions de foi, de convictions religieuses.
JFG : Moment de grande liberté où personne ne juge ni ne se sent jugé. Les interventions peuvent faire appel à des expériences personnelles ou à des échanges d'idées : pour les croyants, il s'agit de réflexion et de recherche avec d'autres, pour les incroyants de questions... sans réponses.
MJ : Après cinq ou dix minutes d'introduction, sous forme quelquefois provocatrices (nous avons donné, dans un temple protestant, les raisons de croire ou de ne pas croire en Dieu, les raisons d'apprécier ou de rejeter l'exercice de la prière ou les façons de nier totalement ou en partie l'aspect miraculeux ou de thaumaturge de Jésus), nous laissons dans la plus grande liberté et une totale confiance la parole à qui la demande. La prise de parole a été rarement manipulée par une personne ne cherchant ni l'écoute ni le travail en groupe pendant ces trois ans d'expérience.
GD'H : La parole est libre, décomplexée, chacun peut prendre la parole, quelles que soient sa formation, ses convictions, ses origines confessionnelles ou non, sociales, professionnelles. La reformulation ou la modération à l'avantage de donner un sens (direction) aux interventions et évite les prises de paroles répétées de certains au détriment des autres. La modération par quelqu'un qui n'est pas protestant est un gage de neutralité qui apporte un plus dans les échanges.
MT - Pourquoi avez-vous décidé cette activité ? Quels objectifs poursuivis ?
JFG : Volonté d'ouvrir le Temple, de donner une visibilité à la tolérance qui anime la communauté protestante, de dialoguer en toute liberté avec d'autres croyants différents, des athées ou des agnostiques.
SQ : Michel Jas est l'instigateur de cette activité, il peut répondre à cette question. Je m'y suis impliquée parce que j'estime enrichissant pour tout le monde d'ouvrir les portes, de créer des confrontations de points de vue. Un motif est aussi de faire connaître le protestantisme historique (classique, non évangéliste), très minoritaire et méconnu.
MJ : Nous avons lancé cette animation dans l'Aude, car nous avons observé que, quand nous organisions des conférences, le moment préféré des auditeurs était celui du partage et de la confrontation d'idées avec les autres après l'exposé magistral. J'ai de plus en plus observé, ces vingt dernières années et déjà dans mes précédentes paroisses, combien dans les groupes de quartiers ou groupe d'étude biblique, plus que l'apport théorique, c'était l'échange interpersonnel qui était apprécié !
GD'H : Quand Michel J. a proposé cette activité, c'était à une époque où nous réfléchissions à une plus grande ouverture de notre communauté. La parole vous est donnée permet d'entendre des discours différents, favorise des échanges entre des personnes aux convictions et aux motivations très différentes.
MT : Quel choix de méthode ?
JFG : D'abord le choix symbolique du lieu : le temple ne semble pas arrêter des personnes réticentes à entrer dans un lieu confessionnel (peut-être par l'absence du "sacré" et du cléricalisme qui caractérisent le protestantisme ?). Quant à la méthode, elle est un apprentissage à la prise de confiance dans l'expression publique, un exercice de fonctionnement démocratique : les conditions d'un vrai dialogue y sont réunies. La taille du groupe (40 personnes maximum) permet de dépasser les inhibitions devant la prise de parole.
SQ : Peut-on parler de méthode ? Sur trois ans, on a beaucoup tâtonné et pas vraiment trouvé la bonne formule. L'idée est d'introduire un questionnement puis de donner la parole aux présents. La question reste ouverte de savoir si l'introducteur (ou les) peut, doit ré-intervenir dans le cours des échanges. Faut-il recentrer le débat quand il s'éloigne du thème annoncé ? Faut-il intervenir pour faire un apport informatif ou rectifier une erreur manifeste ? Ces questions n'ont pas été résolues (ni vraiment discutées). Des questions semblables se posent pour l'animation des cafés-philo et des tendances très variées se dessinent.
GD'H : Si l'on considère que le principe des présentations et de débat avec modération est une méthode, alors, oui il y a de la méthode. Néanmoins elle doit être améliorée, nous avons beaucoup tâtonné entre un et trois intervenants. Avec parfois des étrangetés : soutenir la thèse à laquelle on ne souscrit pas ! On n'est jamais meilleur que lorsque l'on parle, lorsque l'on défend ce que l'on aime et l'on croit. Je pense que cet exercice est à éviter. Nous ne sommes pas là pour s'exercer à plaider ! Un point me paraît à revoir également : les introductions doivent être au plus à deux voix. Trois, c'est trop. Je crois à la formule de la "disputatio". Elle favorise le débat constructif et la courtoisie. La modération me semble indispensable.
MT - Pourquoi une évolution des introductions ?
GD'H : Même réflexion qu'à la question précédente. J'insisterais pour qu'elles soient bien travaillées, claires, synthétiques et accessibles à tous.
SQ : Les changements (intro à une, deux, voire trois voix) sont la conséquence des incertitudes sur la méthode. Au départ, le principe de la disputatio médiévale avait été adopté, mais il n'a guère été tenu, sans doute trop exigeant.
MJ : Nous avons essayé une année de proposer, en introduction, la présentation de deux options théologiques opposées : par exemple vision moniste face au problème du mal, ou vision à orientation plus dualiste (le mal ne vient pas de Dieu). Nous avons proposé que l'un des introducteurs présente le point de vue de l'autre et l'inverse entre le pasteur et une conseillère presbytérale. Au lieu d'enrichir l'approche en la dépersonnalisant, l'assistance a préféré que l'on prenne des introductions peut être provocatrices mais pas croisées. J'ajoute qu'il est important de veiller à la brièveté des introductions !
