Revue

Introduction au thème : "Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire" (Diderot)

Colloque sur les NPP, Chantier PhiloCité de Philolab, Unesco novembre 2014

Colloque sur les NPP, Chantier PhiloCité de Philolab, Unesco novembre 2014

Dans un ouvrage paru en 1753, Diderot écrit cette phrase restée célèbre : "Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire. Si nous voulons que les philosophes marchent en avant, approchons le peuple du point où en sont les philosophes".

Dans la seconde partie de cette phrase, nous avons déjà là le message qui nous dit que la philosophie, le savoir, l'exercice de penser par soi-même doivent pénétrer toute la société pour que les gens (le peuple disait Diderot) débattent de tous les sujets de société qui engagent leur vie, et que l'esprit de ces débats puisse remonter aux philosophes, qui eux pourront conceptualiser, écrire et témoigner de l'esprit d'un peuple en un temps et en un lieu.

Mais cette démarche pour rendre la philosophie populaire, le savoir populaire, n'allait pas (lorsque Diderot s'exprime), sans créer les inquiétudes des pouvoirs ; du pouvoir temporel comme du pouvoir intemporel.

Ce sera d'abord un édit royal qui va interdire l'Encyclopédie (ouvrage auquel Diderot va travailler 25 ans), puis ce sera le Pape Clément XIII qui mettra l'ouvrage à l'Index, menaçant d'excommunication tous les catholiques qui en posséderaient un exemplaire. Ils doivent, s'ils en possèdent, donner les exemplaires au curé pour qu'il les brûle. Aujourd'hui on ne brûle plus les livres, du moins on n'en a pas brûlé depuis un peu plus de 70 ans en Europe. Mais cela ne nous protège pas définitivement de l'obscurantisme, des fanatismes. L'actualité hélas, ne nous le rappelle que trop.

Diderot dans un autre ouvrage écrit, parlant de l'encyclopédie : "Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans les esprits, et j'espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques, les intolérants n'y gagneront pas. Nous aurons servi l'humanité".

Cette phrase de Diderot résonne encore aux oreilles de tous ceux qui veulent participer à la promotion de la philosophie.Qu'en est-il de ce conseil, de ce souhait de Diderot aujourd'hui ? Qu'avons-nous fait de cet héritage ? Avons-nous su rendre la philosophie populaire, en donner le goût, et oeuvrer pour cette "révolution des esprits" qui devait "servir l'humanité" ?

Aujourd'hui encore, philosopher c'est sans cesse réévaluer ensemble les critères de nos valeurs. Dans notre époque, où les évolutions techniques et scientifiques progressent de façon souvent exponentielle, celles-ci ont modifié de façon significative en seulement quelques décennies nos modes de vie, de comportement. De ce fait, elles constituent un défi permanent à nos règles éthiques et morales, aux règles de notre "vivre ensemble". Nous avons donc plus que jamais cette nécessité de rendre la philosophique populaire, et d'ouvrir le plus largement possible à toutes les catégories d'individus le débat sur les choix d'une société en construction.

On a souvent entendu dire que "la philosophie était descendue de l'Olympe". Cela signifie que la philosophie est aussi autre qu'académique, autre que chez les philosophes qui publient, autre que dans les propos des philosophes médiatisés. Elle est, suivant l'expression de Schopenhauer : "... une Thèbes aux cent portes !".

Autrement dit, tous les modes d'incitation à débattre : conférence-débat, Université populaire, café philo ou atelier philo sont à encourager. J'en profite pour rappeler que si les cafés-philo ont pris vie, c'est souvent grâce à de professeurs de philosophie ; ce qui nous permet de rendre hommage à Marc Sautet. Je n'oublie pas, bien sûr, dans les activités promotionnelles, les journées internationales de la philosophie organisées par l'Unesco.

Un corps n'est vivant que si l'ensemble participe à son processus de vie, ceci est également valable pour la philosophie. Les nouvelles pratiques philosophiques actuelles, quelle que soit leur forme, leur évolution, sont peut-être un début de réponse au souhait de Diderot : "rapprocher le peuple du point où en sont les philosophes".

Mais il est une question qu'on est obligé de se poser : la philosophie pouvait-elle au temps de Diderot, et même encore aujourd'hui, être populaire ? Des philosophes élitistes, des puristes (il en existe sûrement) nous diraient que l'expression "philosophie populaire" est, en soi, un oxymore.

Car qui est concerné, si ce n'est ceux qui vivent "la cité", ceux qui sont au plus près des réalités, ceux qui prennent chaque jour le métro, le train, qui vont à la crèche. Qui, si ce n'est ceux-là même qui affrontent au quotidien les difficultés de la vie, seraient les mieux placés pour "saisir le monde dans sa propre époque" (Hegel) ? Autrement dit (et pour clore mon propos), philosopher sans ceux qui font la Cité inverserait la question : serait-ce encore philosopher ?

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