Revue

L'enseignement de la philosophie en terminale au prisme des sciences de l'éducation

Lorsque je suis devenue enseignante de philosophie en lycée, j'ai pris mes fonctions en ayant une certaine conception des qualités que devaient avoir un professeur de philosophie. Tout d'abord, cela devait être un enseignant doté d'une vaste culture générale et possédant une bonne maîtrise de sa discipline. Je gardais un sentiment mitigé de ma professeure de terminale, dont j'avais parfois l'impression qu'elle n'était pas en mesure de répondre à mes questions et qu'elle n'avait plus lu de philosophie depuis ses années d'études. Ensuite, il me semblait que l'enseignant de philosophie devait apporter un soin particulier à didactiser les exercices du baccalauréat de manière à les rendre le plus accessible possible à tous. Enfin, j'avais une sympathie pour les pédagogies libertaires et il me semblait que le cours de philosophie devait être interactif et ouvert sur le monde, par exemple en favorisant le débat entre les élèves.

Néanmoins, j'ai été conduite à me rendre compte que ma vision initiale de l'enseignement de la philosophie était insuffisante pour faire face à la pratique réelle. Ainsi, il me semblait que les élèves n'accordaient pas autant d'importance que cela à la compétence intellectuelle de l'enseignant. Contrairement à ce que je pensais, l'effort de didactisation ne suffisait pas à rendre les élèves bons en philosophie ou du moins à leur faire aimer cette discipline. Enfin, il me semblait que les élèves étaient relativement éloignés dans leur conception de l'enseignement et dans leur comportement en cours de ce que semblait requérir une pratique libertaire.

Afin d'améliorer mes pratiques d'enseignement, je demandais aux élèves chaque année d'effectuer en fin d'année une évaluation de mon cours : cela m'a permis en particulier de réunir un certain nombre d'informations sur les représentations de la philosophie selon les élèves1. En outre, et parallèlement, j'ai entrepris dès que je suis devenue enseignante un travail conséquent de lectures et de réflexion sur des travaux en sciences de l'éducation2. Je pensais qu'il était possible de se servir de ces travaux pour améliorer mes pratiques d'enseignement. Nombre de stagiaires de l'enseignement déplorent le caractère trop théorique des apports en sciences de l'éducation, qui leur semblent inutiles pour la pratique d'enseignement. Tel n'était pas ma conviction. En revanche, il me semblait que la difficulté venait de la nécessité pour l'enseignant de réussir à produire des pratiques concrètes à partir de ces recherches théoriques.

L'objectif de cet article est donc de présenter les pratiques que j'ai essayé d'expérimenter durant l'année scolaire 2014-2015, en m'appuyant sur mes lectures en sciences de l'éducation et de faire un bilan de ces expérimentations. En ce qui concerne le contexte d'établissement dans lequel j'exerce, il s'agit d'un lycée de niveau moyen, situé dans une ville de banlieue pavillonnaire des Yvelines. Le lycée général et technologique accueille principalement des élèves issus des classes moyennes. Durant cette année scolaire, mon service a été composé de trois classes : une terminale littéraire (L), une terminale économique et sociale (ES), et enfin une terminale science et technique industrielle (STI). Je dois ajouter à cela que j'ai demandé à être professeur principal de ma classe de terminale L. Mon hypothèse était, sur ce point, que l'enseignement de philosophie à raison de 8h par semaine dans cette filière, s'il se passait bien, pouvait être un moteur positif pour l'ensemble de la scolarité des élèves d'une terminale L. Je vais axer ma présentation principalement sur mon travail en terminale L et en STI. En effet, en raison d'un volume horaire très différent entre les deux filières (2h par semaine en STI contre 8h en L), j'ai du adopter sur certains points des pratiques très distinctes.

Les principales lectures en science de l'éducation qui ont influencé ma pratique.

Mes lectures en sciences de l'éducation m'ont conduite à essayer de tenir compte d'un certain nombre d'éléments dans ma pratique. Je vais donc commencer par présenter les travaux scientifiques qui m'ont le plus influencée.

Les travaux sur les représentations du bon enseignant, l'effet maître et les pédagogies efficaces

Premièrement,j'ai essayé de tenir compte des apports d'un ensemble de travaux portant sur la représentation des élèves de ce qu'est un bon enseignant3 et des travaux sur l'effet maître4 et les pratiques pédagogiques jugées les plus efficaces. De ces lectures, j'ai retenu en particulier l'importance que les élèves et les études accordaient à la tenue de classe et à la structuration du cours par l'enseignant. En gros, pour les élèves, un bon enseignant est quelqu'un qui tient bien sa classe et qui fait des cours clairs et structurés. Cela était d'autant plus important que pour moi, la tenue de classe n'était pas a priori le critère que j'aurai placé en premier.