JFG : On est passé d'une introduction à deux introductions, où chacun présentait la thèse opposée à ses propres convictions. Puis retour à deux introductions où chacun expose ce qui lui tient à coeur. On y a gagné en vérité et confiance.
MT - Pourquoi et comment le choix des thèmes ?
SQ : Pour les deux premières années, j'ignore. Pour la troisième, il s'agit de préparer 2017, le cinq centième anniversaire de l'affichage des thèses par Luther à Wittemberg.
JFG : Les thèmes sont choisis démocratiquement en Conseil presbytéral, avec toujours une double dimension spirituelle et sociétale. C'est souvent l'Histoire (par ex. le 500ème anniversaire des thèses de Luther) ou l'actualité (les libertés en danger).
GD'H : Les thèmes jusqu'à présents ont été choisis par Michel Jas en concertation avec les deux conseils presbytéraux de Narbonne et Carcassonne. Si les premiers thèmes ont été plus portés sur Dieu, les trois personnes, la Bible, le salut, le thème de cette année était lié à l'actualité religieuse (en préparation de 2017, 500e anniversaire de la Réforme et donc la volonté de revisiter les thèses de Luther) et les questions traitées étaient proches du questionnement de la société aujourd'hui. Il me semble qu'il faut continuer à trouver des thèmes en résonnance avec les préoccupations, les quêtes de la société contemporaine.
MJ : Nous avons commencé la première année par les questions les plus simples du catéchisme, puis l'année suivante les questions plus existentielles : le mal, le Salut et/ou la vie éternelle, la conscience morale ou éthique, la référence scripturaire. Et cette année nous avons bousculé une thématique qui voulait actualiser l'apport critique venu de Luther après l'attentat contre Charlie Hebdo en abordant les questions de liberté, de blasphème et de laïcités (au pluriel !).
MT : Quelles variantes entre Narbonne et Carcassonne (pour isoler la variable "animateur de café philo") ?
JFG : La présence sur Narbonne d'un régulateur expérimenté qui sait reformuler les questions, synthétiser les interventions et recentrer le débat est un atout très positif. Mais qui exige un savoir-faire.
MJ : La grande différence pour l'expérience à Narbonne est d'avoir bénéficié de l'apport d'un reformulateur "accoucheur de sens" en la personne de Michel Tozzi. A Carcassonne nous avions la participation d'Henri Callat, responsable du café philo de Carcassonne, mais à titre privé. La Parole à Carcassonne fut sans doute plus libre mais quelquefois aussi un peu déstructurée !
SQ : La communauté protestante de Carcassonne est beaucoup plus impliquée dans l'activité que celle de Narbonne. Elle participe en plus grand nombre aux séances. Je ne sais pas expliquer ce fait, je le constate.
A Narbonne, l'animation par le responsable de l'Université populaire attire un public non rattaché à une confession religieuse particulière, public de personnes qui se connaissent.
GD'H : Je ne me permettrais pas de parler pour les conseillers de Carcassonne. Mais pour être intervenu une fois dans cette ville, dans d'excellentes conditions, il me semble qu'il y manque une modération. J'ai cru comprendre que lors de certaines séances, des personnes de l'assistance ont monopolisé le temps de parole, créant un déficit d'échange d'idées. Je note une meilleure implication qu'à Narbonne de la communauté protestante de Carcassonne.
MT - Quel bilan après 3 ans et 12 séances ? Quel projet pour l'avenir ?
JFG : Expérience positive qui a su fidéliser une quarantaines de personnes d'horizon divers (avec paradoxalement une minorité de protestants). Le projet sera maintenu en 2015-2016, compte-tenu du degré de disponibilité des intervenants laïques et du nouveau pasteur.
MJ : Tous veulent continuer. Il faudra néanmoins penser que toutes les expériences s'usent et doivent se renouveler. Dans mes précédentes paroisses, je n'ai pas continué la lecture biblique discutée communautairement et librement avec vidéo projecteur plus de quatre ans et les cultes débats du samedi soir plus de cinq ans. Peut être faire une pause d'une année et reprendre avec de nouvelles perspectives et des volontés renforcées.
SQ : Bilan mitigé. Au positif : l'activité a attiré du monde, des chrétiens, des agnostiques, des athées (+ des musulmans à Narbonne). Les gens se sont exprimés et se sont dits heureux des échanges. Le protestantisme est sans doute un peu moins méconnu. Au négatif : les flottements sur la méthode signalés plus haut. Et, dans l'ensemble, un manque de rigueur, le thème annoncé a plusieurs fois été oublié pour des considérations plus ou moins proches. Projet : c'est en discussion. Je souhaite personnellement que l'activité se prolonge et soit l'objet d'une discussion de fond quant à son organisation. Il faudrait aussi lui trouver un titre, tout en gardant le sous-titre programmatique "la parole vous est donnée". "Café-théo" ne convient pas puisque les rencontres ne se font pas au café et qu'on y fait bien peu de théologie. Quelque chose comme "Les mercredi (ou n'importe quel autre jour) du temple" m'irait bien.
GD'H : Ces trois années me sont parues positives. La formule peut être améliorée. Comme répondu à la question précédente, je regrette le peu de participation des membres de la communauté de Narbonne à l'inverse de celle de Carcassonne plus impliquée et ce malgré une information régulière. Ceci fera peut-être l'objet d'une interrogation à l'assemblée générale en début d'année 2016. Pour Narbonne, en conseil presbytéral, nous avons décidé de reconduire la formule au printemps 2016. Le thème reste à trouver ; sans doute faut-il attendre le prochain conseil d'Ensemble (Carcassonne et Narbonne) avec la présence de Charles Klagba, le nouveau pasteur, pour arrêter le thème.