Revue

Canada (Québec). Enjeux de l'intégration de la pratique du dialogue philosophique aux didactiques spécifiques : le cas du cours d'Éthique et de Culture Religieuse au Québec (première partie)

Note aux lecteurs
Le présent article a été scindé en deux parties. Chacune comprend des éléments suffisamment autonomes pour présenter du sens en elle-même : la première portant sur la question de l'intégration de la Communauté de Recherche Philosophique (CRP) aux didactiques selon une approche davantage générique; la seconde illustrant cette question à partir d'un cas particulier, à savoir celui de l'Éthique et de la Culture religieuse au Québec (elle sera publiée dans le n° 58 de Diotime). Malgré cette relative indépendance, chacune des parties du texte a été conçue à partir d'une perspective holistique, en considérant l'articulation des passages entre le générique et le spécifique. Si bien que la lecture de chacune des parties nous apparaît plus riche de sens.

I) Davantage de philosophie dans les classes : entre la noblesse des intentions et l'épreuve de la réalité

Depuis une dizaine d'années, la pratique de la Philosophie Pour Enfants (PPE) et les adolescents1 connaît un véritable essor "partout"2 dans le monde. L'une des raisons expliquant cet essor provient du nombre grandissant de recherches empiriques, notamment issues de travaux en sciences de l'éducation, publiées dans le domaine. Nous ne pouvons que nous réjouir du fait que bon nombre d'études sur la PPE tendent à montrer des résultats positifs. Seulement, au-delà de l'enthousiasme que celles-ci peuvent générer, les enseignants et formateurs doivent inévitablement composer avec des contraintes proprement contextuelles lorsqu'ils souhaitent intégrer l'approche. Ces contraintes peuvent être de différents ordres et conduire à des enjeux variés, ce qui s'explique, notamment, par la rencontre de différents facteurs, dont certains se rapportent plus spécifiquement à la formation initiale des enseignants (Gagnon, Tremblay, Dumoulin, Boily et Bouchard, 2012), alors que d'autres semblent relever davantage de contraintes plus proprement contextuelles liées aux exigences institutionnelles avec lesquelles doivent composer, au quotidien, ces enseignants. Dans un souci d'offrir un encadrement de qualité et d'assurer une certaine pérennité de l'approche PPE en classe, nous croyons qu'il demeure précieux que les formateurs aient à l'esprit quelques-uns de ces éléments contextuels. Il en va, parfois, de la réussite ou de l'échec d'un projet d'intégration. Examinons de plus près quelques-uns de ceux qu'il nous a été donné de relever, à la lumière des projets de formation et d'implantation que nous avons menés ces dernières années.

Enjeux de l'intégration de la pratique du dialogue philosophique en classe : prendre acte des contraintes contextuelles

1) Contraintes liées à la formation initiale des enseignants

Lorsque nous souhaitons intégrer le dialogue philosophique comme pratique éducative en classe, nous sommes appelés à composer avec certaines contraintes dont il nous apparaît précieux de prendre acte si nous souhaitons augmenter nos chances de réussite. Au Québec, l'un des principaux défis à relever, entre autres eu égard à la formation continue, provient du fait que bien peu d'enseignants ont été formés à l'animation d'un dialogue philosophique. Or, nous savons que l'animation d'un tel dialogue constitue pour la plupart d'entre eux un véritable renversement dans leur manière d'enseigner. En effet, actuellement, les modèles de planification issus du courant cognitiviste sont les principales références à partir desquelles les enseignants conçoivent leurs situations d'apprentissage et d'évaluation. Sans négliger l'apport de tels modèles, notamment en ce qui a trait aux didactiques des disciplines, force est de constater qu'ils ne conviennent pas d'emblée à ce qui est mis en scène en PPE. De fait, les modèles d'inspiration cognitiviste prennent appui sur différents principes, dont celui de la surcharge cognitive associée à la mémoire de travail, afin d'organiser des séquences qui s'articulent bien davantage autour d'un principe d'élémentation. Partant, les situations d'apprentissage sont conçues de manière à ce que les problèmes et/ou concepts complexes soient décomposés en problèmes et/ou concepts plus simples. Ce processus de "simplification", ou d'élémentation des problèmes et/ou concepts complexes s'inscrit dans la tradition cartésienne et suppose, en quelque sorte, le fait que le développement de notre habileté à résoudre des problèmes complexes procède par niveaux de complexification. Bon nombre de séquences et de situations d'apprentissage sont ainsi conçues dans le milieu scolaire, dont l'une des stratégies les plus répandues demeure à ce jour l'enseignement stratégique.