Les travaux sur les facteurs d'échec scolaire, en particulier relatifs à l'inégalité sociale

Une deuxième série de travaux qui m'ont influencé sont ceux qui portent sur les facteurs d'échec scolaire, en particulier relatifs à l'inégalité sociale. Tout d'abord, j'ai été marquée par le décalage entre le niveau de travail d'un élève et ses résultats scolaires : un élève peut passer beaucoup de temps à travailler et avoir de résultats médiocres, voire insuffisants5. Cette déconsidération implicite du travail scolaire me semblait également mise en valeur par les travaux sur la constante macabre6 : la tendance des enseignants est de noter les élèves en les classant avec un tiers de bons, un tiers de moyens et un tiers de faibles. Il me semblait en outre que la notation contribuait à un second effet pervers : elle accentue un rapport utilitariste des élèves aux savoirs7, qui les détourne d'un intérêt intrinsèque pour les contenus enseignés. Or des travaux aussi bien en sociologie qu'en psychologie de la motivation montrent que le rapport au savoir est un facteur de réussite scolaire. Ensuite, il me semblait important de tenir compte d'un ensemble de travaux qui mettaient en valeur le fait que les implicites favorisaient les élèves forts au détriment des élèves en difficulté : il fallait au contraire chercher à rendre explicite les attendus8. De même, des travaux ont souligné que la différence entre un élève fort et un élève faible ne tient pas dans la capacité à parvenir à réaliser une tâche donnée, mais dans l'importance de l'étayage pour réaliser cette tâche : un élève faible a besoin que plus d'étapes intermédiaires soient explicitées pour parvenir à réaliser la tâche. Enfin, une autre série de travaux me semblaient importants pour comprendre l'échec scolaire des élèves, c'est ceux qui insistaient sur la difficulté des élèves à trouver du sens dans les apprentissages scolaires et la nécessité pour l'enseignant d'être attentif à fournir ce sens9.

Les travaux en psychologie cognitive

Une troisième série de travaux ont également fortement influencé ma pratique, les travaux en psychologie cognitive et socio-cognitive. Ces travaux m'ont plus marquée que ceux issus du socio-constructivisme. Cela tient à plusieurs raisons. Tout d'abord, j'ai eu l'impression de davantage reconnaître mes expériences d'apprenante dans les apports de la psychologie cognitive que dans ceux du socio-constructivisme. En outre, les démarches socio-constructivistes me semblaient demander une grande maîtrise pédagogique que je n'avais pas l'impression de posséder. Elles sont en plus de cela très chronophages à la fois sur le plan de la préparation et du travail effectué avec les élèves. De ce fait, elles correspondent assez peu à mon tempérament porté à une certaine rapidité (ce qui n'est certes pas une qualité pédagogique) et également vers un goût pour une part d'improvisation.

En revanche, j'ai été particulièrement intéressée par plusieurs types de travaux du courant cognitiviste. D'une part, par ceux qui portent sur la métacognition et les stratégies d'apprentissage : il s'agit de rendre l'élève conscient de toute une activité mentale invisible qu'effectue les élèves en réussite scolaire10. D'autre part, j'ai été marquée par les travaux d'Alain Lieury sur la mémoire sémantique11 et l'importance des lectures personnelles dans la réussite scolaire des élèves12. Ces travaux montrent le lien qui existe entre l'activité mentale de relier les informations entre elles et de les organiser et la capacité à les comprendre et à la mémoriser.

Enfin de manière générale, je me sentais en accord avec l'orientation visant à construire une école bienveillante. Cela signifiait, pour moi, une école qui atténue le stress lié aux notes, une école qui prenne en compte la personnalité de l'élève et essaie de personnaliser l'enseignement. En un mot, une école qui traite l'élève comme une personne et non comme un usager anonyme.

Hypothèses initiales et expérimentations mises en place

Je vais maintenant présenter les pratiques pédagogiques que j'ai été conduite à expérimenter en tenant compte de ces travaux. Ma présentation me conduira parfois à dissocier mes pratiques en terminale L et en terminale STI. En outre, cette présentation m'amènera à devoir compléter la série des références théoriques sur lesquelles je me suis appuyée.

La mise au travail comme stratégie de tenue de classe

Tout d'abord, j'ai essayé d'être la plus attentive possible à la tenue de classe. Il faut dire qu'avec le temps, ma sensibilité aux bavardages s'est accentuée. Mais je ne souhaitais avoir recours ni aux sanctions disciplinaires, ni à un excès de ritualisation mécanique des pratiques. En particulier, en ce qui concerne ma terminale STI, c'est sur la mise au travail des élèves13 que j'ai souhaité m'appuyer. Mon idée était qu'un élève qui bavarde ou qui perturbe le cours est un élève qui n'est pas occupé. J'ai donc entièrement supprimé le cours magistral en STI pour le remplacer uniquement par un travail sur les exercices du baccalauréat. J'ai donc découpé le programme autour de neufs notions et couple de notions répartis sur neuf mois de cours. Chaque notion a été traitée à partir d'un exercice du type du troisième sujet (un texte, des questions d'explication et une dissertation) et un deuxième texte pour discuter le premier. Les élèves devaient chaque semaine préparer un texte avec la question 1 et 2. Le travail était vérifié et corrigé en classe. S'il n'était pas fait, l'élève recevait une pénalité et pour la supprimer, il devait rendre un devoir en plus. Une fois par mois, les élèves devaient répondre en classe par écrit aux questions 1 et 2 sur un texte qu'ils n'avaient pas étudié. Le barème était avantageux : la question 2 comptant comme bonus. Une fois par mois, les élèves devaient rendre une dissertation. Ils avaient un mois pour la préparer et ils devaient la terminer pendant une heure en classe. Si le travail n'avait pas été préparé à la maison, les élèves avaient une heure pour le faire en classe. Cette méthode a permis de faire faire aux élèves les exercices de type bac très régulièrement (six notes par trimestre avec en réalité seulement trois exercices du type bac complets : ce qui n'alourdissait donc pas le travail de correction). En outre, elle permettait que toutes les copies soient systématiquement rendues par les élèves, contrairement à un travail uniquement effectué à la maison. Enfin, à la fin de l'année, le nombre de textes étudiés était très conséquent (24 extraits) et permettait donc de constituer sans difficultés la liste de rattrapage.

Une évaluation bienveillante

J'ai essayé en outre de mettre en place une évaluation qui valorise le travail et non pas uniquement la performance de l'élève. Pour cela, l'élève était systématiquement noté entre 10 et 12, si les consignes de méthode étaient correctement respectées et si des connaissances philosophiques étaient mobilisées, indépendamment de la pertinence philosophique du contenu. En outre, en section générale, ces attendus étaient accompagnés d'une exigence claire sur la longueur de la copie portée à un minimum d'une copie double. Si la copie était trop courte, si les consignes de méthode n'étaient pas prises en compte et s'il n'y avait pas de connaissances de cours, la copie recevait une note en dessous de la moyenne sans aller en-dessous de 6 : il me semblait que l'élève n'a pas besoin de recevoir une note "humiliante" pour comprendre que le contrat didactique n'a pas été rempli. Enfin, les élèves avaient systématiquement la possibilité de refaire un devoir raté, même après la correction, et d'obtenir un dix. J'ai remarqué que pour les élèves les plus faibles : même avec la correction, ils n'arrivent pas nécessairement à produire un devoir qui soit correct. Le peu de notes en dessous de la moyenne fait que ce travail de devoir supplémentaire alourdissait peu le travail de correction. Ainsi, au deuxième trimestre en terminale ES, j'avais moins de 5 élèves en dessous de la moyenne contre environ une quinzaine pour mes collègues d'histoire, de sciences économiques ou de mathématiques.

En outre, j'ai accompagné ma méthode de notation d'un discours clair sur ses objectifs (valoriser le travail et éviter le découragement), mais également ces limites. Ainsi, je conseillais aux élèves de ne pas se contenter d'un dix et de viser au moins 12 de moyenne. Au-delà de 14, j'appliquais des critères de notation exigeants de manière à ce que les élèves souhaitant intégrer une classe préparatoire puissent se situer. En particulier, j'ai estimé que les élèves devaient être capables de produire une copie qui manifeste une culture personnelle dans le choix des exemples (je les ai incités à lire en dehors des cours), à défendre de manière argumentée une position personnelle dans leur copie, à essayer de faire preuve de créativité dans leur troisième partie de dissertation. Il me semble en effet qu'un des défauts de notre système d'enseignement actuel est qu'il décourage les élèves les plus faibles et ne pousse pas les élèves les plus intéressés par une discipline à aller au maximum de ce qu'ils pourraient faire. Il me semble qu'un enseignement doit viser à mettre en oeuvre l'ensemble des compétences dégagées par la taxonomie de Bloom révisée.