Bien entendu, les traits caractéristiques que nous venons de dessiner demeurent très grossiers, et de nombreuses nuances gagneraient à être apportées. Seulement, dans le contexte de ce texte, ceux-ci nous semblent suffisants pour faire voir que la PPE s'inscrit en faux contre cette perspective centrée principalement sur l'élémentation des savoirs, puisqu'au contraire, à l'image de l'épistémologie d'Edgar Morin, elle nous invite plutôt à entrer dans la complexité du monde et des idées. La pensée qui est en jeu en PPE est une pensée résolument complexe, et si elle s'adonne par moments à "simplifier" ou à "élémenter", c'est pour mieux penser ensemble les relations multiples qui dessinent les "choses" du monde. Ainsi, alors que la didactique cherche souvent à découper, à atomiser, à isoler ou à cloisonner, le dialogue philosophique quant à lui cherche plutôt à relier, à décloisonner ou encore à "systématiser". En réalité, la posture cognitiviste présuppose en quelque sorte que tout objet de savoir est décomposable et que, en contexte scolaire, il est souhaitable, parce que plus "efficace" pour l'apprentissage, de décomposer... Cela est sans doute viable dans certaines circonstances, mais nous demeurons avec le sentiment qu'il n'est pas toujours possible, ou encore souhaitable - et ce, tant d'un point de vue épistémologique, qu'éducatif, pédagogique ou didactique - de décomposer ainsi le monde... La pensée en PPE est une pensée de relations, une pensée en mouvement. En fait, en PPE, la complexité est le point de départ et d'arrivée du processus de recherche dans lequel sont investis chacun des participants.

Considérant cela, il est évident que, pour bon nombre d'enseignants, l'animation d'un dialogue philosophique, par le rapport intime qu'il entretient avec la complexité, constitue un véritable renversement, une véritable révolution copernicienne! Parmi les éléments de cette révolution, se retrouve une forme de décentration : l'enseignant n'est plus le centre du processus, mais bien les participants qui coconstruisent du sens ; la "réponse" n'occupe plus le centre de la cible téléologique sur laquelle se structureraient les interventions éducatives de l'animateur, car désormais, l'attention est dirigée vers les processus. Il s'agit donc, en formation, d'assurer différents passages : passage de la photo à la vidéo ; passage de la transmission de "connaissances" à la coconstruction de sens ; passage d'une perspective "top-down" à une perspective "bottom-up" ; passage du paradigme de la "réponse" à celui du questionnement ; passage d'une croyance épistémologique selon laquelle les savoirs sont "simples" et "stables" (voire fixes), à une croyance selon laquelle les savoirs constituent des réseaux complexes de concepts en constante évolution ; passage d'une posture de la "simplicité" ou de l'élémentation, à une posture de la complexité et des relations... Ces nombreux passages que doivent effectuer les personnes lorsqu'elles sont formées à l'animation de dialogues philosophiques représentent sans doute un défi important pour les formateurs, d'autant qu'ils vont, pour la plupart, à contrecourant de ce qui est souvent admis dans l'institution scolaire.