Un des objectifs de cette méthode de notation visait à éviter la focalisation des élèves sur les notes et la tendance à tricher - en particulier dans les devoirs à la maison - pour éviter une mauvaise note. Peu d'élèves ont contesté ce système de notation - un ou deux par classes -. Lorsque c'était le cas, je leur ai proposé de les noter eux de manière classique : mais ils n'ont pas accepté en définitive la proposition. Enfin, j'ajouterai qu'en ce qui concerne la philosophie, discipline que les élèves découvrent pour l'essentiel en terminale, la notation doit être avant tout formative. Seule la notation du baccalauréat peut être certificative. Durant l'année, les élèves ne sont jamais dans les conditions du bac : ils font souvent des devoirs à la maison et n'ont pas vu l'intégralité du programme. Or on ne traite pas le même sujet de philosophie de la même manière en début d'année et en fin d'année.

Une didactisation des exercices

Lorsque je suis devenue enseignante en philosophie, j'ai tout de suite accordé beaucoup d'importance et de valeur à la didactisation des exercices de philosophie du baccalauréat14. Lorsque j'ai demandé à mes élèves les années précédentes d'évaluer mon enseignement, c'est un point qu'ils ont souvent mis en avant comme un élément positif. Néanmoins, je me suis aperçue que cela ne suffisait pas. J'ai du mettre au point plusieurs méthodes pour que les élèves s'approprient les méthodes des exercices.

Tout d'abord, certains aspects méthodologiques ont été très systématiquement répétés toute l'année. Par exemple, les STI faisaient systématiquement chaque semaine par écrit la question 1 du sujet 3 (dégager la thèse et montrer comment elle est établie). En sections générales, les cours chaque semaine s'appuyaient systématiquement sur un sujet de dissertation et il était demandé aux élèves de dégager la problématique.

Ensuite, les élèves lors de la première dissertation et de la première explication de texte devaient systématiquement noter, dans la marge de la copie, les étapes de la méthode afin de bien penser à suivre chaque consignes.

Enfin, aussi bien en STI qu'en L, j'ai privilégié les devoirs sur table (en L, il y avait un jour par semaine où je les voyais quatre heures). Lors du premier devoir sur table, les consignes de méthode étaient noté au tableau. Cela m'a permis ainsi de constater que ces consignes n'étaient pas claires pour beaucoup d'élèves. Ainsi, dans les deux classes, j'ai passé beaucoup de temps lors du premier devoir sur table à répondre à des questions relatives à des interprétations ambiguës des consignes de méthode.

J'ai constaté que lors du premier exercice type bac, il s'agit davantage d'évaluer l'effort de respect des consignes que la performance. En général, ce n'est qu'au bout du deuxième devoir que la majorité des élèves parviennent à respecter ces consignes.

Favoriser la métacognition

J'avais le sentiment que la plupart des élèves ne parvenaient pas à s'approprier l'enseignement de philosophie car ils étaient confrontés à plusieurs obstacles cognitifs qu'il s'agissait de lever.

Ces obstacles tiennent tout d'abord à la difficulté de donner du sens aux apprentissages scolaires. On peut même être parfois étonné comment de bons élèves peuvent ne pas être conscients des enjeux sociaux de ce qu'on leur apprend. Il ne s'agit pour eux que d'un simple jeu intellectuel. En fait, beaucoup d'élèves ne font pas de liens entre ce qu'ils étudient en philosophie, les autres disciplines et de manière générale le monde qui les entoure. Cela tient à ce que leur "monde vécu" est trop pauvre. Ce que j'entends pa là, c'est qu'ils n'ont pas l'expérience de vie, mais surtout la culture générale qui leur permettrait de faire apparaître les enjeux de ce qui leur est enseigné. J'ai donc consacré entre une heure et deux heures par semaine en section générale (y compris ES) à leur faire des exposés de culture générale philosophique : la bioéthique et la philosophie kantienne, les institutions de la Ve république et la philosophie politique, les échanges et la philosophie de l'économie....

J'ai en outre organisé mon cours selon une didactique particulière. Afin de rassurer les élèves sur le traitement du programme, j'ai traité chaque semaine une notion différente. Je n'ai jamais consacré plus de deux ou trois heures par semaine (y compris en L) au cours sur les notions. J'avais acquis de mon expérience des années passées la conviction qu'il est possible de faire obtenir aux élèves de bons résultats au bac, en consacrant seulement deux heures par semaine au programme et en terminant celui-ci avec un mois d'avance et même plus... Pour cela, je me suis appuyée à la fois sur les théories de l'apprentissage en psychologie cognitive et sur les qualités systémiques de la discipline philosophique. Lors du premier bac blanc qui a eu lieu en janvier, j'ai expliqué aux élèves de section générale que le cours qu'ils avaient eu jusqu'à présent s'organisait sur la base d'une architecture logique et qu'il fallait avant tout comprendre cette architecture et que cela soulagerait de beaucoup le travail de mémorisation15. J'ai accompagné le travail de révision pour les bacs blancs et en fin d'année pour l'épreuve du bac, d'un travail de réalisation de tableaux et de schémas qui permettait de mettre en valeur cette architecture. J'ai enfin demandé aux élèves de L durant les vacances de Pâques de rédiger une synthèse complète de mon cours en s'appuyant sur son organisation systémique. Je présentais également certains auteurs vus durant l'année sous la forme de schémas systémiques couvrant l'ensemble des notions du programme, car l'appropriation des auteurs est souvent une dimension jugée difficile par les élèves. En définitive, plus que la quantité de cours dont les élèves disposent, il me semble que c'est la qualité de l'appropriation du cours qui compte et la capacité de l'élève à se resservir de son cours de philosophie lors d'épreuves de type bac ou même pour sa réflexion personnelle après le baccalauréat.

Enfin, dés la première séance de cours, j'ai effectué dans l'ensemble de mes classes un exposé qui présentait les principales stratégies d'apprentissage mises en valeur par les sciences cognitives. Durant l'année, en particulier en section générale, je suis revenue à plusieurs reprises sur ces méthodes en ayant un discours métacognitif. Parmi les points que j'ai mis en valeur figure comme base la nécessité de la maîtrise du vocabulaire philosophique. Ainsi, chaque cours se terminait par un récapitulatif du vocabulaire que les élèves devaient connaître pour chaque notion.

Prendre en compte la dimension pédagogique

J'ai accepté également de prendre en compte des dimensions plus psychologiques de la relation d'enseignement pour favoriser les apprentissages, alors même que pour certaines méthodes que j'ai utilisées, je peux avoir parfois des doutes sur leur efficacité cognitive.

Tout d'abord, il me semblait intéressant, en particulier en L, afin d'éviter une trop grande monotonie, de varier les activités. J'ai donc opté pour un découpage de la semaine en plusieurs séquences : 2 à 3 heures de cours sur les notions, 1 à 2 heures de culture générale, 2 heures de lecture suivie (et entraînement à l'explication de texte), 1 heure de philosophie de l'art, 1 heure d'exposé d'élève et débat. En outre, lorsque c'était possible, par exemple par rapport à des exercices de révision, je proposais aux élèves de choisir en votant l'activité qu'ils préféraient effectuer ou de proposer eux-mêmes une activité qu'ils jugeaient utile pour réviser.

En ce qui concerne l'usage du numérique à l'école, j'avoue éprouver une certaine réticence par rapport à ce que l'on peut qualifier de "solutionnisme". Cela consiste à penser que le numérique va être la solution miracle aux problèmes cognitifs des élèves. Or le numérique est pour moi uniquement un moyen parmi d'autres, qui en outre n'est peut être pas si efficace16. Je savais que l'usage de l'écran numérique - au moins dans un premier temps - capte l'attention exogène des élèves. Ceux-ci ont en outre le sentiment - qui n'est peut être pas la réalité - de mieux apprendre grâce à ce type d'outils. Néanmoins, ce qui m'a incité à effectuer des présentations numériques lors de mes cours en section générale tient à deux autres raisons. La première est que je désirai effectuer des cours réguliers de philosophie de l'art avec mes élèves de L. La seconde c'est que la mémoire des images est très puissante et qu'un double encodage texte et image favorise la mémorisation. Pour concevoir les diaporamas numériques, je me suis appuyée sur les travaux en matière d'ergonomie cognitive afin d'éviter par exemple les effets de surcharge et de parasitage.