Au Québec, l'animation d'un dialogue philosophique ainsi que la maîtrise du questionnement qu'elle suppose ne font pas partie de la formation initiale ou continue des enseignants. Il existe bel et bien une formation à l'Université Laval (Québec), mais celle-ci demeure basée à l'intérieur d'une Faculté de philosophie, et non des Sciences de l'éducation. Si bien que les futurs enseignants, pour la plupart, n'ont accès à cette formation que par le biais d'un cours au choix, parmi une vingtaine de cours. Au final donc, bien peu d'entre eux ressortent de leur formation initiale avec une expérience suffisante pour qu'ils soient considérés habilités à animer des dialogues philosophiques en classe. À cela s'ajoute que lors de la formation initiale et continue des enseignants, les occasions qu'ils ont de réfléchir aux habiletés de pensée sont rarissimes, avec pour conséquence qu'ils ne s'approprient malheureusement que très peu d'indicateurs eu égard à leur développement. Au mieux, ils examinent cette question à l'intérieur de leurs cours de didactique des sciences. Seulement, à l'intérieur de ces cours, l'attention demeure dirigée vers une quantité assez limitée d'habiletés intellectuelles, c'est-à-dire principalement celles associées à "la" démarche de recherche scientifique3, ce qui, dans le paysage des habiletés de pensée, demeure bien peu en réalité... À cela s'ajoute que les divers programmes de formation à l'enseignement, plus précisément ceux de 1er cycle, ne comprennent en réalité que très peu de cours liés aux fondements de l'apprentissage et que, lorsque de tels cours sont offerts, ceux-ci s'inscrivent principalement soit dans l'histoire des idées pédagogiques, soit à l'intérieur de ce que nous nous plaisons à qualifier d'"obsession de psychologisation" des dynamiques d'apprentissage. Sans négliger l'importance de tels cours dans la formation des enseignants, cela a pour conséquence que ces derniers demeurent, pour une bonne part, largement ignorants de bon nombre de questions liées aux fondements des connaissances, alors que de tels fondements sont non seulement déterminants dans les stratégies déployées par les enseignants en contexte de classe - et par là même du type d'apprentissage qu'ils susciteront chez les élèves -, mais sont également au coeur de l'approche de PPE ainsi que du rôle de l'animateur...

À la lumière de cet état de la situation, non exhaustif, que nous venons de dessiner, il apparaît de plus en plus clairement que la tâche du formateur en PPE est à la fois multiple et complexe. Celui-ci doit en effet composer avec une série d'aspects qui, malheureusement, ne figurent pas au rayon des savoirs considérés comme essentiels à la formation des enseignants, si bien qu'il doit opérer, parfois envers une certaine culture institutionnelle, une série de renversements, lesquels génèrent en certaines occasions de véritables ruptures (épistémologiques) dans les conceptions et repères des enseignants. Bref, à l'image du dialogue philosophique lui-même, la formation d'animateurs nous inscrit d'emblée à l'intérieur du paradigme de la complexité! Pour rendre les choses encore plus complexes, on peut ajouter des contraintes plus proprement institutionnelles, notamment lorsqu'il est question d'enseignement secondaire... Examinons de plus près ce qu'il en est.

2) Contraintes liées à la culture institutionnelle ainsi qu'à la structure disciplinaire

La plupart des personnes souhaitant intégrer le dialogue philosophique à leurs pratiques buttent un jour ou l'autre sur le fait que la philosophie n'est que très rarement inscrite aux divers programmes de formation destinés aux élèves du primaire et du secondaire. À cet égard, il existe au Québec une exception, à savoir le programme Citoyens du Monde, offert dans deux écoles secondaires de la Commission scolaire des Navigateurs (Lévis). Dans ce programme, les élèves sont invités à pratiquer la philosophie lors de deux périodes par cycle de neuf jours, ce qui représente une séance de philosophie par semaine en moyenne. Cette pratique figure donc explicitement à la grille horaire des élèves! La philosophie figure également au bulletin, elle est donc évaluée (non pas sur le plan des connaissances liés à l'histoire des idées, mais davantage sur la mobilisation d'habiletés intellectuelles et sociales), et associée à un programme de formation défini en amont. Seulement, afin d'être en mesure d'intégrer la philosophie au parcours scolaire des élèves, la Commission scolaire a dû permettre aux écoles de retirer deux cours à la grille horaire des élèves, dont un cours de français. Autant dire qu'il s'agit d'un contexte somme toute exceptionnel et qu'à l'intérieur de la plupart des écoles secondaires, il serait tout simplement impossible de procéder ainsi.

De manière générale, la philosophie ne constitue pas une matière d'enseignement au primaire ou au secondaire, du moins au Québec ou pas de la manière dont est conçue la pratique du dialogue en PPE... À cela s'ajoute le fait que les programmes de formation que doivent mettre en oeuvre les enseignants, et qui sont imposés par les structures officielles en matière d'éducation nationale, sont essentiellement (quoi que non exclusivement) centrés sur la présentation de concepts largement standardisés (du moins c'est régulièrement de cette manière qu'ils sont présentés). Étant associés à des épreuves uniformes ainsi qu'à différents standards, notamment des "échelles de progression des apprentissages", il en résulte que les programmes dits prescrits occupent généralement beaucoup de temps de classe. En ce sens, la PPE jure quelque peu dans le paysage, puisqu'elle ne part généralement pas du principe qu'il faut à tout prix "passer" des concepts, mais plutôt s'engager dans des processus favorisant des apprentissages de différents ordres...