En outre, j'ai consacré une heure par semaine avec les L à un exposé réalisé par un élève à partir de la notion et du sujet de son choix. Cet exposé était suivi d'un débat sur le sujet entre les élèves. Après une reprise portant sur le contenu méthodologique, je laissais les élèves débattre et j'évitais d'intervenir sauf lorsqu'ils s'enferraient dans des erreurs factuelles. Je suis partagée quant à la valeur de la discussion philosophique. Sur le plan citoyen, du travail de l'argumentation orale et de l'apprentissage par le conflit socio-cognitif, la discussion philosophique me semble un excellent exercice. En revanche, l'épreuve du baccalauréat est écrite et repose sur des exercices académiques. Or l'on sait que le travail des compétences orales avec les élèves ne favorise pas en soi l'appropriation des compétences écrites. De fait, j'ai expliqué aux élèves ce décalage : ce n'est pas parce qu'ils aiment bien la séance de "débat" que c'est cela qui les prépare le mieux à l'épreuve écrite du bac. Mais, à mon avis, les séances de "débats philosophiques" possèdent une autre vertu beaucoup plus importante : elles favorisent la vision positive que les élèves ont de l'enseignement de philosophie. Ils trouvent dans le temps scolaire, un espace où leur parole est prise en compte et où ils peuvent échanger entre eux en tant que groupe-classe. En STI, j'ai souvent pris le temps, lors des séances en demi-groupe ou même en classe entière, de discuter avec les élèves et de les laisser s'exprimer et de répondre aux questions, même si elles n'étaient pas directement connectées à la notion traitée. Je me suis en particulier attachée à discuter avec eux de ce qu'ils apprenaient sur Internet et de les former aux méthodes de critique des sources qui sont la base de l'esprit critique.

Une autre dimension qui me paraît importante est que l'enseignement puisse comprendre une part de différenciation pédagogique. L'enseignant doit pouvoir être disponible pour aider les élèves les plus faibles, tout en laissant de l'autonomie et en poussant les élèves qui réussissent mieux dans la matière. Avoir demandé aux élèves de rédiger en début d'année un texte relativement à leur motivation pour être en terminale a été un outil qui m'a permis de saisir dès le début certains indices sur leur rapport au savoir. En outre, en section générale, en début d'année, j'ai pris le temps de recevoir personnellement pendant une heure de "trou" d'emploi du temps commune entre mes élèves et moi, des élèves qui me semblaient mal engagés dès le premier devoir. J'ai pu dès le début identifier les difficultés de certains et pour quelques-uns la progression a été très positive ensuite. En outre, lors des devoirs sur table, j'ai pris le parti d'aider de manière individualisée les élèves qui restaient bloqués et qui risquaient de rendre une copie blanche. Lors des révisions en classe, j'ai adopté également une méthode de travail différenciée. Face à un sujet de dissertation ou une citation, tous les élèves devaient fournir un travail minimum qui était corrigé en commun (par exemple problématiser le sujet). L'exercice n'était corrigé que lorsque tous les élèves avaient terminé cette phase. Pendant ce temps, les élèves les plus rapides devaient par exemple chercher les références philosophiques mobilisables sur le sujet. Enfin, j'ai beaucoup incité les élèves à ne pas se contenter du cours et aller plus loin par des lectures personnelles durant l'année. Au moment des vacances de Pâques, j'ai demandé aux élèves de me rédiger la vision philosophique personnelle à laquelle ils adhéraient sur l'ensemble des notions du cours. L'exercice a montré une très grande hétérogénéité dans le niveau des réponses, mais il a permis aux élèves les plus passionnés par la matière de pouvoir exprimer ce qu'ils avaient de plus personnel dans leur rapport à la philosophie, indépendamment des contraintes des épreuves du bac.

Au-delà, il me semblait important d'être professeur principal en terminale L afin de pouvoir prendre plus spécifiquement en compte l'élève comme une personne et de l'aider à faire face à des difficultés extra-scolaires lorsque celles-ci ont un impact sur sa scolarité. De ce point de vue, en tant qu'enseignante, il ne me semblait pas que mon rôle était de me substituer à un psychologue ou à une assistante sociale, mais d'orienter les élèves vers ces interlocuteurs en cas de besoin. En revanche, il me semblait important de pouvoir prendre en charge la dimension pédagogique et cognitive qu'induisait leur difficultés extra-scolaires. De ce point de vue, la constitution d'une liste mail me permettant de communiquer régulièrement des informations avec les élèves de l'ensemble de la classe, mais également de pouvoir communiquer personnellement avec certains élèves (tout en gardant des traces écrites de mon intervention), m'a semblé être un outil précieux. Mon sentiment, c'est que l'enseignant peut incarner une fonction importante face parfois aux dysfonctionnements familiaux, afin que l'élève ne reste pas seul confronté à des situations parfois abusives ou douloureuses.

Enfin, il me semblait important que l'enseignement de philosophie ne se limite pas simplement à préparer les élèves aux épreuves du baccalauréat. Pour moi, le sens de cet enseignement se trouve au-delà de cet objectif. L'enseignant de terminale doit avoir pour souci de préparer les élèves aux exigences méthodologiques et intellectuelles du post-bac. La philosophie doit pouvoir donner aux élèves des outils de compréhension du monde, les former à l'esprit critique et en tant que citoyen. Enfin, il me semble que l'enseignant ne doit pas essayer de se servir de sa position professorale pour imposer sa vision philosophique à ses élèves, mais qu'il doit donner aux élèves les outils pour les aider à forger leur propre vision. En revanche, il m'apparaît important que si l'enseignant ne doit pas s'ériger en modèle, il doit tendre à essayer d'incarner un exemple de choix d'existence possible dans sa cohérence. La philosophie, ce sont également des manières de vivre.

Conclusion - Bilan des ces expérimentations

Je vais essayer de tirer un bilan de ces expérimentations. De manière générale, les conseils de classe laissaient apparaître que la classe de STI était composée de deux groupes d'élèves : une partie qui travaillait et aspirait à une poursuite d'étude au-delà d'un BTS et un autre groupe qui ne travaillait pas ou peu dans l'ensemble des matières. Il me semble que la méthode adoptée en philosophie a évité le décrochage d'une partie des élèves et de créer un écart trop important entre les élèves. J'ai eu également l'impression que la sécurité créée par une notation bienveillante et des méthodes claires a permis ensuite de favoriser des interactions et un dialogue entre les élèves et l'enseignante. Néanmoins, le second bac blanc au mois de mai a montré un niveau d'appropriation insuffisant de ce qui avait été vu durant l'année. Les élèves ont donné comme explication d'avoir fait l'impasse sur la philosophie au profit de matières ayant un coefficient plus important. Mais cela interroge néanmoins sur le degré d'intériorisation de ce qui avait été vu durant l'année.

En ce qui concerne les terminales L17, les copies lors du second bac blanc ont été jugées globalement de bon niveau par le collègue qui les a corrigées : les élèves avaient assimilé les méthodes de dissertation et étaient capables d'utiliser des connaissances philosophiques pertinentes relativement au sujet. La question qui se pose néanmoins porte sur le niveau global de la classe en début de terminale. Bien que le niveau de la classe soit probablement globalement satisfaisant, celle-ci présentait des facteurs d'hétérogénéité, avec plusieurs élèves qui m'avaient été signalés dès le début de l'année comme présentant des risques de décrochage scolaire ou ayant un niveau très faible. Les bilans rédigés par les élèves en fin d'année ont fait apparaître généralement un bon niveau de satisfaction relativement à la philosophie en particulier chez des élèves présentant initialement des risques de décrochage ou un niveau considéré comme faible. Les éléments qui sont soulignés comme positifs par de nombreux élèves sont des points qui étaient déjà ressortis dans les évaluations que j'avais faites les années précédentes : la méthodologie claire des exercices de type bac, des cours très structurés, les liens faits entre la philosophie et la compréhension du monde, les débats. Il faut en particulier souligner que plusieurs élèves font état de leur crainte antérieure que la philosophie soit une matière trop abstraite sans lien avec le monde qui les entoure.

Après quatre année d'enseignement dans le secondaire, au moment où je quitte le lycée pour l'enseignement supérieur, j'ai le sentiment d'avoir atteint l'adéquation personnelle entre la conception à laquelle j'aspirais de l'enseignement de la philosophie en terminale et la réalité de mes pratiques18. J'ai en outre le sentiment que la conception que j'ai essayé de développer de l'enseignement de la philosophie a été reconnue par les autres membres de la communauté éducative (élèves, parents d'élève, personnel de direction, collègues...). Pourtant, ma première année dans l'enseignement s'était on ne peut plus mal déroulée19. Je dois donc beaucoup à un travail de lectures en science de l'éducation et de réflexions sur les obstacles réels à l'enseignement de la philosophie d'avoir fait évoluer ma pratique, au point d'avoir le sentiment d'être enfin parvenu à réaliser une harmonie entre mes conceptions éducatives et mes pratiques pédagogiques.


(1) Pereira Irène, "Le rapport à la philosophie d'élèves en classe terminale", Diotime, Sceren-CRDP Montpellier, n°64, avril 2015.