Bien plus, parmi les programmes associés aux différents domaines d'apprentissage, il en est qui occupent plus d'espace que d'autres! C'est le cas, notamment, des programmes de mathématiques, de langues (par exemple le français) ou encore d'histoire. Cette situation relève de nos rapports aux savoirs : certaines connaissances et/ou compétences étant considérées plus "essentielles" que d'autres, l'attention est davantage dirigée vers les domaines d'apprentissage auxquels elles se rapportent, reléguant les autres domaines au statut de "secondes matières", et ces matières, nous y accordons de l'attention "lorsque nous avons du temps"... Seulement, de plus en plus, nous entendons les enseignants dire que "le temps manque" pour "passer" tout le contenu compris dans ces programmes dits "fondamentaux", si bien qu'il n'en reste que bien peu au fond pour les "autres matières"! Cette mise en scène des savoirs, ce rapport disproportionné entre les différents domaines contribue à faire en sorte que les élèves eux-mêmes en viennent à considérer que certains d'entre eux sont plus importants que d'autres... Et la philosophie, compte tenu des discours officiels ou des structures institutionnelles, ne figure certes pas au sommet de la tour des savoirs!

Inévitablement, à moins d'un contexte idéalisé, les formateurs et enseignants intéressés par la pratique régulière du dialogue philosophique en classe doivent composer avec ces contraintes liées aux programmes de formation "imposés" par le politique! C'est pourquoi il n'est pas rare de voir les enseignants et institutions scolaires chercher par tous les moyens de connecter la PPE aux programmes, en identifiant des compétences, parmi celles prescrites, qu'elle permettrait de développer ou encore des concepts qu'elle permettrait d'aborder... Il y a là, à n'en point douter, un désir, voire un besoin, de se raccrocher à quelque chose d'officiel! Cependant, il semble qu'à cet égard la situation au primaire et au secondaire n'est pas tout à fait la même. En effet, l'enseignant du primaire est d'ordinaire titulaire d'un seul groupe-classe et assure le pilotage d'activités dans la plupart des domaines d'apprentissage. Ainsi, il bénéficie d'une plus grande latitude quant à l'organisation des séquences d'enseignement-apprentissage, ce qui peut lui permettre de dégager plus aisément de l'espace, selon le contexte (type d'élèves, niveau d'enseignement, milieu socio-économique, etc.) pour la pratique du dialogue philosophique. De sorte que nous pouvons très bien imaginer un enseignant qui, tout en respectant les exigences liées au programme de formation auquel il est tenu (matières dites de base, etc.), décide, de son propre chef, de libérer une heure par semaine pour la philosophie. En contrepartie, l'enseignement au secondaire est marqué par des cloisons disciplinaires plus franches, inscrites au coeur même de la grille horaire. Chaque moment est marqué du fer de la discipline, et chaque discipline est marquée par la prise en charge d'un enseignant considéré comme "spécialiste". Contrairement à la classe du primaire, l'enseignant est titulaire de plusieurs groupes et doit organiser ses activités en fonction d'un programme spécifique de formation, dont il est responsable d'assurer les apprentissages ciblés. Nous passons donc d'une logique de "généraliste" à une logique de "spécialiste" qui entraîne un marquage plus explicite des frontières entre les domaines, et avec lui une variation plus grande dans les rapports aux savoirs et les contrats didactiques. À cela s'ajoute une systématisation des évaluations, car chacun des enseignants de chacune des matières scolaires inscrites à l'horaire a le devoir de livrer un résultat pour chacun des élèves de ses groupes. Dans ce contexte, les évaluations sont essentiellement (bien que non exclusivement) centrées sur l'acquisition de connaissances dites déclaratives, les concepts prescrits étant si nombreux, qu'ils finissent par occuper l'essentiel du temps de classe - nous parlons bel et bien, dans ce cas, d'une forme d'obsession des connaissances!