(2) En particulier, j'ai entamé une collaboration régulière avec le site "Question(s) de classes" : http://www.questionsdeclasses.org/

(3) Parmi les lectures qui m'ont marquées, je peux citer le travail de François Dubet sur Les lycéens (Paris, Le Seuil, 1991) : il me semble que l'apport de cet ouvrage est de montrer que les élèves ont une vision différenciée de ce qu'est un bon enseignant en fonction de leur niveau scolaire et de leur rapport à l'école. Une autre source intéressante est la thèse de Stéphanie Leloup, L'ennui des lycéens : du manque de motivation au décalage des attentes (Université de Reims, 2006). L'apport de son travail tient dans l'étude des représentations de l'élève et de l'enseignant idéal chez les enseignants et les élèves.

(4) On peut citer parmi les sources possible sur ce sujet : "Que disent les recherches sur l'effet enseignant ? (Centre d'analyse stratégique du gouvernement, Note d'analyse 232, juillet 2011), "Les effets des pratiques pédagogiques sur les apprentissages" (Dossier de veille de l'IFE, n°65, septembre 2011).

(5) Voir à ce propos l'étude d'Anne Barrère, Travailler à l'école, Rennes, PUR, 2003.

(6) Antibi André, La constante macabre ou comment a-t-on découragé des générations d'élèves ?, Math'Adore, 2003.

(7) Ces travaux sont en particulier ceux de l'équipe ESCOL : Charlot Bernard, Bautier Elisabeth et Rochex Jean-Yves, École et savoir dans les banlieues... et ailleurs, Paris, Armand Colin, 1992.

(8) Il existe plusieurs travaux allant dans ce sens : la pédagogie rationnelle défendue par Bourdieu (Bourdieu Pierre et Passeron Jean-Claude, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Éditions de Minuit, 1964) ; l'enseignement explicite (Clermont Gauthier et al., Enseignement explicite et réussite des élèves, Bruxelles, De Boeck, 2013) ; l'attention aux malentendus cognitifs (Bonnéry Stéphane, Comprendre l'échec scolaire. Elèves en difficulté et dispositifs pédagogiques, Paris, La dispute, 2007).

(9) Perrenoud Philippe, Métier d'élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 1996.

(10) Voir entre autres : Vianin Pierre, L'aide stratégique aux enfants en difficulté scolaire, Bruxelles, De Boeck, 2009.

(11) Lieury Alain, Mémoire et réussite scolaire, Paris, Dunod, 2012.

(12) Cette importance des lectures personnelles est confirmée par les études PISA qui montrent qu'il y a jusqu'à un an en moyenne de différence de niveau scolaire entre des élèves qui lisent une heure par jour des ouvrages et les autres élèves : Collectif, La lecture moteur de changement. Résultat de l'enquête PISA 2010. URL :
http://www.oecd.org/edu/school/programmeforinternationalstudentassessmentpisa/33690971.pdf

(13) Ma référence est ici la pédagogie de Celestin Freinet : L'éducation du travail, oeuvres pédagogiques, t.1, Paris, Seuil, 1994 ; Reuter Yves (dir.), Une école Freinet - Fonctionnement et effet d'une pédagogie alternative en milieu populaire, Paris, L'harmattan, 2007.

(14) Irène Pereira, "Didactisation de la dissertation en philosophie: pour une explicitation des normes implicites", Diotime - Revue internationale de didactique de la philosophie, Sceren-CRDP Montpellier, n°63, janvier 2015.

(15) Pour une présentation de la construction du cours selon une architecture logique, je renvois à : Irène Pereira, "Grammaire didactique de la philosophie", Diotime - Revue internationale de didactique de la philosophie, Sceren-CRDP Montpellier, n°54 (septembre-octobre).

(16) Sur les discussions sur l'efficacité cognitive de l'usage du numérique dans les apprentissages, on peut par exemple se reporter à : Amadieu Franck et Tricot André, Apprendre avec le numérique, Paris, RETZ, 2014.

(17) J'ai également durant cette année scolaire 2014-2015 assuré un enseignement d'exploration en seconde sur la philosophie et la science fiction dont je garde également une très bonne impression.

(18) Irène Pereira etNada Chaar, "La souffrance au travail des enseignants stagiaires", in Dir Jean Ferrette, Souffrances hiérarchiques au travail: l'exemple de la fonction publique, L'Harmattan, 2014.

(19) Irène Pereira etNada Chaar, "La souffrance au travail des enseignants stagiaires", in Dir. Jean Ferrette, Souffrances hiérarchiques au travail: l'exemple de la fonction publique, L'Harmattan, 2014.

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