D'emblée, il ressort un contraste marqué entre la pratique du dialogue philosophique et le contexte d'enseignement au secondaire. En effet, alors que le dialogue philosophique tend à partir des intérêts des élèves ainsi qu'à accorder davantage d'attention aux processus qu'aux contenus ou concepts ciblés, c'est souvent le contraire qui est mis en scène à l'intérieur des classes du secondaire... Cela représente un enjeu de taille lorsque vient le temps d'intégrer la philosophie à la culture de l'enseignement secondaire, car en de nombreuses occasions, cette intégration laisse les enseignants avec le sentiment qu'elle entre en conflit avec le programme qu'ils doivent "passer", et que par conséquent, le temps accordé aux dialogues philosophiques empiète sur celui qui devrait être consacré à la présentation des concepts prescrits aux programmes... Dès lors, se pose la question du "comment faire"? C'est sur cette question que nous nous attarderons à présent, en situant notre propos dans le contexte de l'enseignement au secondaire - bien que pour une bonne part, les éléments que nous exposerons pourraient très bien se rapporter également à l'enseignement primaire...

II) L'intégration du dialogue philosophique aux didactiques spécifiques : l'art de s'appuyer sur les contraintes pour assurer leur dépassement

Malgré les bienfaits qu'elle peut représenter, en contexte d'enseignement secondaire (voire primaire), si la pratique du dialogue philosophique s'inscrit toujours en faux eu égard aux concepts prescrits par les divers programmes de formation, ou si les liens entre elle et les programmes demeurent généraux et peu opérationnels, elle n'aura la plupart du temps, malheureusement, qu'un accès limité aux classes. L'une des raisons étant qu'à moins d'une volonté claire (que ce soit par le biais d'un programme spécifique de formation ou encore par la motivation profonde d'un enseignant), la pratique du dialogue philosophique risque d'être perçue par les enseignants comme un ajout, c'est-à-dire quelque chose de plus à faire dans leur tâche qui, selon leurs dires, est déjà surchargée! S'il est une chose sur laquelle la plupart des enseignants du secondaire s'entendent, comme nous l'indiquions précédemment, c'est qu'ils manquent tous de temps pour aborder tous les concepts inscrits à leur programme de formation! Si bien que s'ils en viennent à penser que la philosophie représente une couche additionnelle, elle a bien peu de chance de s'ancrer de manière significative dans leurs pratiques... À la lumière de nos expériences d'implantation, il nous est de plus en plus apparu que l'une des clés de l'intégration de la philosophie résidait dans le passage d'une logique de "remplacement" (la philosophie-panacée) à une logique d'enrichissement et de complémentarité. Dit autrement, il nous est apparu que la pratique du dialogue philosophique gagne à être perçue par les enseignants comme un véhicule leur permettant d'enrichir leurs pratiques, comme une "plus-value". Il ne s'agit donc pas tant d'implanter la philosophie, que de l'intégrer.

Afin d'illustrer notre propos, la seconde partie de cet article sera consacrée sera guidée par les expériences que nous avons menées avec des enseignants du secondaire en Éthique et Culture Religieuse (ÉCR) au Québec. Nous verrons de quelle manière ont été pensés ensemble la Communauté de Recherche Philosophique (CRP) et le programme de formation, de telle sorte que l'approche ne soit pas perçue comme un ajout, mais bien comme un enrichissement.


(1) Nous utilisons l'expression "Philosophie pour enfants et adolescents" (PPEA), puisqu'elle nous apparaît moins réductrice que la seule expression de "Philosophie pour enfants". Néanmoins, parler de PPEA demeure tout de même réducteur, puisque cela néglige d'emblée toutes autres applications possibles de la pratique du dialogue philosophique. Tel que nous l'avons récemment fait voir (Gagnon et Sasseville, 2011), ce type d'échange peut être mené à l'intérieur d'une très grande variété de contextes. C'est pourquoi, d'ordinaire, nous préférons l'expression tirée des travaux de Lipman et Sharp, à savoir celle de "Communauté de recherche philosophique" (CRP), ou encore, tout simplement, celle de "Pratique du dialogue philosophique" (PDP).

(2) Nous inscrivons "partout" entre guillemets puisqu'il demeure, encore à ce jour, des endroits dans le monde où la philosophie pour enfants rencontre des résistances, notamment dans les pays où le développement de la pensée critique est considérée comme une menace au pouvoir en place. Ainsi, la philosophie pour enfants et adolescents gagne en popularité certes, mais ne fait pas pour autant l'unanimité d'un point de vue international.

(3) Souvent présentée sous le modèle OHERIC (O : Observation ; H : Hypothèse ; E : Expérimentation ; R : Résultats ; I : Interprétation ; C : Conclusion), le plus souvent présenté selon une perspective linéaire.

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